De loin, la vieille avait cru reconnaître l’un de ses fils. Planté dans l’allée de la maison, la chevelure courte et blonde, l’homme était de dos et avait la carrure de Duncan. Ou de Samuel même et le cœur de Frida se serra à cette pensée (son fils indigne serait revenu ?). Seulement le croup de la sorcière jaillit d’un buisson où il se terrait depuis un certain temps si on en croyait la terre qui s’était infiltrée dans ses poils pour filer droit dans les jambes de sa maîtresse. Oreilles rabattues, il n’en finissait plus de grogner sur l’individu et tremblait de peur entre les tibias recouverts d’un jogging wizadidas dernier cri. Elle sortit sa baguette et appela. "Samuel ?" Elle avait mille choses à lui dire, mille reproches à lui faire. A commencer par la défection de Bree qui avait été dans le top de ses petits-enfants préférés avant qu’elle ne déserte, très certainement influencée par son frère et son mariole de petit copain (il vivait dans une caravane avait avoué Bree à Frida et c’était peut-être là le début de la déchéance). Jusqu’au dernier moment, elle s’attendît à trouver sur l’homme qui se retournait avec une lenteur exagérée le visage de son fils mais ce fut un autre regard familier qui lui rendit le sien. Un regard qu’elle n’avait pas vu depuis des années. "MOLKKYYY !" hurla-t-elle.

Ce fut une Frida plus nerveuse jamais qui déboula au ministère. Son jogging était plein de terre et ses cheveux - d’ordinaire bien coiffés, elle était haute-jugé quand même - semblaient plus aérodynamiques que d’habitude. Elle fondit vers les nouveaux bureaux du N9, demanda plusieurs fois si Miss Kaya n’était pas là avant de s’arrêter pile devant un jeune sorcier. "Vous là, vous êtes du N9 n’est-ce-pas ?" Son ton laissait entendre qu’elle ne voulait pas qu’on lui dise non. D’ailleurs, elle avait déjà refermé sa main comme une serre sur l’épaule du scientifique. "J’ai besoin d’aide, ça pourrait vous intéresser." Parce que l’intrus présent sur sa propriété ne pouvait qu’intéresser des types travaillant dans une salle de la mort (ou de l’amour, pareil ou presque).

Elle revint donc à son manoir avec le jeune sorcier. Molkky les attendait à l’entrée. Il tremblait presque autant que le croup et avait un œil poché. Aux murs, les tableaux étaient loin d’afficher leur ennui ordinaire et - selon qui ils représentaient - allaient de claquer des dents à sourire tout grand comme certains souriaient tout grand devant un chaos absolu (ce qui était le cas). "Il est dans la cave" fit Frida en s’avançant vers les escaliers en pierre. A cet instant précis, elle ressemblait vraiment à une vieillarde, le front ridé par la préoccupation et les épaules voûtées lui faisant perdre quelques centimètres. En s’y mettant avec Molkky, elle avait réussi à maîtriser l’intrus. Il était faible comme tout et Frida avait presque cru qu’il allait s’évaporer entre leurs doigts. Mais non, il n’était pas retourner d’où il venait (soit de la poussière) ni pendant qu’ils l’enfermaient, ni maintenant que Frida lui faisait de nouveau face dans la pénombre de la cave. A aucun moment elle ne le regarda dans les yeux ce qui le fit éclater d’un rire lugubre alors qu’il tirait sur la corde avec laquelle on l’avait attaché à un tuyau d’évacuation. "C’est mon mari… Le premier !" Sa voix chevrotait, renforçant l’hilarité du prisonnier. "Il ne devrait pas être ici, je veux qu’il parte !"

cw. violences conjugales (allusion)

Quand Frida regardait Edward, elle sentait un frisson lui remonter le long de la colonne vertébrale jusqu'à la nuque. Frisson familier mais qu'elle n'avait pas ressenti depuis quasiment cinquante ans. Il avait le regard bleu qu'elle retrouvait dans les yeux de leurs fils et de certains de ses petits-enfants mais celui du revenant avait la particularité d'être glaçant et vide. Un peu comme un poisson mort. Surtout insondable et pourtant Frida savait ce qu'il s'y cachait. Edward était beau, les cheveux blonds intouchés par la calvitie ou l'âge, plus grand encore que Frida, le visage quasi angélique. Son sourire n'avait pas changé d'un iota et une fossette creusait sa joue gauche quand il riait avec Markus. La vieille en eut la nausée. Edward n'était pas que beau, il était toxique, violent, pas bon pour les garçons comme elle l'avouait aux plus proches de ses amies sans détailler pour autant. Elle avait laissé cet épisode derrière elle au moment où elle s'était penchée sur le corps qui avait maintenant le sourire carnassier de la tête de mort qu'il devrait être et que ledit corps ne respirait plus.

Markus s'esclaffait, Frida ne le reprit pas, ne dit rien sur la mention de l'épouse chaleureuse qu'elle avait ou non été. "Southwark" cracha-t-elle. Tous les porteurs de ce nom - ou presque - avaient fini par la décevoir si ce n'était pire. Un jour, elle ferait passer une loi au ministère pour interdire jusqu'à prononcer ce nom. "Edward Southwark." Le revenant baissa la tête comme pour faire une courbette maintenant qu'il était présenté et Frida se bénit de lui avoir lancé un sort de mutisme. Un sort compliqué du style qui ne se levait pas d'un claquement de doigts, elle n'était pas bête, même si il y avait prescription, une accusation de meurtre ferait de la mauvaise publicité aux Beckett.

Elle sembla se reprendre, se tenant de nouveau droite comme la justice, toisant le petit jeune du N9 et son sourire un petit peu trop assuré. "Van Baume, c'est ça ?" Il aurait été sang-mêlé qu'elle aurait sans doute retenu son nom pour pouvoir le fiancer à une de ses petites-filles (il fallait relever le niveau et un chercheur au N9, même si Frida ne les appréciait pas particulièrement, n'était pas si mal). "Ca vous intéresse, non ?" Le ça étant le revenant désigné d'un geste lasse de la main. "Frais, vif, il n'a même pas changé de vêtements depuis l'instant de sa mort." Ce qui était étrange car il n'avait pas été enterré comme ça d'ailleurs. La chemise qu'il portait avait même été jetée/brûlée ou Merlin savait quoi par les pompes funèbres. "Il est à vous. Vous en faites ce que vous voulez pour peu que je ne le vois plus jamais." Edward se mit à grimacer, certainement l'effet que faisait un faites-en ce que vous voulez à n'importe-qui appréciant son libre-arbitre.

Frida le connaissait, elle avait même peur qu'il commence à baratiner Markus en invoquant la solidarité masculine ou autre connerie dont il avait toujours été friand. Mais ce n'était pas la vieille qui s'était chargée de le rendre muet mais Molkky et elle ne pouvait que reconnaître que son elfe était beaucoup plus doué en magie qu'elle (et que le sort l'avait fatigué, il semblait à peine tenir debout, les pieds posés sur une des marches nettoyées il y avait très longtemps du petit escalier qui menait à la cave, les grands yeux brouillés d'épuisement). "Je n'ai qu'une seule condition. Personne ne doit savoir." Elle insista bien sur le mot, plongeant son regard bleu et sans doute presque aussi glacial que celui de son mari dans le regard de Markus. Elle n'était plus la vieille dame en détresse mais la Haute-Juge du magenmagot à la carrière aussi longue que réussie et aux ennemis souvent morts (pourvu qu'ils ne reviennent pas tous).