Glenn ne la relâche pas de suite. Si ses lèvres se sont écartées de celles de Maureen (légèrement salées par l’embrun, a-t-il remarqué), ses mains, qui ont trouvé par habitude la taille de son épouse, y restent un moment, pèsent sur la veste comme deux ancres à la proue d’un navire.

L’ombre d’un sourire traverse son visage quand Maureen réajuste son col. "Est-ce que c’est du courage ou de la bêtise de te laisser seul ? - Je ne serai pas seul, allons." La protestation s’est accompagnée d’une légère flexion de sourcils. "Bien au contraire." Glenn a pris des airs ennuyés, leur passant à tous les deux l’envie de trop s’attarder sur le sérieux de la question en préférant de loin le sous-entendu de la cohabitation laborieuse avec les Lynch. Glenn s’est assez plaint (jamais précisément, sinon en soupirant et levant les yeux au ciel) pour que Maureen sache à quoi (ou qui) il pense dans l’immédiat. Les paumes de l’époux se pressent un peu plus contre le vêtement. Glenn sait en tout cas à quoi elle, elle pense. Elle culpabilise. Comme elle le fait si souvent.

"Tu as de la chance, maintenant que Dee connaît d’autres recettes que les spaghettis, tu vas pouvoir varier un peu tes repas." Les doigts se rigidifient contre elle. Il a terriblement froid, tout à coup. Certains de leurs sortilèges ont dû se dissiper. "Merlin m’en garde…" Glenn égare ses yeux sur la pulpe rouge et légèrement gercée de son épouse. Il a envie de l’embrasser à nouveau, d’absorber ses mots et les digérer loin de sa conscience. Diarmuid et lui vont se retrouver ensemble, seuls sans vraiment l’être mais seuls quand même. Ce que Glenn a précisément évité depuis leur retour de Gracefield, veillant toujours à ce qu’il y ait au mieux Maureen, au pire quelqu’un dans la même pièce pour ne pas avoir à souffrir leurs silences gênés. "C’est moi qui vais devoir lui apprendre à cuisiner." Il sourit et aimerait ne pas mentir ; mais il ment. L’idée même de se retrouver côte à côte avec Diarmuid lui retourne le coeur. L’idée même de se retrouver côte à côte avec son père lui retournait aussi le coeur. C’est une chose étrange que d’être parent. Les siens n’auraient jamais dû l’être ; et ils lui ont en quelque sorte transmis ce pressentiment.  

"Qu’est-ce qu’on fait ? On prolonge un peu notre séjour ou bien tu préfères rentrer ce soir ?" Le regard de Glenn revient dans le sien. La plage est maintenant baignée d’une lueur chaude et vaporeuse, donnant raison au pronostic de l’irlandais. S’ils avaient été vingt ans plus jeunes, vingt ans moins éprouvés, il l’aurait étreinte sous les rayons du soleil et ils auraient fait l’amour avec une tendresse presque aussi brûlante. "Rentrons." Ils n’ont plus trente ans et leur insouciance d’avant s’est diluée dans leurs yeux. Glenn exerce une dernière pression de ses mains, comme si son corps exprimait le contraire de ce qu’il a répondu. Mais les barricades qu’il a levées ne s’écroulent pas non plus devant le caprice charnel que lui inspire pourtant le corps de Maureen (son odeur de jasione, son goût salé, la rondeur de ses seins que son souffle calme soulève de temps en temps, ses longs cheveux ondulés et ses tâches de rousseur). "Rentrons", répète-t-il, presque plus pour lui-même. Ses paumes la relâchent enfin.

Ils profiteront encore un peu de leur pique-nique.
Des scones d'Ena et de leur irish breakfast.
Ils profiteront sans profiter, l'ombre des prochains jours planant au-dessus d'eux comme de gros nuages, comme une tempête qui revient terrifier la lande après une courte accalmie.