omen

But you see, there is a graveyard in my mouth filled with words that have died on my lips.

tw: mention de mort, blessure, possession

"You remember when…"
Inga ne dit plus rien.
Elle s’est arrêtée de parler et le silence tombe, assourdi par la neige qui flotte autour d’eux. Göran la regarde sans comprendre ; le calme dans son poitrail s’estompe au fur et à mesure que le souffle de sa femme se tarit dans l’air glacial. Il veut s’exprimer à son tour. Lui demander ce qu’il se passe. Mais ce rêve ne parle pas de lui, ni même de ce qu’ils ont tous les deux été ; il parle d’elle, de ses cheveux noirs et de son sourire franc, de sa voix basse qui ronronne comme celle d’une louve et de ses mots justes. Parfois, c’est Petra qu’il visite, mais souvent, c’est Inga : et Inga s’efface. Ou plutôt. Un brouillard de poix l’efface, arrivant par derrière Göran comme une tempête pleine de ténèbres grouillantes et étouffantes. Il aimerait se lever, l’emporter avec lui et fuir ensemble, mais il n’y arrive pas. Il est statufié sur ce rocher où il s’est assis, incapable d’épargner à son fantasme la bourrasque de cauchemar qui s’abat soudain.

Elle est gorgée de bruits, d’abord semblables à du vent mêlé de braises qui craquent, puis à des murmures inintelligibles, sifflant doucement dans ses oreilles avant que des sons plus perçants ne fassent grimacer Göran. A présent qu’il est dans la tourmente, et que tout autour le décor montagneux a disparu, des picotements douloureux traversent son bras gauche. En même temps que la pénombre grossit, une floppée de voix tourne autour de lui, parmi lesquelles la plus puissante : "yes father, I did what had to be done (…) you will never get rid of me sis', not now, not never - a threat? oh yes… it is, a promise too (…) don't sweet-talk to me, Amabella, I’m the devilish charm of this family, you’re nothing but a pale imitation! (…) calibrate your fucking grumpiness Abram! (…) I'm not asking your permission, McGonagall; my circus, my monkeys (…) you took your time, maggots, we nearly got bored! (…) COME MEET MY FUCKING WAND WEASLEY (…) you will-- never-- get rid-- of me-- sis'-- a threat? a p-- promise."

Tout se chevauche et s’emmêle.
Une vie de clameurs, de vacarmes et de rires infâmes.
Tout devient noir et épais.
Un gouffre sans fond dans lequel Göran se sent subitement tomber.

Et puis cette voix puissante, qui, soudain, lui dit :
Wake up.
… WAKE UP.

Göran se réveille en sueur et en sang. Les traits de son visage lui tirent, comme si on l’avait roué de coups. Instinctivement, sa main gauche se lève sous ses yeux bleus et hagards. Les phalanges sont abîmées ; c’est son poing - ce poing - qui l’a passé à tabac dans son sommeil. Ça n’est pas la première fois. Il peste et grogne des jurons sames, attrape une ceinture traînant au bas du pieu et se la passe autour du poitrail pour emprisonner son bras - ce bras - contre son flanc gauche. Alors que la boucle se referme sous ses doigts rêches, usés avant l’heure, sa vue se brouille et ses tympans s’obstruent. Le choc, pareil à une commotion, lui fait arrêter son geste pour libérer le bras de la lanière en cuir. C’est toute la carcasse du colosse qui se désarticule, inerte. Elle s’effondre en arrière et de tout son poids sur le vieux matelas moite. La perte de conscience n’est pas si longue, elle dure : trois minutes vingt-cinq.

Mais quand les paupières se rouvrent, et dévoilent des yeux devenus marrons, Amycus a l’impression d’avoir attendu une éternité pour pouvoir se lever comme il se lève, et marcher comme il marche. Le sol, dur sous ses pieds, et l’air, gonflant ses poumons - détails insignifiants et banals pour le commun - sont un miracle pour lui ; un prodige aberrant que la déchirure du Voile et les bouleversements magiques ont permis. Il a un sourire. Immense. Pareil à une balafre. Le bras gauche - son bras - s’est derechef levé, et agite sous son regard la main et les doigts qui lui sont familiers (si l’on ne compte pas les griffonnages de mauvais goût qui lui couvrent dorénavant la chair). Amycus sent qu’il a peu de temps devant lui. Malgré la gêne (vivre - marcher, respirer, garder les yeux ouverts - est difficile, épuisant pour lui qui revient de l’éther noir et abyssal qu’est la mort) il s’habille avec ce qu’il trouve sans prêter attention ni à son environnement, ni à qui il ressemble, et descend par les escaliers étroits du viel immeuble (se ramasse contre la paroi à quelques reprises - vivre est difficile). Dehors, la nuit et ses quelques réverbères l’accueillent. Il reconnaît l’Allée des Embrumes, le long couloir de boutiques et de bars miteux qu’ils avaient pourtant mis à sac, continue sa marche lourde jusqu’au Chemin de Traverse avant de sommer, baguette levée, cette abjection de Magicobus - a-t-il vraiment le choix.

"Well, good evening to you, sir! Where can I drive you? — Carrow Manor. — Oh! Huh… I would not recommend it, sir… it’s eh (plus bas, une main passée devant la bouche en vue de se confier) the worst idea you could have this evening-- or ever! Haha…! May I recommend the Faceless Grindylow? If you seek thrills this much, it’s the place to be! — Ah! Humour. I have it too (sourire). Carrow Manor, now." Ernie se décompose sur place. C’est bizarre mais, maintenant qu’il y pense, ces yeux, ce timbre de voix... lui disent quelque chose. C’est bizarre mais, un instant, il pense à sa petite Wendy perdue il y a des décennies peu de temps après leur mariage. C’était durant la guerre, de la main d’un Mangemort dont il n’a jamais oublié le regard derrière le masque de fer… C’est bizarre, tout ça, se dit Ernie, c’est bizarre… "C--Carrow Manor, then."

* * *

Amycus y est presque.
Devant le haut portail crénelé du manoir familial, sa silhouette qui n’est pas sa silhouette se dresse entre pénombre et clair de lune. Il rêve pouvoir franchir ces grilles, avaler les mètres le séparant de la demeure lugubre, rentrer chez lui et se proclamer ressuscité - quelle tête ferait son foutu frangin ! Il rêve en silence, il rêve éveillé ; et dans ce rêve, l’espoir de maintenir sa possession, l’envie d’écraser son hôte - la hâte, brutale et inquiète, de revoir Alecto.

Un pas.
C’est tout ce qu’il arrive à faire.
Un pas, et un seul.

Comme Amycus a gangréné le rêve de Göran, Göran pourrit celui d’Amycus. Il retrouve le chemin de sa conscience, y rampe à la force seule de sa volonté, si bien que le froid - celui de la mort ? celui des montagnes ? - ankylose les muscles du corps qu’hôte et esprit se disputent. "N--No!!" L’éclat s’est perdu dans l’air nocturne, alors que la carrure, titubant un peu, retrouve un certain équilibre. Lorsque les paupières se rouvrent, les yeux sont redevenus bleus. Göran ne sait pas ce qu’il fait là. Il ne sait pas comment il est arrivé là. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il ne veut pas rester. Ses bottes reculent maladroitement et sa silhouette qui est sa silhouette s’éloigne du domaine - les doigts de sa main gauche, un moment, ont été secoués de spasmes.

Abram est à la fenêtre. Pour une raison qu’il ignore, il s’est mis à observer, à plusieurs mètres au-delà, le haut portail du manoir. Il lui semble avoir vu une silhouette. Son inspection se poursuit quelques minutes, avant qu’il lâche le long rideau épais couvrant la vitre. En gagnant derechef ses sous-sols, il s’arrête pourtant à mi-chemin, croyant avoir entendu, raisonnant dans tout le manoir, un murmure. Un murmure qui a dit "(…) a promise."

To be continued...