Tu tentes tant bien que mal de ne pas te perdre dans ce que tu lis de lui. A la réponse à ton 'quand', une fébrilité qui trahit ses émotions, son implication profonde dans ta vie qui, tu as bien voulu maigrement essayer, n'était plus gardée de sa présence. Pas totalement, du moins. Son aplomb déjà bancal s'est envolé au même titre que ta volonté de le laisser hors de ton cercle vital. Tu as la désagréable sensation de sentir les mêmes choses que lui, à cet instant : à trop le regarder, tu soupçonnerais même presque ta capacité à te mettre à sa place.
Danger.
L'animagus porte alors un rôle différent, se faisant messager de cette nouvelle vie que tu souhaites porter. (De l'obligation de la porter, pourrait-on même dire.) Tu ne lui as rien imposé, et si les choses sont ainsi faites, qu'il en soit ainsi. Tu n'as plus assez de force, de ressources pour pouvoir tout gérer par toi-même, et cette pensée dérègle déjà trop ton équilibre abîmé. Ne pas trop y penser. Comme la suite. Retrouver des visages connus, pour la plupart ayant été ennemis. N'avait-ce pas été la même chose avec Anthony ? N'avait-il pas fini par te dire oui ? On ne peut pas dire que tout était terminé entre vous pour autant, et la hache de guerre était là quelque part, à rouiller en attendant que l'un de vous ne la prenne.
Il faudrait alors faire face à toutes ces horreurs, tout ce que tu as été, tout ce que tu es encore, quelque part, malgré toi. Sans doute est-ce un simili-procès déguisé, auquel tu devras te plier. Tu n'en sais rien, tu ne sais pas... mais c'est déjà l'émotion qui pèse là, dans tes viscères : t'es certain qu'ils gratteront suffisamment, pour s'assurer que tu n'as plus rien contre eux, et que tu as abandonné tes idéaux abjects.
Idéaux qui ont été pervertis, de fait. La roue qui a tourné, comme ton esprit. La violence a changé de camp, s'est dirigée vers toi-même, et l'animal n'attend désormais plus qu'une seule chose : pouvoir la canaliser vers ceux qui étaient les tiens pendant longtemps.

Dans un mouvement d'œil, une brève image, un soupçon d'hébétude - Kalen. Kalen, sans vie à tes pieds. Kalen, qu'il ne faut pas pleurer. Shanti aurait bien aimé que tu le fasses, lui qui a tant veillé sur toi.

Lui qui ne l'a pas fait assez.

"Je m'occuperai de soigner Kali." c'est bien le seul à qui tu la confierais. Pour le moment. Quoiqu'il en soit, il est hors de question que vous soyez séparés. Les soins se feront devant toi, avec toi, avec lui, avec eux. "On va... tu seras gardé à l'écart, le temps qu'on te... t'interroge." tant mieux, penses-tu sans dire quoi que ce soit. Lou ne sait pas que tu as détruit la vie d'une centaine de personnes, de familles. Certaines sont survivantes à l'Ordre, certains esprits sont parfois liés à l'animagi. Lee. Il sera ravi de l'apprendre, ça aussi. Que pensera t-il ? T'excusera t-il face à son ami ? Ami dont tu ne te rappelles même pas. L'ironie.
"C'est un membre de la meute qui s'occupe des nouveaux." tu as les oreilles qui sifflent, il faut que tu dormes. Juste un peu. Quelques minutes... tu ne peux pas rester comme ça. Les hallucinations ne te quitteraient pas. Pas en état. "Tant mieux" parviens-tu à lui céder, jetant un coup d'œil à ton enfant. "Je..." froncement de sourcils, léger ; pour remettre au point ta vision qui se brouille. "Je vais dormir, un peu" parce que tu le dois, et parce qu'une heure en plus dans cet état pourrait t'être fatal. N'oublions pas que la lune se remplit, n'oublions pas que le contrôle s'échappe avec la fatigue. Le cœur de l'animal bat là-dessous, il faut le dire. En passant à ses côtés, tu prends momentanément son avant-bras, le presse doucement. Le regard est de biais, bas. "Pas longtemps" ajoutes-tu en te dirigeant vers le fond de la grotte, t'assied lourdement. La tête est dans un étau, et les vertiges sont présents. Lou a le droit de venir avec toi, sur ce mur contre lequel tu t'es adossé. Lou a le droit d'être là, maintenant qu'il est revenu, promesse tenue. Bientôt, la sécurité. Bientôt, ressuscité.