Longue nuit. Très, très longue nuit ; il aurait dû être rentré depuis déjà deux longues heures, mais les aléas du métier avait frappé – ou les aléas de sa propre magie, plus tôt, quand après avoir renvoyé Marlowe la première au QG, il s’était retrouvé incapable, à l’aube, de transplaner et avait dû attendre que sa magie lui revienne, seul, sur une plage du pays de Galles.

Quelle merde. Comme si la floppée de dossiers confidentiels hautement dangereux rôdant dans les couloirs du N9 ne suffisait pas – Felix ne se plaignait néanmoins pas de la proximité de Fitzroy, parqué dans les quartiers des Oubliators à un étage au-dessus du département de la Justice. A cette heure, aucune chance de croiser Otto à la maison ; peut-être qu’il pourrait passer le voir avant de rentrer, constata-t-il en jetant un œil à l’imposante horloge à multiples aiguilles au-dessus de l’ascenseur. A cette perspective, son regard fatigué s’illumina d’une discrète lueur.

Felix adressa un sourire à la seule sorcière qui se trouvait dans l’ascenseur – encore trop tôt pour l’heure de pointe, ou trop tard ? Felix était seulement au fait des horaires d’Otto et de Beth et ne s’intéressait qu’à peine à ceux des employé.e.s lambda du Ministère. « Bonjour », chantonna-t-il, son enthousiasme un étonnant contraste avec sa barbe de trois jours qui avait poussé en une nuit, se plaçant face aux portes, mains dans les poches. Il jeta un coup d’œil à son reflet dans ces dernières, une fois refermées, replaça une mèche de cheveux en arrière, quand soudain, l’ascenseur tressauta pour mieux s’arrêter.

Les lumières magiques vacillèrent, puis s’éteignirent dans la seconde ; un bruit de papier plat lorsque les deux notes de service chutèrent sur le sol de la cabine. Felix retint son souffle devant cet abrupt cahot, relevant les yeux dans l’obscurité dans l’espoir de voir l’ascenseur repartir. Ce n’était pas… Non… Pas deux fois dans la même journée ? Il dégaina sa baguette, éructa un Lumos empressé – un silence éloquent lui répondit, étouffé par les battements assourdissants de son cœur. Bloody hell. « Eh bien, on dirait qu’on est coincés », commenta-t-il d'un ton bien trop enjoué en jetant un coup d’œil en direction de sa compagne d’infortune, dont il distinguait à peine les traits sous la lumière basse filtrant à travers les portes. « Sacrée plaie, ces incidents techniques… Vous n’êtes pas pressée, j’espère ? », rajouta-t-il en balayant ses traits du regard, comme pour sonder si oui ou non son visage lui disait quelque chose, feuilletant son répertoir mental des connaissances et autres amitiés à sens unique du Ministère, tout en essayant de détendre l'atmosphère.

Depuis qu’elle avait rejoint les rangs des agents-doubles, jamais Josephine ne s’était sentie totalement à l’abri. Elle avait pris cette habitude de jeter des regards discrets par-dessus son épaule pour vérifier que personne ne la suivait. Elle empruntait des itinéraires différents à des horaires différents. Même lorsqu’elle avait simplement envie de sortir boire un verre, elle changeait régulièrement de bar, de café, de pub. Elle essayait de se fondre dans le décor, un peu, mais pas trop. Plus que sa magie, son irrégularité était son super pouvoir. Et sûrement la raison pour laquelle la jeune blonde était encore là aujourd’hui, à traverser les couloirs du ministère de la magie en direction de l’ascenseur.

La sensation était différente à présent, Josephine le ressentait. Elle ne prenait même plus le risque de vérifier si quelqu’un la suivait, non, elle s’y préparait. Comme s’il était évident que ça allait arriver ; dans une heure, dans un jour, dans un mois, peu importait. Mieux valait être prête quand l’inévitable se produirait. Tout comme celle des autres agents-doubles, sa couverture était compromise. Le danger était plus que réel et pour la première fois depuis qu’elle avait intégré le cercle 4, la sorcière n’arrivait pas à se persuader que la journée se passerait sans encombres. Elle réfléchissait aux différentes options, soupesant le pour et le contre entre celles qui seraient avantageuses pour elle et celles qui le seraient pour l’ordre. Sa vie lui importait, bien entendu, mais était-elle réellement plus essentielle que la liberté de tous les autres ? Pouvait-elle se permettre d’être égoïste alors même que cela allait à l’encontre de toutes ses valeurs ? D’un autre côté, la résistance avait besoin de membres, vivants… Un soupir s’échappa de ses lèvres et elle secoua la tête avant d’entrer dans l’ascenseur, espérant chasser ces pensées décourageantes. En vain.

Au niveau suivant, les portes s’ouvrirent et la voix d’un homme résonna à côté de Jo, anéantissant de si bon matin son désir d’éviter les rencontres fortuites – et les banalités d’usage. « Bonjour » La jeune femme leva les yeux vers le sorcier et plaqua un sourire chaleureux sur ses lèvres pour éviter de déglutir. Si d’ordinaire elle pouvait prétendre ne pas savoir qui était fidèle au Lord, aujourd’hui elle ne pouvait empêcher son ventre de se tordre en reconnaissant l’un des leurs, priant mentalement que ce ne soit pas réciproque. « Bonjour ! » répondit-elle calmement. C’était l’histoire de quelques minutes, elle pouvait gérer.

Malheureusement, les problèmes d’instabilité faisaient maintenant partie de leur quotidien. L’appareil s’arrêta dans un soubresaut, les lumières s’éteignirent, les deux sorciers furent plongés dans l’obscurité. Just my luck. Instinctivement, Josephine sortit sa baguette et tendit l’oreille. « Eh bien, on dirait qu’on est coincés. » No shit Sherlock. Au moins, elle n’avait plus à se retenir de lever les yeux au ciel. « Sacrée plaie, ces incidents techniques… Vous n’êtes pas pressée, j’espère ? » Le regard insistant du mangemort fit frissonner la jeune femme. Et si… ? Non. Elle préférait ne pas y penser. Non contente d’avoir une branche à laquelle se raccrocher, elle saisit l’opportunité offerte par Felix. « Pour être honnête, cette pause est la bienvenue. J’avais presque oublié ce que c’était de ne pas avoir d’urgence à régler. Alors non, pas pressée. » Elle laissa échapper un léger rire avant de continuer. « Par contre, j’émets des réserves sur le choix de l’emplacement. On en a vite fait le tour. » N’importe où sauf ici.

Sa compagnie avait l’air, au moins, d’être plutôt positive quant à cet incident d’ascenseur impromptu. Felix aurait pu citer nombre de sorcier.e.s qu’un tel souci technique aurait fait soupirer : Otto, Nils, Otto, Siham, Otto, Otto (un soupir figuratif, bien sûr, pour la grande brique froide qu’était Fitzroy premier du nom). « Pour être honnête, cette pause est la bienvenue. J’avais presque oublié ce que c’était de ne pas avoir d’urgence à régler. Alors non, pas pressée. » Felix eut un sourire amusé au rire léger de la sorcière, son regard rivé sur cette dernière – jolie, sans aucun doute, mais un joli minois qui ne lui disait rien en particulier, un fait presque étonnant au vu du nombre des visages connus au Ministère (Felix avait une certaine tendance à papillonner hors du Département de la Justice lors de ses longues heures de pause, loin des yeux scrutateurs de Yaxley). « Par contre, j’émets des réserves sur le choix de l’emplacement. On en a vite fait le tour. »

Cette fois, ce fut à Felix d’avoir un rire face à ce trait d’esprit, avant de laisser aller son épaule contre le pan cuivré de l’ascenseur, un sourire de renard étirant ses lèvres, son regard bleu encore et toujours rivé sur elle, fouillant, en fond, ses souvenirs à la recherche de son visage et de ce qu’il en distinguait. « ]Il y a des bureaux plus étroits que cet ascenseur au, vous savez. Au N7, par exemple... » fit-il en haussant une épaule en repensant au cagibi dont avait hérité une connaissance au des Bavboules, resserrant ses doigts sur sa baguette pour mieux la faire tourner. « Oh, je suis impardonnable », susurra-t-il en se redressant, changeant sa baguette de main en un geste habile pour offrir sa paume droite à la sorcière. « Felix Wickham, Values Brigade. Appelez-moi Felix. » Il n’était jamais trop tard pour copiner avec l’ensemble du Ministère en montrant son gros badge de la Brigade (comme si la cape de fonction nonchalamment jetée sur ses épaules ne suffisait pas) ; il lui offrit son sourire le plus avenant, ses yeux se plissant en deux demi-lunes brillantes (encore et toujours rivées sur elle). « Vous êtes là depuis longtemps ? Je ne crois pas vous avoir déjà croisée auparavant. » Et pourtant, Felix avait crashé nombre d’afterpartys depuis son retour en Angleterre – d’abord pour oublier l’absence cuisante d’Otto, ensuite pour retrouver ses bonnes vieilles habitudes et satisfaire son lancinant besoin de sociabilité.