Hannah n'allait pas partir sans un minimum de préparation. Pourtant, tout s'était enchaîné depuis que Caleb les avaient surpris dans le cabinet d'Ernie. Après maintes tentatives infructueuses de lui faire croire qu'il n'avait pas vu ce qu'il croyait avoir vu et que ce n'était pas ce que cela semblait être, les deux sorciers avaient capitulé en claquant des dents. Heureusement pour eux, la trahison n'était pas au programme et Caleb leur avait même proposé son aide. Depuis, Hannah l'avait mis en relation avec Susan puis ils avaient passé toute la fin de l'été et le début de l'automne à s'organiser correctement pour venir en aide à l'Ordre de manière plus frontale. La pression se faisait sentir du côté de la médicomage car depuis sa séparation avec Zach et l'énorme dispute qui s'en était suivie durant laquelle elle avait appris que son petit copain avait dénoncé un de ses amis et ne semblait en éprouver aucun regret, Hannah avait l'impression qu'on allait toquer à sa porte pour l'arrêter, même à l'hôpital elle ne se sentait plus à sa place.

Cela faisait donc plusieurs semaines qu'elle subtilisait des ingrédients et autres matériels qui leur serait utile et ce avec l'aide de Webster et qu'elle faisait le tri dans ses affaires, la sorcière ayant bien conscience qu'elle ne pourrait pas tout emporter vers sa nouvelle destination.

A mesure que l'heure du départ approche, la sorcière s'agite de plus en plus. Elle a écrit des lettres (pour Padma et Bash) qui n'indiquent pas grand chose excepté qu'elle n'est pas en danger et qu'il ne faut surtout pas qu'ils s'inquiètent pour elle et qui ne s'enverront qu'une fois qu'elle sera déjà loin. Sur le pas de sa porte, avec son sac, le regard d'Hannah se pose une dernière fois sur le petit appartement qui a été sa maison pendant toutes ces années. Le canapé, où elle a aidé Jarod avant d'être aidée à son tour par Padma et Terry, la cuisine vidée de sa bouilloire qu'elle a si souvent utilisée pour elle et Ernie et tous les autres invités. La porte close qui mène à sa petite chambre dont les nuits n'ont que trop été agitées de ses mauvais rêves. Le lavabo de la salle de bain imbibé du marron de sa coloration qu'elle vient de refaire.

Hannah s'attend à ressentir beaucoup de tristesse. Et il y en a, avec de la peur aussi. Mais ce n'est qu'un lieu, ce n'est plus sa maison, ce n'est plus le chemin qu'elle souhaite emprunter. Pour la première fois de sa vie, la sorcière est sûre d'elle et de son choix, et l'adrénaline qui se répand à l'intérieur d'elle n'est pas désagréable, c'est comme prendre un expresso bien corsé en plein rush d'un shift de nuit. En mieux.

Un sourire, un dernier regard. Et la porte claque.

Elles se sont données rendez-vous au bar habituel, celui où elles se regardaient en chiens de faïence la première fois. Où Hannah s'est excusée, où Susan devenue Scarlet lui paraissait si lointaine. Où la table qui les séparait aurait aussi bien pu être un gouffre gigantesque. Beaucoup de choses ont changé depuis et cette fois Hannah ne ressent ni le besoin de se terrer sous la table lorsque Susan apparaît, ni celui d'éviter son regard tandis qu'un sourire s'étire sur ses lippes. Ses doigts ne jouent pas avec le bois de la table mais sa main se lève doucement en l'air pour la saluer avant de venir remettre une mèche derrière son oreille.

Combien de fois se sont-elles retrouvées face à face, l'une à attendre l'autre, à se chercher puis se quitter. Aujourd'hui, c'est différent parce qu'elles repartiront ensemble et même si elles ne passeront pas toutes les minutes de toutes les heures de leur vie ensemble, Hannah a un peu l'impression qu'elle rentre enfin à la maison. "hey, i'm so glad to be here. So glad you're here too."

tw: anxiété
Aujourd'hui est un grand jour. Susan est tellement nerveuse, qu'elle n'a pas fermé l'oeil de la nuit. En réalité, les insomnies durent depuis plusieurs jours. Depuis la planification de l'extraction de Hannah. Ce jour, Susan en a rêvé. Évidemment, rien de tout cela ne serait arrivé si son amie l'avait suivi dix ans plus tôt. Il est trop tard pour ressasser le passé. Susan a arrêté d'y vivre constamment pour se concentrer sur le présent, mais surtout l'avenir. Malgré une guerre qui s'enlise et l'espoir qui s'amoindrit, Susan n'a jamais été aussi ravie d'affronter son futur. Parce que cette fois, elle ne sera pas seule. Alors oui, certains diraient qu'elle ne l'a jamais été. Peut-être. Des ami‧e‧s, la sorcière en a pleins. Ce n'est pas ce qui manque depuis qu'elle a rejoint les rangs de l'Ordre. À croire qu'affronter la mort rapproche tout le monde. Susan a donc plusieurs relations amicales, certaines sont devenues extrêmement importantes à ses yeux. Il y a notamment Alexis et Cormac, pour n'en citer que deux. Mais, personne n'a jamais su prendre la place d'Hannah. Impossible. Comment pourraient-ils ? Cette absence qui a laissé un trou béant pendant des années. Un puit sans fond qui s'est refermé doucement ces derniers mois. Enfin, Hannah rejoint l'Ordre. Pas seulement comme informatrice ou agent-double. Non. Elle se joint à eux, dans une planque, pour de vrai. Susan a encore du mal à y croire. Avec les années, son espoir infime s'est évaporé. Difficile de la blâmer pour ça.

En dehors de la joie immense ressentie, Susan est également anxieuse. Et si tout se déroulait mal ? Et si elles tombent dans une embuscade ? Et si Hannah ne vient pas finalement ? Des questions qui infectent son esprit depuis plusieurs semaines. Tout est prévu dans les moindres détails. Tout, sauf la part de hasard.
Susan sait à quel point cette décision est difficile pour Hannah. Elle ne peut pas s'imaginer ce que ça fait de tout quitter. Sa vie est auprès de l'Ordre depuis si longtemps. Et, Hannah a son frère. Une responsabilité que Susan n'a jamais eu à porter. L'avantage d'être orpheline et dernière de toute sa famille. The last Bones. Et son nom mourra en même temps qu'elle.

Après avoir joué le plan mille fois dans sa tête, Susan transplane en direction du bar où elles se sont données rendez-vous. Leur bar. Son anxiété lui avait donné une certaine avance. Avance rapidement écoulée, lorsqu'elle se rend compte de son retard après avoir regardé trop longtemps dans le vide.
Stressée à l'idée de ne pas la trouver attablée, Susan manque de rater son transplanage et de se désarticuler un bras. Elle prend quelques secondes pour retrouver son souffle et essuyer la transpiration sur son front. Après une grande inspiration, elle pousse la porte du bar. Ses yeux mettent une demi-seconde pour trouver ceux d'Hannah. Elle se précipite alors en direction de sa table, le coeur au bord des lèvres. Impossible de l'embrasser ici et maintenant. ─ Me too, lui répond-elle timidement. Susan commande une boisson dans la foulée, avant de prendre place en face de son amie. ─ How are you feeling? Question stupide. ─ I mean... I know that- Sa main remet une mèche derrière son oreille. ─ I hope you... well, I hope you are certain of your choice.

Hannah doute de tout, tout le temps. En ses compétences, en ses qualités, elle doute du monde et des gens qui le composent. Elle doute des autres mais plus encore elle doute d’elle-même. De ses choix. Est capable de passer vingt minutes devant le menu d’un restaurant, incapable de se décider entre deux options. Elle a mis trois ans avant d’être certaine de ne pas s’être trompée de voie en devenant Médicomage ; a pris sept ans pour rejoindre l’Ordre.

Hannah hésite, revient sur ses décisions régulièrement.

Mais étrangement, face à la question que lui pose Susan, la réponse n’a jamais été aussi simple. Il lui suffit de voir le visage de son amie pour que les réserves s’envolent. Mais ce n’est pas seulement la présence de Susan, c’est aussi le soulagement qu’elle ressent dans son corps depuis qu’elle a fait ses maigres bagages. Un poids qui s’est enlevé d’un seul coup mais que la nouvellement fugitive ne savait pas posséder avant qu’il ne se retire d’elle.

Elle a l’impression de flotter. C’est peut-être l’adrénaline qui pulse dans son corps.

Hannah opine du chef, ne se départit pas de son sourire, — I am. I can’t go back anyway,.. not that I want to. Promise. Les lettres sont envoyées, arriveront d’ici quelques jours, quand elle sera déjà loin et que ni Padma ni Basil ni personne ne pourront faire quoi que ce soit pour la retenir. Les seules personnes au courant l’accompagnent, la récupèrent ou la soutiennent. Et ils se comptent sur les doigts d’une main pour une raison de sécurité évidente. Caleb, Ernie et Susan. Hannah se penche un peu, la nervosité crépite dans l’air malgré que sa décision soit prise. Normal sans doute. Il manquerait d’un malheureux hasard ou d’une erreur pour que tout se termine mal. Ses deux coudes s’appuient sur la table en bois tandis que le haut de son corps s’avance vers Hannah et que sa voix devient chuchot : — When all is over, we should definitely buy this place you know. Seems like an important place to ehm us. Ses joues se colorent, et son regard dévie vers le bas juste avant qu’elle ne reprenne sa place. — Anyhoo, what’s the plan now? Elle imagine qu’elles ne doivent pas rester à cet endroit bien longtemps, ou peut-être que si ? En fait, on ne lui a pas dit grand chose sur la marche à suivre à part qu’il fallait qu’elles se retrouvent à l’endroit habituel, et qu’elle fasse attention à ne pas être suivie. Ce que Hannah croit avoir réussi à faire.

Elle s’empêche de jeter des regards à droite à gauche, de peur de paraître suspecte. Plus qu’elle ne l’est déjà.