Juin 2007

Il ne viendra pas. C’est sûr qu’il ne viendra pas. Pourquoi il viendrait? Pourquoi il la laisserait venir dans leur monde alors qu’elle n’a rien à faire là? Pourquoi il plaiderait en sa faveur pour qu’elle traverse les barrières magiques? Dans quoi elle va s’embarquer? Qu’est-ce qu’elle va faire là en tant que moldue? Peut-être qu’il n’a jamais eu l’intention de s’informer et qu’il voulait juste la faire taire. Bien sûr qu’il va venir, c’est Boom, il tient ses promesses. Peut-être que Mira ne veut pas la voir? Est-ce qu’elle va être une plaie pour eux? Est-ce que son frère et sa sœur seront heureux qu’elle soit là? Surement pas, mais ça sera plus facile de la protéger. Leonor se répète ces questions en boucle depuis au moins une heure en faisant les cent pas. Elle attend Tommy à l’endroit exact où ils se sont croisés il y a un mois jour pour jour, devant la pizzeria de leur jeunesse, là où la fratrie se rejoignait au moins une fois par semaine lors des vacances. Ça a été de drôles de retrouvailles. Déjà quand il l’a interpellé et qu’il l’a prise par l’épaule pour la retourner sans qu’elle ne sache que c’était lui, Leo lui a fait une prise de kung-fu et il s’est retrouvé bien vite au sol sans avoir la chance de résister ou de se protéger. Quand elle la reconnue, elle a crié, hystérique. Elle lui a sauté au cou et lui a posé mille questions en rafale. Lui, s’il était heureux de la revoir, il l’a très bien caché. Sa première question a été de lui demander ce qu’elle faisait là, au Royaume-Uni. Pas même un bonjour ou un « comment ça va? ». Il n’y avait aucune joie dans son ton, surtout de la surprise et de l’incompréhension. Parce qu’elle ne devait pas être là. Elle était supposée rester cachée en Italie pour le reste de sa vie. Loin des siens. Faire comme si elle n’avait pas de famille, inventer des histoires, mentir, fuir. Elle lui a dit que ça suffisait, qu’elle voulait se battre avec eux. La réaction de Tommy lui a fait mal. Elle s’attendait à autre chose. Après toutes ces années, pas même un sourire ou un petit commentaire mignon. Elle a pleuré, elle a plaidoyé, a insisté pour qu’il l’emmène. Elle lui a fait comprendre qu’elle avait besoin d’être avec eux, qu’elle n’était pas heureuse et constamment inquiète. À ce moment précis, elle avait l’air d’une gamine de trois ans qui fait une scène en public. Elle s’en fichait. Elle ne voulait plus prétendre que tout ça ne la concernait pas, alors qu’elle avait baigné dans la magie toute sa jeunesse. Il avait fini par flancher, lui a dit qu’il allait voir ce qu’il pouvait faire. Il lui avait promis de revenir dans un mois exactement et d’être prête, si jamais. Ça a été la meilleure nouvelle depuis un long moment. Là, il lui a souri et l’a prise dans ses bras comme il se doit. Cette étreinte était pleine de promesse pour elle et pleine d’incertitudes pour lui, mais ça a fait du bien à Leonor d’avoir l’un de ses frères près d’elle.

Un mois plus tard, elle est prête. Le mois le plus long de sa vie. Une vraie torture d’attendre et de ne pas savoir ce qu’il y a au bout. Si elle revient à sa vie de solitude ou si tout va changer. Si elle se résigne à devoir vivre en étant incomplète ou si toutes les pièces du casse-tête vont s’emboiter ? Après des semaines à devoir inventer des histoires à ses anciennes connaissances retrouvées grâce au nouveau réseau social Facebook – plutôt utile ce truc – chez qui elle a dû crécher, elle va enfin connaitre son sort. Un retour en Italie ou rester au Royaume-Uni, mais de l’autre côté du mur invisible? Son sac à dos, son arc et ses dagues sont prêtes. Elle n’a apporté que le nécessaire. Elle soupire lorsqu’elle regarde l’heure. Elle s’échoue sur le banc se demandant à quel point Tommy sera ponctuel. Ça ne doit pas être facile de sortir quand il veut. Elle est prête à attendre toute la journée s’il le faut. Sans trop d’attente, elle observe la rue et ses passants et une tête ressort du lot. Elle le reconnait aussitôt et se lève d’un bond prête à l’accueillir. Elle lui envoie la main avec vigueur, un large sourire aux lèvres. Elle essaie de déchiffrer l’expression de l’homme, mais déjà qu’elle est très nulle à ce jeu, c’est pire avec Tommy. Il a toujours été une énigme pour elle. Elle n’a jamais su sur quel pied danser avec lui et elle ne sait pas du tout s’il lui apporte les nouvelles qu’elle attend. Mais, il s’est présenté comme convenu et ne lui a pas fait faux bond comme elle a pu penser. "Aloooooors?" qu’elle demande d’une petite voix sans d'autres préambule.

Boom la fixe durement. Elle sent son sourire se fondre. Elle sent les larmes monter. Elle n’ira pas. Ils n’ont pas accepté. Leonor déglutit alors qu’elle sent ses espoirs s’envoler. Le regard de Tommy glisse jusqu’à ses valises et s’en empare et il retourne d’où il est arrivé. La brune écarquille les yeux, béate. L’homme se retourne. "Tu viens?" Il affiche un sourire en coin taquin. La cadette Martillo sautille de joie. "C’est vrai? Ils veulent? Je vais venir dans votre monde?!!!!" Il hausse les épaules ne comprenant sans doute pas pourquoi le cercle sept a accepté. "On dirait. Aller, on a peu de temps avant que le portoloin se désactive." Elle le suit sans hésiter. Sa bouche ne cesse de se faire aller alors qu’ils se dirigent vers le portotruc. Elle est à la fois excitée et inquiète. Même si on a lui a parlé en long et en large de ce monde de licornes, elle ne sait pas à quoi s’attendre. Juste de revoir Mira la met en joie. Elle a dit quoi Mira? "Tu le sauras bien vite. Elle t’attend. Bon juste à l’heure. À trois, tu touches cette botte." Elle hoche la tête. Le cœur battant. Leonor voit son rêve se réaliser. Elle s’est tellement imaginé dans le monde magique que s’en est irréel. Tommy compte jusqu’à trois et tout d’un coup, le décor s’embrouille et elle perd ses repères. Ils atterrissent rapidement sur un quai. Un quai qui ressemble à ceux qu’elle connait. "T’es sûr qu’on est dans le monde magique? Parce que je ne vois pas de sirènes et…" Un mouvement attire son attention. Une tête brune, des grands yeux, un visage indescriptible. "MIRA!!!!!" Elle lui saute dans les bras et elle ne retient pas les larmes qui coulent le long de ses joues.