Bien qu’on n’aille jamais le crier sous tous les toits, tout le monde savait que la plupart des mangemorts ne pouvaient pas se supporter les uns les autres. C’était probablement là le secret le moins bien gardé de Grande-Bretagne. Oh évidemment, il y avait des exceptions à la fameuse règle. La présence d’un Fitzroy ou d’un Lestrange te dérangeait moins que celle d’un Yaxley par exemple. Néanmoins, la règle se voyait confirmée dans la plupart des autres cas. Et notamment lorsqu’il était question d’Abbas Shafiq. Jadis gardien sournois d’Azkaban et aujourd’hui mangemort arriviste, auquel tu étais encore redevable. Voilà qui était amplement suffisant pour susciter ton ressentiment le plus profond. Subir la présence de Shafiq durant les réunions de l’Elite constituait déjà une épreuve, à laquelle tu te soumettais peu volontiers. Mais désormais, tu avais également l’obligation de le croiser durant les diverses réunions destinées aux chefs de Département. Probablement, la seule ombre au tableau de ta reluisante promotion, arrachée sur le lit de mort de Roy Flint.

Si jusqu’ici, Abbas avait eu la brillante idée de t’éviter et de n’échanger le moindre mot avec toi, il semblerait que quelque chose - ou quelqu’un- l’ait convaincu de sortir de son trou pour venir te rendre visite. Lorsque tu avais reçu sa note de service, et reconnu le sceau de la direction du niveau neuf, tu avais bien été tenté de la jeter à la poubelle et de rentrer chez toi avant qu’il ne fasse son apparition. Mais accuser ton assistant d’avoir fait disparaître la note d’Abbas aurait été un comportement puéril, indigne du directeur de la Justice magique. Au lieu de cela, tu ordonnas à ton secrétaire de te rejoindre dans ton bureau. Le jeune homme était le fils d’un employé du Magenmagot, et avait obtenu son poste uniquement parce que tu espérais bien que son géniteur te soit redevable et influence le cours de certains jugements dans la bonne direction. Tu étais à peu près certain d’être la cause de la moitié de ses cauchemars, qui étaient responsables de ces poches qu’il trimballait sous les yeux. Et c’était très bien ainsi. Tu savais pertinemment que quoi que tu lui demandes de faire, il s’exécuterait sans rechigner. La preuve, il t’avait même permis de le renommer Louis, sans connaître les raisons de cette drôle de lubie. “J’attends de la visite, d’ici cinq minutes. Lorsque l’homme se présentera à ma porte, tu lui demanderas si c’est un stagiaire. Et ensuite, tu viendras m’informer de sa présence.” Un mince sourire vint se flanquer sur tes lippes, alors que tu imaginais déjà le désarroi de Shafiq devant une question si absurde. “Une dernière chose, Louis. Peu importe le nom qu’il te donne ou la personne qu’il prétend être, il est essentiel que tu lui poses cette question.”

Le sortilège d’amplification lancé sur la porte de ton bureau après le départ de Louis, te permit de profiter du spectacle. L’indignation était parfaitement palpable dans la voix d’Abbas et tu aurais payé cher pour voir sa tête. Néanmoins, lorsque tu le convias finalement à entrer, son visage cramoisi ne te procura pas autant de satisfaction que tu l’aurais cru. Et pour cause, ton regard inquisiteur se posa immédiatement sur le dossier que Shafiq tenait fermement entre ses mains, comme s’il s’était agi du testament du Seigneur des Ténèbres. Tu n’aimais pas beaucoup ce qui était en train de se profiler. Cependant, il demeurait essentiel de ne pas perdre la face avant même que le duel n’ait véritablement commencé. “Abbas, tu m’en vois navré. Le petit était l’assistant favori de Roy, et je n’ai pas encore eu le cœur à changer de personnel. Mais je peux t’assurer qu’après ce regrettable incident, je n’attendrai pas un jour de plus.” Tu ignorais ce qui te coûtait le plus d’effort : prétexter être navré auprès de Shafiq, ou bien prétendre être encore en deuil suite au décès de Flint. Mais lorsqu’Abbas reprit la parole, tu te souvins que c’était bel et bien sa simple présence qui t’insupportait le plus. “Comme tu t’en doutes, je ne peux discuter de cette affaire qu’en compagnie d’employés de mon département. Mais je te remercie de ton intérêt pour la question.” Non. Mais il ne fallait pas montrer qu’il s’agissait là d’un sujet hautement sensible, auquel venaient en prime s’ajouter tous ces dysfonctionnements magiques, qui mettaient le Ministère sans dessus dessous. Continuant sur le même ton faussement intéressé, tu décidas de ne pas attendre plus longtemps pour t’enquérir des raisons de sa présence. “Y a-t-il un problème au niveau neuf ? Puis-je te venir en aide d’une quelconque façon ?”