“C’est important. - Hmm.” Lou, dans les tréfonds de son esprit, a raison : Elena ne l’écoute pas franchement (ou que d’une oreille, lol). Elle ne l’écoute pas, parce qu’elle sait déjà ce qu’il est en train de lui dire ; qu’on n’a de cesse de lui rabâcher sensiblement le même speech, depuis des mois, comme si elle était en verre, ou plus stupide encore qu’elle ne l’est vraiment (c’est pour dire). Comme si elle en avait, du temps — qu’elle voulait, pouvait seulement en prendre (if I stop, I’ll drown). Elena marche au ralenti depuis des semaines ; et ce n’est pas elle, ça n’a jamais été elle, et d’autant moins depuis le début de tout ça.
Elle ne l’écoute pas, parce qu’elle ne veut pas s’énerver contre Lou. (Et parce qu’elle a une soirée à assurer.) La dernière remarque passe à la trappe. L’Alvarez n’est pas toujours la plus fine, mais elle est d’ordinaire plutôt douée pour repérer le plus subtil des changements d’intonation de ses interlocuteur·rice·s (quand bien même un peu moins ces derniers temps, audition endommagée oblige) — cette fois-là, l’agacement du Sacramoni est au mieux manqué, au pire ignoré. Le regard se veut stable mais ses doigts sont résolument trop serrés (blancs) autour de la rambarde de l’escalier de fortune.

Lucjan se drape à nouveau dans son écharpe et, si ce n’était pas pour la tension contractant nettement ses épaules ainsi dévoilées, les choses sembleraient aller mieux. Être passées. Lena tente de faire bonne figure, de ranger sa grimace, de dissimuler le crissement de ses dents, de relancer la visite, de sourire à Flimsy. Elle n’a pas envie d’être en colère, de s’en prendre au guérisseur ; surtout, elle ne veut pas se sentir minuscule, ratatinée, fragile, tout juste bonne à être mise sous cloche. Tant pis pour les bons sentiments de son ami : elle se repaît de son grognement, qu’elle estime être la chose la plus proche d’un rire qu’elle puisse lui tirer, l’entraîne à l’étage sans plus tarder (se concentre pour ne pas grimacer, là où son genou entre en extension sur les marches un peu trop raides). “Tu aurais dû voir celle de Nate, quand on était ados.” La remarque lui donne une excuse parfaite pour signer une pause, entre deux volées de marches. Lena sourit plus largement — à son tour, c’est le plus proche qu’elle ait à offrir d’un rire. “Vu celle qu’il se traînait à vingt piges, rien ne m’étonnerait.”
Elle reprend son ascension, pour quelques foulées encore, un soupir presque amusé quittant cette fois-ci ses lèvres. “J’arrive toujours pas à croire que…” Hochement de tête négatif mais toujours souriant ; il n’est pas clair, en revanche, si l’interruption est à mettre sur le compte de son incrédulité face à cette amitié improbable, ou à son souffle rendu plus court qu’elle ne le voudrait, maintenant qu’ils ont gagné l’étage.

Elena fait un léger demi-tour, pointe une première pièce, à la porte ouverte, du doigt. “Du coup, ma chambre.” Son expression se tord en une moue mi-coupable mi-amusée : d’où ils sont, le bordel y régnant est nettement discernable, et elle est à peu près sûre qu’il ne faut pas beaucoup de connaissances en raccordement magique pour se rendre compte que l’espace est loin d’être parfaitement isolé. Elle désigne la porte voisine. “Celle d’Herrera, peu importe.” (Qui s’en fout !!!) Pivote sur ses talons. “Celle de Nate !!, de l’autre côté du couloir, mais je ne la montre pas sans autorisation.” Lena repart de plus belle, comme si aucun accroc n’avait perturbé son programme, qu’une sensation glacée ne pesait pas sur ses épaules et ne tendait pas son sourire depuis. Elle continue à désigner des portes, leur accolant parfois des noms, parfois pas, souvent dans des élans de tresse dramatiques (notamment devant celle de “Percy, évidemment” qui est déjà nickel, évidemment.) Les deux finissent par gagner le bout du couloir, non sans que la brune jette un œil à l’étage inférieur pour vérifier que les préparatifs suivent leurs cours ; elle s’engage ensuite, dans une mascarade assurée d’aplomb inébranlable, sur une petite échelle.

Il faut encore marcher un peu, et emprunter un nouvel escalier particulièrement étroit, et-- “attention”, elle souffle presque par automatisme, alors qu’il s’agit d’enjamber tout un tas d’objets dans les pièces encore non désencombrées. Bon gré mal gré, ils surgissent tout de même sur le toit de la plateforme, où Elena se retourne en écartant les bras, un sourire cette fois-ci sincère sur le visage “tadaaaam !” Elle se rapproche légèrement des barrières, pour mieux observer l’horizon bruineux, et vu d’ici, dégagé à des kilomètres à la ronde, mais-- “attention, on ne les a pas toutes réparées” (manquerait plus que Lucjan tombe à l’eau) (il sait nager, lui, certes, mais quand même…. bonjour l’ambiance). Lena guide son ami vers un endroit un peu plus stable, quoique le vent se fasse nettement sentir, sous leurs pieds et dans ses cheveux. Elle sourit, hésite un peu. Jette un œil au Sacramoni. “Tu vois, dans aucun monde je ne refile ça à quelqu’un.” (Dit-elle en octobre). Il n’y a que deux vulgaires sièges de pêche moldus où ils se trouvent, pour le moment, mais la vue parle pour elle-même : et Elena a beau ne pas franchement aimer la mer, et Kingsley avait beau être sceptique sur l’endroit, et Lucjan a beau transpirer l’inquiétude à des kilomètres — elle sait que cette vue gagne à chaque fois.

Elena ouvre encore la bouche, va pour ajouter quelque chose, peut-être un mensonge pour détendre définitivement l’atmosphère, quelque chose du style je prends ma journée demain ou promis, je vais faire attention. Mais-- “C’est aux normes, tout ça ?!” Elle n’en a pas le temps, toutefois, et ne peut que relever les yeux au ciel sous le rire familier de Javi. Celui-ci traverse la plateforme avec toute l’aisance du monde (d’un idiot de Gryffondor), hausse les sourcils en constatant que son installation n’a manifestement pas tenu. Il vient se planter entre eux deux, regard tourné vers l’horizon et main arrimée à la barrière tordue comme s’il attendait qu’ils reprennent leur conversation, le plus naturellement du monde, lui comme simple variable ajoutée. Lena bougonne un peu. “Et si tu arrêtais un peu de grogner, monita ? (Coup d’épaule dans la sienne — la mauvaise, évidemment) C’est parce que je ne reste pas ??? (Elle a envie de lui faire ravaler sa moue de loup-garou battu, mais--) Birdy, je te raccompagne ? - Vous rentrez ensembles ?!” Une nette expression d’horreur vient cette fois-ci déformer ses traits. “Et pourquoi pas ?” (Javi et Lucjan !!!!) (Est-ce que c’est pour ça, que Lucjan se sent la légitimité de l’engueuler………) “Ugh.” Lena se fait encore un peu charrier-bousculer-bully par son aîné, continue à protester, lève tout juste la tête en sentant un début de pluie venant menacer sa mise en pli. “Bon.” Javier ne s’est pas départi de son sourire, tend un bras dans sa direction pour la serrer (trop fort) contre lui. La sorcière grimace, se tourne vers Lucjan, hésite un peu, reste finalement à distance et se contente d’un sourire. “Merci d’être passé.” Quand même.

Elle les laisse s’éclipser, à deux (force peut-être un peu son air dégoûté, for comic relief), reste encore un instant toute seule, dans la brise légère qui se lève. Elena se prend brièvement la tête dans les mains, souffle un coup, tire finalement une des chaises à elle pour s’y asseoir le temps de se griller une cigarette. Dans deux minutes, tout sera oublié. Avec un peu de chance. (Elle racontera tout de même à qui ne veut pas l’entendre que Lucjan Sacramoni l’a engueulée, rendez-vous compte….)