La lettre que t’avais reçu ne t’avais pas surprise plus que ça. Enfin avec la situation actuelle plutôt compliquée, tu ne pensais pas la recevoir, ou pas comme ça, ou bref. T’étais encore un peu toute étrange, ça s’était un peu ressenti sur ton travail du jour, non pas qu’habituellement, tu fasses grand chose mais aujourd’hui, ça avait été bien pire. Tu n’avais cessé de penser à ces quelques mots sur un parchemin, un rendez-vous, avec ton frère. Tu ne comptais plus le nombre de jours depuis la dernière fois que tu l’avais vu, beaucoup trop selon toi mais tu pouvais comprendre aussi. Vous aviez tous les deux besoin d’air après les dernières révélations dans votre famille. C’était pas anodin alors tu ne dirais rien, tu ne lui reprochera rien et tu espérais sincèrement qu’il en ferait de même à ton égard. T’avais pris soin dans un sac de mettre un peu tout ce qu’il t’avait demandé dans sa lettre. Pas grand chose en soit mais ça pouvait avoir son importance, tu ne poserais pas de question. Après tout, c’était ton frère, s’il avait besoin de te parler, tu savais qu’il le ferait. Ca faisait partit des choses qui vous rendait si parfaits tous les deux. Parfois, vous aviez besoin de parler, parfois, le silence suffisait. Tu ne savais pas trop ce qu’il en serait ce soir mais tu l’attendais, assise sur ce banc. Tu n’avais pas ton apparence habituelle, merci la métamorphomagie. Après tout, tu ne savais pas qui pouvait trainer dans le coin, alors si on pouvait éviter de te reprocher d’avoir vu ton frère et de n’avoir rien dit, ça pouvait t’arranger. Les reproches, ce n’était pas trop ton truc, en même temps, qui aimait vraiment ça. Le temps à attendre paraissait long. Beaucoup trop long. Finalement, tu ne savais même pas s’il viendrait. Peut-être aurait-il peur que tu aies tout raconté à votre mère. Savait-il seulement que ce n’était actuellement pas le grand amour entre elle et toi ? Tu n'en aurais le cœur net que lorsqu'il arriverait enfin. Tu attendais, encore. Faut dire que tu es un peu impatiente, c'est dans ta nature et il te connaît suffisamment pour savoir que tu ne manqueras pas de le lui faire remarquer. Le pied qui tapote sur le sol, ton sac que tu serres fermement contre toi par peur qu'on ne te le dérobe. En cet instant t'étais la méfiance incarnée, c'était comme ça, t'y pouvais rien.

La cavale n’avait pas le côté excitant dans lequel Bart aurait pu se consoler. C’était stressant et dénué de tout inconfort, et les démons se faisaient une joie de venir perturber le sorcier au moment où il était le plus vulnérable, le plus fatigué, le plus tourmenté. Le garçon laissait la colère l’envahir bien plus qu’avant où il parvenait à contrôler ses états d’âme à peu près correctement. Tout ce qu’il avait toujours connu s’était dérobé sous ses pieds et il était désormais à la merci de tout sur quoi, jadis, il avait du pouvoir. Traînant ses pattes dans les endroits les plus hostiles, même la magie des runes ne l’aidait pas ou peu dans la reprise en main de son esprit et de sa vie provisoire - il l’espérait. Heureusement, dans tout ce capharnaüm, le déchu avait une alliée de taille. La seule qui, dans son ancien clan, avait su se détacher de toutes ces tromperies et de ces stratèges : Imogen. Le frère et la sœur avaient toujours été fusionnels. Si Bart considérait qu’il n’y avait que lui qui importait vraiment dans ce monde, son double faisait exception. Elle était son alter égo et même son âme sœur. Pourtant, on ne pouvait faire plus opposé que les enfants prodiges de cette famille de traîtres. Lui était paresseux, craintif mais intellectuellement surdoué, préférant de loin les bouquins que l’action qui pouvait se dérouler dehors. Elle, était intrépide, instinctive, spontanée et courageuse.  

Alors naturellement dans le chaos régnant depuis quelques jours dans la vie du garçon, il avait envoyé un hibou en urgence à Imo, la grande absente du conflit familial, qui ne se trouvait malheureusement pas au manoir Prewett quand mère et fils ont foutu le camp. La sorcière avait compris depuis bien longtemps, que la Myrthild n’était pas aussi honnête et aimante qu’elle voulait bien le faire croire. Dès lors, elle avait habilement pris ses distances avec la matriarche. Si Bart avait su, il l’aurait volontairement suivi, mais ce n’était peut-être pas plus mal, étant donné qu’elle vivait sous le même toit que Louis Travers, le même qui avait détruit ton amant et le père de ce dernier (il aurait été plus difficile pour Bartholomeus de plaider sa cause devant Friedhelm s’il avait appris qu’il créchait chez son pire cauchemar).

Donc, agité, pas le temps d’expliquer quoi que ce soit à sa sœur, dans sa fuite, précipité ; il était alors devenu impératif de la tenir au courant de la situation car elle seule, ne répéterait rien à personne sur la position actuelle de son frère bien aimé. Le roman de cinq pages faisait état de tout le désarroi éprouvé et ne manquait pas de lui demander de lui ramener ce qui pouvait manquer à son confort actuel (c’est-à-dire tout).
L’échange fut donc bref. Voilà le sorcier en train de crapahuter dans la bouillasse, ses bottes doublées de deux sacs, qu’il se traînait depuis des jours, maladroitement accrochés pour ne pas abimer ces merveilles. Il tapotait ses sabots contre la terre à demi séchée et se pointa au milieu d’une clairière, louchement idéale pour les rendez-vous. Une dame se tenait là avec un sac, Bart n’hésita pas plus longtemps, reconnaissant, sans explication, l’aura que dégageait sa sœur sous ses traits métamorphosés. Il fonça droit sur elle, posant ses bras longilignes sur ses épaules. Il souffla alors. Je n’ai jamais été aussi heureux de te voir …
Il pouvait de nouveau être lui-même. Il fit un tour pour lui montrer l’étendu des dégâts. Regarde moi ça. Des bottes en cuir de dragon ; pourquoi faut-il toujours fuir dans les endroits les moins ragoutants ???

La patience n’était pas ton truc à toi alors quand des pas se firent entendre, tu savais que ça ne pouvait être que lui, ton frère. En même temps, il aurait fallu être un peu dingue pour se pointer par ici sans trop savoir ce qui pouvait s’y passer. Alors t’aurais bien été surprise qu’un inconnu se pointe, raison pourtant qui te poussait à garder ta main sur ta baguette, juste au cas où. Un petit sort n’avait jamais tué personne, enfin, façon de parler. Mais ce furent bien les traits de ton frère qui apparurent sous ton regard et tu poussais un léger soupir de soulagement, baissant presque aussitôt ta garde. Tu vérifiais tout de même derrière lui, que lui n’avait pas été suivi. C’était un peu dingue d’en être arrivé à un point où tu ne pouvais même pas voir ton propre frère sans craindre qu’on vous surprenne. Tu lui souriais, toi aussi t’étais contente de le voir, même si exprimer tes sentiments n’était pas ce que tu faisais de mieux. T’avais jamais trop su comment t’y prendre quand ce n’était pas de la colère ou un sentiment qui s’en rapproche. T’étais d’ailleurs plutôt doué pour ça ces derniers temps, on se demandait bien pourquoi. Tu l’observais un instant avant de lâcher un petit rire et de constater à ton tour. « C’est vrai que ça manque de classe… m’enfin. » Ouais, vous n'alliez tout de même pas faire les difficiles, pas maintenant en tout cas. C’était déjà une bonne chose que vous puissiez vous retrouver tous les deux. «  Regarde-moi ça. » Tu reprenais volontairement les mots qu’il avait prononcés un peu plus tôt. Certes, toi, tu n’avais pas à te plaindre de ton confort de vie, tu dormais dans un lit tous les soirs et si tu avais envie de faire la grasse matinée, tu n’allais pas te gêner pour ça. « Obligée de prendre une autre apparence pour être certaine de ne pas être suivie. Je ne sais pas ce que tu en penses mais on a connu mieux en terme de classe. » T’aimais pas forcément ça, mais tu avais estimé ne pas avoir le choix. Impossible de savoir qui pouvait traîner dans le coin alors ainsi, t’étais presque certaine d’être tranquille. Tu laissais planer un certain silence, prenant le temps de réfléchir aux mots que tu allais prononcer, prenant aussi le temps de le regarder avec une certaine attention. « Je suis heureuse de te voir aussi, tu sais… Comment tu vas ? » Des mots qui peuvent fâchés dans certaine situation, surtout dans la votre.

De sa seule présence, elle soulageait le garçon qui reprenait enfin son côté pleurnichard naturel. Il pointa ses doigts vers ses bottes avant de soupirer. Ils étaient d’accord que le look n’était pas au rendez-vous et venant de Bart, ça relevait presque du tragique. M’enfin, la protection était là et c’était le principal. Il acquiesça avant d’inspecter sa sœur, ou plutôt l’apparence qu’elle avait prise. Il était certain que le sorcier aurait préféré être face à sa bouille mesquine et colérique mais cela importait peu dans le fond, au vue de la situation critique qui entourait les enfants Prewett. Il passa une main sur son visage, raillant pour approuver les dires d’Imogen. non mais absolument. La douleur des révélations se fit de nouveau sentir au fond de sa poitrine. on a connu des jours meilleurs. Je savais pas pourquoi, t’as toujours paru si lointaine envers Myrthild, mais maintenant je comprends. Est-ce que tu soupçonnais déjà quelque chose ? Est-ce que tu savais qu’elle était si fausse ? le jeune homme aurait aimé avoir sa perspicacité, mais il était vrai que depuis des années, le frère n’avait eu de cesse de défendre sa mère devant sa sœur et elle avait représenté, par le passé, leur seul point de désaccord. Désormais ils étaient alliés, pour le meilleur et pour le pire ; et si Bart était actuellement dans un éternel dilemme concernant sa volonté de trahir la famille au profit de Fritz, il ne savait pas s’il pouvait confier un tel secret à sa sœur, ni même aller contre sa désapprobation. Car après tout le sang restait le plus important, n’en déplaisait à son amant.

Mais il n’était pas temps d’en venir à de tels sujets car enfin les deux s’étaient retrouvés pour partager un moment bref mais fort, et le runiste ne voulait pas tout gâcher maintenant. Il ravala donc ses nouvelles interrogations et tourna autour d’Imogen suite à sa question. Il se gratta la nuque et sursauta au passage de ses doigts sur ses cheveux (qui avaient bien poussé) qu’il prit pour un moustique. Il était épuisé d’avoir peur de tout. ma foi. Pas simple. Je dors sur le sol, je ne me suis pas lavé depuis 3 jours et quand je saute le pas, c’est pour me geler les miches dans un ruisseau où les bêtes affluent tout autour de moi. J’ai l’impression de faire un voyage dans l’Amazonie et ça ne me plaît pas du tout. il grimaça. mais tout vaut mieux que de rester avec cette famille de traîtres. oups ; il n’avait pas contrôlé cet élan de haine. Il sourit à sa sœur pour lui faire comprendre qu’elle n’était absolument pas concernée, visée par ses propos. et toi ? est-ce que tu … es retournée au manoir depuis qu’elle est partie ? Est-ce que tu as vu papa ? Enfin, Bertram ?

Une autre grimace et il continua de tourner autour d’elle avec son impatience enfantine. est-ce que tu m’as apporté ce que je t’ai demandé ? et surtout, avait-elle son miroir ? L’objet de ses cauchemars mais surtout de tous ses désirs, car il n’en pouvait plus de ne pas s’inspecter la peau, surtout dans ce contexte.

T’avais beau être contente de voir ton frère aujourd’hui, tu savais pourtant d’avance que ça serait une rencontre difficile. Simplement parce qu’au bout d’un moment, il faudrait que vous vous sépariez. Dans le fond, qu’il soit ton frère, ton demi-frère, ça n’avait pas de réel importance, il était la personne la plus importante pour toi et ce depuis toujours et ça n’était pas prêt de changer et ça, tu espérais qu’il le savait. Qu’il en veuille aux parents, à la terre entière, c’était un fait mais toi, dans le fond, t’étais aussi victime que lui dans les mensonges de la matriarche. « En toute sincèrité, j’en avais aucune idée. Avec maman, ça a juste toujours été compliqué, tu le sais. Alors je sais pas si c’était inconscient ou… non, j’en savais rien. » C’était vrai, t’avais aucune idée de sa tromperie et heureusement parce que t’aurais jamais su garder le secret de toute manière. C’était pas le genre de chose qu’une gamine pouvait bien garder pour elle alors que ça impactait directement la personne à laquelle elle tenait le plus au monde. Fallait pas non plus trop rêver. « Si tu veux, même si je change de maison assez souvent, je peux laisser une fenêtre ouverte pour que tu me rejoignes. Faudra juste faire preuve de discrétion, ils sont un peu… tu sais quoi. » C’était la famille quoi. Et t’avais aucun doute avec le fait que Marlon ou Freya avaient tenu ta mère informée de ton passage chez eux. « Ca sera toujours mieux que ce que tu me décris en tout cas. » Ca ne pouvait pas être pire, tu te demandais bien comment il pouvait faire pour supporter tout ça. « J’vois pas grand monde tu sais. J’ai passé un mois chez Marlon, c’était super cool. Lui au moins, il m’aime, tu vois quoi. Il fait pas semblant, s’il veut dire un truc, il le fait. Et là, je suis chez Louis. Tu sais combien tout le monde s’aime alors je sais que ça va faire râler si je fais le tour. Je pense aller faire un tour chez Adèle aussi. Au moins avec elle, je sais que j’aurais la paix. » La grand-mère qui refusait d’être appelé ainsi, comme si elle refusait d’accepter l’âge qui lui incombait. Alors tu jouais le jeu, c’était mamie quand t’avais envie d’être pénible, sinon tu l’appelais par son prénom. «  Evidemment, tout est dans le sac. J’ai ajouté deux trois trucs que t’avais pas demandés mais je me suis dis que ça pourrait t’être utile. Oh et tu peux garder le sac, j’en ai pas besoin et ça pourrait te servir d’oreiller, ça sera toujours mieux qu’un tas de feuilles mortes. » Clairement, ça te faisait mal au coeur de dire ça mais en même temps, ça semblait être devenu la vie de ton frère, une vie à laquelle tu ne peux pas faire grand chose. « T’es sûr que tu vas bien ? T’as l’air… je sais pas… différent. » Tu pouvais pas lui en vouloir après ces dernières semaines mais ça ne t’empêchait pas de t’inquiéter, t’étais comme ça.

Bart l’écoutait : peut-être que sa distance naturelle avec Myrthild était simplement due à la difficulté de leur relation mère/fille. Dans tous les cas, cela ne reflétait qu’une chose : Imogen avait un certain talent pour déceler le mensonge. Et, leur éternel chahut concernant la sacralité de la famille était désormais révolu car le runiste ne comptait plus personne sauf sa sœur parmi les siens. Il se surprit à sourire à l’invitation de la sorcière dans sa chambre du moment. Il ne pouvait se permettre le luxe de coucher dans des draps propres ou de passer plus d’une heure en compagnie de sa complice alors : bah ce serait pas de refus je t’avoue. On pourrait se cacher sous la couette et s’éclairer à la baguette. comme ils s’étaient déjà surpris à le faire il y a des années de cela. C’était d’ailleurs dans un contexte comme celui-ci, à la fleur de l’adolescence, que l’ancien serdaigle avait avoué à sa sœur qu’il était plus attiré par les hommes que par les femmes et qu’il flippait de se faire prendre la main dans le sac (ou plutôt dans le slip) pendant qu’il observait son voisin de classe.

Entendre le nom de Marlon le fit sourire. Il s’imaginait en virée avec son oncle préféré au FDD, à attendre qu’il se passe un truc sanglant ou violent et il n’était jamais déçu. Même si tonton lui envoyait faire les sales besognes à sa place ; Bartholomeus avait le confort d’être intégré à une famille unie dans la démesure. En vérité, il n’en était rien. Elle ne mentionna pas Langford, heureusement pour le garçon. Mais ce fut un autre sobriquet qui le fit tiquer : Louis. Transparent, Bart ne put retenir une grimace. Il aurait préféré oublier l’existence de Louis. Tout comme il aurait préféré ne jamais savoir qu’il avait infligé à Friedhelm un traitement pire que la mort. Bart sentit des frissons lui courir dans le cou. S’il avait Louis en face de lui, Dieu seul sait quel sort il lui lancerait pour lui faire ravaler son fier sourire. O le Prewett n’oubliait pas que, quelques mois plus tôt, il aurait pu se mettre à dos mille démons pour sortir ses proches de la merde. Aujourd’hui, il avait presque honte d’avoir, un jour, chercher de l’affection auprès de tels monstres. La mère infidèle, les oncles menteurs, le père absent et Louis, bourreau de ces hybrides.
Il fronça instinctivement les sourcils et souffla un : Mouais. J’attendrai que tu loges chez Adèle pour te rendre visite. une pause puis : ou que tu vives seule, peut-être.

Bart s’empara lentement du sac qu’Imogen lui tendait et inspecta son contenu. Il soupira de soulagement quand il remarqua les boites de lotion et de médocs se balancer au fond de la toile. Il sortit un grand pull rabougri mais chaud qu’il enfila aussitôt. Il ronronnait presque sous le confort même si l’odeur empestait le manoir Prewett.
Le sorcier enfourna ses mains dans ses poches et remercia sa sœur. Ensuite le silence. Et enfin la question à un million. Il ne savait pas trop où regarder pour fuir. Et en même temps il avait tellement envie de tout lui raconter. Pas seulement le mal qu’il ressentait depuis la vérité sur son père, mais aussi sa rencontre avec Fritz, le triste lien qui l’unissait aux Prewett-Travers, et à l’idée saugrenue de livrer Louis sur un plateau parce qu’il s’avérait qu’il était bêtement tombé amoureux du martyr.

Ses lèvres se serrèrent ; il décida de rester évasif. Ecoute. Je ne vais pas vraiment bien. Il s’assit contre un frêne centenaire. Toutes les fondations qui tenaient ma vie se sont royalement cassées la figure. Tu sais bien que la famille, c’était tout pour moi. Dès que je doutais, dès que j’étais en colère, dès qu’on m’emmerdait je savais que le prestige de notre sang et de notre lignée était ce qui comptait le plus. Et je pensais que maman m’aimait. Je pensais pouvoir un jour devenir comme Bertram. Et en fait je suis le putain de rejeton de Langford. il grognait Sans parler des crimes passés de Louis.
Le pavé était jeté dans la marre. Tu ne leur en veux pas toi ? A tous ? De nous faire souffrir ?

Vous n’êtes que des gamins, les gamins de la famille face à tous ces adultes. Eux, ils pensent, ils savent, vous vous exécutez parce que vous n’avez pas l’âge pour penser par vous même. Enfin, ça c’est dans leur monde que ça se passe comme ça. Dans la réalité, ton frère et toi avez votre mot à dire. Dans la vraie vie, lui et toi, vous ne vous laissez pas faire parce que tout ce vous plait pas, surtout pas leurs décisions. Elles te font rouler des yeux, soupirer mais tu prends tout de même le temps de graver chaque mots, chaque paroles dans ton esprit, de manière à être capable de les restituer plus tard, quand le besoin se fera sentir. Bart, c’est un peu tout ce qu’il te reste dans le chaos de cette famille décomposée. Alors tu n’es pas prête à le perdre, tu t’accroches, tu luttes pour le garder et pour qu’il aille bien. Tu fais avec les moyens du bord, mais c’est l’intention qui compte après tout. Alors oui, même si c’est pas très réglo, t’es prête à lui garder une fenêtre ouverte pour qu’il se glisse et te rejoigne, pour que vous vous retrouviez comme lorsque vous étiez gamin. C’est ça la fraternité, la vraie, pas celle que les autres vous montrent et qui n’est qu’une vaste comédie. Tu l’aimes ton frère et t’as parfois l’impression de ne jamais lui avoir assez dit. Toi non plus, tu fais pas les meilleurs choix mais tu t’adaptes, tu fais avec et jusque là, tu t’en sors pas si mal. Mais tu vois que ça le dérange que tu sois chez Louis en ce moment. Alors t’en dis pas plus, tu remets pas le sujet sur le tapis et te contente de sourire quand il dit préférer attendre que tu sois chez la grand-mère pour te rendre visite. Au moins, le rendez-vous est donné et tu sais qu’il tiendra parole, il est comme ça Bart, surtout avec toi. Tu lui laisses un moment pour lui, pour voir ce que tu lui as apporté. T’as fait comme il t’as dit, t’y as juste mis ta touche un peu personnelle, histoire qu’il t’oublie pas, et ce peu importe ce qu’il fait et ce qu’il traverse ces derniers temps. T’as pas envie de le brusquer et pourtant, t’as besoin de savoir ce qui lui arrive. Y’a ce voile dans ces yeux qui veut dire qu’il va pas bien et toi, t’aimes pas ça. Non t’as jamais aimé voir que ton frère pouvait aller mal alors que t’as toujours été là pour lui, moins ses derniers temps. T’as la grimace facile quand tu l’écoutes parler. Toi, tu te sens concernée, tu te sens mal face à tout ça et pourtant, t’es pas la principale intéressée. Alors ton frère, t’oses même pas imaginer ce qu’il vit. Tu supposes qu’à sa place, t’aurais déjà foutu le feu quelque part, ou pire encore, un incendie c’était encore trop gentil pour eux. « Si je devais en vouloir à tous ceux qui m’ont fait souffrir, je serais à la rue à l’heure qu’il est. » Tu prends une profonde inspiration et baisses le regard sur tes pieds, jouant avec tes doigts, ce que tu fais quand tu sais pas trop quoi dire ou faire. « Ils sont tous nuls. Tous, même ceux qu’on arrive à apprécier parfois. Mais ils sont comme ça, c’est les Prewett, les Travers, les Deschamps. » De nouveau, tu jettes un oeil à ton frère, essayant de sourire, même si c’est pas gagné. « Le truc avec eux, c’est pas qu’ils ne nous aiment pas. C’est qu’ils savent pas comment on fait. » Tu termines pas de suite ta phrase, tu prends quelques secondes pour voir comment tourner les choses mais y’a pas cinquante manière de le dire. « Pour aimer j’veux dire. Ils savent pas aimer. C’est pas de leur faute je suppose., on leur a jamais appris comment faire. »  T’avais envie de croire en ce que tu disais, si fort mais il restait quelque chose en toi qui te murmurait que tu ne prononçait ces mots que pour rassurer ton frère. « Nous on est pas comme eux, on est plus malin faut croire parce que crois le ou non, j’t’aime. Et pour moi, tu restes mon frère. » Avant ce soir, t’avais pas réfléchi à ce que t’allais lui dire concernant toute cette histoire. Mais peut-être qu’il n’y a simplement pas de bonne ou mauvaise manière de faire. « Tu pourrais être le fils de Voldemort en personne que je t’aimerais. » T’en rigolais mais c’était la vérité pourtant. « C’est ce qui compte pas vrai ? Après, on avise. » Vous avisez, au jour le jour. T’as juste envie qu’il aille mieux, qu’il prenne le temps pour panser ses blessures.

Imogen était une vraie Prewett-Travers. Elle ne se laissait pas berner par la naïveté et l’innocence. Elle n’avait pas le temps pour ça et ne l’avait jamais eu. Dès qu’elle était sortie du ventre de sa mère, elle avait réfléchi à la meilleure manière de survivre dans ce monde et, venir d’une famille privilégiée ne l’avait jamais incitée à se reposer sur ses acquis. Bart, lui, était tout l’inverse. Pendant presque 25 ans il s’était laissé couler et avait vécu au rythme de ses envies sans penser aux vraies conséquences derrière. Son principal souci avait toujours été de gérer son hypocondrie et il ne s’était jamais laissé tourmenter par autre chose de plus profond, de plus sérieux. Aujourd’hui le bunker qu’il avait mis tant de temps à construire venait d’imploser et le sorcier était passé du confort de son lit à une couche hostile. Au moins n’était-il plus entouré de traîtres et avait-il trouvé un compagnon de voyage prêt à réellement le protéger envers et contre tout (davantage s’il finissait par lui livrer Louis). La caméléon en face de lui forçait l’admiration : sa sœur pouvait passer outre sa propre souffrance pour continuer de jouir de tous ses biens et droits. Bartholomeus aurait voulu apprendre mais il était devenu trop fou pour remettre un pied dans la cage aux lions. Cette fois, il ne retournerait pas chouiner dans les jupes de maman.
Il plisse les yeux à ses mots. Qu’ils portent des noms de famille particuliers ne les laissent pas le droit de faire autant souffrir. Pourtant c’était exactement de cette manière que le monde fonctionnait. Les Prewett-Travers survivaient en toute impunité, caressés par leur identité inébranlable qu’ils ne manquaient jamais de faire rappeler. Longtemps Bart a pensé de la même façon, parce qu’il entendait Bertram ou encore Myrthild lui rabâcher sans cesse : tu es un Prewett-Travers, tout t’est dû. (tant que tu ne déshonores pas ta famille ou du moins tant que tu ne te fais pas choper en train de le faire).

Aujourd’hui Bart était presque débarrassé de son identité, du moins l’histoire de Fritz ne lui avait pas laissé le choix. Le deuil était encore difficile à vivre mais le garçon se forçait à voir les effets positifs de cette rupture. Il était désormais libre et plus jamais il n’entendrait une quelconque critique sur la façon dont il souhaitait mener son quotidien en lui répétant, encore une fois, qu’appartenir à une famille prestigieuse impliquait de lourdes responsabilités. Mieux encore il avait trouvé quelqu’un qui le protègera et qui lui portera le même amour décrit par sa sœur.

Le runiste sourit sous ces paroles rassurantes, il préfère penser au soutien d’Imogen qui reste intact plutôt qu’à tout ce qu’il a perdu en prenant la fuite ce soir-là. Ça lui fait mal de continuer de rêver des étreintes douces mais puissantes de sa mère mais après tout, il allait à son rythme pour tirer un trait sur tout ça. Au jour le jour. Et elle avait raison : la meilleure façon de supporter tous ces changements étaient de prendre les informations les unes après les autres et de survivre une journée après l’autre.
Bartholomeus se redresse sur son arbre, il a l’air plus grave et à la fois plus apaisé par les mots que sa sœur a su trouver. Il se sent davantage en confiance mais hésite encore à tout lui dévoiler car commencer à parler serait peut-être signer son arrêt de mort et surtout celui de Friedhelm. Encore pourrait-il anonymiser les concernés, mais Imogen n’est pas dupe, c’est d’ailleurs cela qui la maintient autant en l’état.
Le garçon souffle, prend la main de la sorcière dans la sienne. il faut que je te parle. Mais d’abord, tu dois me dire qui dans la famille est la personne la plus importante pour toi. Et jusqu’où tu serais prête à aller pour elle ? Autrement dit, et le garçon l’espérait, pour lui.