"Allez, doit bien y avoir un petit truc là-dedans !" Cette fois-ci, Glenn se détend. La familiarité du ton, et l’évidente tentative de tiédir l’atmosphère jusqu’ici restée glaciale, est appréciée (oui, même de la part de Mike). Avec Maureen, ils lui emboîtent le pas en direction de la caravane - un instant, Glenn entend ses cousins parler à voix basse dans son dos et, un instant, des picotements anxieux traversent son échine ; pourquoi ? il ne saurait pas le dire… des résidus du SPT avec lequel il dort toutes les nuits, sûrement.

Lorsqu’ils sont tous enfin à l’intérieur, et que le lieu est doublement sécurisé (ça aussi, c’est apprécié), Glenn reste de côté, toujours auprès de Maureen, en regardant assez penaudement Carmichael s’agiter ; leur servir le nécessaire, métamorphoser le reste, bref, faire preuve d’une hospitalité à laquelle Glenn n’aurait jamais osé espérer de sa part quelques (sept ?) années auparavant. L’ancien politicien est tenté d’hasarder un trait d’esprit à la fois flatteur et moqueur à l’endroit du bougre, mais quelque chose le titille, l’agace, même, et c’est après de longues secondes de réflexion (et d’observation mutique) que Glenn met le doigt sur ce qui le dérange : Mike connaît bien trop les moindres recoins de la caravane, comme si… comme s’il était habitué à la visiter, voire à l’utiliser (ce qui serait insensé, les membres de l’An Lucht Siúil y ont certes toujours eu accès, mais jamais plus de quelques heures et seulement en compagnie d’un membre au moins du Triumvirat - les doléances, tout ça…). "Regardez-moi ça, un vrai renard en sa tanière…", commente-t-il finalement, un sourire fin, comme de coutume charmant (oui, cela même s’il a maigri et vieilli) flottant sur son visage, si près de ses yeux bleus, froids, qu’on ne voit pas leur dureté passagère. Un regard est glissé en direction de Darragh, cette fois, au même moment où celui-ci le dévisage - le détaille, pour être tout à fait précis. Glenn se crispe un peu plus, soudain conscient de l’image qu’il renvoie (loin, bien loin du dandy qui autrefois disputait son cousin sur ses goûts vestimentaires douteux), mais au contraire de Maureen, qu’il a elle aussi sentie se crisper et se dérober aux regards de la pièce, son époux se drape d’orgueil et de superbe en donnant à chacun de ses gestes et postures une certaine sophistication (pantalon en jean ou pas, pensez donc que ça l’arrêterait).

A présent assis (enfin, presque tous assis) (s’il continue comme ça, Darragh va vraiment le rendre nerveux) Glenn aventure ses lèvres en bord de tasse et laisse à Maureen le soin de se réchauffer avec la couverture qui leur a été tendue. La première question ne tarde pas à tomber, aussitôt relevée par sa femme qui, en répondant, réoriente cependant la discussion vers, il est vrai, la seule chose qui eux les intéresse vraiment : est-ce que Dee va bien ? Les doigts de Glenn ont un léger spasme qui fait remuer sa tasse et le hot toddy flottant dedans. Il se brûle langue, grimace un peu, camoufle dans son geste - son petit drame domestique sans prétention - l’inquiétude épaisse qui n’a pas cessé de plomber son moral au fil des ans. Il a peur de la réponse. De ce que pourrait leur annoncer sa cousine. Il a tellement passé de temps à dire à Maureen que Diarmuid allait bien, qu’il était en sécurité et bien entouré, qu’il a fini par croire à ses propres élucubrations ; d’un geste délicat, il repousse du pouce la goutte tombée sur son sweat, et, quand Grainne leur confirme que Dee va très bien, ses paupières s’affaissent, aussitôt suivies par un soupir soulagé. Son autre main, restée solidement enroulée autour de celle de Maureen, presse un peu la paume de sa femme. Fiona aussi, va bien. Même le jeune Flowers est en grande forme, s’il en croit la conviction du discours. A mesure que Grainne développe tout ce qu’ils ont raté (on y reviendra) l’émotion gagne Maureen et, de fait, trouble Glenn. Il repose sa tasse pour venir l’enlacer, prendre d’une main son visage où le sel coule, et effacer de temps en temps ses plus grosses larmes (Glenn n’aurait jamais fait ça, avant, et même si cette démonstration pleine de pathos et de vulnérabilité le gêne un peu - lui qui n’a jamais été que retenue et maîtrise - son instinct de protection prend le dessus comme il a pris le dessus ces sept dernières années).

"Une de nos amies a pu aussi l’aider avec… son don…" Le regard que lui adresse sa femme n’échappe pas à Glenn. Ce dernier détail était probablement celui de trop ; il n’a jamais vraiment partagé à Maureen la nature de ses discussions (et excursions...) avec Irene, non plus les déductions, quoique bancales et équivoques, qu’il a pu tirer desdits conciliabules. Sans savoir tout à fait ce qui touche Diarmuid depuis sa naissance, Glenn est donc déjà plus au fait de 'son don' que ne l’est Maureen… "Chaque chose en son temps", adresse-t-il à Grainne, sans fermeté, mais sans douceur non plus. Il comprend l’euphorie du partage et, si Maureen n’avait pas été présente, tout du moins si bouleversée, probablement aurait-il creusé le sujet auprès de sa cousine, mais tout le corps de sa femme tremble d’émotion et pousser davantage la barrière des révélations serait l’épuiser complètement, physiquement et mentalement. "Assistant au Witch Weekly, mh ?", reprend-il sans tarder, décochant cette fois un léger sourire (mi-complice, mi-accusateur) à Grainne, "j’espère qu’à trop côtoyer ton monde de potins ça lui aura au moins délié la langue !" Un rire léger le déride (et déridera, il espère, un peu tout le monde dans la pièce). Tandis qu’il câline d’une main tendre l’épaule de Maureen, il demande, là non plus sans tarder. "Et qu’a-t-il de si discutable, ce Triumvirat en place, pour que mon fils veuille tant que ça le renverser ?" Il continue de sourire mais le ton ne trompe pas.

Glenn a eu le temps de faire le calcul.
Ses deux cousins, et Carmichael, plantés dans cette caravane comme trois vers dans un tronc d’arbre, habitués à sa sève, à sa matière...: ces grands crétins ont pris la tête de l'An Lucht Siúil. Et il attend, non sans un certain déplaisir, qu’ils aient le courage de le lui dire. Bien en face, cette fois.

Depuis la fin de juillet ― plus d’un mois, donc. Darragh fouille dans sa mémoire à la recherche d’un événement qui serait relié à ce temps de l’année, mais rien ne lui vient en tête. Ça ne le rassure pas. Les questions se bousculent, mais il a suffisamment de respect pour comprendre que la priorité de Maureen est son fils unique. Et heureusement, Grainne a suffisamment de bonnes nouvelles dans sa besace pour rassurer les deux parents revenus d’outre-tombe (parlant de don, hein…). « Au bordel qu’il fout à la maison avec les deux autres, je peux te dire qu’il va parfois presque trop bien, ton garnement », confirme Darragh à Maureen. L’expression est rusée, amusée, et trahit l’affection qu’il éprouve pour Diarmuid. Le gamin a toujours sa gueule d’enterrement habituelle, son accent de Derry alors qu’il chuchote plus qu’il parle (de toute façon, vu comme Fiona et Connor braillent fort, même à un volume normal, il serait enterré) et une passion pour le spaghetti, et… et d’une certaine façon, est suffisamment stable dans cet univers trouble.

« Et qu’a-t-il de si discutable, ce Triumvirat en place, pour que mon fils veuille tant que ça le renverser ? La question tranche dans le gras et Darragh est celui qui la saisit au vol : Va savoir, ça doit d'être votre gamin, déjà, ça lui a donné des idées depuis tout jeune. Sourire entendu qui ne rejoint pas ses yeux, dont le bleu semble soudain plus métallique. Ça ou c’est d’habituer sous le même toit qu’un des membres de ce Triumvirat, qui le travaille un peu trop. » L’aveu n’a pas la franchise qui serait nécessaire, le courage de Gryffondor que le Serdaigle n’a jamais porté en lui. Il consulte Mike du regard ; celui-ci a un petit signe de la main, presque une révérence pour lui dire puisque tu as commencé, autant finir. Il n’a pas besoin de regarder sa jumelle pour savoir qu’elle le laissera parfaitement se faire le porteur de la nouvelle. Jeu de courte paille qui n’est pas bien de celui qu’ils pratiquent lorsqu’il est question des réunions syndicales ― sous couvert que les trois têtes du Triumvirat sont importantes, égales, pour cacher leur déplaisir respectif d’assumer ce poste qu’ils ont pris par défaut.

Il n’y avait pas qu’eux qui auraient pu prendre la tête du gang, mais ce sont eux qui l’ont fait, qu’ils le désirent ou pas, qu’ils aiment ou non la position. Ils l’ont fait par devoir, par loyauté, et Darragh le ferait encore et toujours, si la situation devait se présenter à nouveau.

Le rouquin accepte enfin de s’adjoindre le siège transformé par le Connaught. Un pouce levé en sa direction pour lui signifier que ça va, rien ne devrait s’effondrer sous lui. Au littéral comme au figuré. Le regard passe tour à tour de Maureen à Glenn, afin de ne pas laisser la gracieuse demi-Vélane hors d’une conversation qui la concerne tout autant : « On a fait ce qu’on a pu. Que ce soit clair, déjà. Certains sont morts, certains ont été arrêtés, d’autres ont disparu du jour au lendemain. Tu le sais, t’étais là lorsqu’on a dû commencer à tout réorganiser dans les branches, commente-t-il plus directement à son cousin. Il a d’ailleurs lui-même hérité du titre du chef de sa branche d’activités dans ces temps troubles. Il était déjà en miettes et c’est bien tout ce qu’il lui restait, avec Fiona, le travail. Mike vient le soutenir dans son récit, Poufsouffle loyal jusqu’au bout : On a essayé de faire sans Triumvirat, mais… ce n’était pas possible. » La gestion du gang peut se faire de façon collégiale sans trop de problèmes, mais le Syndicat reste le Syndicat, et ses exigences également. Ses exigences et surtout celle de ne pas laisser croire à de quelconques problèmes. Si l’expulsion de leur siège éjectable au sein du Syndicat du crime est une crainte palpable, une menace sourde qu’ils évitent à chaque paiement de leur taxe annuelle, le plus dangereux reste les autres gangs, auxquels il ne se fie pas. Qu’ils soient alliés ou non.

Le hot toddy est bien chargé et c’est heureux, parce qu’il est certain que sobre, il ne serait pas capable de tenir cette conversation avec tant de naturel. « Ça doit faire depuis… votre arrestation, à peu près, que nous sommes là tous les trois. »

Glenn n'est pas surpris et somme toute, Maureen non plus, une fois que le fil des événements est reconstitué. Il peut seulement être reconnaissant à son cousin revenu non pas d'entre les morts, mais potentiellement de bien pire, de réussir à contenir ses critiques le temps d'une (1) soirée de retrouvailles. Le temps que le point soit rapidement fait sur l'état du gang (peut mieux faire) et les nouvelles actuelles des Irlandais et de leurs alliés, et que les hot toddy s'enchaînent pour mieux accueillir les confidences du couple Ward. Ce n'est pas une soirée festive comme les Travellers savent en faire, pas comme on aurait pu s'y attendre, mais il n'y a pas lieu de se tromper sur les émotions de toustes et chacun·e.

Ils sont heureux de les revoir là, ici, avec eux.