Lotfi terminait une lettre pour son grand-père, lorsqu’il réalisait que c’était l’heure. Il rangeait le tout dans le cabinet, glissant l’enveloppe dans le bec d’une chouette qui pourrait ensuite l’amener au centre postal pour l’envoi international (après que celui-ci soit lu et vérifier). Comme beaucoup de chose, le sorcier avait appris à opter pour des codes et des subterfuges, notamment pour communiquer avec son grand-père, leur conversation tournant autour de la situation en Angleterre. Le voyage de son frère et sa sœur, en avril avait conforté ses doutes, comme impression, ni l’un, ni l’autre faisant part de leur inquiétude, pour ne pas dire une suggestion de revenir en Iran avant que les choses ne tournent mal, à la limite en Egypte. Une décision qu’il ne prendrait jamais seul, il était hors de question de laisser Leila et ses enfants seuls. Par contre, il avait d’autres moyens de les protéger et d’agir en écoutant son cœur, sans en venir à ce genre de conversation.

Le sorcier quittait son atelier, traversant le patio pour rejoindre le manoir, alors qu’il fixait sa robe de sorcier pour la rendre un peu plus flexible pour l’activité qu’il s’apprêtait à faire. « Majid, are you still up for the horse ride? » Ni une, ni deux, son fils apparaissait en haut des escaliers, déjà en tenue, comme s’il avait attendu pour son signal. Lotfi laissait échapper un soupir amusé, alors que son ainé prenait les devants pour rejoindre les écuries, son père sur ses talons, une fois qu’il avait pris le temps de déposer un baiser sur la joue de sa femme qui venait d’apparaître dans l’encadrement de la porte qui menait au salon. Have fun, avait-elle dit avant qu’ils ne disparaissent derrière les portes du manoir.

Les écuries de Potter’s End n’avaient rien à envier au haras de sa famille, pour ce qui était du luxe et de confort des animaux, par contre, il n’y avait pas le charme, ni les grands espaces. C’était très européen selon Lotfi, ou peut-être un choix des propriétaires, bien que les animaux ne manquaient pas d’espace ou de soin. Après, il y avait sans aucun doute un manque d’objectivité de la part de l’Iranien qui avait grandi dans un haras toute sa vie. Une fois sa monture prête, il rejoignait son fils qui l’attendait à l’extérieur. « Ready ? » Demandait-il avec un sourire avant de se hisser sur la selle de l'abraxan, attendant que son fils fasse de même, quittant l'écurie pour s'engager dans un petit sentier de la campagne galloise.

Après quelques minutes, le sorcier décidait qu'ils étaient assez de tout (et des oreilles indiscrètes) pour entamer une discussion avec son fils. « It's been a while since the last time we got to go on a ride just the two of us, commençait-il avec une pointe de nostalgie, with everything that happened, I was hoping we could have a real talk, like we used to when you were a kid: man to man, like you said. » Le père et le fils se parlaient, bien évidemment, un peu plus même depuis que Majid avait demandé à son père de le former en occlumecie, cependant, les choses avaient beaucoup changées depuis leur installation en Angleterre. Et si Lotfi n’avait jamais eu l'impression d'être chez lui ici, sa famille s'était s’épanouie, lui-même n'avait eu aucune difficulté à s'intégrer et à naviguer les eaux troubles du monde sorcier anglo-saxon. La fuite des cousins au sein de l’Ordre, par contre, avait changé la donne, et c’étaient ses enfants qui récoltaient toute la pression étouffante venant des attentes de la part du gouvernement.

Ce n’était pas à Majid, Nadia, ni même leur cousin, Nahel et Siham, de porter tout ce fardeau, et pourtant, c’était sur eux qu'il reposait, les aînés prenant leur responsabilité (au grand dam de leur père et oncle), le plus jeune, suivant le mouvement pour ne pas se retrouver seul. Le sorcier avait cette désagréable sensation d'avoir manqué à son devoir, celui de les protéger, mais comme il entendait souvent, la plupart étaient des adultes, c'était à eux que revenait la décision. Lotfi n'était pas naïf pour autant, il connaissait le poids de la pression familiale, en particulier chez les Al-Massri. Ce qu’il n’approuvait pas forcément, mais il savait comment était la famille de Leïla, l'honneur et la survie de la famille avant tout. Il fallait donc jouer le jeu du gouvernement, pour le moment, avait-elle insisté. Certainement pour le rassurer lui, pour lui faire comprendre qu’elle avait conscience que c’était dangereux, mais elle ne voulait pas faire de leur famille des fugitifs (chose qu’il comprenait). Mais, comme lui avait rappeler son frère et sa sœur, il n’était jamais trop tard pour repartir.

Majid avait la tête un peu plus légère depuis que la présence de son cousin zombifié ne hantait plus la maison : Nahel était en sécurité (normalement), Siham n’avait plus de raison de débarquer chez lui et le brun avait presque accompli son devoir de sang-pur et d’aîné de sa famille. Ne lui restait qu’à planifier le mariage et avoir quelques enfants et il en aurait fini avec les attentes de la société britannique le regardant (presque, après il n’aurait plus qu’à rester silencieux pour le reste de sa vie. Ou déménager. Peut-être que sa famille et Isobel seraient d’accord pour quitter le pays avec les bonnes méthodes de persuasion.) Il avait donc l’esprit libre alors qu’il travaillait sur sa thèse, lunettes sur le nez et environ quatre bouquins ouverts devant lui sur son bureau particulièrement bien organisé.

Majid avait enfilé sa tenue d’équitation une demi-heure plus tôt pour être prêt lorsque son père le serait, aussi n’eut-il qu’à remettre rapidement ses affaires en ordre (il ferait une syncope s’il laissait ses crayons en désordre sur son bureau pendant son absence) avant de sortir de sa chambre en déclarant que ‘of course I am’ avec un sourire tranquille sur les lèvres.

Il l’avait attendue cette sortie à cheval avec son père, les deux s’étant retrouvés particulièrement occupés ces derniers temps. Majid n’aimait pas être conseillé, il n’avait besoin de l’opinion de personne sur sa vie, pourtant, entendre ce que son père pouvait avoir à lui dire lui avait manqué cruellement récemment et il avait sauté sur l’occasion de mettre son père au courant de ce qu’il avait fait. Si Majid était indépendant, il aimait être révéré, avoir ses décisions approuvées et ce qu’il faisait applaudi; personne n’était plus disposé à le féliciter que ses parents.

La dernière fois que Majid était monté à cheval ne remontait pas à très loin, l’envie lui avait pris un après-midi alors que le temps était propice à sortir et qu’il n’avait pas envie de passer le reste de la journée à travailler; ça n’ôtait pas son plaisir à être là alors qu’il préparait sa monture en bavassant sur la pluie et le beau temps, réservant les vraies sujets pour plus tard, comme si ces conversations là méritaient le meilleur setting.

- Ready ?

- When you are, répondit-il avec un sourire étincelant.

Majid sortit du bâtiment et se mit en selle, suivant son père sur le sentier choisi. Ses iris vagabondèrent sur le décor défilant doucement autour de lui avant de se reposer sur l’autre cavalier.

- It's been a while since the last time we got to go on a ride just the two of us.

- It surely is, dit-il dans la même langue.

- With everything that happened, I was hoping we could have a real talk, like we used to when you were a kid: man to man, like you said.

Le brun opina.

- Yeah, I missed that, avoua-t-il avec un rictus. Does anyone gave news from Nahel to Na'im and Louise?

Le cheval de Majid accélérait le pas, le brun le ralentit pour revenir au niveau de son père, yeux toujours rivés sur lui.