tw: discrimination internalisée

Je me balance de la pointe des pieds aux talons en regardant les maisons qui se dressent devant moi, serrant la main sur la anse de mon sac qui s'enfonce dans mon épaule douloureusement. "C'est là?" Buckley, à côté de moi, a un sourire encourageant. "Oui, c'est là." Je reste là et j'observe.
Il a plu récemment, et ça pue. Ça pue partout. Mais au moins, les sons de la rivière à côté et des gens à l'intérieur de la maison sont étouffés par les écouteurs anti-bruits qu'Elena m'a laissé garder. Même qu'ils sont en forme de coquillage, et que j'aime bien la sensation du plastique entre mes doigts quand je les fais rouler dans ma main. Des fois, je mets un peu de musique, avec le téléphone qu'elle m'a donné, même si je ne connais pas les morceaux qu'il y a dessus.

(Ma collection de CDs et de vinyles me manque, mon lecteur, ma chambre, mon tapis, ma basse, mon lit, mes draps, mes vêtements, mes colliers, mes bagues, mes plantes--)

"On y va?" me demande Buckley au bout de cinq minutes de silence, et je suis reconnaissant qu'il ne pose pas la main qu'il a levé sur mon épaule. J'hésite et puis je hoche la tête, parce que je n'ai pas le choix. J'aurais bien aimé pouvoir rester à la Fawkes, mais les gens comme moi, les monstres, doivent vivre à Sweet River. J'aimerais bien rester chez moi mais Elena m'a dit que c'est impossible. Que ça mettrait ma famille en danger, mes amis en danger, Jesse en danger. Et je n'ai pas envie qu'ils soient en danger, alors je suis là.
J'hésite sur le pas de la porte un peu à l'écart où Buckley me mène, mais j'inspire profondément et-- grossière erreur: les odeurs de l'intérier m'agressent et je titube. Buckley pose une main dans mon dos pour me stabiliser et je sursaute en sentant sa paume sous le tissu de mon hoodie. "Je suis désolé," je l'entends dire quand je le regarde d'un oeil noir, "Caliban je suis désolé--" mais je n'écoute pas plus, et lève simplement la main pour activer l'annulation du bruit dans mes écouteurs.

C'est un peu mieux comme ça. Je lui fais un signe de tête pour lui dire que ça va, et on pénètre à l'intérieur de la maison. On monte des escaliers et Buckley s'arrête devant une porte. Il m'a déjà dit que j'allais vivre avec deux autres mecs. Winston et Gabriel. Je ne les connais pas et je ne veux pas les connaître. Mais je n'ai pas le choix.

(Mendo me manque et Bashir me manque et Stevie me manque et Serena me manque et Maximilian me manque--)

Buckley me laisse devant la porte mais il reste à l'étage (je sens son regard sur moi, et son odeur d'Halfer, musquée et primale, similaire à la mienne) au cas où. Je regarde la porte comme si je pouvais voir à travers avant de lever une main aux doigts fermés et tremblants (la douleur de mes ongles s'enfonçant dans ma paume aide beaucoup) pour frapper trois petits coups. Puis je pose la main sur la poignée (son métal est froid, désagréable, réveille la douleur qu'ont laissé mes ongles derrière eux) pour ouvrir le battant.
Winston et Gabriel. J'ignore lequel est l'un, lequel est l'autre. Je les regarde posément, puis le lit libre dans la petite chambre, et ma gorge devient soudainement très sèche. Je lève lentement la main pour retirer un écouteur. La rivière, la respiration d'Elijah, le son d'un ventilateur dans la pièce. Mon propre coeur dans ma poitrine, comme un tambourin qui fait des heures sup'.

J'ai envie de pleurer alors je cligne des yeux, lève le menton, et renifle un peu. "Salut," je laisse tomber d'une petite voix. "Je peux avoir le lit près de la fenêtre?" Il y a déjà des affaires et Winston-ou-Gabriel assis dessus, mais qu'importe. Je ne supporterai pas d'être coincé contre un mur sans fenêtre dans ma nouvelle maison dont je ne veux même pas.

Selon les magicomages, il est temps pour Gabriel de quitter la Fawkes. Les blessures ont été traitées, les ecchymoses ont disparues et il a repris du poids. Pourtant, il ne se sent pas complètement guéri. Son cœur est brisé. Meurtri par le départ soudain de son meilleur ami. Sans indice, sans un aurevoir. Une simple note laissée sur le coin de sa table de chevet. Écrasé par l’annonce de la grossesse de celle qu’il comptait faire sa fiancée avant qu’il ne soit arrêté et envoyé à Gracefield. Abandonné par l’un, laissé avec un sentiment de trahison très vif par l’autre. Le corps va peut-être mieux, mais dans sa tête c’est une autre histoire. La folie du retour s’est vite transformée en cauchemar. Il a eu deux jours de répit avant que tout s’effondre à nouveau. Il regrette presque de ne plus être sur l’île. Là au moins, il savait à quoi s’attendre. Il savait qu’il était dans la merde. Secouru et en sécurité, il a pensé être à l’abri, mais deux lourdes tuiles lui sont tombées dessus et il a bien du mal à se relever.

Il semble que ce ne soit pas une raison valable pour prolonger son séjour au centre d’urgence. Assurée qu’il était bien rétabli, Vanessa lui a donné son congé. Il n’a pas insisté. Au fond, Gabriel n’a pas vraiment envie de rester là, dans cette chambre dans laquelle il n’a obtenu que des mauvaises nouvelles. On le renvoie à Sweet River, ça lui va. Il n’est pas trop désorienté. Il connait l’endroit pour y avoir passé quelques années. Ça va lui faire du bien d’avoir des repères sur lesquelles se rattacher. Il ouvre la porte d’entrée, le corps tremblant, l’esprit faible. Il prend un moment pour observer l’endroit pour le moment vide. On lui a dit qu’il cohabiterait avec deux autres personnes qui ne devraient pas tarder. Il monte à l’étage là où se trouve les lits. Il se dirige vers celui qui est le plus au fond et s’allonge dessus, les yeux fixant le plafond écoutant le silence. Celui-ci ne dure pas longtemps. Le premier arrive avec éclat. Il tourne juste la tête et fronce les sourcils. Il lui semble familier. "Salut." L’autre bouclé ne lui donne pas la chance de se présenter et enchaine. "Euh ouais…" Ils ont dû se croiser avant Gracefield. Il part ensuite dans une tirade sur les chats et Gabriel sent la migraine pointer le bout de son nez. Il repose sa tête sur l’oreiller. "Tu l’as fermes jamais hen?" Dit-il en réponse aux gâteaux. Il roule mentalement des yeux. C’est bien sa chance de tomber sur un coloc qui parle tout le temps. Le deuxième passe la porte et il semble déjà plus calme, au moins. Il lui envoie seulement la main pour le saluer. Sans se présenter, il demande à avoir le lit près de la fenêtre, là où Winston a posé ses affaires à peine quelques minutes plus tôt. "Arrangez-vous." Lui il est bien là. Il ne s’en mêle pas.

tw: discrimination internalisée, mention d'abléisme

"Salut ! Moi c'est Winston !" La voix haute et claire de Gabriel-ou-Winston me fait grincer des dents, et froisse mon visage d'un petite grimace. Une odeur étrange s'échappe de lui. Quelque chose d'acariâtre, qui me rappelle de la viande pourrisante. "Tu ne veux pas un gâteau plutôt ?" Je jette un regard au paquet qu'il me tend et je peux déjà imaginer la texture des miettes dans ma bouche, le sucre trop fort. "Non." Tout est tellement... intense. Intense, et mauvais. Les bruits sont trop forts, les odeurs aussi, les goût, les couleurs... J'ai toujours été sensible: depuis que Fenrir Greyback a enfoncé ses crocs dans ma chair, j'ai l'impression d'avoir les nerfs à vif et les sens décuplés. On m'a dit que c'était le cas, à cause de ma nature (du fait que je suis un monstre) mais je ne crois pas qu'ils se rendent compte à quel point c'est horrible pour moi.

Ça ne sert à rien de s'apitoyer, dirait Maman. Le monde est cruel, et il ne va jamais s'adapter pour toi alors toughen up, kiddo, et arrête de chialer. Évidemment, quand elle me disait ça, ça me donnait encore plus envie de chialer. Mais là, penser à Maman, ça me fait un peu du bien. Ça me surprend moi-même à quel point j'aimerais retourner à la maison. J'aimerais qu'elle m'asseye à la table de la cuisine, avec Abigail, Austin, Bryan et Lilly. J'aimerais qu'elle passe ses doigts dans mes cheveux. J'aimerais qu'elle m'appelle baby. J'aimerais qu'elle me mente en me disant que ça va aller.

J'aimerais que Mendo soit là.

J'aimerais... beaucoup de choses. Toutes inatteignables.

"Arrangez-vous." Ce lit en fait partie. Je glisse mon regard vers l'autre. C'est Gabriel. Il est beau. Il n'interviendra pas. Il me rappelle quelqu'un, mais je ne sas pas qui. Je ne suis pas très bon avec les visages; j'ai tendance à éviter les regards des autres, ça rend la tâche de les reconnaître difficile. "J'ai quelque chose pour vous." Je fais lentement passer mon sac sous mon bras pour l'ouvrir et en sortir ce sur quoi j'ai travaillé à la Fawkes pendant quelques jours. C'est Elena qui m'a donné les matériaux et qui m'a conseillé de le faire.

C'est deux sculptures maladroites et grossières, de fleurs en étain. J'ai peint les pétales en bleu, en vert et en orange. L'important c'est de se faire un ami dès le premier jour, et après tout ira mieux. C'est ce que me répétait Maman à toutes les rentrées d'Hogwarts.

"C'est des fleurs, mais elles n'ont pas besoin de soleil." Je pose mon regard sur Winston, dans la direction générale de son visage, un point à quelques centimètres en-dessous de ses yeux. "Moi j'ai besoin de soleil... c'est pour ça que le lit sous la fenêtre ce serait mieux pour moi." Je n'ai pas envie de lui dire que je suis différent (tout le monde comprend très vite que je suis différent, j'ai depuis longtemps cessé d'essayer de le cacher), que j'en ai besoin, que c'est très important. À la place, j'esquisse un sourire qui est encourageant, et je lui tends la fleur la plus étincelante et colorée des deux. "Moi, c'est Cal. Je suis serveur. Enfin, j'étais serveur. Je suis allé à Hufflepuff. Je joue de la basse. Mon animal préféré, c'est les fléreurs. Mon musicien préféré, c'est Aphex Twin, mais j'aime bien A Tribe Called Quest aussi. C'est la première fois que je suis en Écosse. À part Gracefield, mais ça compte pas. Fenrir Greyback m'a mordu pendant la libération des Battues. Mais comme c'était pas la pleine lune, je me suis pas transformé en loup-garou. Je suis un Halfer." Très lentement, j'ouvre la main et la tends en direction de Winston. "C'est nul."