Il était tard, les potes de Jo étaient rentrés parce qu’ils travaillaient tôt le lendemain mais Jo n’avait pas envie de rentrer. Il aurait bien été chez Siham mais elle bossait, il aurait bien été chez Bree mais l’ambiance était bizarre alors il ne pouvait pas. Il y avait tout un tas de gens à qui il aurait pu rendre visite mais en fait il n’avait pas envie, il se dirigea plutôt vers le Leaky Cauldron où il allait pouvoir parler avec son bro Noris qui avait de bons conseils parfois.

Il entra dans le pub quasiment désert, salua le type bourré qui l’aborda depuis sa table et finit par arriver au comptoir devant Noris.

- Salut mec ça va ? Il posa les coudes sur le meuble, jeta un œil à la carte derrière le barman. Vas y file moi un virgin je sais pas quoi, ce que tu veux je m’en fous.

Un cocktail sans alcool ça ne servait à rien de toute façon alors il n’allait pas en plus perdre du temps à en choisir un, que Noris fasse avec ce qu’il avait sous la main.

- Faut trop que je te raconte ce qu’il m’est arrivé là y’a genre une semaine. Tu répètes pas hein ? Y’a un genre de secret médical quand on est barman nan ?

Il avait un peu froncé les sourcils comme s’il se posait vraiment la question, en plus, ce n’était même pas si grave si Noris répétait parce que ce n’était même pas illégal. Jo se demanda pourquoi il faisait genre, se dit qu’osef et se pencha un peu sur le comptoir parce qu’il allait raconter l’anecdote du siècle.

- Bon tu vois Bree ? C’est ma pote depuis toujours, genre meilleure amie du coup y’a jamais rien eu parce que bah elle voulait pas ‘fin du coup tranquille, commença-t-il. Sauf que l’autre soir on est sortis en boîte, elle avait une robe mon frère, Julia Roberts jte jure, magnifique, bref, y’avait des vieux gars qui la regardaient bizarre mais normal sauf qu’à un moment – on avait bu tu vois, j’étais grave bien et on se retrouve sur un canapé et là ??? Elle commence à se rapprocher et vas-y que je mets ma jambe sur la tienne et que je veux jouer à ni oui ni non et moi bon, je me plains pas tu vois c’est cool – Et là ??? Elle me demande si je veux l’embrasser. J’ai bégaye mon gars, limite je croyais que c’était une blague vu que quand même, quinze ans qu’on se connait quoi, mais nan, c’était pas une blague donc je l’embrasse et mec, c’était trop bien ?? Bon tu devines on a fini la soirée chez moi sauf que depuis c’est trop bizarre. Genre elle m’a pas récrit tu vois ? Et c’est super bizarre parce que d’habitude elle écrit toujours mais là ça fait plusieurs jours et je me dis, peut-être elle regrette ? Mais je vais pas aller la voir parce que imagine elle me dit qu’elle regrette tu vois, du coup j’attends mais imagine elle revient jamais ?

Il attrapa son verre et but une gorgée en se disant que c’était pas dégueu et qu’au moins il n’y avait pas le goût de l’alcool qui filait un peu la nausée quand on buvait aussi souvent que Jo le faisait. Et il regarda Noris qui avait forcément un avis sur la question, même si Jo ne savait même pas ce qu’il voulait vraiment entendre.

Il n’y avait pas à dire, Noris était un bon gars et c’était toujours cool de lui parler, puis c’était en fait une bonne action parce que ça occupait les soirées ennuyeuses du barman. Jo se demanda brièvement si ça ne l’emmerdait pas un peu, chassa l’idée parce que ce qu’il voulait raconter était palpitant, plein de drame, mieux qu’une télénovela de la BCBC, il n’y avait pas photo.

- Boarf, c'est un peu mort aujourd'hui...

- Bah ça tombe bien parce que maintenant que jsuis là, il va reprendre vie ton bar, fanfaronna-t-il, grand sourire sur les lèvres.

- En plus, je crois que Diva s'est faite mal à la patte, ça va encore me coûter une blinde en vétomage et j'espère qu'il ne faudra pas la laisser en observation parce que la dernière fois, un croup l'a attaquée. Tu te rends compte ?

- Oh non la pauvre, elle a eu quoi ?  s’enquit-il en cherchant la chienne des yeux.

Jo demanda l’avis du chef pour sa boisson, de toute façon, il allait redescendre quoiqu’il arrive puisque les bars bien comme il fallait ne servaient pas d’alcool.

- T'inquiètes, j'ai pile ce qu'il faut. T'as déjà goûté le sirop de mandragore ? Avec du jus de grenade, c'est par-fait. Puis super bon rapport calorie-gourmandise et tout et tout.

Jo haussa les épaules tout en opinant, de toute façon, si le chef le disait, lui ça lui allait, il n’était pas difficile. Il sourit à Noris en récupérant son verre et glissa un "merci" en se mettant à siroter le mocktail. Glaçons touillés dans la coupe en faisant gling-gling, il commenta un "ah ouais c’est pas mal" d’un air appréciateur et embraya sur le sujet qu’il voulait aborder avec un petit teasing nécessaire à prouver que c’était de la haute importance.

- Bah ouais, c'est une clause de mon contrat !

- Ok parfait !

Et il était lancé, c’est qu’il n’en avait pas trop parlé de ce qu’il s’était passé en boîte avec Bree et pourtant dieu savait qu’il y avait eu peu de choses qui lui faisaient se poser autant de questions que ça.

- Ouais j'vois, l'amitié fille-garçon là...

Jo hocha la tête sans s’interrompre et sans chercher à savoir ce que Noris entendait par là, raconta les détails, ça lui rappela à quel point il se sentait mal à ne plus avoir de nouvelles de Bree alors qu’ils s’en donnaient tout le temps. Ça faisait presque une semaine, il avait l’impression que ça faisait le double tant sa vie lui semblait vide sans la présence de la blonde.

- Dans quel film Julia Roberts ?

- Heu, coup de foudre à Notting Hill, il répondit sans même vraiment hésiter, et de reprendre où il s’était arrêté.

Les réactions de Noris étaient exactement comme il fallait, ça fit esquisser un petit sourire à Jo qui continua à raconter et finit par arriver à la fin du récit, dans le présent où il n’avait juste plus de nouvelles du tout, ce qui n’allait vraiment pas parce que Bree ne ghostait pas les gens, ça c’était la spécialité de Joseph.

- Hmm. C'est bizarre. En plus, c'est sur, vu comment t'es un tombeur, t'es pas un mauvais coup !

- Bah ouais, c’est pour ça, je comprends pas, en plus je te jure c’est la première fois qu’elle m’ignore comme ça, et pourtant je la connais depuis l’école.

Il se sentait mal à nouveau, nœud qui venait d’apparaître à l’estomac et qu’il essaya de chasser en reprenant une gorgée de sirop de mandragore. Ça ne pouvait pas être si grave, Bree avait sûrement plein de trucs à faire et elle lui renverrait un message bientôt, peut-être même demain – ou peut-être qu’elle ne comptait vraiment pas le revoir et dans ce cas…..

- Putain ça craint, imagine elle veut plus jamais me revoir, qu’il geignit en calant son menton dans sa main, l’air absolument abattu.

- Mais t'sais, les filles, c'est easy. Là, elle doit être en train de trop réfléchir en mode "oh non notre amitié est gâchée" mais c'est parce qu'elle se voile la face parce que l'amitié fille-garçon bah ça existe pas. Ou alors très vite fait et genre entre les gens gays là.

- Attends t’es sûr que ça existe pas ? Parce que moi j’ai une pote, bah on est potes, instant réflexion. Pis c’est pas la seule, en fait j’en ai plein et hé, je les ai même pas toutes ken, c’était bien la preuve que ça existait, il n’avait pas du tout envie de se marier avec Siham.

- Bref, toi, limite, ce que t'as à faire, c'est te pointer en mode full bg là. S'tu veux, j'ai des costumes à te prêter…et un bouquet de fleur et des chocolat. Puis tu l'amènes au cinéma voir une comédie romantique et après restaurant italien. Tu parles italien ?

- Ah ouais nan.

- Parce que ça fait grave classe de commander en italien là. Et après, tu l'emmènes en haut de la Statue de la Liberté puis...

- Mais attends, attends, dit-il en secouant la main. Si j’y vais en mode bg elle va croire que je veux un truc sérieux et tout, mais je veux pas. Genre à la limite, un truc détente tu vois, ken de temps en temps mais rester potes – Quoique nan au pire de toute façon elle voudrait pas elle donc c’est bon.

Gorgée de mocktail pensive.

- Mais en vrai, en vrai, c’est même pas à moi de faire le premier pas si ? Non parce que elle me demande de l’embrasser, moi je l’embrasse, mais après elle me fait la gueule et tout je sais même pas pourquoi mais j’ai rien fait moi au final ?

C'était trop injuste.

Pauvre Diva à qui il arrivait des bricoles; petite pensée à la chienne et vœux de bon rétablissement parce qu’on avait pas été élevé chez les péquenauds et Jo récupéra son verre, s’écartant même pour laisser Noris prendre une photo sans qu’il ne soit dans le cadre. Petit sourire quand l’autre eut l’air satisfait et il commença à siroter sa boisson aesthetic tout en racontant les affres de sa vie sentimentale.

C’est qu’il était un peu (beaucoup) perdu, d’habitude c’était facile, ça durait une soirée, parfois deux, trois, quatre puis il se demandait ce que la personne avait dans la tête et coupait tout contact avant de passer à autre chose, mais là ce n’était pas pareil, il ne pouvait pas faire ça parce qu’il tenait vraiment à Bree et que sa vie sans elle lui collait des sueurs froides. Il y avait quand même des problèmes comme le fait que c’était elle la lâcheuse sur ce coup là, et que Jo ne voulait pas s’abaisser à courir après les gens qui ne voulaient pas de lui (soit tout le monde un peu non ? Il suffisait d’attendre qu’on se rende compte de sa médiocrité) Bref, il lui fallait des avis sur la situation, de préférence de quelqu’un qui n’avait pas de passif et qui savait s’il fallait revenir le premier ou se faire désirer.

- T'es sûûûr tu lui as rien fait ?

- Mec, je te jure, la vie de ma mère que j’ai rien fait.

- C'est compliqué quand même les filles.

Hochement de tête entendu, gorgée de sirop, il se retint de dire que les mecs l’étaient aussi et qu’ils étaient en plus encore plus cons – à la place il se remit à se lamenter parce que Bree qui disparaissait ce n’était tout de même vraiment pas bon signe et que ça avait forcément un sens qu’il ne comprenait pas, et peut-être qu’elle s’attendait à ce qu’il comprenne tout seul sauf qu’il échouait lamentablement et peut-être que c’était pour ça qu’il était là à se faire tapoter l’épaule par son barman préféré.

- Mais nan, mais nan, t'inquiète. A tous les coups, c'est juste parce qu'elle sait pas ce qu'elle veut !

- Ouais sûrement…

Et il regarda Noris droit dans les yeux, sourcils froncés et air concentré comme quand il essayait de comprendre les cours d’arithmancie à Hogwarts.

- Non mais c'est simple, c'est que vous êtes pas au même niveau de classement. Tu peux être pote avec celles qui sont pas comme toi. Genre celles qui sont... Hmm des trois sur dix, bah au pire, elles fantasmerons juste sur toi mais ça prendra pas le pas sur l'amitié.

- Ouais je vois, ce n’était quand même pas très gentil, il fallait laisser sa chance à tout le monde, même aux trois sur dix.

Jo touilla sa boisson, se mordillant l’intérieur de la joue avant de se mettre à mâchouiller sa paille alors que Noris donnait ses meilleurs techniques de tombeur. Ça marcherait super hein, mais Jo ne faisait pas dans le date romantique et surtout, surtout, il n’avait pas envie que Bree croit qu’il voulait du sérieux. Il la connaissait, elle allait surement s’emballer et lui ne voulait vraiment pas de ça; il était nouveau dans le game de la relation sérieuse (la seule et unique avait été, well, une catastrophe) et n’était même pas sûr d’avoir envie de se lancer dans l’expérience.

- Va falloir t'y mettre mon vieux ! Français sinon ?

- Bonjour, je m’appelle Joseph ? qu’il dit en français, accent à couper au couteau et air très concentré. Oui oui baguette.

Il n'avait jamais travaillé que pour faire plaisir à sa mère de toute façon, pas comme si l’école l’avait beaucoup intéressé, alors il n’avait plus qu’à roucouler et broyer la langue de Shakespeare.

- En gros, tu veux le beurre, l'argent du beurre et le cul de la crémière, c'est ça ? Mais pas de sentiment.

- Oui ! Noris avait tout compris. Un plan cul quoi, sauf que c’est ma super pote tu vois ?

Rien qui n’était si saugrenu que ça finalement.

- Vu ce que tu dis, c'est pas mieux que vous vous en teniez à amis ?

Ah. Ça donnait matière à réflexion.

- En vrai, je crois que si, genre on a toujours été qu’amis et c’était bien quoi. Et voilà, retour au point de départ : c’était bien avant et ils avaient tout gâché avec Bree, tout ça parce qu’ils avaient forcé sur la boisson. Holala vas y ça m’soule.

Il touilla d’un geste encore plus rageur, air pas très content en se disant qu’il était le roi des cons et que Bree abusait de ouf, que ça ne se faisait vraiment pas et que puisque c’était comme ça, et bien il allait jouer au roi du silence aussi.

- T'sais quoi. J'ai LA solution

- Ah ouais ? Air soudain très intéressé.

- La communication.

- Ah, air beaucoup moins intéressé.

- Tu vas la voir, tu lui dis ce que tu m'as dit, elle te dit ce qu'elle a à te dire et voilà

- Mais j’ai pas envie de lui parler si elle me zappe comme ça, jsuis pas son chien, qu’il dit d’un ton boudeur.

Lowkey culotté il était, lui qui avait ghosté une ribambelle de personnes (au moins, lui n’avait jamais attendu qu’on revienne à lui) mais tant pis, il le pensait et il se sentait d’humeur contrariante.

Noris n’avait pas bien l’air de comprendre de quoi il en retournait vraiment. Ce n’était pourtant pas compliqué : Jo n’avait jamais eu de relation sérieuse et ne pensait pas pouvoir en tenir une à flots, mais il aimait beaucoup Bree, surtout en tant qu’amie mais aussi physiquement, parce que ça matchait tout de même bien et qu’il aurait été idiot de s’en priver – Bref, il voulait seulement ne pas gâcher son amitié mais en profiter quand même un peu, puisque ça fonctionnait, et ça le dépassait de voir que tout était devenu si compliqué. Ça ne l’était pas avec Siham, alors pourquoi fallait-il que Bree leur mette des bâtons dans les roues à tous les deux ?

- En fait, ton problème Jo, c'est que t'es con. C'est pas grave hein, plein de gens le vivent bien..

Regard ahuri relevé vers le sorcier qui balançait la vérité comme ça, sans l’envelopper de papier cadeau. Jo  lâcha un "heyy" offensé mais pas très convaincu, se dit qu’il ne reviendrait plus parce qu’il n’aimait pas trop quand on l’insultait.

- T'es pas content parce que la fille te cause pas mais tu veux pas lui causer non plus, genre tu veux que ça se débloque comment ?

- Bah je sais pas, elle a qu’à me reparler elle, logique, facile, c’était Bree qui faisait toujours le premier pas, elle savait très bien comment faire. Mais elle le faisait pas. Bruit de cœur brisé.

- Puis bon, pour un gars qui veut surtout pas de trucs sérieux, tu veux drôlement te la faire cette fille. C'est un si bon coup que ça pour que tu mettes en péril ton amitié ?

Jo le dévisagea en silence, mâchouillant sa joue pendant qu’il traitait les paroles de Noris. Il faillit lui concéder que ok, il avait peut-être raison, sauf qu’à bien y réfléchir, il préféra froncer les sourcils.

- Mais mec t’as ken récemment ? Bien sûr que je veux me la faire, ça se voit tu sais pas à quoi elle ressemble, rétorqua-t-il alors.

Non mais tout de même, il venait pour les conseils et se retrouvait à se prendre le jugement d’un type qui ne devait pas souvent ramener de filles (ou de mecs) chez lui bien, vu les absurdités qu’il proférait.

- Le truc c’est que ça devrait pas mettre en péril notre amitié, genre pourquoi faudrait choisir ??

En tout cas, ça le faisait chier, Jo n’aimait pas se prendre la tête et s’il fallait vraiment mettre les choses au clair avec Bree (ce qu'il ferait, peut-être, quand il y aurait vraiment réfléchi et se serait bien monté la tête, serait entré en ébullition et serait au bord de l’implosion), cela pouvait attendre encore un peu et en attendant, il avait une petite idée en tête et elle impliquait de retrouver le contact de personnes qui le lui avaient laissé après un "call me" accompagné d’un clin d’œil ou d'un rougissement. Il termina son verre, sortit de quoi régler et le posa sur le comptoir.

- Bon, je vais y aller, c'était cool hein mais peut-être laisse tomber la psychologie genre, enfin tu fais ce que tu veux après, mais bon, il fallait bien qu'il s'occupe le pauvre, surtout quand la seule âme qui traînait était l'ivrogne du coin.

FIN.