L’air était encore doux à la tombée de la nuit sur les quais de Liverpool. Tu avais choisi la cité portuaire, parce qu’elle était suffisamment éloignée des bastions du gouvernement, et qu’elle pullulait encore de moldus, ce qui vous permettrait de passer inaperçu. Alors que tu attendais l’arrivée de ton nouvel informateur, ton regard se perdait au loin, par delà la surface de la mer d’Irlande. Tes pensées ne parvenaient plus à se focaliser sur autre chose que l’horreur dont tu avais été témoin lors de la libération de Gracefield. Il t’avait fallu assister à ce massacre pour te décider à reprendre du service. Cette triste victoire sur les mangemorts t’avait presque redonné foi en l’Ordre. Tout n’était peut-être pas joué d’avance. Finalement, la guerre n’était pas forcément déjà perdue. S’il y avait encore un espoir, aussi maigre soit-il, de renverser la tyrannie de Lord Voldemort et ses sbires démoniaques, alors tu te devais de revenir sur le terrain.

C’était de ton plein gré que tu avais demandé à Molly de te nommer référent auprès des informateurs de la résistance. Excellent timing, Arthur ! Il se trouvait justement qu’un nouvel agent était prêt à être formé. Lotfi Hashimi avait passé le processus de vérification avec brio. Et il disposait d’un atout non négligeable, à savoir des proches au sein de l’Ordre. Tu avais entendu dire que son neveu, Aslan, avait été reçu par Kingsley en personne, à Saint-James. Le petit avait du potentiel, c’était certain. Aussi, tu espérais que les relations de son oncle au sein de la haute société vous seraient tout aussi utiles. Les informateurs de sang-pur étaient précieux pour la résistance, mais leur couverture en était d’autant plus difficile à maintenir. S’engager à renseigner l’Ordre au prix de sa vie était une promesse dangereuse.

Tu n’avais encore jamais rencontré Lotfi en personne. On t’avait simplement montré une photo de lui, découpée dans un article de presse traitant des conférences du Magic Is Life Festival. Il semblait donc être particulièrement bien intégré dans la société sorcière britannique. Voilà qui pourrait faire de lui un informateur de choix. Pour être tout à fait honnête, tu misais beaucoup sur lui. Parce qu’il était ton tout premier informateur, le symbole du renouvellement de ton engagement auprès de la résistance. Tu ne tenais pas à décevoir Molly une nouvelle fois. Tout comme tu espérais que vos entrevues ne mettraient jamais Lotfi en danger. Tu ne pourrais te pardonner qu’il lui arrive malheur par ta faute. Tu te sentais en quelque sorte responsable de lui, bien que vous ayez tous deux à peu près le même âge. Oui, tu prenais ton rôle de référent particulièrement à cœur. Cela avait toujours été ainsi, avant. Avant la mort de Fred, c’était corps et âme que tu t’engageais dans un projet. Et puis, il y avait eu cette impasse dans laquelle tu étais allé te fourrer pendant toutes ces années, trop honteux d’avoir failli à protéger la chair de ta chair. Au bout du tunnel point de lumière, mais bien l’obscurité, la souffrance souillant le sol de Gracefield. Et te voilà aujourd’hui, de retour à la surface.

Derrière toi, des bruits de pas résonnent et viennent t’extirper de tes pensées. Tu reconnais immédiatement l’homme que tu avais vu en photo. Mais avant d’échanger les moindres politesses, prudence oblige. “Quel est le nom de code de votre neveu par alliance ?” Tu n’accepterais pour seule réponse qu’Apophis. La divinité reptilienne qu’Aslan incarnait parmi les rangs de la résistance.

« Allahu Akbar. Murmurait Lotfi, avant de se redresser les mains sur ses cuisses, Rabbighfir li. Allahu Akbar. » La voix du sorcier se mêlait à celle de son épouse installée derrière lui alors qu’ils terminaient la prière de Maghrib. La nuit tombée doucement, alors que les deux époux passaient un moment privilégiés ensemble installés dans la cour intérieure de la demeure Al-Massri. Le sorcier discutait de sa dernière entrevue avec Aphrodisia Fawley, faisant rire son épouse comme rarement il était capable ces derniers temps. Il y a un peu plus d’un mois, ils enterraient l’une de leur nièce, la mort se faisant de plus en plus présente dans leur vie, et même les mariages de leurs enfants avait du mal à percer réellement l’aura sombre qui les enveloppait. Alors, tout moment un peu plus doux, un peu plus intime, était un cadeau d’Allah que le sorcier chérissait et comptait préserver dans sa mémoire. Ils en avaient tant volé des moments lors de leur vie en Egypte, la vie en Angleterre était bien différente et il se réjouissait de cet instant partagé avec son épouse.

« Je suis heureuse que l’on t’offre cette nouvelle opportunité, depuis ce que tu m’as raconté ce qui s’était passé au festival, j’étais inquiète. C’était rare que son épouse lui fasse part de ses sentiments, surtout envers lui. Je ne voulais pas t’inquiéter, je suis désolé. S’excusait-il en offrant une fleur d’oranger à son épouse en guise de pardon, cette dernière esquissant un sourire amusé avant de la glisser entre les plis de son voile. J’ai parfois peur qu’en te demandant d’être prudent, je te demande de ne pas être toi-même. Je le vois parfois, quand tu te retiens, quand tu encaisses, quand ça te heurte… - Il n’y a que toi pour déceler ces subtilités. - J’ai encore des choses à apprendre, je dois m’en remettre à des techniques que tes sœurs m’ont confié. - Oh ? Tu conspires avec mes sœurs maintenant. Riait-il doucement. Je ne voulais pas que tu en arrives là, tu sais que tu peux tout me dire, même si je suis la source de tes inquiétudes. Et avec tout ce qui s’est passé ces derniers mois, je trouvais cela normal d’être d’abord là pour vous. Il lui souriait, même l’homme qu’il était ne pouvait pas être infaillible constamment, et c’était bien à son épouse qu’il confiait la plupart de ces maux, après son grand-père. Je suis aussi là pour toi 'amali. » Lotfi le savait, alors qu'il enlaçait son épouse, déposant un baiser sur son front. Il n’avait jamais été très doué pour demander de l’aide, surtout à ses proches.

Et c’était pour cette raison qu’il s’était tourné vers l’Ordre et ses nièces après le festival, c’était moins difficile de demander de l’aide à l’extérieur et de proposer la sienne en retour. Un parcours qui était assez compliqué (mais il ne s’en formalisait pas, il comprenait l’importance de protéger l’Ordre et ses membres) et plus les semaines passées, plus il fut d’abord anxieux, puis simplement soulagé lorsque son neveu lui annonçait qu’il ferait la rencontre de son contact et référant, afin d’officialiser son intégration. Évidemment, il n’avait mis personne au courant, seul Aslan finalement le savait, aujourd’hui ses nièces ayant quitté ce monde. Le sorcier ignorait si épouse le soutiendrait dans cette démarche, et il était hors de question de la mettre elle, ses enfants ou même ses sœurs et son frère au courant. Ça serait le prix à payer pour aider la cause, ranimer la flamme et finalement ne pas perdre cette part en lui dont parlait Leila.

Un secret qu’il partagerait donc avec un certain Daedalus, dont on avait fait la description sans plus de détail. Lotfi débarquait à Liverpool après un transplanage contrôlé, il était parti après avoir effectué la prière Isha, Leila ayant un repas prévu avec quelques amies, et lui profitant de ce temps libre pour vaquer à ses occupations. Il restait serein, bien qu’anticipant ce premier rendez-vous. On lui avait donné quelques instructions, notamment s’assurer qu’il n’était pas suivi, qu’il pouvait toujours justifier son absence ou déplacement, qu’on lui demanderait un moyen de s’identifier -dont il ignorait la nature ou méthodes, tout un rouage bien ficelé qui mettait l’Iranien en confiance. Les deux hommes allaient dépendre l’un de l’autre, il espérait qu’ils pourraient bien s’entendre. Nerveux, mais déterminé, il prenait la direction des quais, ayant troqué sa tenue sorcière traditionnelle pour un cuir et un jean bien plus passe-partout. C’était une première rencontre, et le sorcier assumait que l’homme qui se tenait sur le bord de l’eau, le regard vers l’horizon devait être son contact.

L’inconnu était alerte, puisqu’il se tournait vers lui avant même que Lotfi ait atteint le bout du quai, et sans introduction, gardant chacun leur distance, venait sa première épreuve. « Quel est le nom de code de votre neveu par alliance ? - Apophis. Répondait Lotfi esquissant un sourire sincère à l’évocation de son neveu, vous devez être Daedalus. » Puisqu’il ne connaissait pas encore le vrai nom de son contact et qu’ils n’avaient pas eu la chance de se croiser par le passé, le voici qu’il se jetait dans l’inconnu. Il tendait sa main, en direction de son interlocuteur révélant un peu de son bras tatoué sous la manche de sa veste. « Heureuse coïncidence, je suis moi-même inventeur. » Ajoutait-il dans son accent anglais presque parfait. Coïncidence ou non, il était curieux d’en savoir un peu plus sur son contact, bien qu’il était conscient qu’il s’agissait avant tout d’un rendez-vous risqué et professionnel. « J’espère ne pas vous avoir fait attendre. »

Cette rencontre n’était absolument pas anodine. Elle représentait une forme de danger pour l’un comme pour l’autre. Il aurait suffit que vous vous retrouviez au mauvais endroit au mauvais moment pour que tout dérape. Par les temps qui courent, il était tout bonnement insensé de prendre de tels risques. Et pourtant, te voilà à attendre un inconnu, qui n’aurait absolument aucun mal à te tendre un piège et te mener dans une embuscade s’il le souhaitait. Après tout, tu ne savais pas grand-chose de Lotfi, si ce n’est que son neveu Aslan s’était porté garant de lui. Néanmoins, lorsque le sorcier fit son apparition, tes craintes s’affaissèrent quelque peu. Bien sûr, les célèbres paroles d’Alastor te restaient en mémoire “vigilance constante". Mais force était de constater que l’homme te faisant face inspirait instantanément une forme de bienveillance et de respect. Loin de s’offusquer de ton absence de salutation et de ta question abrupte, c’est avec un sourire courtois qu’il répondit sans ciller. “C’est exact.” Difficile de savoir si tu faisais allusion au nom de code d’Aslan, ou bien au tien, que Lotfi avait également mémorisé. Et visiblement, il semble plutôt bien renseigné sur ton compte. Le parallèle qu’il dresse entre vous t’arrache inévitablement un mince sourire. Tu retiens non sans mal ton enthousiasme. “C’est ce que j’avais cru comprendre en lisant un article à propos de votre intervention au MILF. A l’occasion, il faudra que vous me parliez de votre spécialité.” Tu as beau vouloir demeurer sur tes gardes avant d’en apprendre plus sur ses motivations, tu ne peux tout simplement pas t'empêcher de rebondir sur le sujet des inventions et autres expériences menées par Lotfi.

D’un revers de la main, tu balaies nonchalamment sa question quant à ton heure d’arrivée et à la possible attente que tu as dû endurer. “Je préfère arriver quelques minutes en avance, afin de scruter les environs.” Ces longues années passées à fuir, à se cacher, à mener des actions secrètes, avaient fait de toi un tout autre homme. Elles t’avaient façonné de manière bien plus brute que ta vie d’avant. A l’époque, où tu étais encore employé au Ministère de la Magie, il n’était pas rare que tu arrives en retard, parce que tu n’avais pas vu le temps passer auprès de Molly ou des enfants. Désormais, te voilà toujours plus que ponctuel, à inspecter les lieux de rendez-vous avec une méfiance maladive. “Marchons un peu, si vous le voulez bien. Ainsi nous attirerons moins l’attention.” Tu ouvres le bal et entreprends de progresser le long des docks. Tu ignores si Lotfi était déjà venu ici. En tout cas, toi, tu avais toujours nourri une certaine affection pour cette ville portuaire si affairée le jour, et étrangement si calme à la nuit tombée. Tu aimais l’atmosphère qu’il se dégageait du port au crépuscule. Le calme avant la tempête. Voilà qui faisait irrémédiablement écho à ta propre existence. “Je vous avoue que je suis curieux de savoir ce qui pourrait pousser un sorcier émérite, sang-pur de surcroît, à mettre son existence en péril afin de renseigner la résistance. Pourquoi tout risquer alors que vous semblez si bien intégré dans la société sorcière britannique ?”