"Attends." Corban s'arrête. Devant lui, Boris prend bien le temps de taper du talon pour manifester son mécontentement. Corban l'ignore, à vrai dire, il ne lui fournit même pas d'explication supplémentaire, tandis qu'il se penche vers la vitrine poussiéreuse et sombre de l'enseigne de prêteur sur gages devant laquelle il s'est figé. "Reste là." "Heee, ouais mais j'me les caille, là!" ronchonne le vampire qui se frotte les épaules.

Corban pousse la porte, retenant son souffle quelques secondes pour se préserver de l'odeur de vieux et de mystère qui pèse dans l'échoppe surchargée. Il se manifeste d'un concis "Bonjour—" un peu en l'air, absorbé par les montagnes de gadgets et de vieilleries qui s'entassent parfois jusqu'au plafond.
Il ne prête même pas attention à Boris qui, retors, est rentré à son tour, bien décidé à se réchauffer un peu les miches. "Putain, on dirait le bureau de Wickham," qu'il ricane doucement, avec ce timbre de voix feutré qu'on a l'habitude d'adopter dans un lieu silencieux.

Corban se passe une potion désinfectante sur les mains, tout en hélant par-dessus les étales le propriétaire qu'il n'a pas encore cherché à croiser. "Excusez-moi! Vous n'auriez pas reçu une g—" "Nan mais alors toi?! Sale fils de troll sa mère la p—" Corban sursaute et fait volte-face en direction des hurlements de Boris. Il a seulement le temps de voir sa silhouette longiligne et drapée de noir remonter les allées jusqu'au fond de la boutique.
Suivant la flopée d'insultes qui semble ne plus vouloir s'arrêter, le Mangemort s'élance à la poursuite du vampire qu'il retrouve à moitié grimpé sur le comptoir de la caisse, un index menaçant celui qui semble tenir la boutique. "Mais qu'est-ce qui lui pr—" Corban siffle et d'un moulinet de sa baguette, active la rune dans la nuque du vampire pour le calmer un coup. Les mouvements sont vifs et autoritaires, et Corban pourrait aussi bien être en train de tirer sur une laisse invisible le reliant à l'hémovore furax.

"Je vous prie de l'excuser pour ça— Bagshot! Calme!" aboie-t-il en repoussant le vampire qui s'égosille toujours jusqu'à la porte de sortie, comme on tirerait par le collier un chien de combat.
Ce n'est qu'une fois qu'il a refermé la porte, sous le regard sidéré du vampire collé à la vitre, encore un poil fulminant mais surtout confus, que Corban retourne voir le mystérieux prêteur sur gages.
Il s'époussète la manche. "Toutes mes excuses, monsieur; je comprends vraiment pas ce qui lui a pris..." Il détourne son regard de Bagshot. "D'habitude, s'il montre une... inclination pour les hommes de votre âge, ça n'est jamais avec autant d'agressivité..." explique-t-il comme si Boris n'était qu'un caniche géant habitué à grimper sur la jambe du premier venu (ce qui était effectivement la vision que Corban s'en faisait). Le Mangemort détaille enfin la dégaine de l'homme en face de lui ; bourru, tatoué, n'a sûrement pas croisé l'ombre d'une douche depuis quelques jours. Il pince les lèvres, fouillant dans la poche intérieure de sa cape pour en sortir une liasse de parchemins. "Je ne vous recommande pas de porter plainte, ceci dit, sauf si la paperasse n'est pas quelque chose qui vous effraie." Corban plisse les yeux, à ça de se demander si le bougre sait seulement écrire. "Vous lui avez fait quelque chose?" demande-t-il du bout des lèvres, suspicieux.

C’est d’un pas lourd que tu sors de là, comme si on te tirait d’une grosse sieste (ce qui est pas loin d’être vrai, vu la monotonie qu’est ta vie depuis que tu t’es échoué ici). Pas que t’étais totalement assoupi, mais y a toujours un truc lent et ronflant dans tes attitudes quand on te trouve derrière ton comptoir, aux antipodes de l’excitation qui t’anime (enfin, t’animait) quand tu foules (enfin, foulais) le terrain de tous les dangers. Quelle n’est donc pas ta surprise de voir une grande gigue te foncer dessus, mugissant dans le calme assommant de ta boutique dont l’amas d’objets se mettrait presque à trembler. Quoique. Si ledit amas est aussi blasé que toi, y a pas grand-chose que les décibels hystériques de l’énergumène pourraient faire grelotter : à ta gueule et à l’indifférence générale exprimée par les babioles en place, on sent que la surprise, elle a comme des airs de déjà-vu. Pour autant, tu restes un minimum sur tes gardes, la main s’armant d’un canif en obsidienne (plus tape-à-l’œil qu’insolite, le genre de connerie que les ados t’achètent pour se donner un genre) et les bottes s’arrêtant net, bien avant d’atteindre leur position habituelle. Ben, ouais, y a quand même un hybride qui est en train de s’étaler sur ton comptoir façon danseuse de charme, le sourire en moins, et les crocs en plus. T’aurais eu du mal à t’en dépêtrer, de celui-là, heureusement qu’il est accompagné et plutôt bien maîtrisé.

C’est à ce moment-là seulement que tu remarques la présence du second type, aussi guindé, si pas plus, que le premier. Quand celui-là est chassé dehors, ta grimace, suspendue tout le long de l’esclandre, s’étiole un peu. Pas assez pour effacer le patibulaire de ta gueule mais c’est un début. Ça va que les hybrides représentent une grosse partie de ta clientèle, parce que tu les aurais volontiers bannis de ta boutique, sinon, comme tu le fais déjà avec ces harpies de malheur. « Toutes mes excuses, monsieur ; je comprends vraiment pas ce qui lui a pris... » Haussement de sourcil. Tu reprends ta progression en redéposant le canif noir sur le meuble où tu l’as pris, le geste plus fainéant encore qu’à ton arrivée. Le regard plus renfrogné, aussi. « D'habitude, s'il montre une... inclination pour les hommes de votre âge, ça n'est jamais avec autant d'agressivité... » On t’en sert, de ces détails, dites donc. Ça te change des mecs taiseux qui entrent et repartent sans piper mot. D’une œillade, t’avises le trublion dont il est question, gentiment posté derrière la porte (qu’il y reste : t’as remarqué que son tatouage était rouge sang et t’as pas tellement envie qu’il égare une canine sur toi, même pour te papouiller). « Je ne vous recommande pas de porter plainte, ceci dit, sauf si la paperasse n'est pas quelque chose qui vous effraie. » Négligeant le tabouret sur lequel tu te perches parfois, tu plies ta carrure de buffle vers l’avant jusqu’à ce que tes coudes et avant-bras trouvent le relief dur de la vitre qui forme en partie ton comptoir. T’y abandonnes tout ton poids, ce qui fait légèrement craquer les charnières et tes vieilles articulations, puis souffles depuis tes naseaux tout l’enthousiasme que t’inspire le col blanc et ses papelards.

En croisant les bras, tu penches un peu la tête, empruntant aux créatures que t’as chassées toute ta vie leur comportement animal : et d’observer d’abord les parchemins, avec une curiosité sans-façon, puis par en-dessous le visage inquisiteur, qui te surplombe légèrement maintenant que t’es courbé. Considérant cette histoire de paperasse nulle et non avenue, t’embraies aussitôt sur un « ça fonctionne comment votre truc ? » estimant aussi peu l’interrogation dont s’est fendu le visiteur que ses indications procédurières. Quelques indices flagrants te font penser qu’il s’agit d’un bonze du Ministère, mais c’est pas tellement son identité qui t’intrigue, sinon ce qu’il est capable de faire avec un hybride (tu les savais bridés et vite-fait utilisés par le Gouvernement mais t’en avais encore jamais croisé un à un tel niveau de sujétion). « Vous moulinez de la baguette et il obéit à tout ? C'est aussi simple que ça ? » Ta trogne s’est détendue, comme si tu papotais de la pluie et du beau temps, elle reste rivée vers le type en attendant qu’il réponde, lui. Tout est une question de deal, avec toi. Des pièces pour une breloque. Une info pour une autre.

La nonchalance du prêteur sur gages ne fait qu'accentuer la nervosité et la rigidité de Corban. Droit comme un piquet de l'autre côté du comptoir, il toise l'autre homme, en attendant qu'il articule un mot. Son argumentaire est prêt, histoire de lui faire passer le goût de se lancer dans une procédure de plainte contre l'hybride qui piaillait dehors. Oh, Corban ne comptait pas faire ça par bonté d'âme, seulement par gain de temps... Et peut-être aussi parce qu'il s'était trouvé dans une position délicate quelques minutes auparavant, et qu'il éprouvait le besoin de se reconstruire une illusion de pouvoir.

Aussi, à mesure que Göran s'affaisse sur son comptoir, Corban se redresse, le menton haussé, le sourcil inquisiteur, ses doigts pianotant nerveusement les uns contre les autres. Visiblement, le propriétaire des lieux savait lire, donc, à voir le temps qu'il met à ouvrir le bec. Autant de temps que passe Corban à le toiser plus ou moins discrètement, appréciant le volume de la bête. Bah, Corban était un chasseur, il en fallait plus pour le décourager; au contraire, plus la cible était imposante, plus le trophée faisait son petit effet dans son nouveau salon. Il juge du coin de l'œil la tignasse argentée un peu dans tous les sens, les racines luisantes vraisemblablement de gras, la barbe bleuissant ses mâchoires relâchées, les tatouages sur les mains... l'une de ses pognes d'une couleur légèrement différente de l'autre?? What?

"Ça fonctionne comment votre truc ?" Corban tressaille quand l'œil bleu presque transparent trébuche dans son regard de fouine. So he does talk.
Il cligne plusieurs fois des yeux, baillant aux corneilles ; pensant que l'individu se prononçait au sujet de la plainte, le Mangemort ne s'attendait pas à une telle audace. Mais tout va bien, son argumentaire est prêt. Il va pour répliquer lorsque le titan reprend: "Vous moulinez de la baguette et il obéit à tout ? C'est aussi simple que ça ?" La confusion finit de froisser le visage artificiellement lisse de Corban, tandis qu'il établit les connexions. "Oh, vous voulez parler de ça!" Un geste vif du menton pour désigner Bagshot par-dessus son épaule.

Il se masse l'arcade sourcilière, laisse échapper un ricanement confus qui crisse comme une porte hors de ses gonds. "En quelque sorte, oui, qu'il se vante d'un haussement d'épaules. Enfin, c'est aussi parce qu'ils sont marqués." Il se tapote l'arrière de la nuque. "Et nous aussi." Il remonte la manche de sa veste de costume taillée sur mesure, découvrant son tatouage handler (il garde la surprise de la Marque des Ténèbres pour plus tard, si l'énergumène décide out of nowhere de lui tenir tête). "Corban Yaxley, chef de la Values Brigade." Petit sourire de commercial infâme, en plus de l'ébauche d'une main tendue vers le butor ; Corban regrette aussitôt cette décision en imaginant la poigne ferme et un peu crasseuse qui l'attend à l'autre bout...
"Vous auriez bien besoin d'un tatouage de ce genre, si je ne m'abuse..." juge-t-il bon de plaisanter. Le bougre a esquivé sa fichue question; aussi, il n'en démord pas, comme en témoigne son rictus à pleines dents de bachelor insupportable.

« Oh, vous voulez parler de ça ! » T’aurais pas dit mieux. Même si t’as jamais rien eu contre les hybrides (on taira quelques transaction douteuses survenues du temps de Malte, m’enfin, les affaires sont les affaires), il faut avouer que depuis la malédiction tu souffres d’une certaine aversion conditionnée : s’ils ne t’insultent pas toi et tes morts, ils te cherchent des noises. Ça commence à bien faire. Déjà que ta retraite anticipée t’emmerde, c’est pas pour ajouter en plus une couche de cris et de poings qu’il te faut gérer H24. Le rire du type (assez proche de celui d’une banshee, si les banshee savaient se fendre la poire) te ramène à sa figure. « (…) Enfin, c'est aussi parce qu'ils sont marqués. » Bête curieuse, tu suis son mouvement du regard. « Et nous aussi. » Déboulant cette fois sur le tatouage, tes yeux clairs et usés l’auscultent, tandis que l’information chemine tranquillement dans ton cerveau embué (décidément, t’as pas eu de client aussi loquace et intéressant depuis un bon bout de temps, ça te dérouille la sapience).

« Corban Yaxley, chef de la Values Brigade. » Ew. Tu te redresses péniblement, quittant ta posture somme toute confortable pour prendre en hauteur, et en distance. Ta première impression était donc la bonne, il est bien du Ministère : premier point noir qui te fait instantanément regretter l’absence de Gina (et sa verve autrement plus diplomatique que la tienne). Second point noir, c’est un ponte. Si les autres peuvent devenir un problème, lui a le pouvoir de devenir un très gros problème. Sans grand engouement, tu lui tends la pince, choisissant délibérément la droite pour éviter à la gauche d’engager les hostilités (en lui foutant une tarte ou en lui trouant du doigt la narine, qui sait, ta main vaudou est d’une excentricité ahurissante, surtout quand ce satané Ephraim néglige de son côté l’entrave magique). Si on se demande : oui, tu lui broies les os. S’il te demande : non, c’est pas fait exprès. T’as le gabarit pour justifier ta poigne, ça passera crème.

Bon, pas trop non plus, t’as pas follement envie d’agacer le chef de ces mêmes chieurs qui viennent de temps en temps fouiner par ici. Tu relâches. « Vous auriez bien besoin d'un tatouage de ce genre, si je ne m'abuse... » Et, pris par le tourbillon de vérité qu’est son constat, avoues : « clairement. » C’est qu’il est malin, en plus d’être haut gradé. Tu te rends bien compte qu’il ne lâche pas le morceau, et ne le lâchera probablement pas, même et surtout si tu déploies monts d’astuces (sensiblement moins compétentes que sa maestria rhétorique, ça, t’en doutes pas). Grattant d’un ongle de pouce ton sourcil, tu t’assois finalement sur le tabouret qui, lui aussi, craque des boulons. Depuis quelques secondes, ton air pensif donne l’impression que tu médites la chose (avoir un tatouage du genre), mais t’es surtout envahi de fatigue à l’idée même d’aborder le sujet (ta malédiction). Parce que de toute évidence, tu vas en causer. T’as strictement rien à perdre et c’est un secret pour personne dans l’Allée des Embrumes, et quelques autres coins sordides ou mal fréquentés du Londres sorcier. « J’attire leurs foudres comme une ribaude s’attire les morpions. » Ça te fait grincer des dents, rangée sciée par des décennies de plats carnivores où luisent quelques éclats d’or. T’apposes tes avant-bras sur la vitre en joignant tes grandes pognes tatouées. La différence entre tes doigts morts, et vivants, est encore plus flagrante. Les deux index se dressent cependant à l’unisson, indiquant, sans lever les paumes, l’hybride qui poireaute dehors. Manière de le prendre pour exemple. « Et c’est pas les pires. Les bestioles aussi elles en veulent à mon cul. Ironique, non ? » Non, bah non. Comment Corban Yaxley, chef de la Values Brigade, pourrait-il estimer le degré d’ironie de ta malédiction ? Même si t’avais fait l’effort de te présenter, il t’aurait ni remis, ni calculé. « Bon », t’enchaînes, balayant le sujet d’un soupir de buffle, « vous vouliez quoi ? » T’as décidé que t’allais rester sage. Pas forcément aimable.

Sous le regard méfiant de Corban, l'individu se met en branle et se redresse enfin. Le sourire du Mangemort se casse progressivement la gueule, à mesure qu'il prend conscience de la différence de taille, que ce soit en hauteur comme en tour d'épaules. Bah, Corban n'a jamais fait partie des plus grands de la classe, ni des potentiels joueurs de Quidditch de Serpentard. De fait, pour compenser, il avait toujours su s'entourer de gros bras (Buck) pour faire le sale boulot à sa place. Son poste à la tête de la Values Brigade n'était que l'achèvement de nombreuses années à manipuler à sa guise ses bras armés et dépourvus de cervelle. Il avait fini par croire que l'un faisait toujours défaut à l'autre.

Et, à en juger par la force que le mystérieux prêteur sur gages met en lui serrant la main, son cerveau ne doit pas faire plus que la taille d'un vif d'or (en moins vif, cela va de soi). Corban, pris par surprise, contient mal sa douleur, à voir comment la tension le fait se dresser sur la pointe de ses chaussures vernies, crispant tous ses maigres muscles jusqu'au bout de ses doigts qui tentent en vain de s'écarter, écrasés par la poigne puissante, avant de se résoudre à lui rendre son salut. Lorsqu'ils se lâchent, Corban rabat aussitôt sa main le long de sa jambe, pliant chaque doigt tour à tour, afin de vérifier qu'ils n'ont pas été pétés entre temps.

Le géant s'assoit et finit par distribuer des explications du bout des lèvres. Corban sent de là sa bouche pâteuse, relevée d'un œil intimidant et pourtant las, preuve qu'il était rompu à l'exercice. L'écoutant attentivement, Corban ne peut s'empêcher d'observer du coin de l'œil ses mains de deux couleurs de peaux différentes... Comme si l'une était passée de date... Même les quelques tatouages imprimés sur ses phalanges étaient complètement différents, dans le contenu comme dans le style (oui, Corban s'y connait un poil en tatouages, pour avoir fréquenté Buck et son musée des horreurs à même son épiderme).

"J’attire leurs foudres comme une ribaude s’attire les morpions. Et c’est pas les pires. Les bestioles aussi elles en veulent à mon cul. Ironique, non ?" Le regard de Corban se détache des claquoirs douteux pour épingler le regard du marchand; aucune opinion sur la qualité dudit cul pour le moment. Il a froncé les sourcils et plissé les yeux, lui secouant ainsi sa curiosité sous le pif. Mais apparemment, le géant en a jugé autrement. "Bon, vous vouliez quoi?" Comme tiré d'une transe, Corban cligne des yeux, semblant infoutu de se rappeler pourquoi il était entré dans un premier temps.
S'il se souvenait, ça ne valait pas le plan qui se profilait d'ores et déjà derrière son regard de fouine. Une fois de plus, ses lèvres pincées s'étire pour l'aguicher d'un rictus mutin. "Ça n'a plus vraiment d'importance... J'ai quelque chose de mieux à vous proposer."

Il fouille de nouveau dans la poche intérieure de sa cape, en ressort des liasses de parchemin tamponné du sceau de la banque sorcière, ou de celui du Ministère, autant de sigles ronflants qu'il savait peu efficaces auprès de la bête, mais bon, c'était pour illustrer son argumentaire. "J'aimerais me payer vos services—" entame-t-il en lissant la paperasse sur le comptoir. "Rien à voir avec le Ministère, ne vous en faites pas, c'est pour une requête personnelle; je suis chasseur sur mon temps de loisir, et collectionneur, de surcroit. Ça fait quelques mois que je traque ce kelpie dans les landes sans parvenir à mettre la main dessus..." Coup d'œil incontrôlé vers sa mystérieuse main moisie. "Et si j'en crois votre petite malédiction ou quoi que ce soit, je n'ai qu'à vous emmener avec moi pour que la bête sorte de son trou..." Le discours est tenu d'un ton badin, souriant, mais Corban se doute bien que le butor ne serait pas dupe longtemps, aussi le prend-il de vitesse. "Vous joueriez l'appât, qu'on se le dise; mais j'assurerai votre protection, bien sûr... si vous ne pouvez pas l'assurer déjà vous-même." Coup de menton en direction de sa stature vigoureuse.

"Vous serez rémunéré, bien entendu", il tapote les papiers du bout des ongles. "Et si vous le voulez, je peux même vous recommander un... médicomage pour votre petit problème dermatologique..." Cette fois-ci, il fronce les sourcils avec un peu de dégoût en adressant finalement l'oliphant dans la pièce en l'organisme de son bras décrépi. "Une escapade dans la nature, tous frais payés, et un bonus si la bête y passe; qu'en dites-vous?"

« (…) J'ai quelque chose de mieux à vous proposer. » Ta gueule de maquignon se tourne plus précisément vers lui, qui se remet à farfouiller dans sa cape pour ressortir d’autres (les mêmes ?) parchemins. Ce qui fait te demander de une, combien de papelards il se traîne sur lui, et de deux, où il veut en venir. En louchant sur les sceaux (quoi d’autre, de toute façon, tu ne sais pas lire, raison pour laquelle son intervention procédurière a été éludée plus tôt) t’as un sourcil qui tressaute et la mâchoire qui se déboîte un peu sur le côté en une grimace ravie : pas tant pour l’oseille que les parchemins promettent, que pour la négociation que tu sens poindre. « J'aimerais me payer vos services », tes naseaux soufflent un rire de nez inaudible, t’avais pas entendu cette phrase depuis des lustres. « Rien à voir avec le Ministère, ne vous en faites pas, c'est pour une requête personnelle », ça devient de plus en plus intéressant, tu lèves tes orbes jusqu’à son faciès propre et impeccable, limite artificiel, « je suis chasseur sur mon temps de loisir », t’en es surpris et tu le caches pas, ce qui, mélangé à ta nonchalance, donne à tes airs une attitude moqueuse, « et collectionneur, de surcroît », en vrillant ta nuque épaisse, t’as la tronche qui file à droite et envoie ton regard dans le décor sombre et lugubre de ta boutique. Sourire froid. Celui du glaiseux que t’es et qui ne pigera jamais les hobbies des aristos (en attendant, ça reste des loisirs lucratifs pour des mecs comme toi qui voient en des mecs comme lui des pigeons clients faciles).

« Ça fait quelques mois que je traque ce kelpie dans les landes sans parvenir à mettre la main dessus... » Tu désenlaces tes doigts et fais glisser les paumes contre le comptoir en les reculant vers toi, avant de croiser les bras sur ta bedaine de vétéran qui ne bouge clairement plus assez. Tes pupilles sont presque dilatées de trop fixer Yaxley. « Et si j'en crois votre petite malédiction ou quoi que ce soit, je n'ai qu'à vous emmener avec moi pour que la bête sorte de son trou... » Pas de réaction, pour le coup. Mais c’est la deuxième fois en cinq minutes qu’il te surprend : l’opération est franchement suicidaire et il te lâche ça comme s’il te négociait un service à thé pour sa grand-mère. Soit c’est un crétin, doublé d’un inconscient, soit t’as pas été suffisamment clair sur le degré de danger que représente ta petite malédiction. Tu le laisses néanmoins poursuivre, curieux de voir jusqu’où il va aller (maintenant que tu connais plus ou moins la direction empruntée). « Vous joueriez l'appât, qu'on se le dise (…) », sans pour autant te braquer, tu reconnais là l’honnêteté fourbe du marchand : conforter pour mieux embobiner (si seulement t’étais aussi perspicace de manière générale…), un rictus naît à la commissure de tes lèvres et crève aussitôt, « mais j'assurerai votre protection, bien sûr... si vous ne pouvez pas l'assurer déjà vous-même. »

T’es lentement en train de te dire que son plan n’est pas si foireux que ça. Pour toi, en tout cas, à qui la vie de braconnier manque cruellement. Et qui vois maintenant, en ce gringalet snobinard, un moyen un peu moins dangereux de s’amuser comme quand tu files dans le nord pour prendre l’air (à la différence près qu’aucun individu n’avait jusqu’alors été assez fou pour t’accompagner et flanquer l’aimant à emmerdes que t’es devenu). À aucun moment l’idée que le chef de la VB t’utilise comme appât bien au-delà du simple concept ne te traverse l’esprit : t’as la confiance énorme et grasse d’un type né pour démolir des gueules et à qui on cherche rarement des noises. Excès de confiance qui a plus d’une fois excédé Iggy : s’il était là, d’ailleurs, il te dirait de remercier poliment l’individu et de le conduire tout aussi poliment vers la sortie. Hélas, Iggy n’est pas là et tu ne fais rien de tout ça. Pire, t’encourages Yaxley à continuer en ne l’interrompant pas. « Vous serez rémunéré, bien entendu », ton regard tombe sur les parchemins et les ongles qui pianotent sèchement dessus (de les entendre, ton bras gauche est secoué par un spasme réactif que ta posture parvient vaguement à cacher). « Et si vous le voulez, je peux même vous recommander un... médicomage pour votre petit problème dermatologique... » À ton sourire, soudain immense, plein d’émail à l’hygiène douteuse, on sent combien son dégoût t’amuse. T’es tenté de lui empoigner une épaule avec ta barbaque de macchabée (ils détestent tous ça, déjà parce que cette proximité fait couiner ceux qui ont l’odorat sensible, et puis parce que ça porte malheur, à ce qu’on dit dans le milieu), mais tu restes, encore et toujours, sage. Si ce n’est que tu marmonnes un « ça ira merci » sans te départir de ta risette. Note à toi-même : creuser plus tard cette histoire de réseau, peut-être que la sommité a dans son carnet d’adresses des fréquentations qui pourraient t’être utiles. « Une escapade dans la nature, tous frais payés, et un bonus si la bête y passe ; qu'en dites-vous ? – O.K. », ça t’aura pris une seconde et demie pour répondre du fin fond de ton poitrail (et bedaine), probablement moins pour trancher en sa faveur. « Mais à une condition », t’ajoutes cependant, toujours dans l’esprit de négociation et de l'escalade des profits, « si la bête y passe, c’est un bonus et un nom. » Sans bouger, et sans plus sourire, tu précises : « celui de l’enflure qui m’a maudit. » Enquête complexe s’il en est, pour ne pas dire impossible à mener, mais il a l’air plein de ressources et t’es plus à un coup de poker près. « Marché conclu ? »

Corban ne saisit pas pourquoi ce vaisselier fait homme a l'air moins importuné par son bras pourrissant à vue d'œil que par l'ire qu'il provoque chez de vulgaires bestioles. Bah, au vu des fripes qui font difficilement le tour de ses épaules, ce n'est pas l'odeur qui doit le déranger... La confusion froisse les coins du nez de Corban, brièvement, puisque le lourdaud accepte son offre avec plus d'entrain qu'il l'en pensait capable. Une fois encore, le Mangemort est pris de court, à voir comment ses doigts tripotent nerveusement ses papiers. "Fantastique—" "Mais à une condition," les coins de la bouche de Corban s'étirent dans un sens, ses sourcils se comprimant dans l'autre. Il se voit déjà obligé de lui dire que non, il ne peut pas effacer son casier judiciaire; le nettoyer, peut-être, mais rien de plus, "si la bête y passe, c’est un bonus et un nom. Celui de l’enflure qui m’a maudit. Marché conclu ?" Ses yeux noirs balayent tour à tour la trogne du géant et son bras, infichu de savoir de quelle malédiction il parlait, se demandant même pendant un instant si les deux phénomènes n'étaient pas liés... "Bien sûr; je devrais pouvoir vous dégoter ça..." accepte-t-il d'un haussement d'épaules rigide et fier, exhibant ainsi à quel point son bras était long et son carnet de contacts bien remplis... Quant au fait que l'armoire à glaces veuille se débarrasser d'une malédiction aussi utile à Corban... bah, il trouverait bien quelqu'un pour récupérer le colis...

Le Mangemort extirpe de sa poche (décidément) une plume de voyage (c'est genre une plume, sauf que la partie soft est protégée par une coque; un stylo plume en somme, les sorciers se compliquent vraiment la vie pour rien), griffonne quelques notes sur un coin de parchemin, une série de chiffres. "Tachez de vous libérer pour le week-end prochain; je passerai vous chercher. Je m'occupe de l'intendance, donc vous n'avez qu'à vous charger de votre strict nécessaire..." Corban se doute bien que le strict nécessaire d'un tel animal se résumait à une poche de couteaux et du tabac à chiquer... pas l'ombre d'une brosse à dents à l'horizon, quoi.
Corban remballe sa paperasse, une pointe d'excitation rendant ses gestes plus hâtifs. "Je verserai la première moitié du paiement à notre départ; la seconde moitié arrivera une fois la bête mienne. Quant au nom, vous aurez tout le loisir de me briefer sur le chemin; en espérant que vous serez plus loquace qu'au sujet du vôtre."

Appuyé d'un dernier et aimable sourire (Corban est ravi, ça va faire six mois ans que ça n'était pas arrivé), il tourne les talons. "Un plaisir de faire affaire avec vous, chef!" Et de quitter la boutique, manquant d'oublier Bagshot si le vampire ne s'était pas lancé sur ses talons.

++

"On ne devrait plus être très loin..." Les bourrasques de vent font claquer la cape de Corban, mettent à mal ses cheveux magiquement plaqués en arrière. Il fait encore sombre, malgré le lumos qui chauffe le bout de la baguette de Corban. Il venait de les faire transplaner en haut d'une falaise surplombant un lac aux eaux plus noires encore que le fond de la nuit. "C'est maintenant que les choses vont se compliquer, je suppose..." soupire-t-il en posant son sac de voyage sans fond par terre. Dans la pénombre, tournant autour d'eux, des cris de bestioles et des grognements de créatures surexcitées par la présence du maudit.
Mais Corban est encore propre sur lui, dans son petit outfit de chasseur sorcier on point, magiquement chauffé pour l'isoler du froid de septembre, alors il fait preuve d'optimisme.

Il allume plusieurs lanternes autour de leur lieu de camp, une poignée d'arbres les protégeant plus ou moins du vent; hors de question de s'abriter dans la forêt, au risque que son comparse se fasse bouffer le cul une fois posé dans la tente. "Je vous laisse défaire la tente, je vais monter la garde." (Oui, c'est une réplique de la tente qu'il utilisait pour aller chasser avec Buck, parce que drama) "J'ai loué une embarcation qui nous attend sur la plage en contrebas, j'espère que vous n'avez pas peur de vous mouiller..." Un coup d'œil en coin, luisant à la lueur des lanternes comme une pièce d'argent au fond d'un puits. Il avait omis ce premier détail, le début d'une longue liste de détails qui allaient leur mener la vie dure.

Comme attendu, la forêt est hystérique. Elle gueule autour de vous tout ce que ta carcasse maudite inspire à sa faune ; t’as bien lâché quelques œillades moyennement sereines à votre arrivée, mais à présent que vous êtes au pinacle de la falaise, t’as plus d’yeux que pour le vide. Enfin, le lac. T’as pas le moral encore assez bas pour qu’un précipice du genre t’attire et t’entraîne. Le lac, donc, noir de jais, est de temps en temps secoué par la bourrasque, si bien que tu crois voir, ici, puis là, derrière tes paupières plissées, l’ombre d’une activité en dessous des eaux. « C'est maintenant que les choses vont se compliquer, je suppose... » Ta bouche se tord, commissures vers le bas, en même temps que tes sourcils s’arquent et que ta caboche oscille d’un coup, d’un seul. Yaxley a raison, mais à l’idée que les choses se compliquent t’as bizarrement l’humeur qui s’égaie, comme si c’était une excellente nouvelle. T’espères juste qu’il va pas se dégonfler, maintenant que son plan se concrétise (et que les cris venus des bois bercent votre tandem de leur douce et tendre mélodie).

En déviant ton regard vers lui, tu peux pas t’empêcher de le jauger, manière de l’étudier autant que t’étudies le terrain depuis que vous avez transplané sur place. Pas tellement embarrassé par le phénomène ambiant, il dépose ses petites affaires et s'agite tranquillement dans sa tenue de premier de la classe (tenue qui t’as pas manqué de juger en silence quand il a débarqué plus tôt dans ta boutique – t’as cru qu’il sortait d’une soirée à thème et qu’il changerait fissa de fringues, mais force t’est de constater qu’il va vraiment garder son attirail bon chic bon genre). Le contraste entre toi et lui est radical : ton long manteau en cuir de dragon, aussi usé que ne l’est ton foie, couvre des nippes sombres au coton dru, rêche et puant le renfermé (forcément). De tes grosses bottes armaturées (surprise, elles sont neuves) (c’est faux), tu redescends de quelques mètres pour le rejoindre. « Je vous laisse défaire la tente, je vais monter la garde. » Comme t’es pas là pour enculer les mouches, t’obtempères en mettant de côté ton orgueil de Black Thumb, récupérant le paquetage que tu commences à défaire dans des gestes puissants mais lents. « J'ai loué une embarcation qui nous attend sur la plage en contrebas », tu t’arrêtes, vrillant la nuque vers Yaxley, tout sourcils froncés, « j'espère que vous n'avez pas peur de vous mouiller… » Et de capturer au vol ses pupilles mesquines qu’il t’adresse au passage. Bon, il est question d’attraper un kelpie, donc tu t’attendais pas non plus à crapahuter dans de la gadoue loin de tout point d’eau, m’enfin il s’était bien gardé de te dire qu’il avait en tête de vous amener en plein milieu de la flotte.

Grognant un soupir, tu poursuis ton entreprise en préparant piquets et boucles, puis en secouant franchement la toile (un peu trop franchement, on dirait presque que tu passes tes nerfs dessus). « Ça sera pas la peine », t’entames, l’accent si franc que même le vent n’arrive pas à le balayer, « suffira que je m’approche de la grève pour que la bête surgisse ». Moitié-prédiction, moitié-prière, t’affirmes ça comme si c’était acté, comme si le plan de Yaxley n’était clairement pas ton problème. Tu contournes les fondations de la tente, déjà bien montée, pour t’approcher de lui d’un pas lourd. « Au fait. Göran. » Ça a le mérite d’être concis. En ne lâchant que tardivement son regard, tu t’es penché pour récupérer le dernier piquet, avant de te redresser complètement et de reprendre ta petite gueguerre visuelle (ton orgueil de Black Thumb n’est finalement pas allé bien loin).

« Puis on va arrêter de se lécher poliment la rondelle et se donner du tu, hein. » Un cri de créature, comme tordu et aliéné, perce la noirceur. T’en perds ton sarcasme, lequel glisse sur tes rides comme le vent glisse sur vos silhouettes : en plus de te rappeler qu’à tout moment une armée de saloperies risque de vous-, enfin de te fondre dessus, tu viens d’avoir une décharge nerveuse, et ultra désagréable, tout le long de ton bras gauche, comme si ton membre fantôme se superposait à la carne morte. D’ailleurs, t’es presque autant inquiété par les autochtones de la forêt que par ton bras gauche (sur ta nuque subsistent encore quelques hématomes de sa tentative d’assassinat somme toute récente – la veille au soir, pour être plus précis). Mais tu te gardes bien, toi aussi, d’avertir Yaxley du problème. Une fine équipe, vraiment. Passé le cri d’outre-tombe, tu décides donc qu’il vaut mieux laisser le chef de la VB monter la garde comme il se doit, et retournes à ton montage sans plus jouer au caïd.
Assurément calmé.

Pendant quelques secondes, l'absence de réponse intelligible lorsque Corban lui fait comprendre qu'ils vont mettre les pieds dans l'eau arrache un frisson de satisfaction à la tête couronnée de la Values Brigade. Il était désormais trop tard pour reculer, et bien que les deux hommes allaient cumuler les retours de karma et autres incidents techniques, aucun d'eux ne se déciderait à être le premier à baisser les bras. "Ça sera pas la peine, suffira que je m’approche de la grève pour que la bête surgisse." "Si vous le dites..." rétorque doucement Corban, se retenant de pouffer de rire. En même temps, la bête (Göran, hein, pas le kelpie) était si massive qu'il se demandait s'il lui était simplement et physiquement possible de flotter... Corban aurait dû prévoir une magico-bouée dans ses bagages...

Il lui tourne momentanément le dos, histoire de scruter les environs, balayant la pénombre de sa baguette illuminée, tandis que son comparse continue de monter la tente. "Au fait. Göran." Corban fronce les sourcils en faisant volte-face. "A vos souhaits—" "Puis on va arrêter de se lécher poliment la rondelle et se donner du tu, hein." "Oh donc c'était un nom..." qu'il en déduit, les sourcils haussés.
Un cri perçant, et susceptible de rivaliser avec les hurlements de Corban sous boisson énergisante, leur cloue le bec à tous les deux. Chacun reprend son activité, et la poigne de Yaxley se resserre autour de sa baguette.

"Göran... tu écris ça comment? Ça ne vient pas d'ici, si je ne m'abuse; du vieux continent, je suppose?" Corban fait pensivement la conversation, comme si ça pouvait rendre la situation moins dangereuse. Il patrouille de long en large, les yeux vissés à la lisière de la forêt. "J'ai un silex sorcier dans la tente, on va allumer des feux tout autour du camp..." Corban va pour lui préciser où trouver le fourbi lorsqu'un craquement résonne un peu trop près d'eux. "Et merde... Je crois que quelque chose approche..." Corban recule en direction de Göran, sans lâcher la lisière de la forêt des yeux. "Göran, on finira ça plus tard, descendons au lac, on y aura une meilleure visibilité et puis, j'ai peur que notre batelier s'impatiente..." Il se retourne, poussant de son regard incisif le géant à dévaler la colline. Corban laisse un sortilège de protection autour de leurs affaires (enfin surtout de la tente) (c'est sentimental), et trotte à la suite de son armoire ambulante.

Un nouveau cri, et des bruits de pas précipités qui martèlent le sol, sans aucun doute à leur poursuite. Corban a rattrapé Göran, trottant avec fièvre. "Sûrement quelques loups, ahah..." Un rire peu rassuré l'essouffle encore un peu plus. "Rien qu'on ne puisse semer une fois sur l'eau!"
Les deux comparses déboulent en trombe sur la plage de galets. Quelques dizaines de mètres plus loin, un vieux schnock avachi dans une barque miteuse chique tranquillos du tabac... Corban lui fait signe, "Ah! voilà notre... embarcation??" La confusion se lit dans son regard vif. "Je pensais avoir réservé le... modèle au-dessus?" siffle-t-il au marin d'eau douce qui, sans un mot, à commencer à pousser la barque minable sur l'eau.

Derrière eux, dans la pénombre, les bestioles se rapprochent au galop. Corban soupire, gémit, un mix des deux, et pousse Göran dans la barque. "J'espère que tu n'as pas trop cassé la croûte avant de venir!..." et de sauter à son tour, manquant de se casser la figure si l'armoire ikea ne l'avait pas rattrapé au vol. Derrière eux, les grognements s'arrêtent au bord de l'eau. Corban époussète les manches de sa veste, jetant des regards peu assurés à l'état pitoyable de leur bateau, comprenant que trop tard que le matelot crachait son tabac dans le fond de sa barque directement... "Et bien, je ne pensais pas que ta malédiction était aussi... virulente? Efficace? Je... Une fois qu'on atteindra les grands fonds, je te laisse faire ce que tu as à faire pour le kelpie, hein..."

« Göran... tu écris ça comment ? » Bonne question. « Ça ne vient pas d'ici, si je ne m'abuse ; du vieux continent, je suppose ? – Suède. » En opposition aux élans causeurs de Yaxley, ta voix de rogomme se dresse comme un mur, empêchant la logorrhée d’aller plus loin. T’es déjà pas un champion du small-talk, mais alors pour ce sujet-là, tu te poses dans le mutisme. « J'ai un silex sorcier dans la tente, on va allumer des feux tout autour du camp... » L’ensemble dorénavant dressé, t’opines dans un même temps et mets un pied dedans quand : « Et merde... Je crois que quelque chose approche... » Ta gueule patibulaire ressort de derrière la toile, observant le coin de pénombre que Corban ne lâche de toute évidence pas des yeux. « Va falloir s’y faire », tu lâches, bien moins anxieux que le bureaucrate, presque plus ennuyé de pas connaître l’identité de ce qui approche, que de savoir qu’on vous a dans le collimateur. « Göran », ta paire d’yeux descend sur la caboche de Yaxley qui te tourne le dos, « on finira ça plus tard, descendons au lac, on y aura une meilleure visibilité et puis, j'ai peur que notre batelier s'impatiente... » A croire que c’est avec ton avis, qu’il s’est gominé les cheveux. Tu tires vite-fait la tronche, histoire de lui montrer combien ses plans foireux t’emmerdent, mais descends quand même la colline, davantage encouragé par les gains et promesses engagées dans le deal que par son petit regard inquisiteur. Plus vite il aura son kelpie, plus vite t’auras ton blé et un nom sur lequel (enfin) te venger.  

Tout en bas, ça trotte et te rattrape. « Sûrement quelques loups, ahah... » M’ouais. « Rien qu'on ne puisse semer une fois sur l'eau ! – M’ouais. » C’est bien ce qui te semblait : il n’a clairement pas idée de ce que ta foutue malédiction a dans les tripes. Attendu que les eaux sont aussi infestées de créatures vivantes que la terre, son satané rafiot risque d’être un bien piètre refuge. Tes larges enjambées (qui valent à ton acolyte de crapahuter maladroitement pour tenir le rythme) décélèrent en arrivant sur la grève. Y a bien un type. Un type et sa coque de noix. « Ah ! voilà notre... embarcation ?? » A l’ahurissement de Corban se joint ton exaspération, mimée par des yeux qui roulent dans leur orbite et une trogne qui s’ébroue. « Oh bordel. » Vous allez avoir l’air fins, tiens. T’es même pas sûr de pouvoir rentrer ton cul dedans. Petite pirouette : on se rapproche sacrément, par-derrière. Tu te fais pas prier pour embarquer, et entraînes à ta suite le maladroit microbe qui manque piquer une tête. D’une poigne sûre et dénuée de douceur, tu le tires à l’intérieur sans tout à fait quitter la rive du regard. Y te semble avoir vu, dans la noirceur générale, des sabots de centaure, mais t’as peut-être halluciné. Petite pensée pour le batelier resté à quai. Tu serais pas étonné si, en revenant, vous découvrez sa carcasse mise en charpie par toute la faune attirée jusqu’ici. Bon. L’idée du bateau n’était peut-être pas si mauvaise que ça, au final. « Et bien, je ne pensais pas que ta malédiction était aussi... virulente ? Efficace ? – Casse-couilles –  Une fois qu'on atteindra les grands fonds, je te laisse faire ce que tu as à faire pour le kelpie, hein... » Faudrait pas qu’il se foule trop, non plus. Tu rames déjà qu’un rire sarcastique est grogné sous barbe. A vos pieds, de l’eau croupie et pleine de chique prémâchée bouge par vaguelettes, suivant le mouvement de tes bras. Drôle de vision que celle du mirliflore pataugeant dedans. « J’arrive pas à croire que tu chasses. » La moquerie traverse malgré tout le timbre lent et haché de ton accent. Faut dire qu’il est grotesque, son attirail. Un type comme toi pourrait même pas prétendre à se moucher sur les revers de sa tunique tellement ça pue le luxe. « Vous êtes toutes aussi mignonnes que ça à la VB, quand vous partez traquer la racaille ? » Envolée, la raisonnabilité forcée lors de votre rencontre. T’as comme qui dirait oublié à qui t’avais affaire ; à moins que ça soit le décor qui te révèle, une nature aussi sauvage que tu peux l’être.

D’ailleurs, votre (très petite) embarcation est arrivée à bonne hauteur, tu réduis donc la vitesse et ranges les rames. Qu’il réponde ou non à la bravade, tu te penches sur le côté en sortant cette fois la baguette, que t’intercales entre canines le temps d’appuyer tes battoirs contre le rebord (forcément, ça penche dans la même direction). C’est plutôt calme. Une huile noire sur laquelle se reflète la lune. Et puis un remous, d’abord discret, fait peu à peu vibrer la surface, avant que l’embarcation entière ne remue sèchement. Tu lâches un « ah » étouffé et peu surpris, puis tends davantage la nuque pour tenter d’apercevoir l’origine de cette agitation. C’est soit votre proie, soit une créature de seconde zone qu’il te suffit d’éliminer d’un coup de b- /FRSHHHHHH/ Une énorme vague, dans laquelle éclate un hennissement colérique, s’abat de l’autre côté du rafiot, qui, aidé par ton poids, bascule à la renverse. Vous sombrez de conserve dans les eaux troubles du lac avec, sous vos pieds, l’immense masse du kelpie qui s’en va pour mieux reprendre sa charge…