Enceinte. Sinead est enceinte. Et de lui avec ça. Sinead est enceinte de lui. Ça tourne dans sa tête. Ça tourne sans arrêt, sans jamais discontinuer ou s’essouffler. Il a réussi à tenir plus ou moins bon dans la cabine, face à elle. Sans doute que Sinead méritait certainement mieux comme réaction de sa part. Pas sans doute d’ailleurs. Elle méritait assurément mieux. Il ne sait toutefois pas franchement à quoi elle aurait pu s’attendre d’autre compte tenu de tout ce qu’elle sait de lui et de ce qu’il est devenu au cours des dernières années.
Lui ? Père de famille ? Grotesque. Ça ne l’a pas toujours été à ses yeux, mais c’est assurément le cas maintenant. Il est à peine capable d’endosser la casquette de fils, de frère, encore moins celle d’ami, depuis que Fred est mort alors celle de père ? Non. Parfaitement absurde.
Il a du mal à respirer. Il s’est arrêté quelques minutes après avoir laissé le Tempest derrière lui, se posant sur le premier trottoir qui s’est présenté à lui. Il se sent effroyablement lourd. Tout son corps lui paraît comme lesté de plomb. Il ne pleurs pas, ses yeux restent secs, mais ça n’est pas le moins du monde un indicateur de calme ou de santé. Les larmes, elles viendront sans doute plus tard, quand il sera moins sonné, bloqué dans l’intensité du moment.
La vérité ne s’est pas encore complètement imposée à lui.
Sinead. Enceinte.
Pauvre bébé. Pauvre Sin.
Pauvre lui, aussi, mais ça ce n’est pas nouveau et ça n’est pas ce qui le pèse le plus. Il n’a pas envie de ça. Il n’a pas envie de devenir le père de qui que ce soit. Cela n’a rien à voir avec Sinead. Il n’est soit pas amoureux d’elle et quand bien même tout serait différent dans sa vie, il aurait toujours été contrarié d’avoir mis enceinte une amie. Mais bon, ce genre de choses arrive et ce n’est pas ce qui file la nausée à George. Le problème ce n’est pas Sinead et lui et leur lien solide quoique dénué de sentiments amoureux. Le problème c’est lui, ou plutôt ce qu’il reste de lui. Et, en l’occurence, il ne reste vraiment pas grand chose. Il se prend la tête dans les mains en respirant très fort. Il va falloir qu’il se sorte de là. Il ne peut pas élever un enfant, il en est incapable. Loin d’être susceptible d’apporter une aide à quelconque à Sinead, il ne réussira qu’à tout ruiner pour elle et pour l’enfant qu’elle porte.
Son enfant à lui. Car ça, rien n’y fera, ça ne changera pas.
Sinead va mettre au monde son bébé.

***

(Une heure plus tard.) Quand il a réussi à soulever ses fesses du trottoir, au bout d’un laps de temps dont il serait bien en peine de mesurer la durée, il s’est mis à marcher. Il a marché sans but précis, longuement, en transplanant par endroit, foulant plusieurs coins de la ville, la tête lourde et le coeur battant.
Ses jambes sont fatiguées, réclament de lui qu’il rentre chez lui, ou du moins qu’il regagne un lit. Sa tête, toutefois, fait barrage à ce désir. Il se connaît assez pour savoir qu’il est parti pour une nuit blanche. Trop de pensées qui virevoltent et s’entrechoquent dans sa tête. Il a peur et il est complètement retourné. La pensée de ce qui l’attend le terrifie. Comme d’habitude, le fantôme de Fred plane au dessus de lui, alourdissant ses pas, étendant toujours le vide qui a commencé voilà bien longtemps à prendre des proportions effrayantes dans sa poitrine.

Au bout d’un moment, en dépit de sa certitude qu’il ne parviendra pas à trouver le sommeil, il finit par prendre le chemin du manoir Saint James. Il transplane encore une fois et éprouve un sentiment de malaise croissant en découvrant le bâtiment familier. Peut-être que c’est la pire des idées, venir ici. Trop de monde sous ce toit susceptible de croiser sa route, même à une heure avancée de la nuit. Trop de monde qui puisse comme lui souffrir d’insomnies. Il fourre sa baguette dans la poche de son jean et entame appréhension la distance qui lui reste à parcourir pour intégrer la planque.
Il n’est plus bien loin de la porte d’entrée, quelques pas tout au plus quand la porte pivote. George se fige immédiatement, le coeur battant, sa main voletant vers sa baguette. Il est sur ses gardes, tout le temps. Toujours. C’est ce que la vie lui impose depuis plus de dix ans. Le danger peut se trouver partout, y compris autour du manoir. Mais pas ce soir, pas en cet instant.
La porte s’ouvre et dévoile non pas un ennemi mais Winston.
A cette vue, le corps de George se détend visiblement, mais pas entièrement. Il laisse retomber le bras qui était prêt à se saisir de sa baguette avant de s’exprimer d’une voix un peu enrouée. « Salut » qu'il lâche un peu gauchement. S'il n'était pas aussi bouleversé par ce qu'il a découvert ce soir, il serait assurément mal à l'aise. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'est pas franchement fier de sa façon de traiter Winston par le passé. « Il est tard, qu'est-ce que tu fais ici ? » Non pas que ça le regarde tellement. C'est plus une façon pour lui de prévenir un silence désagréable.

Alors que le corps de George s’est visiblement et passagèrement détendu en découvrant l’inoffensif (en théorie) Winston, l’expression de ce dernier ne manque pas de se figer un peu. Comment l’en blâmer ? George n’est désormais plus réputé pour son aptitude à la sociabilité et Winston n’en a déjà que trop fait les frais. Le pauvre, faut dire, il a tendance à entrer dans le périmètre de George aux moments les moins opportuns. Ça n’aide pas non plus, bien sûr, que le quotidien du Weasley soit essentiellement tissé de moments inopportuns. Le plus sage, avec George, c’est encore de se tirer sans demander son reste quand on le croise d’autant plus quand, comme ce soir, il arbore l’expression de celui qui passe une très mauvaise nuit.
Il ne blâmerait donc pas Winston d’agir précisément comme ça : de partir, de s’esquiver rapidement. Sans doute qu’il en a envie d’ailleurs et en temps normal George en aurait envie lui aussi. Peut-être que c’est le cas d’ailleurs. Peut-être qu’il aspire à se retrouver tout seul (comme trop souvent ces dernières années) ou peut-être que non. Sans doute que non. Pourquoi rentrer dans la planque qui abrite toute une fraction de sa famille sinon ? Qu’importe que son lit se trouve aussi dans la planque en question. Il ne dormira pas cette nuit. Il le sait.

Winston le salue avec une gêne évidente avant de répondre rapidement à son interrogation, s’empressant de justifier sa présence. George hausse légèrement un sourcil, mais ne dit rien. Il devrait pourtant. Essayer de dissoudre le malaise. Faire un geste. Il n’en fait que trop peu de gestes pour les autres, et c’est peut-être la raison du pourquoi les tuiles s’enchaînent pour lui, le précipitant toujours plus bas. Il est en train de se bâtir un très mauvais karma. Pire encore, il entraine d’autres personnes dans sa chute. Sinead et un petit bébé à venir, pour ne citer que deux de ces personnes. Devant lui, Winston affiche une gêne grandissante, retournant sans doute dans sa tête les paroles qu’il viens de prononcer.
Ginny. Winston. Se séparant très tard le soir.
Si ça lui traverse brièvement la tête à George, il n'y a toutefois pas de quoi flipper le concernant. Ses problèmes surpassent très largement les détails méconnus de la vie privée de sa soeur. Peut-être qu’il devrait s’y intéresser cependant, agir en grand frère concerné et protecteur. Non. Ça ne le regarde pas. Il se contente donc d’acquiescer d’un mouvement de tête, dans un geste qui se veut amène, rassurant, mais que l’attitude de George (visage dur, contrarié) détrompe fatalement. Plus que jamais il va falloir y aller pour lui arracher quelque chose qui se rapproche d’un sourire.

Franchement, Winston devrait partir. George est presque tenté de le lui suggérer, au risque de se donner de nouveau un air franchement grossier et odieux. Sa réputation n’est plus à faire de toute façon. Mais Winston lui coupe l’herbe sous le pied, l’interroge, à l’audace de lui demander s'il va bien. C’est un peu la question à ne pas poser à George. Car en ce qui le concerne ça ne va pour ainsi dire jamais bien. Mais cette nuit… Ça va encore moins bien que d’habitude et ce n'est pas peu dire.
Il peut encore se sortir de cette impasse sans trop de dégâts. C’en est pas vraiment une d’ailleurs, d’impasse. Même si techniquement Winston lui barre le chemin vers la porte du manoir, George sait qu’il lui suffirait de faire mine de vouloir de passer pour que la voie lui soit délivrée.
Il lui faudrait juste prononcer quelques mots avec ça pour accompagner sa sortie. Dire à Winston que « ça va », même si ça ne va pas. Et lui dire aussi qu’il devrait rentrer, qu’il est tard (ce qui est vrai). Peut-être même aller jusqu’à glisser un « bonne nuit », car même si ça n’en sera pas une pour lui, de bonne nuit, il n’y a pas de raison qu’il en aille de même pour Winston.

Oui. Ce serait la chose à faire. Laisser Winston filer. C’est ce qu’il ferait en temps normal, George, sans même se surprendre à hésiter. Sauf qu’il est loin de se trouver dans son état normal. Et le silence s’étire, accroissant le malaise ambiant. Peut-être qu’il va se tirer de lui même, Winston, finalement, asphyxié par le mutisme de George. Il doit avoir l’air franchement flippant. Au final une grosse poignée de secondes s’écoule avant que la bouche du rouquin ne s’ouvre sur des mots lâchés lourdement. « J’ai mis une fille enceinte. » Pourquoi il lui dit ça à lui ? Il n’en sait rien. Peut-être parce qu’il a besoin de prononcer ces mots qui lui font l’effet de pierres sur sa langue.

Faut croire qu’il a besoin de prononcer les mots, de dire la vérité à quelqu’un. Le hasard a voulu que ce soit Winston qui croise sa route alors c’est sur lui que ça tombe. George est a peu près sûr que son expression faciale ne trahi aucun éclat de joie contenu, mais faut croire qu’il a peut-être pas l’air aussi flippé que ça car il reçoit des félicitations. C’est la norme bien sûr, d’être félicité quand on annonce que quelqu’un porte votre bébé sauf que, la norme, elle ne s’applique pas franchement à George. Pour ce qu’il en pense, il n’y a vraiment pas de quoi le féliciter. De un car il n’a rien fait d’exceptionnel et de deux car outre l’acte de reproduction en lui-même, il viens surtout de foutre un beau bordel.
Il ne peut pas s’empêcher de froncer les sourcils du coup face au sourire éclatant de Winston, son expression ouvertement troublée, voir franchement choquée. Heureusement, histoire de ne pas ajouter de malaise à une situation d’ores et déjà foutrement malaisante, la lumière se fait rapidement dans l’esprit de Winston et son sourire faiblit avant de se faire bien simplement la malle. Là. Voilà qui est largement plus adapté au contexte actuel.
Il pourrait dire un mot, George. Ce serait sans doute plus qu’apprécié. Il a conscience qu’il est en train de torturer plus ou moins Winston et que ce dernier doit regretter de ne pas pouvoir se réfugier sous terre là tout de suite. Cela se lit sur son visage et ça se perçoit tout autant dans sa voix lorsqu’il rouvre la bouche.

Winston bafouille, aligne des mots qu’il a visiblement tôt fait de regretter. Il parle trop, se prend les pieds dans le tapis. Maladresse sur maladresse. Bah, il n’est pas à blâmer. George n’a jusqu’ici rien fait pour l’aider. Ce n’est pas qu’il est ouvertement méchant ou sadique pour autant, le fils Weasley. Il n’est pas porté sur la cruauté, ne l’a jamais été, et encore moins vis-à-vis des gens qui ne lui ont rien fait du tout. C’est le cas de Winston. Il ne lui a jamais causé le moindre mal. Il a juste une vilaine tendance à croiser sa route au mauvais moment (mais là encore, George ne connaît quasiment plus que ça, des mauvais moments).

Gagné par une montée bienvenue (et franchement justifiée) de culpabilité, George pousse un soupire en faisant courir l’une de ses mains sur sa nuque. Sans parvenir à flanquer un sourire sur son visage (c’est un peu trop lui demander, dans l’immédiat), il s’applique à vider son regard d’une animosité qui ne domine de toute façon pas en lui en cet instant. Il se sent surtout las, effrayé, vaguement désespéré aussi, et formidablement dégoûté de lui-même et de sa propension à tout gâcher.
« Je suis désolé » qu’il lâche, certainement bien trop tard. Sa voix fatiguée et alourdie, comme lestée de plomb, est aussi chargée de sincérité. « Pour t’avoir crié dessus l’autrefois, je veux dire » hm. « J’étais pas en colère contre toi » ça lui paraît évident à lui bien sûr, mais ça ne l’est pas forcément pour Winston alors autant énoncer les faits sans détour ni barrage.

Il laisse retomber ses bras le long de son corps avant de les croiser quelques instants plus tard sur son torse. Il se sent tellement con. Les mots lui semblent bien vains. Il les entend de sa bouche, essaie de leur insuffler mentalement un pouvoir en lequel il ne croie pas vraiment. Les actions sont largement plus porteuses de sens et celles de George ne sont guère flatteuses. « J’aurais même pas dut te dire.. » Il enfonce brièvement ses dents dans sa lèvre inférieure. « Ce que je t’ai dis. C’est pas… »  Il secoue la tête. Peu importe. « Tu devrais rentrer » qu’il finit par ajouter d’une voix creuse en soulevant au prix d’effort les coins de ses lèvres. Pas un sourire. Ça tiens un peu plus de la grimace en fait, mais l’intention est là et venant de George c’est déjà beaucoup. Il n’a pas envie de se retrouver tout seul, mais il a assez causé de tracas à Winston comme ça. Il ne va sûrement pas le coincer contre son gré dans une conversation qui ne s’annonce guère agréable.