Waiting for a ride in the dark, Drinking in the lights, Following the neon signs. Waiting for a word, looking at the milky skyline, it wraps me in its blinding twilight. midnight city ☽☽

Lorsque Mengwu lui propose, en juin, de se changer les idées par le biais d'une blind-date arrangée par ses soins, elle refuse. L’intention est bonne, et l’idée pas mauvaise - mais tout lui semble si incertain, si voué à l’échec, qu’elle ne s’imagine pas faire semblant que tout va bien. Qui aurait envie de passer la soirée avec une fille morose, hantée par un dieu retors, ayant tout juste avoué après six ans au père de sa fille qu’il est père ? Personne. Mais quelques mois plus tard, au retour d’Irak, alors qu’ils ont la malédiction sous contrôle, c’est une toute autre histoire. L’idée d’un rencard à l'aveugle arrangé par le Wang lui parait toujours un peu douteuse, mais intrigante (pour ne pas dire excitante), et au détour d’une conversation, elle s'entend demander: « Ce fameux prince charmant, il est toujours disponible ? »

Il l’est.

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Le miroir lui renvoie un reflet qui lui semble presque étranger. Le maquillage doux qui fait ressortir ses grand yeux sombres, qui met en valeur la courbe pleine de sa bouche; ses boucles sauvages, asséchées par le séjour dans le désert, à peu près domptées; la robe (elle ne se rappelle plus la dernière fois qu’elle a porté une robe) aux longues manches qui serait presque modeste si elle n’était pas ouverte de la cheville jusqu’aux hanches. Odalis se regarde avec surprise, avec satisfaction: les mois passés en expédition lui renvoyaient une image bien différente de sa propre personne. À présent, les coups de soleil se sont estompés, ne laissant à leur place qu’une multitude de taches de rousseur sur son nez et ses joues. Les cernes sous ses yeux disparus sous le maquillage, le regard auparavant terne et fatigué de nouveau brillant.

Elle est fébrile, se reprend au moins dix fois avant de réussir à négocier avec le fermoir d’un collier délicat. Elle sait bien que ce n’est que pour lui changer les idées, qu’il n’y a aucun but derrière (elle l’a bien précisé à Mengwu), mais l’anticipation refuse de quitter le creux de son estomac. Un tout autre genre d’aventure que celles de la Ligue, et pourtant. C’est bien la preuve que son ami la connaît trop bien. C’est d’ailleurs ce dernier qui l’accueille lorsqu’elle met les pieds dans le Magic Casino Club, les joues rosies par la fraîcheur de septembre (et par la gêne). « De quoi j’ai l’air ? La demande faite à mi-voix, avec une timidité qu’on ne lui connaît d’ordinaire pas. Tu es très belle. » La briseuse de sort sourit, serre doucement la main de son ami entre les siennes. « Je crois que j’ai le trac. Une pause alors que son regard balaie brièvement la salle. Qu’est-ce que tu lui as dit ? — Que tu avais eu une mauvaise passe et que tu avais besoin de te changer les idées. » Odalis acquiesce, inspire un bon coup, lissant d’un geste distrait le devant de sa robe. « Allons-y, alors. — Suis-moi. »

La table est près du bar, légèrement en retrait - gracieuseté de Mengwu, elle imagine. Et son fameux rencard est déjà là. Il se lève alors qu’ils approchent, et c’est une bonne chose que son ami prenne les devants pour les présenter, parce qu’elle en oublie un peu son nom, sur le moment. « Odalis, je te présente Kaimin. Kaimin, Odalis. » Heureusement, elle se reprend vite. « Ravie de te rencontrer. » C’est que ça commence très bien.

Le compliment, si franc, la prend complètement de court. Odalis se sent rougir, la chaleur naissant sur sa nuque pour gagner ses oreilles et enfin, ses joues. C’est à peine si elle arrive à souffler un « merci » timide, au-travers du sourire un peu niais qui illumine bien malgré elle son visage. Elle baisse le regard, ne sait plus où se mettre. Cramer des inferis, faire face à une manticore ? Pas de problème. Recevoir un compliment de monsieur Dreamy McDreamy ? K.O technique. La grande briseuse de sorts terrassée par le sourire brillant et le regard chaleureux de Kit. Gênant.

« Commande ce que tu veux. » Le menu relié de cuir, posé au centre de la table, contient une panoplie de noms de cocktails qui ne lui disent rien – elle n’a pas l’habitude de traîner au Magic Casino Club, sauf pour y voir Mengwu – et lorsque le serveur les rejoint, elle décide de prendre un risque : « Quel est votre cocktail le plus populaire ? — Le Red Dragon. Elle aurait dû s’en douter, tiens. Un Red Dragon pour moi, alors. » Un très faible risque, somme toute. Mais puisque cet établissement est tout ce qu’il y a de plus légal et de plus, très prisé, ce n’est certainement pas ici qu’elle pourra boire un firewhisky tranquillement. Après les mois passés dans une tente, pour seule compagnie les autres membres de la Ligue, il lui semble particulièrement étrange d’être attablée de la sorte dans un lieu public, dans une chaise confortable, en face d’un inconnu. C’est toutefois très loin d’être désagréable, considérant ledit inconnu. « Vous vous connaissez depuis longtemps ? Il ne m’a pas dit… » Mengwu s’est même révélé particulièrement avare d’informations au sujet de Kit.

Le serveur revient avec leurs consommations, pose devant elle un vert rempli d’un cocktail d’un rouge profond, et un coup d’œil prolongé révèle une spirale de paillettes d’or qui s’y déroule paresseusement. C’est… prometteur ? « Cheers. Les verres tintent doucement l’un contre l’autre, et Odalis ajoute, à mi-voix : c’est gentil d’avoir accepté, pour ce soir. » Il n’était pas obligé. Elle se demande si ça relève de la faveur, de la corvée. Et puis elle tente de chasser la pensée désagréable en trempant les lèvres dans le breuvage scintillant. Évidemment, la quantité d’alcool doit être proche de zéro – rien pour l’aider à se sentir plus à l’aise. La saveur est surprenante, difficile à définir mais définitivement agréable. « Il avait l’air si content de lui, souffle-t-elle avec un regard amusé. C’est drôle, je ne l’imaginais pas du tout jouer au matchmaker. » Il ne lui faut que quelques secondes pour le retrouver dans la foule, le regard évidemment posé sur eux – il la gratifie même d’un pouce levé, auquel elle répond d'un sourire. « Je suis plutôt contente qu'il l'ait fait, qu'elle avoue, avant de baisser les yeux, soudainement bien fascinée par son verre. » Elle arrête dans sa course une goutte qui dévale le côté du verre, avant que celle-ci n’atteigne la table – le cocktail laisse une panoplie de paillettes dorées sur ses doigts, qui scintillent sous l’éclairage tamisé du bar. Fancy.

Un ami de Martin, dit-il – dans d’autres circonstances, elle aurait peut-être considéré ça comme un red flag : elle n’aime pas vraiment Martin, trop bruyant, vulgaire et arrogant (il lui fait penser à Aries)(mais pire). Mais puisque c’est Mengwu qui a organisé cette rencontre, dans tout ce qu’il a de sérieux, d’attentionné, et de digne de confiance, elle peut bien passer outre ce petit détail fâcheux. Quant à la sœur, elle se souvient de l’avoir vue quelques fois, mais jamais assez pour être officiellement présentée. Elle est visiblement la plus occupée des trois, le plus souvent enfermée dans son bureau, ou passant en coup de vent lorsqu’Odalis attendait Mengwu au casino. « L’uniforme m’allait très bien, tu aurais adoré. Je n’en doute pas. » Il n’y a qu’à le regarder, souriant et charmeur, si élégant dans son complet carmin. Avec une telle confiance, elle s’imagine très bien que tout lui va, et qu’il le sait. Et pourtant il ne lui paraît pas d’une arrogance crasse; juste assez pour la mettre à l’aise et la faire rougir tout à la fois. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait une fois de plus lorsqu’il lui avoue être content, lui aussi, d’être là. Dating 101 complètement raté, Odalis. Mais la réponse semble être sincère, tout de même, et si une part d’elle se fustige d’être une greluche en puissance, une autre s’en trouve plutôt rassurée. Un mal pour un bien, peut-être.

« Tu es une aventurière, c’est ça ? » Odalis ouvre la bouche pour le corriger, et la referme aussitôt; considère la réponse quelques secondes, jusqu’à ce ses lèvres s’ourlent une fois de plus en un sourire agréablement surpris. « Oui, on peut dire ça. » Plus que le désir de bien paraître, c’est l’enthousiasme presque enfantin de Kit qui lui a fait changer d’avis – elle a envie de ne penser qu’au positif de son métier, d’oublier la lune cruelle au creux de sa main. Elle est briseuse de sorts, aventurière, exploratrice : y a-t-il quelque chose de plus romantique ? De plus enivrant, excitant, que de disparaître à la poursuite de l’inconnu, de l’extraordinaire ? Elle aime se voir par le prisme coloré de l’imagination de Kit. Et Merlin sait qu’elle en a particulièrement besoin, après les derniers mois.  « La Chine, alors. Un regard joueur par-dessus son verre, alors qu’elle y trempe les lèvres – c’est diablement bon, ça, quand même. Je ne sais pas, c’est difficile à dire. Chaque endroit est unique, pour plein de raisons différentes. Sauf l’Irak. Aussi grandiose et magnifique que soit le pays, elle n’en peut plus de bouffer du sable sous le soleil brûlant du désert. Je suis désolée, je crois que je vais devoir y réfléchir un peu plus longtemps. » Son regard pétille de malice; quel terrible destin, de ne pas savoir choisir parmi la multitude de pays visités ! « Je dois avouer que je n’ai pas vraiment eu l’occasion de visiter la Chine, et je regrette beaucoup. Mais tu connais quelque trésor caché, je suis preneuse. Et puis, tant qu’on y est… Je ne dirais pas non à un guide ou un interprète, non plus. » L’invitation à peine voilée, lancée avec malice, est toutefois aisée à ignorer; sans qu’Odalis sache si elle est véritablement sérieuse, de toute façon.

Elle ne s’y attarde pas vraiment, renvoyant la balle avec intérêt : « Quel est le plus bel endroit que tu aies visité ? » Elle espère ne pas faire de bourde avec cette question; voyager fait partie intégrante de son travail et elle se doute que le Casino ne lui paie pas de voyage toute dépense payée tous les mois. Elle espère aussi qu’il ne la croira pas snob – il n’y a aucun bonheur trop petit, et le merveilleux se trouve souvent bien près de soi, lorsqu’on sait où regarder.