Quand il a eu quinze ans, il arrivait parfois à Corban de mal regarder son père exprès pour qu'il lui en colle une; pour en finir, parce qu'il en avait marre d'avoir peur.
Avec Buck c'est différent, parce qu'ils se battent. Corban a jamais su se laisser faire quand il se bagarre contre Buck. Même si la différence de force était autrefois une peine perdue; par amour du défi, il se démenait toujours comme un beau diable. Des fois, ça rendait Buck encore plus hargneux, des fois ça le faisait rire.
Buck lui fait mal, mais Corban se fait mal lui-même en lui tenant tête, en le griffant et en tapant ses jambes dans les siennes ; on dirait qu'il essaye de le garder contre lui, même quand Buck lui balance son poing dans la figure. Finalement, c'est un coup de coude qui a raison de Buck qui titube et se carapate à quelques mètres de lui, sonné.

Corban, le souffle court, la respiration sifflante à cause de son nez fendu, reste allongé au sol. Il a l'impression de revoir la lentille géante dans la salle d'astronomie, celle qui permet d'observer les étoiles et dans laquelle ils ont jamais eu la curiosité de jeter un œil, trop occupé à fumer leurs clopes volées.
Mais à la différence de ces mois de juin à Poudlard, Corban ne sait plus pleurer. Il a un goût ferreux dégueulasse dans la bouche, son ventre et ses poignets lui font mal; il ne sent plus son nez. Mais il arrive pas à pleurer.
Ça aussi, c'est la Marque qui le lui a pris, en échange du vide.

Corban a commencé à se sentir vide à quatre ans, quand son père a commencé à le frapper. La prise de la Marque, plus ou moins vingt ans plus tard n'a fait que rendre ce vide plus vorace. Ce nouveau vide infini a englouti comme un rien tout l'amour que Buck a pu y mettre et remplir jusque là.
" (...) You're going to get yourself killed and for what?! Your dad is never going to love you, Corban."
Corban lâche un faible rire peiné qui aurait pu être un sanglot; il n'a jamais eu peur de mourir. Parfois, à Poudlard, il avait tendance à se pencher un peu trop au-dessus du vide, du haut de la tour d'astronomie, à s'approcher un peu trop près du saule cogneur. Corban a jamais eu peur de mourir ; il a eu peur de souffrir, fut un temps, mais ça aussi, ça avait fini par lui passer.

C'est quand il entend Buck pleurer qu'il finit par se redresser, avançant jusqu'à lui à quatre pattes. Si Buck n'est pas toujours au sol, il lui tire le bras pour l'asseoir par terre. Corban s'accroupit à côté de lui et lui essuie ses larmes qui rendent ses cils argentés.
"I stopped trying to make my dad love me a long time ago, James. I figured out there's no way he could give me what you gave me, what you're giving me." Il renifle, grimace à la douleur lancinante dans son nez. Il murmure: "All those things I can't say out loud because I won't be able to quit you if I do..."

I can't stop loving you, James.

Corban s'allonge sur le dos à côté de lui, appuyé sur ses coudes et avant-bras. "You're the best thing that happened to me, James ; I still don't know if I was worthy of all of this. I feel like I robbed someone else's grasp on happiness." Il se tourne et attrape une clope et un briquet. Ce sont celles de Buck. "But you know what, fuck it!" Il pose sa tête contre le bras de Buck tout en allumant la clope malodorante. "It's mine, now; you're mine, James," il tire une première fois sur la cigarette et lui embrasse l'épaule. Il garde ses lèvres contre sa peau tatouée tandis qu'il poursuit: "your laugh, your tears, your dick, your love, I'll keep them where they can't take them away from me." La clope se barbouille du sang sur sa bouche. "They already took too many things ; I don't want them to take away from me how this could end. Let's end it our way, James; ours only."

Buck déteste Corban. Il est comme un coup de froid duquel on ne parvient pas à se débarasser, un rhume qui revient tous les trimestres, qui se transforme en pneumonie, en bronchite, en ablation du poumon, en mort - une maladie qui vous suit toute votre vie, qui vous ronge même quand vous pensez enfin être guéri, qui revient comme un mauvais souvenir quand on croit s'en être enfin tiré.

Et c'est injuste. C'est injuste que Buck a soudainement envie de se réfugier dans les bras de Corban, de se laisser à la douceur - rare, entre eux, mais familière à la fois - des doigts sur ses joues qui en débarassent les larmes. Il aimerait étirer ce moment à l'infini, ne jamais avoir à sortir de cette tente ou à penser à demain. Demain, quand il sera sans emploi ni futur, quand il devra regarder son meilleur ami marcher vers une mort certaine.

Il ne peut pas. Pas cette fois. "I stopped trying to make my dad love me a long time ago, James. I figured out there's no way he could give me what you gave me, what you're giving me." Buck papillonne des yeux, y faisant tomber les dernières larmes, avant de les relever vers Corban. Il n'a même pas la force de protester. "All those things I can't say out loud because I won't be able to quit you if I do... - Corban, I... - You're the best thing that happened to me, James." Buck s'interrompt, son coeur faisant une embardée dans sa poitrine. Il s'allonge lentement sur le sol à côté de lui, l'air hanté. "I still don't know if I was worthy of all of this. I feel like I robbed someone else's grasp on happiness." À moitié tourné vers lui, Buck ne sait pas quoi penser de Corban avec sa cigarette entre les lèvres, son briquet qu'il utilise pour l'allumer. Toute la colère est partie, d'un coup, et a été remplacée par la peur.

Peur de le perdre, peur de le laisser partir, peur de lui aussi - peur de ce que cette Marque serait capable de lui faire faire. "But you know what, fuck it! It's mine, now; you're mine, James." Son alliance à son doigt n'a jamais été aussi pesante, ni aussi insignifiante. Buck ne proteste pas là non plus, attrape une cigarette du paquet encore ouvert posé sur le sol, le glisse entre ses lèvres sans l'allumer. "Your laugh, your tears, your dick, your love, I'll keep them where they can't take them away from me. They already took too many things ; I don't want them to take away from me how this could end. Let's end it our way, James; ours only. - No... no, I won't let you," s'entête Buck, en prenant le briquet de la main de Corban, ses doigts effleurant sa paume en ayant envie de la prendre. "Let's not end it, Corban. I'm serious: let's go. I have family in Ireland. I can arrange for the girls to meet us there, and Anne, too." Le plan lui semble infaillible, dans son esprit confus et désespéré. "If you really... if I'm really yours then you have to do that for me. I won't share you with the Lord, not like this. It's either us, or Him, not both."

Le choix est tout fait, non? Buck étudie le profil longiligne de Corban, son nez en sang, la clope qui se pavane entre ses lèvres. Il repense à la chaleur presque brûlante de son baiser sur son épaule. Pourquoi choisir la douleur et la mort contre ça? "Let's do it," souffle-t-il. "You and I. Fuck the rest. Come on, Corban - please. Please."

Corban déteste Buck. Il l'écoute insister, dissimulant tant bien que mal son mécontentement, qui ne se ressent que dans le temps plus long qu'il met à cligner des yeux. Il garde son regard fixe, droit devant lui, offrant juste son profil à Buck qui lui répète son stupide plan. Il hoche de temps en temps la tête, tirant sur la cigarette, époussetant les cendres qui tombent sur son ventre. La peau de ses coudes tirent sous son poids. Et c'est con, ils sont encore à poil.
Corban déteste entendre Buck le supplier; ou du moins, pas dans ce contexte-là. Quand il finit par se taire, Corban écrase doucement la cigarette à moitié consumée; il sent son haleine empester la clope.

Il se tourne vers lui à son tour, leurs genoux se touchent presque. Toujours appuyé sur son coude douloureux, Corban passe sa main sur la joue de Buck. Il caresse sa mâchoire, les poils de barbe naissants crissant sous la pulpe de ses doigts.
"I'd like to trust you, James. I've always trusted you." Sa main descend dans son cou, caresse un temps sa clavicule, remonte un peu dans sa nuque. "But I can't follow you up on this one." Son sourire mi-attendri, mi-désolé se casse la gueule, le temps d'une crispation entière de son visage. "Shit!" Son visage se ferme, à l'instar de sa main dont la prise se resserre progressivement autour de la gorge de Buck, à chaque caresse suivante.

"Why am I the one who has to remind you that you are responsible for your fucking family? Why are you pushing me like this? Do you think I like turning you down? Do you think I enjoy crushing down all your stupid hopes?" Il serre les dents, son regard vrillé au sien. Sa prise dans son cou est douloureuse, mais loin d'être mortelle.  
"Stop that, James! I said no!" Des sanglots arrivent malgré tout à se tailler un chemin dans la colère de sa voix. Prenant appui sur Buck, il se redresse et se met à genoux. Une main toujours en train de l'étrangler, l'autre, contradictoire, agrippée à l'arrière de son crâne.  
"I'd have you hit me in the fucking face, rather than listening to your hopeless bullshit! I'd rather have you hating me! Hate me, James!" C'est à son tour de le secouer pour lui faire entendre raison, rapprochant par à-coups leurs visages si près l'un de l'autre qu'il pourrait l'embrasser ou lui arracher sa stupide langue. "I swear to Merlin, this is how you'll get over it! This is how you'll get over us! There's no us, James! Not anymore, not outside of Hogwarts, not outside of this tent!"

Il l'immobilise à quelques centimètres de son visage, se foutant de la force avec laquelle Buck allait finir par riposter. Corban n'a jamais su comment se préserver de l'ouragan, comme se protéger de la violence. Corban n'a jamais su se mettre en sécurité; il avait Buck pour ça. "Hate me, James, it'll be less painful than love."

tw: idéation de suicide, suffocation, langage cru, violence

La main de Corban sur sa joue est douce et tendre, et Buck se réfugie contre cette affection trop rare avec le désespoir de celui qui ne sait pas comment y répondre. Il a déjà sa réponse dans le regard de son ami, qu'il connait comme le dos de sa main. Il sait déjà que ça ne va pas se passer comme ça, et qu'aujourd'hui marque le début de la fin de leur vie.
Mais il veut y croire. Il veut tellement y croire. Il peut presque les voir s'enfuir ensemble, planter leur tente ailleurs, loin d'ici. Être rejoints par Anne, Stevie et Maggie. Peut-être qu'ils iront à New York où vit la famille d'Anne; ou en Nouvelle-Zélande où vit encore son grand-père. Ou alors à Dublin, à Toronto, à Paris, à à Madrid, à Tombouctou, à Dharan, à Dakar - tout mais loin d'ici, loin du Lord, de cette Marque odieuse, de ce futur sombre où ils ne peuvent pas être ensemble.  

"I'd like to trust you, James. I've always trusted you." Buck a envie de pleurer, en blâmant le coup qu'il a reçu au visage. Il ferme les yeux à la place, profite de la chaleur qui émane de la peau de Corban pour la dernière fois. "But I can't follow you up on this one. - Corban, I... - Shit!" La main de Corban se crispe sur sa gorge et Buck sent sa nuque se raidir, les poils de ses bras se hérisser - mélange de peur et de désir (comme souvent entre eux), qui lui fait rouvrir des yeux étrécis et désespérés. "Why am I the one who has to remind you that you are responsible for your fucking family? Why are you pushing me like this? Do you think I like turning you down? Do you think I enjoy crushing down all your stupid hopes? - Corban," bredouille Buck à bout de souffle, ses yeux se remplissant cette fois de larmes. "Stop that, James! I said no!" Il va le tuer, ici et maintenant, et Buck le laisserait.

Buck aimerait qu'il le tue. Qu'ils en finissent enfin, qu'ils n'aient pas à connaître ce monde l'un sans l'autre. Comment est-il sensé fonctionner sans lui? Il l'a fait pendant quelques années, après l'école, et ce n'était pas la même chose. Buck n'a plus envie de savoir ce que c'est. "I'd have you hit me in the fucking face, rather than listening to your hopeless bullshit! I'd rather have you hating me! Hate me, James!" La main sur sa gorge l'étouffe, se resserre, le griffe; Buck aimerait qu'il la lui arrache. "I swear to Merlin, this is how you'll get over it! This is how you'll get over us! There's no us, James! Not anymore, not outside of Hogwarts, not outside of this tent!" La main de Buck se pose sur le poignet de Corban. "Cor-Corban, stop, I can't-- - Hate me, James, it'll be less painful than love. - I wish I knew how to hate you," les mots sortent, rauques, et ses ongles s'enfoncent dans le poignet de Corban. "I can't and I- fucking let me go, you fucking- Corban, let me go." Il commence à tirer, à se débattre. Corban ne le lâche pas.

Alors le taureau rue puis il rugit, enfonce un poing plein de phalanges dans l'abdomen du Mangemort pour lui faire lâcher prise, lui donne un coup d'épaule dans le nez en se redresser à son tour. Pendant un instant, un orage habite son regard et sa peau, et il est à deux doigts de lui sauter dessus pour finir de lui refaire le portrait et l'envoyer paître.
Mais il y a un flottement et Buck ne ressent qu'une profonde douleur en regardant Corban, et plus la moindre colère. Il a fait son choix et, pour la première fois depuis qu'ils sont amis (son premier abandon ne comptait pas: là, Buck peut bien reconnaître que Corban n'avait pas d'autre choix que de suivre son père), ce choix n'a pas été Buck.

Le coeur de ce dernier se tord dans sa poitrine. "I fucking hate you, you fucking asshole," lui crache-t-il au visage, en se contredisant d'un seul souffle et sans hésitation, les joues rouges. "I hope you fucking rot in hell, you spineless piece of shit." Buck aimerait que Corban bouge, riposte, se relève, mais il n'en fait rien alors il se détourne dans un mouvement rageur.
Il saute dans son jean, enfile un t-shirt à l'envers, alors que ses affaires aux quatre coins de la tente se rassemblent pour se ranger dans son sac à dos au fond extensible. Les photos d'eux sur les murs en tissu, chéries par Buck comme celles qui se trouvent dans son portefeuille à côté de clichés d'Anne, Stevie et Maggie, ne bougent pas d'un pouce.

Quand il a fini de lacer ses chaussures d'un mouement magique et brusque de sa main, il jette un dernier regard à Corban. Est à deux doigts de céder, de le supplier une dernière fois. Ravale ses espoirs cons, ses rêves impossibles, et ses larmes rageuses. "You are the worst thing that's ever happened to me," lui crache-t-il au visage une dernière fois. Il attend. Et quand il comprend - enfin - qu'il n'y a rien pour lui dans cette tente, il se détourne et sort en trombe pour transplaner plus loin sans jeter un seul coup d'oeil aux chiens.

"I wish I knew how to hate you." You will; sooner than you think. Corban garde le silence parce qu'il sait que, plus que la douleur et la suffocation, c'est son silence qui rend Buck fou. Il le sait parce que Buck a besoin qu'on lui dise quoi faire, et Corban a besoin de dire aux autres ce qu'ils doivent faire. Il avait demandé à Buck d'arrêter d'espérer, d'arrêter de l'aimer. Il sait, malgré la tristesse qui rend ses yeux rouges, que Buck finira par lui obéir, une dernière fois.

Et ça ne rate pas. Buck lui flanque son poing dans le ventre. La douleur lui fait lâcher prise et, alors que Corban veut se plier en deux pour reprendre son souffle, Buck le renvoie dans les étoiles d'un coup de coude dans la figure. L'arête de son nez déjà pétée finit de se fendre dans un craquement humide, tandis qu'il fait quelques pas déséquilibrés vers l'arrière, se rattrapant de justesse à un bureau de camp. Si les deux coups consécutifs lui ont arraché des grognements de peine et de douleur, il n'a toujours pas desserré les dents. Il doit attendre encore un peu, ça va finir par venir; c'est comme d'attendre la fin d'une chasse. Que la bête ait fini de se débattre, qu'elle comprenne que c'était fini. Qu'ils étaient finis.

"I fucking hate you, you fucking asshole. I hope you fucking rot in hell, you spineless piece of shit." Un soupir soulagé, sifflant, s'extirpe de la bouche de Corban qui n'arrive pas à le regarder dans les yeux, maintenant son chef bas, avili. Thanks, James; thank you for that, I love you so much.
Comprenant que Buck avait atteint un point de non-retour, Corban se laisse glisser par terre, le regard invisible, les mains portées au visage pour apprécier les dégâts faits à son nez et à ses lèvres.
Encore quelques secondes, décisives, pendant lesquelles Corban doit se faire violence, lâcheté, pour garder sa gueule fermer. Des secondes qui s'étirent, pendant lesquelles il peut se voir, si distinctement, se jeter aux pieds de Buck pour lui supplier de le reprendre. La vision est si nette, palpable, qu'elle lui arrache un sanglot couvert par le barda que Buck rassemble dans son sac.

"You are the worst thing that's ever happened to me." That's it; you're doing amazing. Now go! Corban fixe un point au sol, l'oreille tendue, attendant le craquement du transplanage, les pans de la tente qui se rabattent, les pas qui s'éloignent. Il s'accroche à cette anticipation pour ne pas nourrir la pensée que les mots de Buck, aussi brutaux soient-ils, sonnaient davantage comme une preuve d'amour que comme un adieu.

Et enfin, Buck le quitte.
Corban se laisse tomber par terre, massant délicatement l'arête douloureuse de son nez, essaye de renifler. "So this is how it feels", murmure-t-il, se laissant avaler par le vide qui l'écrase.
Dehors, Giovedi se met à aboyer.
Mais Corban reste là.
Corban voudrait être n'importe où ailleurs qu'ici.