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10 septembre 2007, Albert's Docks | @nathan brisbane

CW : Pensées dépressives

Lorsqu’il a reçu le message-texte de Chérie lui demandant de passer à Albert's Docks, Lucjan a pensé pleurer.

Il est si fatigué.

Depuis l’intervention de l’Ordre du Phénix et affiliés sur l’île des horreurs, le monde relativement rangé (enfin, autant que faire se peut dans ces conditions) du sorcier a été retourné dans tous les sens. Prendre soin des nouveaux arrivants, membres de l’Ordre ou non, a été épuisant ; récupérer deux nouveaux colocataires (et une baignoire) a été épuisant ; accompagner Logan dans sa première (éclipse) pleine lune a été épuisant. Bien qu’il soit plus apte maintenant que dans son enfance à tolérer les changements, Lou sait et sent qu’il arrive au bout de la corde. Au bout de lui-même, de ses capacités, de sa santé mentale. La nouvelle lune, dans deux petits jours, n’aide pas à son niveau général d’énergie, qui frôle l’abyssal. Il a seulement envie de se coucher, de dormir, de se plonger dans la baignoire remplie d’eau froide et d’y mariner pendant des heures, d’ignorer ses tâches, Ms Alhambra, celleux qui ont besoin de lui. Envie de tout cela, tout en redoutant la réalité. L’insomnie, les heures qui tourneront sans qu’il ait l’énergie de les combler, les monstres nés des ombres de sa chambre, l’absence douloureuse de sa famille, d’Attia, l’eau toujours plus froide autour de lui. L’envie de s’y endormir, longtemps.

Il a peut-être vraiment pleuré, avant de lui répondre que bien sûr, il pouvait passer la voir, elle et Toni.
Il a aussi honteusement été un peu soulagé qu’elle lui précise de ne rien prendre avec lui, que tout le monde allait bien.
Il a besoin de ce moment de congé.

C’est aussi difficile d’aller à la planque d’Albert’s Docks. Difficile d’être là, à Liverpool, et de ne pas pouvoir aller voir ses parents, ni Attia. De ne pas pouvoir marcher dans la ville, au cas où qu’on le reconnaisse. Que la rumeur coure dans Little Italy que Lucjan Sacramoni est dans le coin. Le risque est trop grand, trop réel, et tout autant l’excuse parfaite pour s’y rendre à tire d’ailes et non pas simplement y transplaner (comme s’il avait besoin d’excuse pour prendre le plumage de la sterne arctique). Chérie est non loin de l'entrée de la planque lorsqu’il atterrit, puis s’y retransforme, secouant légèrement les bras comme il le ferait de ses ailes. Le vol a à la fois amplifié sa fatigue et apaisé quelques-unes de ses idées les plus moroses. Le compromis toujours un peu plus grand à ce moment du cycle lunaire, ainsi qu’à l’approche de l’automne et de la migration.

Lou ne se privera jamais de sa forme animale.

La blonde est donc là pour l’accueillir, d’un de ces grands sourires maternels dont elle a toujours eu le secret. La voir semble aussi un peu le réchauffer. « Il y a quelqu’un que je veux te présenter », dit-elle avant de l’entraîner dans les méandres de la planque, où le brun est… inconfortable, au mieux.
(il regrette de ne plus voir le Tempest amarré au port, qu'importe tout ce que le navire pouvait éveiller en lui)
Il n’a pas la force de refuser. De lui dire qu’il n’est pas en état de rencontrer quelqu’un de nouveau. De demander à ce que ce soit une autre fois. Lou se tait, se dit que ce sera rapide, qu’il repartira ensuite. Qu’il retournera voler au-dessus de la mer, qu’il plongera dans ses vagues. Il peut la sentir si proche de lui, à travers toutes les strates de magie, obsédante, et Lou en oublie ce qu’il fait entre les murs froids et lourdement protégés de la planque des laborantins, jusqu’à ce que la Brisbane l’emmène devant la porte d’une chambre.
Et que celle-ci, ouverte, y accueille quelqu’un qu’il connaît déjà.

Quelqu’un de mort, quelqu’un de vivant.
Quelqu'un qu'il regarde dans les yeux, vraiment.

« Nate ? »

Il a l’impression que ce n’est pas sa voix, que ce n’est pas lui qui a parlé, qu’il regarde tout cela de l’extérieur.
C’est pourtant lui, sa voix, il est là, et l’homme devant lui est Nathan Brisbane.
Mort, mais vivant.

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10 septembre 2007, Albert's Docks | @Lucjan Sacramoni

Il tourne en rond depuis presque un mois, Nate. Il tourne en rond et il a horreur de ça. Il a déjà fait le tour du Tempest au moins dix fois depuis son retour, eu le temps de faire râler Tristram au moins autant de fois et de râler lui-même au moins le double si ce n’est le triple à propos d’un peu tout et n’importe quoi. Il s'était dit qu'en déménageant à Albert's Docks, il serait plus occupé, mais le déménagement avait été express. C'est pas comme s'il avait eu beaucoup d'affaires de toute façon, mais les autres avaient plié la chose en deux ou trois mouvements de baguette. Résultats des courses: il s’emmerde et un Brisbane qui s’ennuie ce n’est bon pour personne.

On lui a trouvé un prof (merci l’Ordre ?). Il paraît que ça pourrait l’aider à reprendre le contrôle sur sa magie. Faut dire que l’autre jour, ils se sont mis à deux pour lui remettre ses doigts en place après sa tentative ratée de transplaner d’un coin à l’autre de la pièce. Mais les résultats sont inexistants. Rien de concluant. Il jette des sorts – enfin il essaye – et puis il insulte la terre entière sous les yeux d’un spectateur impuissant dont il se serait bien passé. Ça aussi ça l’agace ! Il a été capable de transplaner avec d’autres en juillet, il a été capable de réitérer l’exploit – s’en est clairement devenu un à ce stade – lorsqu’il avait retrouvé Léonilde dans leur bar, et là, rien ? Quoi qu'il fasse les résultats ne sont pas là. Il paraît que ça reviendra. Il paraît que la magie à laquelle ils ont été soumis tout ce temps va prendre du temps avant de disparaître de leur système – surtout pour ceux qui y ont été longtemps exposé. Il paraît ci, il paraît ça. Il paraît même qu’en fait personne ne sait si leur magie reviendra. En attendant, son cas et celui des autres n’est pas beaucoup plus avancé.

On l’emmène parfois voir d’autres planques, histoire de lui faire changer d’air un peu, le faire râler un peu moins. Et c’est finalement avec Leo qu’il passe le plus clair de son temps dernièrement, à essayer de rattraper tout ce qu’il a pu manquer. Soit un paquet de trucs, en fait ! Chérie se joint parfois à leur terrible binôme le temps d’une heure ou deux quand ce n’est pas plus. Eux aussi ils ont un tas de trucs à se dire, mais Nate préfère de loin écouter les aventures de sa sœur plutôt que de partager les siennes avec elle. Ou alors juste les sympas, il a vu ce que ça avait donné sur Tommy de raconter sans filtres la vie sur l’île, il ne veut pas voir cet air sur le visage de sa sœur ainée.

Et en parlant d’aventures, elle avait fini par laisser tomber une information qui n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd ! Un certain italien se serait joint aux aventures de l’Ordre alors qu’il était coincé à Gracefield. Il a eu du mal à le croire au départ, il voyait mal Lucjan se lancer dans un duel face à des mangemorts. Mais en même temps il pouvait facilement l’imaginer aider ceux qui en avaient besoin. Ouais, ça lui ressemblait bien, ça.

Connaissant son petit frère et son humeur du moment, Chérie lui avait proposé d’organiser des retrouvailles qu’ils avaient vraisemblablement tous les deux bien mérités. Des retrouvailles qu’elle s’était bien entendu empressée d’organiser !

Deux petits coups sur la porte de la chambre et Nate relève la tête vers l’origine du bruit. Adossé contre le mur qui fait face à la porte, ses doigts font pivoter les faces d’un Rubik’s Cube depuis que sa sœur l’a laissé. Ca lui occupe l’esprit sans vraiment parvenir tout à fait à faire taire les questions qui le hantent. Et s’il l’avait oublié ? Et s’ils n’avaient rien à se dire ? Et puis si en fait en découvrant le piège tendu par Chérie il avait fait demi-tour ? Et si - « C’est nous ! » Chérie est de nouveau là et elle n’est pas revenue seule – c’est rassurant parce qu’il a eu peur à un moment que le rendez-vous fixé par sa sœur soit annulé à la dernière minute. Lou est avec elle. Il est vraiment là. Pour de vrai. Il a bel et bien rejoint l’Ordre et se trouve ce soir entre les murs d'Albert's Docks et ça fait naître un sourire franc sur le visage du grand blond. Il jette le cube sur son lit pour faire un pas dans leur direction.

« En chair et en os ! » qu’il répond, les bras tendus de chaque côté de son corps comme si la posture suffisait à renforcer ses propos. Posté ainsi, il peut presque toucher les murs opposés de sa chambre, c'est ridicule. Il a hérité d'une des plus petites, c'est pas contre lui, mais vu qu'il ne fait pas grand chose, le confort, tout ça ... bref. Il était tout aussi bien logé dans la petite cabine du Tempest, mais le vieux Tristram avait décidé de mettre un peu les voiles. Et s'il n'était pas satisfait du logement, il pouvait toujours aller crécher ailleurs, qu'on lui avait rétorqué. « Bon et bien je vous laisse, je crois que vous avez plein de choses à vous dire. » Un sourire chaleureux offert aux garçons et la voilà qui s’éclipse.

Un silence s’installe entre eux. Le genre de truc qui n’arrivait pas vraiment avant, y en avait toujours un pour le briser. Lui, le plus souvent. Un silence qui lui laisse le temps de l’observer un peu mieux. Les années ont donné un air sérieux à son vieil ami. Il fait un peu plus adulte, plus responsable que ce qu’il a gardé en mémoire de lui. En même temps, ils n’étaient encore que des gamins la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Peut-être qu’il est un peu plus assuré aussi. Mais les traits tirés de Lou ne le trompe pas, il est fatigué. Un peu trop, même. Il doit avoir des journées bien remplies. Mais il est là ! Il a fait le déplacement, et ça suffit pour illuminer un peu sa journée.

« Je te promets, c’est moi. »

Il l'a pourtant reconnu, mais il préfère lui assurer qu'il n'y a pas erreur sur la personne.

C'est bien lui, Nathan Brisbane.

TW : début d'attaque de panique

« En chair et en os ! » C’est sa voix, c’est son sourire, c’est sa blondeur, c’est même son Rubik’s cube, celui qui ne le quittait pas depuis que Leonor Martillo le lui avait offert (il s’en souvient encore, de sa fascination pour le casse-tête moldu). Ce sont ses yeux, bien que fatigués. Son visage, amaigri. S’il sentait la magie comme certain.e.s, il pourrait la reconnaître, y compris avec les failles qui y sont marquées, comme autant de cicatrices invisibles.

Lorsque Nathan est mort, Lou a eu mal.

C’est tout ce qui tourne dans sa tête, en cet instant. Les souvenirs de septembre 1998, quand les nouvelles sont venues, en secret, de Chérie ― Nathan est mort, le reste de la lettre est flou une fois ces premiers mots lus, c’est Attia qui doit poursuivre pour lui, pour eux, il a été tué lors d’une attaque de Mangemorts. Les détails, les excuses, ce que contenait la missive outre cela, Lucjan n’en sait plus rien. Il ne s’en souvient plus, puisque tout ce qu’il s’est gravé dans sa mémoire est cette douleur intense, poignante. Cette noirceur soudaine.

Nathan est son premier ami. Son premier réel ami, qu’il a choisi, avec lequel il a décidé de passer du temps, de partager ses passions, ses conversations, ses doutes. Son enfance avait été solitaire par choix, par peur, par incompréhension, et cette ouverture au Brisbane, suite à la présentation faite par Mira (qui, jadis, n’était pas tant une amie qu’une voisine un peu trop gigotante et bavarde à son goût), était un premier pas conscient, concret. Un premier signe d’ouverture hors de sa bulle familiale et de ses encyclopédies océaniques. Le perdre, le perdre si tragiquement, le perdre alors qu’ils étaient si jeunes, avait été un drame.
Il a beaucoup pleuré, sans avoir le choix de continuer à vivre, et d’un jour se rendre compte que le monde tourne malgré tout. Les anniversaires sont les plus difficiles. Ces instants où l’instinct prend le dessus ― devant un casse-tête astucieux, un poisson d’avril, un glyphe alchimique ― et que son coeur se serre alors qu’à la pensée je dois en parler à Nate, il n’y a plus personne. Lorsqu’il prend des nouvelles des Brisbane-Martillo et qu’il doit ravaler deux prénoms sur huit.

Nathan est ressuscité et Lou ne sait plus respirer.

Chérie parle et ses paroles lui parviennent comme à travers de l’eau, mais il comprend l’essence de ses mots lorsqu’elle tourne le dos. Il veut partir, lui aussi. Suivre Chérie, l’implorer de ne pas le laisser là, de ne plus lui refaire ça, que ce n’est pas drôle, que ce n’est pas vrai. Il ne s’avance pas, n’ouvre pas les bras. Il a soudain chaud, son coeur bat jusque dans sa gorge, il ne sent plus ses doigts, ses mains, c’est comme lorsqu’il était avec Logan, mais en pire, parce que c’est devant un ami, devant quelqu’un qu’il aime, aimait, parce que c’est devant Nathan. Il recule même un peu et s’appuie le dos contre la porte de la chambre spartiate, pour ne pas s’écraser au sol maintenant que ses jambes semblent être faites en coton. « Je te promets, c’est moi. La question fuse, brusque : Tu étais où ? Chérie ne lui a rien dit, personne ne lui a rien dit, et Lucjan déteste les surprises, autant que les changements. Même si ce changement est de retrouver son ami. Son esprit erre et se fixe sur la seule possibilité qui explique sa sortie fraîche du tombeau, aussi étourdissante soit-elle : Là-bas ? Tu étais sur l’île ? » S’il y était, pourquoi ne l’a-t-il pas soigné à son retour ? (parce qu’il n’est qu’un guérisseur spécialisé en créatures magiques) Pourquoi ne l’a-t-il pas contacté avant ? (parce qu’il y a toujours mille choses à faire) Pourquoi personne ne lui a rien dit ?

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10 septembre 2007, Albert's Docks | @Lucjan Sacramoni

Il ne sait pas ce qu’il se passe dans la tête de Lou, mais il le connait si bien qu’il peut tenter de l’imaginer. Au moins dans les grandes lignes. Des questions, des souvenirs, puis des souvenirs et encore des questions, ça doit être un sacré bazar là-dedans. Il lui en lance une de question d’ailleurs, que le grand blond esquive d’abord, plus inquiet pour son ami que par la réponse qu'il pourrait lui donner. Il va quand même pas lui faire un malaise, si ? Non parce que c’est pas le moment, il est pas médicomage lui. Il a peut-être ramassé un résistant ou deux de temps en temps les jours de Battues, mais il les a jamais soigné, ça compte pas. Il tend la main vers lui comme pour le rattraper, mais la porte le fait pour lui. « Eh, ça va ? Attends, prends la chaise! » Merde, ils auraient peut-être mieux fait de s’y prendre différemment pour les grandes retrouvailles … « Vas-y, assieds-toi. Prends ton temps. » Il attrape le dossier de la chaise à sa droite pour la ramener vers Lou. Une fois qu’il est installé, sa main se pose sur l’épaule du Sacramoni, juste pour être sûr qu’il ne pas s’effondrer. Mais rien de tel ne se produit. Nate peut respirer, c’est bon. Il s’installe sur le sol. Presque face à la chaise, les bras posés sur ses genoux légèrement remontés contre lui parce que la chambre ne se prête définitivement pas à accueillir des gens un peu grands.

Les connexions se font vite chez l’italien, il faut dire qu’il a toujours été vif d’esprit, Lou. Alors, Nate acquiesce avant d’apporter une légère précision. « Ouais. Azkaban d'abord, et puis après Gracefield. » S’il lui pose la question, c’est qu’il n’était pas de la partie quand on est venu les chercher. C’est que vraiment, il ne savait pas. Et quelque part ça le rassure de savoir qu’on lui a épargné la vision de l’île et de ses jeux sordides. Le monde est assez sombre comme ça, inutile d’obscurcir les pensées d’un être aussi doux que Lucjan. Parce que c’est ce qu’il est Lou aux yeux de Nate, un petit nuage de douceur et d’innocence qu’il faut préserver. Gamin, il essayait de le bousculer un peu parfois, de mieux le parer pour affronter les autres, mais c’était différent. S’il a rejoint l’Ordre, il se doute qu’il en a bavé, mais il demeure à ses yeux ce gamin un peu trop sage qu’il a pris sous son aile. Mira avait vu juste quand elle avait fait les présentations. C’était une bonne amitié qu’elle venait de créer, du genre solide, qui dure dans le temps. Avec lui, il avait d’abord partagé son intérêt pour les casse-têtes avant de partager celui pour les blagues et les idées un peu folles. Parce qu’il avait tout de suite senti, Nate, que c’était comme ça qu’il pourrait gagner sa confiance. Les autres, ça passait plutôt par l’humour, par une connerie, mais pas avec Lou. Avec Lucjan, ils se sont toujours encouragés, écoutés, soutenus. Rarement engueulés. Lou était devenu son petit frère, son meilleur ami, un pilier, un peu tout ça à la fois, n’en déplaise à ceux qui disaient que c’était étrange qu’il le trouve intéressant ou encore digne de sa compagnie. Parce qu’un Brisbane ça braille, ça s’entend à l’autre bout d’un couloir, ça prend presque toute la place dans le canapé, mais qu’un Sacramoni, un Lucjan surtout, c’est plus discret, plus sur la réserve. Comprenez que ça détonne un peu. Mais ensemble, y a un équilibre qui se crée. Un truc sympa.

Et les trucs sympas, il les accepte volontiers.

Il ne le quitte pas des yeux, dès fois qu’il lui ferait vraiment un malaise ou qu'il lui prendrait l'idée de partir en courant.

C’est drôle, vu de sa place, c’est Lou qui paraît le plus grand. Est-ce qu’il aurait grandi depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus ? Hm. Difficile à dire. « Je suis content de te revoir, t’imagines même pas ! » Au moins aussi soulagé de le revoir que quand il avait retrouvé le reste de sa famille. Parce que oui, Lucjan, c’est sa famille aussi.« J'ai eu peur que tu veuilles pas venir, si on t'avait dit pourquoi on voulait te voir. » Parce qu'il imagine que ça avait pas dû être facile à vivre, alors lui annoncer qu'un ami mort depuis près de dix ans était en fait vivant ? Il aurait pu croire à une  mauvaise blague. Et donc réellement refuser la rencontre.

TW : début d’attaque de panique

La chaise offerte par le Brisbane est bien accueillie et il ne refuse pas de s’y asseoir, considérant que sinon, il risque de s’écraser peu à peu au sol. Toutefois, ce qu’il accueille bien plus mal est sa main sur son épaule. « Non », et le mot est étouffé alors qu’il se dégage de sa poigne. Le geste est aussi instinctif que douloureux. Auparavant, il avait appris à tolérer (apprécier) le contact du Brisbane, autant que celui-ci avait appris à modérer, surveiller, la propension tactile qu’il partage définitivement avec tous les membres de sa fratrie. Tout est à reconstruire et la perspective l’épuise, serre sa poitrine, l’étourdit toujours plus.
Vraiment, il est bien qu’il soit assis.

Il pose ses mains sur ses genoux et tente de se concentrer sur la sensation du tissu de ses pantalons sous ses doigts, mais il ne sent que les picotements qui persistent à danser dans ses mains jusqu’aux poignets. « Ouais. Azkaban d'abord, et puis après Gracefield. » Il n’y a rien vraiment à répondre aux précisions du Brisbane. Les deux options sont horribles et il n’a mis le pied ni à la prison sorcière, ni sur l’île : il peut seulement croire les témoignages des survivants. Remercier Dieu, la Vierge et tous les saints au paradis comme sur terre qu’il n’ait pas eu à vivre, à mourir, où que ce soit, et que sa propre fuite, ses propres velléités de résistance, ne se soient jamais si atrocement soldées. Il murmure tout de même un « Oh » pauvre et laid, pas même suivi d’un petit mot sur sa joie qu’il soit… peut-être sain, peut-être sauf, mais certainement plus là-bas. Qu’il soit ici. « Je suis content de te revoir, t’imagines même pas ! » Moi aussi, que veut répondre Lou. Moi aussi. À la place, ce qui tord son visage peut être interprété comme un sourire, ou une grimace, tant la mimique est forcée et fausse. Tant aussi il s’en veut d’être incapable d’offrir autre chose à son ami.

Ses mains sont toujours engourdies, sa tête pulse avec force, le col de sa chemise le serre, ses vêtements grattent, il a chaud, chaud, chaud. Il a envie de sortir de cette chambre trop petite, de respirer l’air frais, de se baigner, de voler. De voler loin.

« J'ai eu peur que tu veuilles pas venir, si on t'avait dit pourquoi on voulait te voir. Sa voix est plate, mais pas moins catégorique : Je serais venu, et c’est vrai. Il ne croit pas que Chérie serait capable d’une telle cruauté, de lui faire croire à la survie miraculeuse de son ami, mais il aurait eu besoin de le voir de ses propres yeux. Il aurait même nettement préféré qu’on l’avertisse et que pour cette rencontre, il soit prêt. Dans de meilleures dispositions. À une autre date. Qu’il ait dormi. Qu’il ne soit pas en train de trembler sur sa chaise, le regard fixé sur les pieds de Nathan. Je n’aime toujours pas les surprises. » Ce qui devrait ressembler à un rire, à une blague, sonne plutôt comme un sanglot très mal dissimulé. Sec, sans larmes, sans rien d’autre que sa gorge serrée, ce ton qu’il contrôle mal, que ses yeux qui ont tellement pleuré il y a neuf ans et qui, en ce moment, ne peuvent même plus regarder le blond en face.

Il ne sait pas quoi lui dire.
Comment rattraper le temps perdu.
Mille choses sont arrivées.

Tilly devait entrer à Hogwarts, mais elle n’y est jamais allée. Elle est en France. Il est un hybride, et Tilly aussi, et même Mike, tu te souviens de mon ex-beau-frère ? Il sait pourquoi il a toujours été si doué en métamorphose, pourquoi la mer, pourquoi le cycle lunaire, pourquoi il est un peu ce qu’il est. Il a été fiancé. Il ne l’est plus. Il aurait détesté Britta. Il a rejoint l’Ordre du Phénix comme réfugié. Trois cercles sont désormais tatoués à son poignet. Il n’a pas vu Attia depuis des semaines.

Il ne sait pas ce que Nate sait, ou ce qu’il ignore, de sa situation au sein de la résistance. Il le suppose mis au jus par ses aînés, mais même de cela, il n’en est pas sûr. Franchement, à voir comme on l’a amené ici sans lui dire quoi que ce soit, c’est même possible que le Brisbane ne sache rien (les Brisbane-Martillo ne sont toujours pas devenus des champions de la communication). « Comment tu vas ?, se décide-t-il enfin à demander. Le ton toujours un peu court, comme à bout de souffle, et direct. Est-ce que tu vas… mieux, depuis juillet ? » Il se retient tout juste d’entièrement revêtir sa peau de guérisseur, de se cacher derrière ses réflexes professionnels pour l’interroger. C’est toujours plus facile. Une façon de s’enfuir, de se dissimuler. Dans tous les cas, remarquons que Lou décide que parler de lui d’abord, c’est non : de toute manière, ce n’était pas lui, le mort.

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10 septembre 2007, Albert's Docks | @Lucjan Sacramoni

TW : culpabilité


Le « non » et le mouvement que Lucjan y associe pour se dégager lui font l’effet d’un électrochoc et il retire immédiatement sa main de l’épaule de son ami. Ça fait mal. C’est vrai que Lou n’a jamais vraiment été tactile, pas autant que lui. Et à cet instant, il s’en veut d’avoir oublié ce détail, il l’a oublié et pourtant c’est le genre de chose qu’il sait. Il le sait. Il l’a appris au début de leur amitié. Il connaît Lou. Il sait que malgré ses efforts, il y a des limites. Pourtant, il n’a pas été capable de se le rappeler. Ils font un pas en avant pour reculer immédiatement après. «Ok. » Il a besoin d’espace, Nathan peut le comprendre. Il en aurait sûrement eu besoin aussi à sa place, seulement la pièce ne leur offre pas ce luxe. C’est ça quand on est retiré des effectifs apparemment ... C'est compliqué de retrouver sa place sur la liste.

L’équilibre est loin d’être rétabli et Nate a comme l’impression qu’il leur faudra bien plus que leur petite discussion de ce soir pour que ce soit le cas. Tout ça, c’est de sa faute. S’il avait transplané ce jour-là, rien de tout ça ne serait arrivé. Il serait resté avec le reste du clan Brisbane-Martillo, ils auraient continué les missions ensemble. Il aurait là pour accueillir Lucjan en grandes pompes quand il aurait rejoint l’Ordre. Il aurait continué à bosser avec lui sur des casse-têtes.

Mais il serait certainement passé à côté de tout un tas d’autres trucs. Il n’aurait probablement pas fait toutes ces rencontres sur l’île.

D'ailleurs face à sa précision, Lou ne peut que lui répondre un : « Oh. » Ouais, c’est plus ou moins ce à quoi il a droit quand il raconte ce qu’il lui est arrivé – souvent accompagné d’un regard de pitié aussi. Y a pas grand-chose à en dire de toute façon. Ça craint.

« Je serais venu » Il serait venu, qu’il lui dit. Comment il a pu en douter ? Il se le répète une fois ou deux, Lou serait venu parce qu’ils sont amis. Il aurait vraiment pu s’y prendre différemment. Et la phrase qui suit ne fait que le confirmer son idée. « Je n’aime toujours pas les surprises. » Il manque de s’étouffer en voulant rire aussi et se retrouve à toussoter avant de pouvoir reprendre. Bien sûr qu’il n’aime pas les surprises. « Je croyais que tu t’étais enfin habitué aux miennes. Je t'avais dit, je suis plein de ressources » Il lui en avait fait peu souvent, ou alors il le prévenait, lui donnait des indices. Un truc sur lequel réfléchir sans pour autant tout révéler. Enfin, à part aujourd’hui. «  Désolé, on n’a pas trop réfléchi. » Il n’est peut-être pas un aussi bon ami qu’il l’a été avant ? Est-ce que Zabini et son île lui ont pris ça aussi ? Son amitié avec Lou ? Leur spontanéité ? Merlin, il espère que non. Il espère que c’est juste le choc des retrouvailles. Qu’après quelques temps, tout sera de nouveau normal entre eux.  

Et puis Lou dévie la conversation, lui demande comment il se sent. Comment il va ? Vaste question sur laquelle il n’a jamais encore cherché à s’attarder parce que la vérité serait certainement trop moche. Il hausse les épaules. Bien, il suppose. Il est vivant. C’est déjà pas mal. Est-ce qu’il va mieux ? Hm. Sûrement un peu oui. «  Je crois. Ça pourrait être pire. » Il se tord les doigts, c'est pas le genre de sujet qui le met à l'aise. Jure, parce qu’il s’est fait mal. Les plie et les déplie, comme si c’était supposer faire disparaître la douleur avant de reposer les yeux dessus. Oui, ça pourrait être pire. Mais ça pourrait être franchement mieux. «  C’est rien. J’ai voulu transplaner l’autre jour, j’aurais mieux fait de rien faire. Ils sont encore un peu sensibles. » Il se racle la gorge comme si ça suffirait à clore le sujet de son niveau actuel de magie. Avouer à demi-mots qu’il est de ceux qui ont des problèmes, de toute façon tout le monde doit être au courant maintenant, non ? Ou ça aussi, les têtes pensantes de l’Ordre estiment que ça mérite d’être gardé secret ?

«  Alors comme ça, tu as fini par rejoindre la résistance. » Plus un constat qu’une question. A son tour de changer de sujet, on ne s'étale jamais trop sur ses faiblesses dans la famille. «  C’est Chérie qui a lâché l’info cette semaine. » Elle avait été peu bavarde sur le sujet, estimant certainement que ce n’était pas sa place d’expliquer le parcours de Lucjan.

Il a déjà été habitué aux surprises du Brisbane ― celle-là est un peu trop grande pour être digérée convenablement, pour être acceptée sans douleur. Parce que c’est ce qui se dispute dans son corps, dans sa poitrine, dans le mélange étrange d’émotions et de sensations : une douleur qui prend toute la place du soulagement qui aurait pu être. De la joie, encore trop timide, étouffée sous le rappel de la mort, sous les souvenirs qui sont revenus s’écraser sur lui comme une vague redoutable. «  Désolé, on n’a pas trop réfléchi. Ça va, vous vouliez pas… » Les épaules se haussent, sans que sa phrase se termine. Personne ne voulait mal faire, il le sait : il connaît Chérie et Nathan, et probablement que la perspective de la surprise, de la joie inhérente à ces retrouvailles, a dépassé la conscience que Lou n’aime pas les imprévus. A dépassé, dans le cas de l’aînée de la fratrie, cette attention au cycle lunaire qui rythme la vie de l’homme.
Ça va, alors que ça ne va pas du tout : ça lui rappelle quelqu’un.

Son camarade répond un peu machinalement à sa question sur son bien-être et son regard se porte sur les mains du blond, sur les doigts qui se plient et se déplient un peu lentement. En tant que guérisseur, Lucjan a été mis au courant des petits problèmes magiques des membres de l’Ordre et des réfugiés revenus des Battues. Nécessaire, considérant les potentielles blessures résultant de l’affaire (le souci de désartibulation de Nate en est un excellent exemple), l’instabilité des pouvoirs (cf. un petit-déjeuner au pain brûlé et à la viande crue gracieuseté du renommé chef Javier Alvarez) et la logistique en découlant. C’est peut-être mieux ainsi, que sa spécialité ne soit pas les blessures par sortilèges. Il sait d’avance que la porte de sortie serait toute trouvée, qu’il se perdrait dans les conseils et recommandations pour son ami, en mettant de côté tout le reste. Et une fois l’avis médical délivré, il ne resterait pas.

Les siens, de doigts, vont détacher un bouton, deux boutons de sa chemise, afin de soulager sa gorge serrée. Se plaquent sur son front, à la recherche d’un peu de fraîcheur pour apaiser la vague de chaleur qui lui donne de fiévreuses couleurs. « Alors comme ça, tu as fini par rejoindre la résistance. Il hoche un peu la tête et sourit un peu plus franchement, même si brièvement. C’est Chérie qui a lâché l’info cette semaine. Ça fait… deux ans et demi, maintenant. Je suis devenu cercle 3 en avril de cette année. Il en est un peu fier; il en est toujours aussi terrifié. À chaque nouvelle lune, Lucjan regrette d’avoir accepté davantage de responsabilités, que pour se retrouver content de ce choix lorsque l’astre est à nouveau plein. C’était plus facile comme ça. » Pour lui, pour avoir un toit un peu fixe au-dessus de sa tête, un endroit où se reposer, un semblant de stabilité factice. Plus facile pour Attia, qui risquait gros pour lui (il en avait assez de la mettre en danger). Puis, même si l’Ordre du Phénix ne lui a pas donné le choix de la résidence, on l’a accueilli. On a accepté ses propositions d’aider avec plaisir. On respecte globalement ses limites, même s’il sait que s’il proposait de faire plus, ce serait encore mieux.

En disant cela, Lou se rappelle sa précédente pensée : qu’est-ce que Nathan sait, ou ne sait pas, de sa situation ? Si ça se trouve, il ne comprend absolument rien de ce qu’il cause, quand il dit que c’est plus facile. Ainsi, prudent, le regard oscillant sur une mèche blonde rebelle tout proche des yeux de son ami, il demande : « Qu’est-ce que Chérie t’a dit ? Sur pourquoi je suis avec l’Ordre ? » Où doit-il commencer ?

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10 septembre 2007, Albert's Docks | @Lucjan Sacramoni

Malgré l’inconfort généré par la situation, il ne semble pas trop leur en vouloir pour cette surprise maladroite. C’est du Lucjan tout craché ça ! Mais il n’a qu’à l’observer pour constater que ce n’était pas l’idée du siècle. Pourtant malgré ses paroles qu’il veut rassurantes, le sentiment de culpabilité ne disparaît pas entièrement chez le Brisbane. Pas sûr qu’il disparaisse de sitôt, même.

Nate apprécie qu’il ne cherche pas à le faire parler sur les difficultés rencontrées récemment concernant sa magie. La situation est suffisamment frustrante ainsi, il n’a pas envie de remuer le couteau dans la plaie.  « Ça fait… deux ans et demi, maintenant.»  Deux ans et demi … il essaye de faire le calcul, de revoir ce que lui-même faisait il y a deux ans et demi. Il était évidemment piégé sur l’île, ça limitait un peu les options. Est-ce que Lou était arrivé un jour où lui jouait sa survie lors d’une soirée de Battue ? Ou bien un après-midi alors qu’il imaginait les pires bêtises avec Charlotte ? Ou encore un matin pluvieux où ils avaient opté pour ne rien faire ? A moins que ce soit tombé à un autre moment ? Hmpf. Ça ne l’aurait pas avancé de savoir la date, parce qu’une fois sur l’île, la notion de temps devenait toute relative. Ils arrivaient parfois à obtenir l’information ou un semblant d’idée, mais c’était bien trop rare pour se constituer un quelconque calendrier. Il ne sait même pas pourquoi il s’attarde autant sur cette pensée. « Je suis devenu cercle 3 en avril de cette année. »La notion de cercle ne lui parle pas encore tout à fait, il sait juste que lui aussi, il a obtenu les trois petits cercles sur le bras. On lui a vaguement laissé entendre que peut-être il pourrait passer « cercle 5 » une fois qu’il serait totalement opérationnel et réintégré au sein de l’organisation. Il a un jour eu les compétences, il faudrait donc remettre tout ça à jour, s’assurer qu’il avait encore les épaules pour, et encore tout un tas de critères élaborés par les grands maîtres des cercles. Un projet bien ambitieux pour quelqu’un qui ne sait déjà pas de quoi sera fait sa journée au moment du réveil.  Encore une nouveauté cette histoire de cercles … Il ne prétend pas que les choses étaient mieux avant, mais comme beaucoup des anciens locataires de Gracefiled, il a pu découvrir quelques-uns des grands projets de modernisation de l’Ordre mis en place pendant leur absence. Des choses qui auraient parfois mieux fait de rester à l’état de notes froissées dans le fond d’une corbeille à papier ou mieux ! à celui d’un papier réduit en cendres au fond d’une cheminée.

Lou poursuit en parlant de facilité. « Ah. » Il commente, mais il ne voit pas bien ce que ça veut dire. Plus facile ? pourquoi les choses auraient-elles été plus faciles s’il rejoignait la résistance ? Il n’a pas eu toutes les pièces du puzzle, il le sent. « Qu’est-ce que Chérie t’a dit ? Sur pourquoi je suis avec l’Ordre ? » Rien. C’est simple, elle ne lui a rien dit. Rien qui lui permette de comprendre son intégration aux rangs de l’Ordre. « Chérie étant Chérie, elle a décidé de ne rien dire de particulier, sinon que je serais certainement très heureux d’apprendre que mon meilleur ami avait rejoint l’Ordre. Et donc, je suppose, que je pourrais tenter de rattraper le temps perdu ou je ne sais quoi dans cet esprit. » Est-ce qu’il y avait des choses dont il devait être mis au courant ? Des informations qu’il valait mieux qu’il apprenne de la bouche de l’italien ? Il est persuadé que Chérie avait toutes les cartes en main quand elle lui a annoncé la présence de Lucjan dans le secteur, elle n’a juste pas voulu les partager. « Mais, maintenant que tu le dis, je suis curieux de savoir ce qui t’as poussé à sauter le pas ? Je te pensais en sécurité. Enfin, pas en sécurité comme ça. » Est-ce qu’il est clair ? Il en doute lui-même. « Il s'est passé quelque chose ? »

De toute façon, il faut qu’il sache. Il en a trop dit sans le faire. Quelque chose s’est passé dans la vie de Lucjan pendant son absence, quelque chose d’assez grave pour lui faire rejoindre l’Ordre.

Chérie étant Chérie, elle n’a rien dit : c’est le cas de le dire. Le Sacramoni ne sait pas ce qui aurait été préférable : qu’elle fasse un résumé de sa situation à Nate, histoire de lui enlever cette épine du pied (il déteste toujours autant parler de ça), ou, comme elle l’a fait, qu’elle lui laisse le choix de l’annoncer selon ses voeux. C’est respectueux et il a presque envie qu’elle ne l’ait pas autant été. « Mais, maintenant que tu le dis, je suis curieux de savoir ce qui t’as poussé à sauter le pas ? Je te pensais en  sécurité. Enfin, pas en sécurité comme ça. Il s'est passé quelque chose ? On peut dire ça comme ça. Quelque chose comme une grande révélation qui l’a forcé à partir, plus que rejoindre la résistance de son plein gré. Peut-être l’aurait-il fait de lui-même, un jour ? Il n’y a rien de moins sûr, considérant la vie à peu près paisible qu’il menait auparavant au sein de la dictature. Je suis content d’être encore ton meilleur ami », dit-il doucement. Il veut le croire, comme il veut croire que la nouvelle ne changera rien à ces retrouvailles inattendues.

Nate a passé des années entouré d’hybrides et de maudits, il a pu compter sur eux afin de survivre. Il en connaît probablement autant que lui, des sorciers qui ne sont pas tout à fait humains, et tout autant à leur sujet, à vivre à leurs côtés. Peut-être même plus, vu que les conditions de vie de Gracefield sont bien en-dessous de celles proposées par l’Ordre du Phénix, même dans une planque où pas grand monde n’a envie d’être. Nate a surtout toujours été quelqu’un d’ouvert, de gentil, et il ne doit pas craindre de recul de sa part.
La peur reste tout de même viscérale. Celle du dégoût, celle d’être mis de côté, celle de la déception, celle de ne plus être le même dans les yeux de son ami. C’est plus fort que lui, alors que la peur s’attache à son humeur miséreuse, à sa fatigue, à ses yeux définitivement fixés sur un point voisin du visage du blond.

il reste silencieux pendant encore de longues secondes, avant de prendre son souffle et d’y aller au plus simple : sans fioritures. Le diachylon, arraché sans sommation. « Le test Von Bäume a révélé mon ascendance. Ça met la table sans tarder autour du problème, son ton plat et un brin tremblotant débitant les paroles presque trop rapidement. L’orphelinat n’a jamais rien su et mes parents ont toujours pensé que j’étais juste… juste un sorcier, ce n’était pas important pour eux. Ni pour moi. Et il veut que ce ne soit pas important pour Nathan non plus. Je suis à demi Selkie. » Il ne le regarde pas, il ne le regarde plus, parce qu’en fait, peut-être le trouvera-t-il simplement ridicule de faire tout un plat de cette ascendance, qu’il va se moquer de lui. Il va le trouver idiot, en plus de tout le reste. « On peut, tu peux comprendre pourquoi j’aime autant l’eau, hein, et le rire est étranglé, douloureux, trahit une nervosité revenue à toute vitesse, alors qu’il avait réussi à retrouver son calme. Attia et moi on a décidé que je n’irais pas me recenser au Ministère. Elle m’a aidé à me cacher et un jour, Chérie lui a proposé que je rejoigne l’Ordre. J’ai dit oui et depuis… je suis là. Enfin, à Sweet River. » Il veut lui dire que ça va bien ― que Sid l’a autorisé à venir sur le Tempest (elle, et Ed, et Mr Bullstrong-pas-Macca-l’autre, et Macca) quand il en a besoin, qu’il est utile, qu’il a plein d’ami.e.s, qu’il mange bien (mensonge, il ne mange toujours pas assez), qu’il peut demander à tout le monde, que ça va, juré, ça va, et qu’Attia lui manque, mais ça va, et que Tilly lui manque, mais elle est en sécurité, oui parce que Tilly aussi, et, et, et ― « Ça change rien pour toi, hein ? » Le ton est suppliant et pour la première fois depuis qu’il est entré dans la chambre, depuis ce premier regard échangé avec stupeur, Lucjan fixe Nathan, yeux dans les yeux.

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10 septembre 2007, Albert's Docks | @Lucjan Sacramoni

Le « On peut dire ça comme ça » de Lucjan lui fait froncer les sourcils. Il a manqué un épisode, plusieurs même, c’est plus qu’évident et personne n’a pris le temps de lui spoiler ce qu’il a loupé pendant la longue pub. Le genre de truc sérieux, il le sent et ça l’inquiète. « Je suis content d’être encore ton meilleur ami » Il balaye la remarque d’un geste de la main, comme si quoi que ce soit aurait pu changer ça. «T’as décroché le rôle il y a  longtemps et j’ai pas l’intention de te trouver un remplaçant. J’ai jamais eu l’intention de le faire.» Ce serait Lou ou ce ne serait personne. Il le connait trop bien, ils ont grandi ensemble, le lien est trop fort, trop bien ancré dans l’histoire pour pouvoir être effacé en un claquement de doigt. Nate n’aurait de toute façon pas l’énergie de rebâtir quelque chose de similaire – de forcément moins bien – avec une autre personne.

La mention du test Von Bäume lui rappelle quelques conversations avec des prisonniers de Gracefield. Une saleté de sortilège qui en a précipité plus d’un dans l’arène. Ce gouvernement n’a vraiment aucune limite ... Qu’est-ce que ça change de connaître dans le détail l’arbre de tel ou tel autre individu ? A part s’il est question d’un héritage particulièrement intéressant, son utilisation est plus que discutable selon le Brisbane. Mais il ne dit rien, il écoute sagement ce que Lucjan veut bien lui raconter.

Un demi-Selkie.

Il ne l’a pas vu venir. Il ne l’aurait pas deviné tout seul. Ok, oui, effectivement, Lou aime beaucoup l’eau au moins autant que lui aime les casse-têtes. Mais, qu’est-ce que ça signifie concrètement ? Est-ce que c’était nécessairement un signe de changement dans leur amitié ? Merlin, il espérait que non ! Il ne veut pas que les choses changent tout ça parce qu’un sort pondu par le ministère avait révélé un beau jour qu’il était plus qu’un simple sorcier.

Il continue à écouter. Attia l’a protégé. Bien sûr qu’elle l’a fait, elle l’a toujours fait. Chérie a pris le relai, ça aussi ça ressemble bien à sa propre sœur.

Et il a finalement été envoyé à Sweet River. Un nom qui le fait grincer des dents et serrer les poings, même celui déjà douloureux. Il en a entendu parler, impossible de ne pas avoir entendu parler de la fameuse planque de l’Ordre. Qui avait eu cette brillante idée ? A quel moment les têtes pensantes de l’Ordre avaient pu considérer un seul instant qu’isoler les hybrides et les maudits étaient une bonne idée ? Personne n’avait vu le parallèle évident avec Gracefield ? Personne ne s’était dit que c’était une idée à la con ? Que ça ressemblait à tout sauf à la chose à faire ?

Lou avait dit oui. Il avait accepté. Nate interprète ça pour de la résignation, on ne lui a pas laissé le choix, ni à lui ni à tous les autres. Qu’est-ce qu’on leur aurait fait s’ils avaient refusé ? Ils auraient été livrés au ministère ? lâché dans la nature sans plus de cérémonie ?

« Ça change rien pour toi, hein ? » La question le tire de ses pensées. Le regard qu’il lui adresse est chargé d’émotion, le ton aussi, est-ce qu’il craint vraiment qu’il lui tourne le dos pour cette raison ?  « Tu pourrais être à moitié niffleur que ça ne changerait rien non plus, Lou. Tu fais partie de la famille, depuis le premier jour. » C’était une évidence. « Et dans une famille on accepte chacun des membres tel qu’il est, demi-selkie, moldu ou encore ex-taulard. » Il marque une petite pause, comme pour laisser à Lou le temps d’encaisser l’information. « C’est même plutôt cool si tu veux mon avis, ça te rend encore plus unique. » Il ne détourne ni les yeux ni ne fait mine de partir, parce qu’il ne le fera pas. « Et pour toi, est-ce que ça change quelque chose ? » Est-ce qu’il voulait toujours être son ami, son meilleur ami, son frère même ? Nathan lui avait proposé l’étiquette quand ils étaient gamins, parce qu’il avait compris qu’on n’imposait rien à son ami – et puis surtout parce qu’Attia lui aurait mis une raclée s’il avait osé. Mais et si, aujourd’hui, Lou n’en voulait plus ? Et s’il considérait que cette révélation qu’il avait eu en absence signifiait la fin de leur amitié ? « Est-ce que ça veut dire qu’on ne doit plus que manger des pizzas au poisson ? Non, parce que là c’est peut-être le seul truc avec lequel je vais avoir du mal. » Vraiment, Lucjan ne doit pas s’inquiéter.

C’est comme il l’a dit à Tommy, il n’ira nulle part.