Dae-won est fatigué. Il a l’impression de s’être fait piétiner par un troupeau d’Abraxan en furie et de retomber sous leurs sabots à chaque fois qu’il tente de se relever. Il préfère mettre cette sensation étouffante sur ses blessures qui peinent à guérir ; peut-être qu’il aurait dû écouter les conseils de l’équipe médicale de fortune, et ne pas quitter aussi rapidement l'hôpital de guerre improvisé à la Fawkes pour mieux retourner à l’Iron dès son retour de la Libération. Peut-être devrait-il arrêter, comme on lui a recommandé, d’aller courir tous les matins, tous les soirs sous sa forme canine sur l’île où se trouve son lieu de travail. Mais Dae-won a besoin de ça ; de ne pas rester avec les blessés, de se perdre dans ses responsabilités, autant que quitter son humanité autant que possible grâce à son animagie pour ne pas trop penser et se tourner vers ce qui compte réellement : accepter ce qu’il s’est passé, débuter son deuil, soutenir ceux qui ont besoin de lui.

Dae-won est fatigué, car son échappatoire vient d’être transformé en un tas d’emmerdes qu’il aurait largement préféré (et pu, surtout) éviter. Et c’est ça, en réalité, qui lui flanque un mal de tête battant autant à l’avant qu’à l’arrière de son crâne.

L’Iron est sa responsabilité, et Moran encore plus. Il lui a mis la main dessus, il l’a traîné jusque dans cette cellule, il a réussi à mettre derrière les barreaux sur l’un des tarés de la NSFW. And now what? Ils n’en ont rien tiré, pas même Royal, pas même lui-même, et maintenant il a exposé ce précieux atout à une mort potentielle lors d’un excès de confiance qui n’aurait pas dû avoir lieu. Il s’en veut bien plus qu’il n’en veut à Lena (même s’il a été par trop facile de relâcher sa colère sur elle sur le moment, plutôt que de se rendre à l’évidence).

Dae-won est fatiguée, parce que tout part en couille et qu’il commence à sentir ses épaules craqueler sous le poids auquel il ne veut trop penser - ce qui ne l’empêche pas de le ressentir, malgré ses efforts pour faire l’autruche. ”Un peu de compagnie, pour un vieil homme ?” Les mâchoires du résistant se serrent à la voix posée du vampire qu’il observe étendu dans sa cellule de son regard dur. Il y a quelque chose qui l’horripile au plus haut point chez Moran ; il ne saurait dire s’il s’agit de ses sourires narquois, du fait qu’il a tabassé Lee, de celui qu’il a bien trop vu sa gueule ces derniers temps, ou tout simplement parce qu’il s’agit d’un vampire, et que Dae n’a jamais été à l’aise face aux hémovores et lycans, pour des raisons plus qu’évidentes. ”J’ai bien peur que seule la déception vous attende, Knight. Je n’ai rien pour vous.” Rien que le fait qu’il sache qu’il se trouve face à lui sans même avoir à ouvrir les yeux le met dans l’inconfort.

Aussi, Dae ne répond rien sur le moment, l’observe en silence, les sourcils froncés, avant de se mouvoir pour saisir l’une des chaises traînant dans le couloir et la porter jusque devant la cellule de Moran. Il s’y assoit sans rien presser et enfonce ses mains dans la large poche à l’avant de son hoodie. ”Tu parles beaucoup trop pour quelqu’un qui vient de se faire casser la gueule, Moran.” Sa voix est sèche - comment pourrait-il en être autrement, quand il aurait aimé être à la place de Lena et abattre son poing sur son visage désormais recouvert d’ecchymoses. Dae n’a plus de patience, mais il n’a plus d’énergie non plus. Il n’est même pas entièrement certain de pourquoi il perd son temps à vouloir sermonner le prisonnier. Peut-être qu’il a simplement besoin de se défouler sur quelqu’un. ”C’est ce que tu voulais, pas vrai ? La pousser jusqu’à ce qu’elle te saute à la gorge. J’espère que t’as bien profité de pouvoir faire ton petit numéro avec elle, parce que c’était ta seule opportunité. Tes conneries prennent pas avec moi.” La réelle question est pourquoi il s’est donné autant de mal pour rendre folle Elena ? Qu’est-ce qu’il avait à y gagner ? Est-ce qu’il a fait ça par pur plaisir malsain ? Putain de taré. Dae n’a aucune envie d’avoir de réponses à ces questions, il n’est pas là pour ça. ”J’en ai plein le chaudron de tes merdes, Moran. Je pense que t’as pas bien compris où tu te trouvais. La seule raison pour laquelle on pioche dans nos réserves pour te nourrir encore c’est parce qu’on pensait que tu pourrais nous être utile. Mais je commence à penser que t’es qu’une perte de ressources et de temps. Et que tu te crois un peu trop à la maison”, ajoute-t-il dans un semblant de soupir sans relâcher du regard la carcasse étendue devant lui du vampire. ”Donc j’espère que t’as passé du bon temps jusqu’ici, parce que les choses vont changer maintenant, jusqu’à ce que tu te calmes et que tu parles.”

”Vous êtes bien aimable de me prévenir, Knight, votre sollicitude me touche.” La voix faible et le ton sarcastique du vampire lui font serrer la mâchoire, ses dents grinçant les unes contre les autres, presque à les en déchausser. Sa logique froide l’empêche de comprendre comment Moran peut se permettre de faire le malin quand il se trouve ainsi derrière les barreaux et qu’il n’a aucun contrôle sur sa situation. Dae pourrait très bien décider d’arrêter de le nourrir et le laisser plonger dans le coma ; il pourrait lui casser la gueule à nouveau ; il pourrait le torturer lentement pour lui faire payer son ton et ses actes envers l’Ordre ; il pourrait l’isoler complètement, et faire en sorte qu’il ne ressente plus jamais l’air frais sur son visage. Peut-être que c’est ça, de ne plus rien avoir à perdre - pousser à bout une sorcière déjà on the edge pour qu’elle lui refasse le portrait, qu’il puisse se sentir un minimum vivant. Ce n’est pas la première fois que Dae-won observe des comportements similaires chez leurs prisonniers, et si sa colère n’était pas toute tournée vers Moran, peut-être aurait-il presque pitié de lui.

Mais ce n’est pas le cas. ”J’en ferai mention au propriétaire lors de mon évaluation de l’endroit et peut-être obtiendrez-vous une augmentation, pour tout ce bon travail ?” Le résistant détourne un instant le regard en ayant une expiration, à la frontière entre l’amusement, l’épuisement et l’exaspération. ”Encore en train de l’ouvrir...”, siffle-t-il entre ses dents serrées pour mieux se retourner vers son vis-à-vis et le voir se redresser maladroitement. Il peinerait à avouer le plaisir insidieux qu’il éprouve à le voir dans un tel état, endolori et couvert d’hématomes - exactement le même état dans lequel il a laissé Lee, il y a quelques mois, sans aucune raison. ”Miss Alvarez a fait du bon travail. Ne lui en voulez pas d’avoir été victime de mes terribles manières. Elle est fatiguée. J’espère qu’elle a été complimentée sur son direct.” Cette fois-ci, Dae-won se tend visiblement sur sa chaise, se redresse légèrement ; il s’est promis de ne pas exploser, quoi qu’il en coûte - ce serait bien hypocrite de sa part, d’avoir reproché à Lena de ne pouvoir garder son calme, s’il n’en est pas lui-même capable. Miss Alvarez. Et pourtant, il a envie d’arracher le nom de sa meilleure amie de la bouche du vampire, pour mieux lui enfoncer au fond de la gorge, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus jamais le prononcer. Il a même envie de lui retirer son visage, sa voix des pensées - Moran n’a pas le droit ne serait-ce que de penser à elle, putain. ”Je te jure que c’est la dernière fois que tu prononces son nom, Moran”, menace-t-il dans un grondement semblable aux aboiements rauques de sa forme animale, ses doigts se resserrant sur le bois vieilli de la chaise au fond de laquelle il s’enfonce à nouveau.

”Vous n’avez pas encore retrouvé Icarus. Je ne sais pas où il est, Knight. Libre à vous de ne pas me croire, mais c’est la stricte vérité.” Dae ne supporte pas que Moran ait raison - oui, ils n’ont toujours pas réussi à mettre la main sur Remus, et cet échec le rend aussi fou que tous les autres. Mais ce qui l’irrite encore plus, est que leur seule et unique piste, pour le moment, repose sur un vampire centenaire et sarcastique. ”C’est bon, tu me l’a déjà servie celle-là, à toutes les sauces. Et j’ai absolument aucune bonne raison de te croire.” Et il en a même de moins en moins, comme si Moran s’efforçait à détruire la moindre confiance qui pourrait s’installer entre eux ; ce serait vraiment dans son intérêt, pourtant, de coopérer et d’espérer être libéré. Il a probablement compris qu’il ne sortirait jamais de ce trou à rat. ”Mais tu peux continuer, si ça t’amuse. Plus longtemps tu resteras ici, plus tes petits copains chercheront à venir te récupérer, et mieux on pourra les cueillir quand ils se pointeront à notre porte. S’il y a bien un truc qui ne rate pas avec la NSFW, c’est que vous êtes aussi énervés que cons”, ajoute-t-il avec un sourcil levé et une pointe évidente de mépris roulant sur sa langue, avant d’avoir un long soupir.

Dae est épuisé, et il n’est pas certain de ce qu’il fait ici, pour être tout à fait honnête. S’il était là pour l’interroger, il l’aurait traîné dans une des salles prévues à cet effet. S’il était là pour lui faire payer (lui faire payer tout, jusqu’à la mort de Lee qui ne le concerne même pas), il serait déjà en train de s’y donner à coeur joie. Peut-être qu’il est là uniquement pour lui mettre un coup de pression et lui rappeler les règles du jeu. Peut-être qu’il est là pour essayer de comprendre, aussi. ”Mais même ça, t’en as pas grand chose à foutre, pas vrai ? Non, tu préfères ne pas coopérer et te faire botter le derrière en boucle.” Freak. ”Est-ce que t’as conscience que si j’étais pas intervenu, tu serais certainement mort ? C’est ça que tu voulais ? Crever ?” Il n’y a cette fois pas d’animosité - c’est une simple question factuelle, presque curieuse, ses sourcils froncés au-dessus de ses yeux fouillant ceux à moitié ouverts du vampire.

tw:mention de suicide, de torture

”La perte aurait-elle été si grande ?” Les pupilles de Dae ont un bref mouvement, presque un roulement d’yeux face à la réponse qui n’en est pas réellement une de Moran. Ce serait-t-il agi de quelqu’un d’autre, d’un autre prisonnier ou d’un autre résident temporaire, le résistant aurait cherché à pousser, à fouiller pour comprendre, et pour s’assurer qu’il ne cherchera pas à se donner la mort entre les murs de la prison de l’Ordre. Pour avoir déjà dû essuyer des suicides sous sa responsabilité, Dae-won est plus qu’au fait qu’il n’y a rien d’agréable à cela, peut-être même l’une des pires situations qu’il a vécu au sein de la planque dont il gère le fonctionnement. Certains sont prêts à tout, pour éviter d’avoir à l’ouvrir et de révéler leurs réelles intentions. Ces cadavres, le sorcier les trimballe comme tous les autres - avec moins de poids, néanmoins ; ceux-ci ont eu l’opportunité de tirer leur révérence de leur plein gré, les siens n’ont pas eu cette chance. Lupita n’a pas eu cette chance, probablement longuement découpée dans les sous-sols du Ministère jusqu’à être forcée de rendre son dernier souffle.

Alors, il n’arrive pas à avoir de la pitié pour Moran, pas vraiment ; sans compter que Dae ne pense pas un instant que quelqu’un qui aime autant l’ouvrir chercherait à s’en retirer la possibilité. On l’a connu plus humain, plus compatissant, avec les siens, ses proches notamment ; mais la guerre a eu raison de son jugement et de l’empathie qu’il offre aux autres. Il n’en a plus qu’en quantité limitée, et ce n’est certainement pas pour en épuiser pour Moran. Non, il n’a pas pitié de lui, pas même quand il poursuit, parle de son mal être entre ces murs vibrant de magies protectrices. Il n’est pas le premier à s’en plaindre, et ne sera pas le dernier - et tout ce à quoi pense Dae est si cela pourra représenter un problème, un danger potentiel pour lui et son équipe, plutôt que de penser à comment rendre la détention de Moran plus vivable. Quand est-ce qu’il est devenu si froid, si dur, envers un détenu qui de plus n’appartient pas théoriquement à un ennemi ? Peut-être depuis que la NSFW s’en est prise à l’Ordre directement, a amoché Michael, Cormac, Anthony, Lee, a tout fait pour se dresser comme cible à abattre. Peut-être depuis que Moran a poussé sa meilleure amie à frôler le pire en s'amusant de ses failles pour mettre mieux le doigt dedans ? Taré.

Dae-won ne lui offre rien en retour, et l’observe plutôt de son regard sec quand il fait craquer ses doigts. ”Greyback avait demandé à ses ouailles de ramener tous les membres de sa meute.” Un sourcil se hausse, puis l’autre. Est-ce que Moran est en train de revenir sur sa décision de garder le silence, et enfin lui révéler un semblant d’information ? Dae garde les lèvres scellées, le laisse poursuivre, tout attentif à ce qu’il lui offre. ”Je ne connais pas ses lycanthropes et… enfin, je sais que vous ne pouvez pas sentir cela, mais un lycanthrope qui n’évolue plus au sein d’une meute, ou ne l’a jamais côtoyée, ne portera pas l’odeur de son alpha. C’est la même chose pour un sire et son infant. Une subtilité encombrante, à l’occasion d’un pistage.” Ce vous souligné est mis de côté, d’une importance que ne relève même pas le résistant ; aux yeux de tous (ou presque) il est un simple sorcier, et c’est évidemment cela que Moran sous-entend. Non, Dae est bien plus curieux du reste, de ce vers quoi il dirige en lui donnant ce petit cours de science sur la lycanthropie. ”Seuls les Greyback savaient qui ramener. Puisque la meute a quitté l’île par ses propres moyens, je ne peux pas savoir qui a été… sauvé. Je vous dirais d’avertir Mr Javier Alvarez, d’ailleurs, à ce sujet. Tout alpha est-il lui-même, son alpha le cherche, et sa réputation n’est pas à refaire.” Le nom d’Alvarez ne le laisse évidemment pas de marbre, et malgré lui, il se tend tout juste sur sa chaise, prenant une profonde inspiration pour ne pas laisser son souffle s’emballer.

Pourquoi Moran fait le choix de lui confier cette information maintenant ? Une information qui ne l’aidera pas à retrouver Remus, certes, et qui n’a non plus rien à voir avec la bande de dégénérés avec lesquels oeuvre le vampire. Mais une information cruciale, qui pique sa curiosité sur bien des plans. Lentement, il hoche la tête - il faut qu’il agisse avec précaution, qu’il aille dans son sens, pour ne pas casser le flot de ce début de confession. ”C’est bien noté”, offre Dae en retour d’une voix plus posée, l’atmosphère sensiblement différente désormais qu’il prend sur lui pour ne pas que Moran se replie sur lui et cesse de coopérer. Il lui faudra évidemment immédiatement faire un tour par Sweet Rivers après cette entrevue pour avertir Javier de cette menace, mais il n’y a pas urgence ; si les Greybacks avaient voulu le cueillir, ils l’auraient déjà fait, et il peut bien rester encore quelques instants à bavasser avec son détenu. ”Cette odeur, dont tu parles”, reprend-il en coulant un regard légèrement méprisant sur sa carcasse toujours à moitié étendue au sol. ”Tu as passé assez de temps avec les Greyback pour pouvoir la reconnaître… et la traquer, hm ?” Il ne s’agirait pas de fouiller tout le Royaume-Uni, guidés par l’odorat sensible du vampire. Il leur faudrait une première piste, bien évidemment. Mais Dae pose avec un brin d’innocence factice la question, profitant de cette maigre ouverture. ”Je sais que les Greybacks sont des spécialistes du pistage, entre autres choses, mais je sais aussi que t’es pas exactement en reste sur ça. Tu fais partie des rats de laboratoire qui se sont évadés, pas vrai ? A quel point ton odorat est performant ?”

tw:légère violence (oops)

Interroger un prisonnier est, en bien des points, similaire à une partie de poker ; et par chance, il se trouve que Dae-won a toujours été plutôt doué à ce jeu, dépouillant les quelques mornilles de ses amis à coups de bluff et de literal poker face. ”Sale sneaky Serpentard là”, lui lançait souvent au visage Lee, quand il gagnait une énième manche, et Dae se fendait d’un large sourire en amassant les mises, un sourire qui en disait long. Mener un interrogatoire est, certes, légèrement différent, mais il suffit de la même manière de bien jouer ses cartes, de savoir quand se coucher, ou d’estimer quand il vaut la peine de prendre un risque. Et le résistant décide de prendre le risque de d’avancer sur une voie bien précise, en demandant frontalement à Moran à quel point il peut leur être utile. Il a une meilleure main, de toute façon, les risques sont minimes : c’est lui, qui mène l’interrogatoire, et c’est le vampire qui se trouve derrière les barreaux, affaibli et en mauvaise posture. ”Quand je vais bien, il est excellent. Que ce soit un coup de bluff de la part du prisonnier, pour qu’on lui apporte plus de soins (ou qu’on le sorte de là), ou qu’il s’agisse d’un fait réel, Dae note précieusement l’information dans son esprit, sans rien ajouter, le laissant plutôt poursuivre : “Supérieur à celui d’un vampire régulier, que ce soit en finesse, en puissance, ou en précision. Supérieur à celui d’un lycanthrope, considérant qu’il ne dépend pas du cycle lunaire.” Moran peut donc leur être utile, et déjà quelques pistes se dessinent dans le crâne du Cercle 5 - ils pourraient le mettre en traque des Greyback pour essayer de retrouver Remus, s’ils parviennent à trouver une piste en amont, peut-être pourraient-ils aussi faire appel à l’un des quelques rejetons des Greyback qui se trouvent à Sweet River, Moran pourrait être à la tête de l’escouade, sous sa surveillance et celles de--

”Il me permet de savoir ce que vous êtes vraiment, Knight. Ce que vous cachez si… grossièrement.”

Le regard de Dae-won, qui s’était un bref instant perdu sur le sol, remonte immédiatement dans celui du vampire, et son sang se glace quand il croise la lueur presque amusée qui se loge dans ses yeux. Il lui faut une seconde, pour comprendre ce que vient de dire Moran, tant cela lui semble impossible. Il lui en faut une autre, pour réaliser que Moran sait. Ce que vous cachez si grossièrement. Il sait. Il ne serait pas le premier hybride à le découvrir, et ce malgré ses efforts, malgré ce qu’il s’inflige quotidiennement depuis des années - une mauvaise habitude qu’il aurait dû abandonner il y a bien longtemps, Dae-won le sait, un héritage du temps où il craignait d’être séparé de Lupita. Sa fiancée a disparu, et il a fini par l’accepter, à force de temps, sans vraiment pouvoir combler le creux que sa mort a laissé dans sa poitrine ; mais jamais il n’est parvenu à abandonner ce rituel qu’ils avaient ensemble, de préparer la potion, de la prendre tous les deux jours. Il se sent en sécurité, et bêtement, il se sent proche d’elle quand son sang est couvert par l’odeur de la potion.

”He's like a bloody six-hundred years old smartass with an overdeveloped smell, and he knows shit.” Putain, si une fois dans sa vie il avait décidé d’écouter les conseils de Lena…

Ses mâchoires se serrent en même temps que ses poings, alors que ses yeux s’arrondissent sous la réalisation qu’il est terriblement dans la merde. Qui d’autre est au courant ? Si Moran l’a dit à qui que ce soit… Une bouffée de colère (comment il a pu être aussi con ?) éclate dans son ventre, remonte le long de son abdomen, teinte ses joues et son regard mordu de fureur, de frustration, de rage ; elle puise sa source dans sa fatigue, dans ces dernières semaines à tâtonner dans le noir, dans ces dernières années à essuyer la mort des siens, dans la haine qu’il éprouve envers Moran. Une nouvelle seconde, de silence, pendant laquelle Dae-won détaille le vampire, qui semble toujours plus amusé. Et la seconde suivante, il disparaît de sa chaise en un craquement sec pour mieux apparaître de l’autre côté des barreaux, juste devant le prisonnier. ”Debout”, feule-t-il sans vraiment lui laisser le choix, alors qu’il se penche pour attraper son col de ses deux mains et le relever d’un geste brusque.

Il ne peut pas laisser passer ça.

Sans la moindre douceur, Dae le plaque contre le mur, le dos du vampire buttant contre la pierre dans un son mat. ”D’accord, très bien.” Il ne hurle ou ne gronde pas, mais cela n’empêche pas sa voix de vibrer d’une colère évidente. Bordel. ”Tu joues à un jeu vraiment dangereux là Moran, je ferais doublement attention si j’étais toi”, crache-t-il à quelques centimètres de son visage. Il n’a définitivement pas peur de lui, de ce qu’il pourrait lui faire derrière ces barreaux qui ne le protègent plus de lui. Dae-won n’en a rien à foutre, et s’il le faut, il est prêt à se défendre. Mais il brûle de l’assurance certaine que Moran prendra certainement plus de plaisir à le torturer avec son secret qu’à l’attaquer. ”Qu’est-ce que tu sais, hein ? Et j’ai pas la patience de jouer à ta merde, tu réponds directement. Qu’est-ce que tu sais, et depuis quand ?”

tw: violence

”Depuis l’île, vous saigniez.” La réponse à voix basse du vampire le cueille en plein dans sa rage, et le fait raffermir un peu plus sa prise sur son col. Fuck. Il sait qu’il n’aurait rien pu faire - entre craindre de révéler son secret, et tenter de capturer l’un des ennemis de l’Ordre malgré ses blessures, le choix a été tout fait dans son esprit lorsque son regard est tombé sur la silhouette de Moran. Le risque a été pris, et Dae-won ne peut plus revenir en arrière pour l’effacer. Ce n’est pas la première fois qu’il se fait ainsi détecter par un vampire ou un lycanthrope, mais il est bien plus simple de naviguer une telle situation lorsque les hybrides se trouvent être d’autres membres de l’Ordre du Phénix, et qu’il peut facilement acheter leur silence. C’est autre chose, quand il s’agit d’un prisonnier sur lequel il exerce une pression constante depuis deux semaines, et que le dit prisonnier se retrouver soudainement à avoir, lui, un point de pression sur lui.

Dae a envie de le secouer une fois de plus contre le mur pour passer ses nerfs ; il n’en fait rien, cependant, et serre plutôt des dents, ses lèvres pincées en jaugeant la gravité de la situation. Moran ne lui laisse pas ce loisir là, semble-t-il, et poursuit de sa voix railleuse, insupportable, qui titille les nerfs à vif du résistant : ”Vous sentez… faux. Et faible.” Cette fois-ci, Dae-won remonte un peu plus ses mains, ses poings touchant presque le menton mal rasé du vampire, et rapproche plus encore son visage du sien. Faible. Il ne peut pas sentir ça également, et Dae refuse sur l’instant de comprendre ce qu’il cherche à lui dire avec une pointe de moquerie. ”Vélane. Au moins un quart.” Et il le laisse poursuivre, malgré le ”ferme ta gueule” qui lui brûle les lèvres ; il a besoin de savoir tout ce que Moran sait, et vraisemblablement, il en sait bien trop déjà. Il y a un moyen simple, efficace, de le faire taire et de s’assurer que son secret reste intact - mais il a besoin de lui, et éliminer ses prisonniers ne fait pas partie de ses habitudes.

Il est dans la merde.
Dae-won en prend conscience progressivement, à mesure que la colère grimpe dans ses veines et comprime l’air qui se trouve dans ses poumons. Et c’est cette même colère qui l’empêche de réfléchir à une solution rationnelle pour le moment.

”Je sais que Vous-Savez-Qui le sait.” Il lui faut une bonne seconde pour réaliser que Moran parle de Lena. Oh l’enfoiré. Son visage se tend sous la brusque haine qui lui sert la gorge. Il a au moins eu la décence de ne pas prononcer son nom, mais cela n’empêche pas à Dae d’enrager alors que le membre de la NSFW ramène sur le devant de la conversation la sorcière. ”J’ai bon.” Ses yeux féroces sondent ses pupilles, où brillent bien trop de malice à son goût. ”Je vois que t’as eu le temps d’aborder un tas de sujets pendant que tu te faisais refaire le portrait”, siffle Dae - Esteban, Javier, Luaine, et son hybridité apparemment, rien ne semble arrêter la langue trop pendue de Moran. Et cette fois, il ne parvient pas à se retenir, et il l’éloigne tout juste du mur pour mieux l’y plaquer à nouveau sans relâcher un instant sa prise.”Avec qui d’autre t’en as parlé ?” Qu’il sache à quel point il doit limiter les dégâts ; il ne sert à rien qu’il perde son énergie à nier, les estimations de Moran étaient bien trop justes pour qu’il se ridiculise à tenter de lui faire croire qu’il n’a pas du sang de Vélane qui coule dans ses veines. ”A quoi tu joues exactement ? Qu’est-ce que tu cherches ? Qu’est-ce que tu veux ? Tu crois être en position de me mettre un coup de pression ? Me force pas à te rappeler que j’ai tous les droits sur toi. Y’a rien qui m’empêche de te foutre à l’isolation et de te laisser perdre la boule dans ton coin, tu sais ?” C’est faux, plus ou moins. C’est faux, plus que moins, et Dae-won est dans la merde.