Assis à son bureau dans les laboratoires, Jarod fixe la lettre qu’il a reçu d’Odalis le matin même. Lettre étant un bien grand mot puisque que le parchemin ne contient qu’une adresse et une heure de rendez-vous. Rien d’autre. Aucune raison, aucune explication. Il ne peut s’empêcher de trouver ça louche et d’être suspicieux. La première chose qu’il a pensé c’est qu’il s’agit d’un spam ou d’une façon de le mener dans un guet-apens, mais comme lui a si bien dit Azaël, si l’ennemi voulait s’en prendre à l’Ordre, il ne passerait pas par Jarod qui n’est qu’un membre lambda. Alors, un client de son petit commerce illégal qui est mécontent? Un rival qui veut se venger? Ça ne serait pas la première fois qu’on s’en prend à lui parce qu’il vend des potions illicites. Même si c’est le cas, il ne comprend pas pourquoi Odalis serait mêlée à tout ça. Ce n’est pas comme s’il est encore proche d’elle. Ils l’ont déjà été, plusieurs fois, mais ça fait déjà six ans qu’ils ont mis fin à leurs aventures, quand il s’est joint à la résistance. Ils se sont revus que tout récemment à deux ou trois reprises et c’était des rencontres banales. Rien qui ne laisse présager qu’ils partagent quelque chose de fort ou qu’elle est aussi importante pour lui et qu’on l’utilise pour lui faire du tort. "Tu réfléchies trop. Si ça t’intrigue tant que ça, t’as qu’à y aller!" Assise sur sa table de travail, sa sœur le fixe en faisant balancer ses jambes dans le vide. Il hausse les épaules en relisant pour la centième fois la note. Oui peut-être qu’il réfléchit et qu’il analyse trop. Peut-être que ce n’est rien de plus qu’une invitation normale. C’est peut-être son anniversaire et elle fait un truc pour le fêter? Il cherche dans sa mémoire si la femme lui a déjà dit sa date de naissance. "Si tu veux mon avis, elle veut juste ravoir du sexe." Elle lui lance un sourire taquin et Jarod roule des yeux en balançant sa tête de dépit. "Ok, dégage j’ai du boulot." Il tire sa sœur par le bras pour qu’elle descende pendant qu’elle éclate de rire. "De toute façon, j’ai la tête qui commence à tourner avec toutes ces odeurs. Tu me diras comment c’était. Bisous!" Avant qu’il ne puisse répliquer, elle disparait dans un tourbillon. Il retourne à ses calculs, mais inutile de dire qu’il ne pense qu’à l’heure de son rendez-vous.

***

Ça doit faire dix minutes qu’il se trouve devant la porte d’une coquette demeure, le capuchon de sa veste sur la tête pour éviter d’être repéré. Il n’aime pas sortir dans le jour, mais il ne peut en vouloir à Odalis qui a dû oublier sa situation précaire. Il se demande toujours ce qu’il fait là. Pourquoi, surtout. Ils ne se sont jamais vus dans un endroit « officiel », dans un endroit personnel à l’autre et c’est encore plus intriguant. Mais, il ne le saura jamais s’il ne se décide pas à aller frapper à cette porte. Il cogne et le battant d’ouvre presque aussitôt. Il lève la main et sourit les lèvres pincées en signe de bonjour. "Je vais bien et toi?" lui demande-t-il à son tour alors qu’il passe devant elle pour pénétrer dans la maison. "Disons que ta missive a piqué ma curiosité. " Il sourit et se penche pour l’embrasser sur la joue à son tour. Il essaie de discerner une quelconque émotion dans le visage de la belle brune, trouver un indice sur la raison de sa demande, mais elle a toujours ce visage à la fois doux et fort qui lui a plu dès le départ. Rien qui ne laisse présager une mauvaise nouvelle. À moins qu’elle ne cache bien son jeu. Une briseuse de sort douée comme elle sait comment gérer ses émotions. Il enlève sa capuche et suit Odalis jusque dans la cuisine et prend place à la table tandis qu’elle sert le thé. Dans un soupir, il se lance. "Il y a une raison particulière du pourquoi tu m’as fait venir ici, chez toi?" Il plante ses yeux dans les yeux, la tête légèrement penchée. Il n’est pas du genre à tourner autour du pot et même s’il veut croire à une rencontre toute à fait conviviale et amicale, il sait qu’il y a quelque chose.

Rien de grave. Il y a donc quelque chose d’important. Sinon, Odalis ne lui aurait pas demandé de venir dans son espace personnel, un endroit qu’elle connait bien et qui la rend à l’aise. Jarod fronce les sourcils. Qu’est-ce qui peut risquer de ne pas lui plaire? Il se tortille sur sa chaise, tout à coup se sentant inconfortable. Ses yeux n’ont pas quitté la brune qui s’affaire à remplir leur tasse. Il attend qu’elle s’explique et qu’elle cesse d’y aller par des phrases courtes qu’il juge incomplètes. Il essaie de comprendre avec les maigres indices qu’elle lui donne, mais il ne voit pas du tout ce dont il s’agit. Il l’encourage à poursuivre. Il n’aime pas quand les choses stagnent et qu’elles prennent du temps à aboutir. Encore moins quand sa curiosité est à vif. Heureusement, la briseuse de sorts ne semble pas vouloir prolonger le suspense, même si elle tente de le préparer à ce qui vient. Assez! Qu’elle lui dise, qu’on en finisse! Pour qu’il cesse de se faire des scénarios improbables dans la tête et qu’il sache une bonne fois pour toutes ce qu’elle veut de lui. Malgré que tout son corps crie à l’impatience à l’intérieur, de l’extérieur il montre un visage attentif et respectueux. Il hoche simplement la tête pour toute réaction. Il lui semble qu’à mesure qu’Odalis s’avance, elle devient de plus en plus nerveuse. Elle ferme les yeux, il cligne des siens. Il attend, encore plus perdu qu’à son arrivée fixant la tasse de thé fumante qu’il n’a pas touché. La situation prenant une tournure plutôt dramatique, ce qui ne leur ressemble pas.

Et puis, elle ouvre à nouveau la bouche. La révélation sort. La bombe explose. Il fixe la brune sans mouvement. Il ne respire plus et ses paupières semblent ne plus être en mesure de fermer. Il est juste figé. Tout devient flou autour de lui. Jarod doit se répéter une bonne dizaine de fois les paroles qu’Odalis vient d’articuler pour en comprendre le sens et l’ampleur. Une fille. "C’est une blague…" qu’il murmure pour lui-même. La femme devant lui s’empresse de lui confirmer que c’est vrai et que ce n’est pas du tout une blague. Tout d’un coup, il fait un bond de près de douze ans dans le passé. Quand à peine âgé de quinze ans, sa copine de l’époque lui a révélé être enceinte. Comme s’il était atteint d’une malédiction qui devait le faire père même s’il ne le souhaitait pas.

Jarod se lève brusquement, faisant tomber la chaise violemment au sol. Il ne la relève pas. Il fait les cent pas. Odalis continue de parler, probablement pour tenter de le désamorcer et le calmer avant qu’il n’éclate, mais il n’a pas compris un seul mot. Juste un murmure lointain. Lui aussi est loin. Il ne s’y attendait pas. Il s’est fait un tas de synopsis dans sa tête depuis le matin et curieusement, celle-là ne lui a jamais traversé l’esprit. Parce qu’ils ont toujours fait attention. Parce que c’était il y a si longtemps. Parce que…c’est juste impossible. Il fait les calculs dans sa tête, ils ne sont pas bien compliqués. "Six ans.". Il marmonne à nouveau en fuyant le regard d’Odalis ne cherchant pas confirmation. Et il les voit, le verre avec des sirènes posé à côté de l’évier, les dessins sur l’armoire, la trottinette dans un coin de la cuisine, la veste rose sur le dossier de la chaise. Il n’y a aucun doute qu’une fillette vit entre ses murs. Est-ce vraiment la sienne? Au fond de lui, il sait que oui. Il se sent trahit par celle qui a un jour été son amante, mais jamais elle ne lui aurait monté un tel bateau.  

Il pose finalement les mains sur le comptoir, la tête penchée vers l’avant. Il doit mettre de l’ordre. Il doit se calmer. Il doit répondre. Il doit réagir. Les yeux au creux de l’évier, il prend une grande respiration. "Pourquoi t’as attendue aussi longtemps pour me le dire?" Il se retourne vers elle. "T’as eu six ans! Tu savais où me rejoindre. Et on s’est vu pendant ces années! T’as jamais eu envie de me le dire? T’as toujours fait comme si de rien était, alors que fuck il y avait ma f…alors qu’elle était là? " Le mot « fille » se bloque dans sa gorge et n’arrive pas à traverser ses lèvres. Trop tôt, sans doute. "Bravo Odalis, t’aurais dû être comédienne, au lieu de jouer dans un tombeau."

Jarod n’est pas du genre cinglant ou sarcastique. Il n’aime pas s’énerver et garde généralement son sang froid. Mais là, impossible de garder sa colère à l’intérieur. Il explose. Il ne sait pas si c’est légitime ou s’il a raison de l’être. En fait, il est plus choqué qu’autre chose et il s’exprime par la rage. La surprise de la nouvelle le déroute. Il ne s’y attendait pas et il sent son monde s’effondrer. Tout d’un coup, sa vie prend une autre tournure. Une tournure qu’il n’est pas prêt à assumer, qui le prend de court, qui le fait sortir de sa zone de confort. Il y a un enfant qui a son ADN et ses gênes. Il y a une gamine qui a peut-être ses traits, ses manies, ses qualités et ses défauts. Il a une fille qu’il n’a pas vu grandir et dont il a manqué toutes les premières fois. Une fille qui n’a peut-être jamais prononcé le mot « papa ».  Est-ce qu’à six ans, on est conscient qu’il manque un parent? Est-ce qu’elle a posé des questions? Qu’est-ce qu’Odalis lui a raconté à son sujet? Comment a-t-elle dépeint celui qui l’a aidé à concevoir? Qu’a-t-elle mis sur l’acte de naissance? Jarod se prend la tête. Les questions fusent à vive allure dans sa tête. Il est en colère parce que ce n’est pas comme ça que ça devait se passer. Il devait être présent pour son enfant. Il devait avoir vécu toutes les étapes de la grossesse avec sa conjointe, être un soutien constant, être heureux de cet événement et de fonder une famille. Les choses auraient dû être faites dans l’ordre. Il aurait dû pouvoir se préparer. Pas que ça lui tombe dessus comme une buche.

Oui, il en veut à Odalis d’avoir gardé le secret si longtemps, d’avoir été égoïste et de l’avoir tenu éloigné de tout ça. Parce qu’elle sait très bien qu’il ne l’aurait pas rejeté, qu’il aurait été là pour elle. Certes, Jarod n’était pas dans une situation très stable à ce moment-là. Il a dû disparaitre pour rejoindre l’Ordre et ce pendant un certain temps. Sa situation était particulièrement précaire et ça aurait été encore plus déstabilisant, mais elle aurait tout de même dû lui dire plus tôt. Elle aurait dû trouver le moyen de le rejoindre. Elle aurait dû trouver le courage de lui annoncer dès qu’elle en a eu l’occasion. Il aurait eu moins l’impression d’avoir été dupé. "Tu l’as pourtant fait. Tu m’as menti. Les dernières fois qu’on s’est vu, tu m’as parlé de tout et de rien, de tes voyages et de tes collègues.  Tu m’as regardé dans les yeux et tu n’as rien dit. J’avais le droit de savoir. SIX ANS. Pas six semaines ou six mois. Tu as attendu DES ANNÉES. Putain de merde!" Son sang bouille de plus belle alors qu’il y repense. Les occasions étaient là, offertes sur un plateau alors qu’ils se sont donné rendez-vous pour prendre des nouvelles. Ça aurait dû être la première chose qu’elle lui dit lorsque les choses se sont calmées avec l’Ordre. Malgré tout, il comprend qu’elle avait eu peur pour sa fille. C’était une réaction normale d’une mère protectrice, mais ne comprend-t-elle pas qu’il aurait tout fait pour la protéger et s’assurer qu’il ne lui arrive rien? Quitte à abandonner son entrainement, sa quête et sa sœur pour elle. Pour elles. Il soupir à nouveau, fuyant du regard tout ce qui relate à cette gamine. Il ne sait pas quoi faire des excuses d’Odalis, ne sait pas s’il les accepte, s’il est capable de passer par-dessus. Il s’accote finalement sur le comptoir et croise les bras. "Et pourquoi maintenant? T’aurais été capable de le cacher toute la vie si tu as été capable de le faire six ans. Pourquoi aujourd’hui précisément? Pourquoi tu t’es décidée à me le dire?" Il retrouve son calme habituel, qu’il arrive à contrôler difficilement.

Comme lors d’un orage, les éclairs et les tonnerres font place à une petite pluie fine, mais soutenue. Après la colère et le mécontentement, Jarod se calme, même si son énervement est encore palpable. Il sait que s’il continue de confronter et d’accuser Odalis, elle risque de se fermer comme une huitre et ça sera terminé. Il ne veut pas et ne peut pas risquer qu’elle l’empêche de la voir. Maintenant qu’il est au courant de l’existence de sa fille, il veut savoir. Il veut tout savoir. Tout ce qui concerne de près ou de loin à cette enfant. Il veut la connaitre. Un sentiment qu’il ne connaissait pas il y a à peine cinq minutes vient de se réveiller et il sait qu’il ne pourra pas le faire taire.

Il en veut à la briseuse de sort de l’avoir tenu éloigné aussi longtemps. Il comprend la position de la mère. Il comprend qu’elle a fait ce qu’elle pensait le mieux. Il comprend qu’elle était sans doute perdue dans tout ça au départ, elle aussi. Il comprend qu’au bout d’un certain temps, elle s’est faite à cette vie de famille et à sa routine avec sa fille. Il comprend qu’elle aimait ce cocon protecteur et sécuritaire qu’elles se sont fabriquées pendant toutes ces années et qu’ajouter une personne risquait de tout briser. Il la croit aussi quand elle dit qu’elle aurait aimé lui dire, mais que ce n’était jamais le bon moment, mais il a vraiment du mal à respecter ces décisions qu’il trouve égoïstes et immatures. Il doit toutefois prendre sur lui, ravaler sa colère et son amertume d’avoir été trahit et mis de côté. Ils n’avanceront pas s’il continu d’attaquer la jeune femme.

Après plusieurs respirations dans un silence lourd, Jarod lui demande finalement pourquoi lui avoir révélé aujourd’hui alors qu’il aurait sans doute été plus simple pour tout le monde qu’elle garde son secret. Il la fixe, même si elle fuit son regard. Pendant une fraction de seconde, il croit qu’elle va mentir et inventer une raison. Son visage est par contre trop dur et trop sombre pour un mensonge. Il retient son souffle se rendant compte sans doute pour la première fois des dangers qu’elle encoure chaque fois qu’elle entre dans un tombeau. Il n’a jamais vraiment pris au sérieux son travail, ne le comprenant pas plutôt. Un creux se forme entre ses sourcils et il étire le cou pour mieux apercevoir la marque de croissant argenté dans la paume de sa main. Il n’est pas certain de comprendre, mais il l’invite à continuer. À la fin, il reste silencieux, hoche la tête comme pour aider l’information à mieux se rendre à son cerveau. "Alors en fait, t’as jamais eu l’intention de me le révéler. Il y a fallu que t’ailles une marque dans la main pour te décider. C’est cool…c’est vraiment cool." Il ne crie pas. Il est juste amer d’avoir été si peu considéré jusqu’à aujourd’hui. Ça fait mal de voir qu’elle n’a jamais pensé à lui dans tout ça. Qu’elle a toujours voulu le maintenir à distance. Il passe une main dans ses cheveux, se retient de donner un coup de poing dans le mur. "Il y a d’autre personne que je dois prendre soin s’il t’arrive quelque chose, ou bien?" Il souffle. N’empêche que cette deuxième partie de la révélation lui fait peur et le rend passablement nerveux. Apprendre des années plus tard qu’il a une fille, c’est une chose. Apprendre qu’il y a des chances, aussi minimes soient-elles, qu’il en aille la responsabilité complète en est une autre. "C’est grave ton truc? J’veux dire, tu pourrais vraiment y rester?"

Pas si simple? De l’avis de Jarod, c’est Odalis qui complique les choses. Si elle avait réellement voulu lui dire, elle aurait trouvé le moyen de le faire. De n’importe quelle façon. Ça n’a juste jamais été son intention, peu importe ce qu’elle peut dire. Le temps, le moment, l’ordre, la ligue, la météo toutes les raisons étaient bonnes pour repousser la révélation. Il ne sait pas pourquoi elle a tant tenue à garder ce secret pour elle. Pourquoi elle n’a pas voulu que leur fille ait un père. Est-ce qu’elle avait si peu confiance en lui? Est-ce qu’elle le croyait irresponsable? Pensait-elle qu’il était quelqu’un de mauvais? Qu’il aurait fui? Est-ce qu’elle a des regrets de ne pas l’avoir impliqué dans la vie de sa fille? Probablement pas. Elle n’aurait pas attendu d’avoir une marque aux effets inconnus, voir mortels, sinon. Et si ça le met en colère, son côté rationnel remonte toutefois rapidement. Il a envie de comprendre et de respecter les choix de la femme, même s’il trouve ça injuste, et ça ne sert à rien d’y revenir constamment ou de pleurnicher qu’il a été laissé de côté. Ça lui fait mal, mais là il sait. Il connait la vérité. Il doit se concentrer là-dessus et mettre ses frustrations derrière lui. Il doit aller de l’avant pour Odalis. Pour cette petite fille qu’elle vient d’imposer dans sa vie.

Il demande si ses excursions sont si dangereuses que les traits apeurés qu’il peut lire sur le visage de la femme. Il a besoin de savoir à quoi s’attendre. S’il doit déjà commencer à se préparer mentalement à s’occuper d’une gamine et à la mettre en sécurité, il faut qu’il sache. Avant de poursuivre Odalis lui demande s’il veut quelque chose de plus fort. Il regarde les tasses de thé que ni un ni l’autre n’a touché et hausse les épaules. Ça aidera peut-être à mieux faire passe ce qu’elle va lui expliquer. Il la suit des yeux alors qu’elle contourne le comptoir sur lequel il est accoté. Elle ouvre une armoire, fouille un peu et attrape quelque chose au fond. Il fixe son dos musclé par ses nombreuses heures de marche et d’aventure à travers les tombeaux mystérieux et dangereux, semble-t-il. Elle remplit les verres et en glisse un vers lui qu’il attrape en mouvement. Il ne boit pas immédiatement, préférant fixer le liquide brunâtre tandis qu’elle reprend la parole. Il cligne plusieurs fois des yeux à la mention de la perte totale de la première équipe. Okay, c’est plus fou qu’il n’imaginait. Plus sérieux aussi. Ce n’est pas un domaine qu’il connait vraiment. Les journalistes n’étalent pas non plus ce genre de nouvelles ou dans un petit encadré dans le bas d’une page dont personne ne fait attention, alors que c’est quand même quelque chose de grave. Il soupire et plonge finalement ses lèvres dans l’alcool. Cette invitation est de mieux en mieux. Il apprend tellement des bonnes nouvelles. Il ne sait pas quoi dire. Il a envie de lui dire que tout ira bien, qu’il doit bien y avoir une solution, mais il n’en sait rien. C’est plus puissant qu’eux, simples sorciers. Jarod reste réaliste.

Ce qui le démange plutôt, c’est comment peut-elle avoir continué ce métier en ayant une fille au Royaume-Uni? Sa fille! Leur fille. Il a envie de lui poser la question, mais il se retient, bois à nouveau. Il dépose sèchement son verre sur le comptoir et s’essuie la bouche du revers de la main lorsqu’elle mentionne qu’elle a des amis qui pourront s’occuper d’elle, estimant que la situation du résistant est compliquée. Il hoche négativement la tête. "Déjà, tu ne peux pas me lâcher cette bombe et me dire que d’autres vont s’occuper d’elle. Je…je suis son père. " Ça lui fait bizarre de se qualifier de « père » alors qu’il y a quelques minutes à peine, il n’avait pas ce rôle.  "Je vais être là pour elle. Je vais trouver un moyen. " Il sait déjà qu’il ne pourra pas être là autant qu’il le dit et le souhaite. C’est surtout l’émotion qui parle. Le côté raisonnable sait qu’il ne va pas s’imposer d’un seul coup et y aller plutôt doucement. Il sait aussi que la petite connait bien et est plus à l’aise avec les amis dont parle Odalis et qu’il ne les arrachera pas à elle. Il n’oublie pas qu’il est un inconnu et qu’il devra l’apprivoiser, obtenir sa confiance. "Et pour toi aussi. " Il lève les yeux vers elle. Une chose est certaine, à partir d’aujourd’hui, elle va devoir l’endurer un peu plus.

Il prend une grande respiration et libère toutes les tensions des dernières minutes. Il se racle la gorge. "Elle…elle s’appelle comment?"