Lesath se redresse sur sa chaise en entendant la porte d'entrée du cottage s'ouvrir puis se fermer dans un claquement sec. Ses yeux parcourent rapidement les quelques lignes qu'il vient d'écrire sur le parchemin posé devant lui. Il y a quelques années, il serait sobrement resté assis dans son bureau pour continuer sur sa lancée. Chaque seconde est précieuse, dans sa courte vie d'érudit, et il n'a jamais compté en gaspiller une seule.

Ce n'est pas du tout une impression de gâchis qu'il ressent en se levant et en quittant son bureau, éteignant même la lumière en assumant qu'il n'y sera pas de retour avant au moins une petite heure. Il est à peine entré dans le salon qu'Hazan lui saute dessus et il se penche vers elle pour la prendre dans ses bras et la faire brièvement voler. Ça fait longtemps qu'elle n'a plus l'âge de faire ça, mais Lesath sait à quel point cela lui fait plaisir - et le son carillonant de son rire léger et amusé est la plus belle musique qu'il ait jamais entendu. "Nooon, pas déjà!" boude-t-elle même quand il la repose et Lesath sourit, déposant un baiser rapide sur son front et une caresse maladroite sur sa joue. "Comment était l'école aujourd'hui? Tu as des devoirs? - Ugh, oui, mais je les ferai plus tard." Elle lève les yeux au ciel et avant que Lesath ait le temps de rajouter quelque chose, elle lui passe sous le bras et file vers la cuisine pour son goûter.

Il a presque envie de la rattraper et de lui demander si elle a besoin d'aide (et de lui rappeler qu'elle peut toujours lui demander, quand elle lui dira comme toujours qu'elle n'en a pas besoin) (Lesath a beaucoup plus envie de faire ces fameux devoirs qu'elle), mais il s'attarde un peu dans l'entrée du cottage pour prendre Odalis dans ses bras une fois qu'elle est débarassée de son manteau. "Hey." Ses joues se réchauffent d'un rouge timide et il sent son coeur palpiter discrètement dans sa poitrine, comme à chaque fois qu'il pose ses yeux sur elle. Difficile pour Lesath de réellement pouvoir évaluer comment et pourquoi ils se sont retrouvés dans cette situation... étrange, qui en a surpris plus d'un, eux en premier. Mais il n'échangerait sa vie avec Odalis pour rien au monde. Ce qui était une impossibilité est devenu une évidence à ses yeux, et elle lui est aussi vitale que le sang courant ses veines. Si son emménagement avec Hazan a eu un début un peu compliqué, Lesath étant aussi à l'aise avec un enfant sur le bras qu'avec un Magyar à pointes, ils ont fini par trouvé leurs marques.

Et, semblerait-il, un semblant de bonheur. "Je vais nous faire du thé," dit-il d'un ton léger - une marque d'appréciation très rare, pour celui qui ne s'est jamais préoccupé que de ses affaires propres et de celles de sa soeur. Odalis et Hazan sont bien les seules personnes au monde capables de le sortir de ce monde étrange où personne n'existe d'autre que lui, et font de lui un homme bien meilleur qu'il pense un jour devenir. "Des nouvelles de la Ligue?" demande-t-il en s'éloignant vers la cuisine, inquiet à la perspective qu'Odalis repartie si tôt en expédition loin de lui.

À peine ses bottes sont-elles retirées qu’Hazan s’élance à l’intérieur, laissant son manteau en plan sur le tapis d’entrée sans prendre la peine de l’accrocher. Odalis laisse échapper un soupir impatient, rapidement coupé par la vue de la petite qui s’élance dans les bras de Lesath. Les remontrances peuvent attendre, qu’elle se dit en souriant bêtement, une douce chaleur aux creux de la poitrine. Ça n’a pas toujours été simple, entre les deux, mais à les voir aller, elle ne regrette rien. Ils s’entendent bien, et mieux que ce qu’elle pensait – Hazan peut bien rechigner de tout son cœur contre les devoirs qu’elle ramène à la maison avec dépit, elle refuse toujours que ce soit sa mère qui l’aide lorsqu’elle ne comprend pas les notions vues en classe. Pour un peu, elle en serait jalouse.

« Hey, fait-elle en écho, enlaçant la taille de Lesath, la joue posée sur son épaule. » La chaleur de ses bras chasse les derniers frissons de l’automne humide et gris. Un soupir de contentement, alors qu’elle profite de la douceur de l’instant. Il y a toujours ce bonheur de le retrouver, peu importe combien de temps s’est écoulé depuis leur séparation – quelques heures, une journée, plusieurs semaines. Il ne suffit que d’un regard, que d’un sourire pour chasser la tension de la journée et la faire sourire à son tour. D’adolescents bagarreurs à adultes enclins aux chamailleries, ils sont passés à une sorte d’entente muette, puis une affection prudente. Et, du jour au lendemain, lui semble-t-il, à ces sentiments tendres qui s’éveillent chaque fois qu’elle pose le regard sur lui.

L’étreinte lui semble trop courte. « Hazan, viens ranger tes affaires, apostrophe-t-elle de l’entrée. Et qu’est-ce qu’on avait dit à propos des cookies avant le dîner ? » La gamine enfourne ses cookies à la vitesse de l’éclair en faisant les gros yeux, puis s’avance à pas lourd pour redresser ses bottes avec lenteur et accrocher son manteau à la patère. Le supplice achevé, elle file aussitôt s’affaler devant un cristalshow.

« Ambros nous a mis sur la piste de Járngreipr. Tu le connais, il n’arrête jamais. » Elle s’accoude sur le comptoir, pose le menton au creux de sa main. Ses grands yeux noirs se posent sur la théière, sur les gestes de Lesath, puis sur son visage. Elle ne voulait pas repartir si tôt, mais il lui est toujours difficile de nier l’attrait d’une nouvelle aventure, surtout lorsqu’elle est coincée dans une série de contrats sans grand attrait. « On a essayé de trouver des sources à Londres, mais il semblerait que le meilleur endroit reste l’Islande… Odalis s’interrompt, semble prendre quelques secondes de considération. Tu pourrais venir. Paraît-il que la bibliothèque de Vegvisir est incroyable. Il y a bien l’ombre d’un sourire sur ses lèvres, alors qu’elle tente de toucher un point sensible pour le convaincre (ou du moins, bien implanter l’idée dans son esprit). Beaucoup de documents anciens sur l’astronomie. » Et, surtout, elle y sera.

Lesath a bien du mal à réprimer son petit sourire amusé et heureux en voyant Hazan être rappelée par sa mère pour ranger ses affaires et reposer précipitamment les cookies qu'elle était en train de dévorer. En passant, il lui ébouriffe un peu les cheveux en lui faisant un clin d'oeil, soucieux de lui montrer comme il le peut son affection pour elle. Il est toujours inquiet à l'idée de ne pas être... assez, de ne pas savoir comment lui donner l'amour qu'un enfant mérite. Lesath n'est pas très bon pour s'exprimer, et c'est seulement grâce à l'aide discrète mais omniprésente de Shaula qu'il est parvenu à faire comprendre à Odalis toute l'étendue de ses sentiments pour elle - sans sa soeur, il aurait abandonné depuis bien longtemps, lui-même noyé sous l'intensité de ses émotions et son incapacité à les formuler.

Son inquiétude par rapport à la Ligue, en revanche, il la cache. Il n'a pas le droit d'influencer la décision d'Odalis de faire sa vie et de repartir ou non avec ses compères de mésaventures, même si elle lui manquera chaque jour et qu'il regrettera son absence chaque soir. Alors il essaye de garder son ton aussi lisse que possible, même si au fond de lui il sait qu'Odalis n'est pas dupe. « Ambros nous a mis sur la piste de Járngreipr. Tu le connais, il n’arrête jamais. - Hm-hm. Les gants." Même si sa spécialité est ailleurs, Lesath écoute toujours avec attention les discussions des aventuriers quand ils se retrouvent et sont dans les parages, même si il préfère se tenir loin de leurs pratiques qu'ils considèrent dangereuses et impures.

« On a essayé de trouver des sources à Londres, mais il semblerait que le meilleur endroit reste l’Islande… » Les yeux noirs de Lesath se lèvent vers elle alors qu'il finit de préparer la théière et la met sur le feu. "L'Islande," répète-t-il d'une voix morne. C'est loin, l'Islande. Pas aussi loin que si ils étaient encore en Turquie, mais tout de même. « Tu pourrais venir. » Lesath cligne paresseusement des yeux en l'entendant. « Paraît-il que la bibliothèque de Vegvisir est incroyable. Beaucoup de documents anciens sur l’astronomie. » L'astronome fonce un peu les sourcils en entendant ses mots, son visage figé dans une expression d'incompréhension profonde. "Tu veux que je vienne?" Il ignore quel intérêt elle pourrait à l'avoir auprès d'elle, ou alors peut-être qu'ils ont besoin d'un cosmologue pour leur prochaine aventure? "Et Hazan?" Lesath a l'air un peu... terrifié, soudainement inquiet comme si elle venait de lui dire qu'ils partaient demain. "Il y a les devoirs, et puis je sais pas si l'école nous laissera la prendre, et non on ne va pas la laisser avec les O'Neil et ensuite Ambros ne m'aime pas, il ne voudrait pas que je vienne, c'est sûr..."

Il ne faut que quelques secondes, après que les mots aient quitté sa bouche, pour qu’Odalis se rende compte qu’ils n’étaient pas les bons. Que Lesath soit étonné qu’elle désire sa présence lui fait… un peu mal au cœur. La culpabilité pince, comme une accusation – comme si elle partait pour se détacher de lui, pour fuir. Elle sait bien, rationnellement, que ce n’est probablement pas le raisonnement de l’astronome et que cette pression vient d’elle. Est-ce vraiment ce qu’elle fait ? Fuir et le laisser derrière ? Non. Non, il lui manque trop pour se laisser aller à de telles idées. « Bien sûr que je– Et Hazan ? » Quoi, Hazan ? Odalis cligne des yeux comme un hibou, prise de court par la question qui pour elle n’en est pas vraiment une. C’est assez pour que Lesath se lance, dans l’urgence, et il faut quelques secondes de plus pour qu’elle réussisse à s’extirper de la panique grandissante pour remettre ses idées en ordre.

« Lesath. Sa main se pose doucement sur son poignet, une pression courte pour attirer son attention avec délicatesse. Ralentis, s’il te plaît. » Il y a beaucoup à décortiquer dans ces quelques phrases, notamment le saut direct à son refus de confier la petite aux O’Neil (et d’ailleurs, elle sent les premières étincelles de la colère avant l’heure). « Je suis désolée, je ne voulais pas… » Te faire paniquer. Elle laisse la phrase en suspens, choisis plutôt de commencer par le début. « J’aimerais que tu viennes avec moi, oui. Quelques secondes de pause. Je suis souvent absente et… tu me manques. J’ai pensé que ça pourrait être l’occasion de passer du temps ensemble. Et que ce soit utile. » Pour tous les deux. Elle espérait franchement que l’idée de la bibliothèque lui donne des points bonus, mais visiblement elle s’est trompée. « Et que ce soit clair, je ne prévoyais pas d’avoir Ambros dans les pattes. » Elle ne lui a d’ailleurs pas demandé son autorisation à ce sujet, ni ne l’a prévenu : pour un tel voyage, qui se centre simplement sur la recherche, ils n’auront ni besoin de partager une tente, ni besoin d’être attachés à la hanche 24/7, et par conséquent, elle se considère bien libre d’inviter qui elle veut. « Hazan peut rester chez les O’Neil. Elle adore les enfants d’Azra. Pas d’école manquée, pas de devoirs incompris. » Ses grands yeux noirs examinent le visage de Lesath, à la fois tristes et inquiets : elle peine à comprendre d’où ce refus si net provient, et espère au moins en trouver la source, si elle ne parvient pas à le faire changer d’avis.

« Tu n’es pas obligé de venir, si tu ne veux pas. Mais tu es invité. » La bouilloire siffle et la fait sursauter, et Odalis s’empresse de la retirer du feu, heureuse de la distraction, aussi courte soit-elle. Cette discussion ne va pas du tout dans le sens escompté, et ce serait mentir que de dire que ça ne lui fait rien. « Tu as encore du temps, on ne prévoit pas de partir avant quelques semaines. » Bon, Ambros lui fera sûrement la tête si elle tarde trop, mais ça reste son problème, et pas celui d’Odalis. Jarngreipr ne s’envolera pas pendant la nuit.

« Lesath. » Une suspension dans l'air - Lesath s'arrête en plein dans sa tirade, la bouche ouverte et le souffle court, quand Odalis pose sa main sur son poignet. « Ralentis, s’il te plaît. » Le sorcier se dégonfle comme un ballon de baudruche, dans un petit soupir. Le regard qu'il coule vers Odalis est aussi désolé que soulagé. C'est l'une des rares personnes - pour ne pas dire la seule, avec sa soeur - qui soit capable d'avoir un tel effet sur lui. « Je suis désolée, je ne voulais pas… » Lesath détourne le regard, embarrassé, et marmonne, "non, non, c'est moi..." même si il se sent un peu en train de couler, submergé à l'idée de voyager, de partir, de ne pas trouver sa place auprès des proches d'Odalis.

C'est ça sans doute la vérité: il a toujours l'impression d'être de trop quand il est en leur compagnie. Il est douloureusement rappelé au fait qu'il ne la mérite pas, qu'il a gagné sa place à ses côtés par hasard, et qu'il ne doute pas une seule seconde que son entourage pense qu'elle pourrait bien mieux que lui. Même Shaula semble le penser parfois... « J’aimerais que tu viennes avec moi, oui. » Mais malgré toute l'angoisse que l'idée de voyager lui apporte, entendre ces quelques mots venir de la bouche d'Odalis est un tel baume à son coeur qu'il ne sait pas quoi en faire et la regarde de yeux brillants. « Je suis souvent absente et… tu me manques. J’ai pensé que ça pourrait être l’occasion de passer du temps ensemble. Et que ce soit utile. » Il y a après tout cette histoire de bibliothèque... « Et que ce soit clair, je ne prévoyais pas d’avoir Ambros dans les pattes. » Lesath réprime un petit sourire satisfait, quoiqu'il comprenne que ça ne veut pas dire pour autant qu'il ne sera pas de la partie. Il fait lentement tourner sa main pour effleurer celle d'Odalis, la caresser doucement avant de la serrer entre ses doigts. "C'est un soulagement," admet-il. Même si il sait qu'Odalis n'aime pas les critiques envers son meilleur ami, Lesath préfère largement partager avec elle une vérité tendue qu'un mensonge pur et simple.

« Hazan peut rester chez les O’Neil. Elle adore les enfants d’Azra. Pas d’école manquée, pas de devoirs incompris. » Si c'est la contrepartie de ne pas avoir Ambros qui lui respire dans le cou... « Tu n’es pas obligé de venir, si tu ne veux pas. Mais tu es invité. » Leurs mains se séparent quand ils sursautent tous les deux alors que la bouilloire siffle. Pendant qu'Odalis la retire du feu, Lesath attrape leurs verres, de quoi grignoter. Même si les mots d'Odalis le rassurent, il a toujours quelque chose de coincé dans la poitrine. « Tu as encore du temps, on ne prévoit pas de partir avant quelques semaines. » Le soulagement se répand dans ses veines comme un feu. Lesath s'approche d'Odalis pour passer une main sur son dos dans une caresse maladroite mais tendre, jusqu'à ce qu'elle se tourne vers elle. "Tu voyages beaucoup et tu me manques beaucoup. J'aimerais venir mais mon travail, il est ici et..."

Une fois n'est pas coutume, Lesath s'interrompt de lui-même. Il fronce les sourcils, comme soudainement confronté à un problème arithmétique complexe, sa main reposant doucement dans le bas du dos d'Odalis. "Mais..." Il fronce un peu plus les sourcils puis se penche et embrasse son épaule. "Mon coeur, il est avec toi. Je pense que je peux demander une césure de quelques semaines... le dossier que j'ai à finir pour ma titularisation n'est pas avant mars... et puis je ne suis jamais allé en Islande... et j'aimerais bien voir les aurores... et..." Il se convainc lentement à mesure qu'il parle, le froncement de ses sourcils disparaissant progressivement sur son front. "Et tu me manques. Même quand tu es là, avec moi, tu me manques. J'ai l'impression que tu es toujours ailleurs..." admet-il à mi-voix et à regret, faisant glisser sa main sur la hanche d'Odalis pour la tirer vers lui. Les reproches sont absents de sa voix, mais pas la tristesse. Odalis part d'une quête à l'autre sans s'arrêter et Lesath adore sa passion pour ce qu'elle fait, même si ça le rend parfois un peu triste. "T'es sûre que je ne te dérangerais pas?"