tw: deuil, dépression

Il ne sait pas quoi dire, encore moins quoi faire. Il se sent perdu, totalement incapable de se situer à la lumière de ce nouvel évènement. Une grossesse. Un tout petit bébé en route pour faire son entrée en ce monde. Non pas qu’il n’ait jamais songer à ça, George. La paternité. Il a été élevé dans une très grande famille après tout, habitué au berceau à une agitation constante. Il a toujours aimé ça. Il donnerait n’importe quoi, vraiment, pour retrouver ça. Il n’a pas envie de finir tout seul, isolé. L’ironie, c’est qu’il ne fait que ça depuis la mort de Fred : établir une distance, s'emmurer. Il y a bien des gens qu’il côtoie malgré tout, bien sûr. Des faciès familiers. Il voit toujours sa famille, ou plutôt ce qu'il en reste. Il fait désormais un piètre ami (et frère, et fils), mais il n’a pas encore réussi à rejeter en bloc toutes les personnes qui ont un jour vu en lui un garçon drôle, saturé de vie et d’un soutien à toute épreuve. Et il a trouvé d’autres alliés aussi en ces temps de cauchemar. Sinead compte parmi ceux là. Elle est son amie. Il n’empêche que la solitude pèse sur George depuis sa déchéance et ce quoiqu'il fasse, même lorsqu’il se trouve dans une pièce noyée de monde. Alors qu’il n’avait pas son pareil (exception faite de la concurrence de Fred) pour s’introduire autrefois dans un cercle, il ne parviens désormais plus à se débarrasser de la sensation de vide qui a élu domicile dans son coeur et le laisse toujours un peu isolé, en retrait.

Il condamne cette solitude mais ne s’y arrache pas non plus. Et la grossesse de Sinead pourrait être une opportunité, une chance. De changer. De bâtir quelque chose au lieu de ne s'animer que dans une optique de destruction. Est-ce que l’existence de cet enfant à naître pourrait être une bonne chose ? Peut-être bien, dans une certaine mesure. George, toutefois, ne parviens pas à éprouver autre chose qu’une angoisse mêlée de tristesse et de découragement. Il ignore ce qu’il veut, ce dont il a besoin, ce qu’il pourrait bien apporter à qui que ce soit. Il ne va pas bien, cela au moins il en a la conviction. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Quelque chose cloche chez lui, profondément. Et il ne s’en cache pas, ne fait pas mine de fermer les yeux là-dessus.

Il dit ce qu’il pense avec franchise. Il ne s’encombre pas de paroles visant à s’octroyer des qualités qui lui font désormais défaut. Il ne ment pas sur la marchandise, au risque de n’apporter à Sinead que de la déception. Il lui cause déjà suffisamment de problèmes comme ça, nul besoin en plus de la bercer de jolies promesses qu’il ne se sent pas capable de tenir.

Il continue de fixer le plafond, d’éviter consciencieusement de la regarder elle, et elle fait de même. Ils sont proches, physiquement proches, mais ils pourraient tout autant se trouver à deux points géographiquement opposés sur le navire. George ne se sentirait pas plus éloigné d’elle qu'en cet instant, alors qu’il lui suffirait pourtant de tendre la main pour se saisir de la sienne.
Non pas que la main de Sinead soit abandonnée sur le lit, à portée directe. Baissant brièvement ses yeux, George jette un regard en biais à son amie et plus précisément à son ventre et aux doigts qu’elle fait tendrement courir dessus. Elle l’aime déjà, cet enfant. Ça se voit, ça se ressent. C’est déjà ça. Il ne sera pas tout seul. « Hmm. Je sais pas si on peut savoir à l’avance quel parent on va faire. » En retenant un soupire, George prend appui sur ses coudes pour se redresser sans se remettre pour autant en position assise. « Mais jamais j’te forcerais à prendre ce rôle si t’en veux pas et tu sais, enfin si tu le souhaites, je peux dire que j’sais pas qui est le père. Même s’il s’avère que ce gamin est roux, c’est pas incriminant vu ma tête ! » Il n’arrive pas à sourire. Non pas que ce soit forcément l’idée. « Tu peux prendre tout l’temps que tu veux pour y réfléchir, j’bouge pas. »

Elle n’exerce pas de pression sur lui, du moins elle essaie. Sauf que c’est le cas. Il ne peut pas juste se détourner après ça. Pas sans conséquences. Même s’il fait le choix d’épargner cet enfant, de se soustraire à son existence, il n’empêche que la vérité est et restera là. Cet enfant est le sien. Il le sait, n’est plus en mesure de l’ignorer. Peut-être que la meilleure solution pour lui et de rejeter en bloc toutes responsabilités quant à ce bébé. Servir de père à ce petit dans l’état où il est ne peut pas être bonne idée. Mais si là est son choix, s’il renonce à cet enfant, que ressentira-t’il ensuite une fois que le bambin sera là, qu’il ne constituera plus juste une idée, une pensée, mais bien un petit être en chair et en os dans le visage duquel George entreverra peut-être des fragments de lui même. Et de Fred. Fred…
La pensée de son frère laisse comme souvent George au bord de l’asphyxie. Il jurerait qu’un poids nouveau s’abat brusquement sur lui, le condamnant à la chute et il se redresse avec brusquerie, comme poussé par un brusque instinct de survie. Il saute presque hors du lit, au point que, si un tapis avait juché le sol de la cabine, il se serait sûrement pris les pieds dedans. Il passe une main sur son visage, visage qu’il détourne comme le reste de son corps de Sinead, se soustrayant brièvement à sa vue.

Il est raide, blanc comme un linge. Il tente de s’inciter au calme, en vain bien sûr. A nouveau l’air se raréfie pour lui. Il s’octroie quelques secondes avant de se tourner à nouveau vers Sinead. Elle doit être tellement déçue. Elle devait attendre plus de lui. Comme tout le monde. « J’ai besoin de temps » qu’il lâche en accrochant son regard douloureux à celui de Sinead. Il en a besoin, de temps, et elle consent à lui en donner, c’est ce qu’elle vient de dire. Du temps.

C’est tellement pénible pour lui soudain, de la regarder. Il se sent à nu, vulnérable. Il ne veut pas l’offenser, faire peser ses propres angoisses et  ses craintes sur elle. Mais c’est dur. Il n’est pas en mesure de feindre, de faire semblant. Il porte une main à sa nuque, applique une pression derrière son cou. Comme pour se reprendre ou pour se punir. « C’est…. C’est trop et je ne peux pas... Il me faut du temps » il s’embourbe, se répète, ses mots ombrés de fièvre. Il s’exprime sur le ton de l’excuse. Il est désolé. Il est tellement désolé. Il baisse, aussi, machinalement les yeux sur le ventre de Sinead. Il se reprend vite, quoi que pas assez pour faire illusion. Elle a déjà eut tout le loisir de suivre son regard quand il redresse la tête, le coeur battant. « On se revoit bientôt, d’accord ? » Qu’il est nul, incapable, pathétique. Il commence à reculer vers la porte. « Je reviendrais vers toi, bien sûr, je… » Je suis désolé. Il se force à fermer la bouche, à attendre une réponse. La porte de la cabine est à portée de main et tout dans son regard toujours tourné vers Sinead indique qu’il brûle de s'enfuir. Qu’il en a besoin.