the breakfast club (remils)

"C'est une blague?" Nils est figé devant la devanture du restaurant dans lequel Remy lui avait donné rendez-vous, en cette fin de matinée. "Bronson's brunches? Vraiment?" Il tapote nerveusement le sol avec sa canne, tandis que son regard dévie jusqu'à la table en terrasse où Remy était installée, l'accueillant d'un sourire malin et satisfait.
Il aurait dû s'en douter, après tout. Donner rendez-vous en fin de matinée, ça revenait à tendre la perche pour se faire bruncher. Nils n'avait rien vu venir, pourtant, rallongeant exceptionnellement sa pause jusqu'au déjeuner pour aller aux nouvelles de sa marraine.

Le pire, c'est qu'il commençait à avoir faim. Mais s'il se mettait à manger maintenant, il devrait sauter la pause déjeuner et donc attendre jusqu'à huit heures avant de pouvoir dîner... Hors de question de grignoter un break alors qu'il devait faire le pied de grue au QG de la Brigade tout l'après-midi ; l'endroit était d'une propreté douteuse, et la simple pensée de Rayane venant lui faire la conversation, voire pire, lui demander s'il pouvait goûter ce qu'il était en train de manger (alors qu'il n'avait pertinemment pas besoin de manger??? Pourquoi????) aurait pu lui retourner l'estomac pour le reste de la journée.

Il soupire. Il ignorait si Remy avait eu vent de son aversion pour les brunches par quelques moyens que ce soit. Après tout, elle pesait dans le game du journalisme ; c'est qu'elle avait certainement un côté paparazzi qui débordait de temps à autres, par déformation professionnelle... Nils se demande s'il y a d'autres aspects de sa vie dont elle est au courant, à son insu. Il retient sa respiration un court instant, en repensant aux fiascos de ce dernier mois ; les Battues où il avait tué quelqu'un, la fois où il avait failli être tué par un vampire, la fois où il avait failli être tué par un démon (ou Merlin seul sait ce que c'était réellement), sans compter l'incident du téléphone portable...
Non, vraiment, à y repenser, savoir ce qu'il allait commander à bruncher aurait dû être le cadet de ses soucis.

Il tire sa chaise et s'installe en face de Remy, calant doucement sa respiration sur la sienne. Il n'en était pas à sa première imitation avec elle ; entre la canne et la gémellité, il était sur la bonne voie. Il ne saurait dire ce qui l'attirait chez cette femme, mise à part qu'elle n'était simplement pas son père. "Et bien, voilà que tu te mets aux coutumes Fitzroy, maintenant?" Il tripote le menu du bout des doigts, compte le nombre de zéros apparaissant dans la colonne des prix. "Ou tu as simplement été reléguée à la rubrique gastronomique de ton journal?" Son visage tendu se fend d'un sourire (au moins aussi tendu). "Ça fait longtemps, Remy, comment vas-tu?"

Elle accueille son filleul avec un sourire extrêmement satisfait. Il n’y a pas à dire, elle est ravie de l’avoir traquenardé avec autant de facilité. Il avait suffi de lui donner l’adresse sans préciser le nom du restaurant où elle l’invitait pour le piéger et, à voir la mine dépitée du jeune Fitzroy, elle avait franchement bien réussi son coup. « Bronson's brunches? Vraiment? - Bonjour Nils. » se contenta-t-elle de le saluer tout en repliant le Daily Prophet du jour, qui lui permettait de constater que ce bon vieux Dougal était toujours un vendu fini.

Lui désignant la chaise en osier en face d’elle, la rédactrice-en-chef ne lui laissait pas vraiment le choix, surtout qu’elle avait un thé qui fumait devant elle, commandé dès qu’elle était arrivée (il fallait qu’elle s’hydrate ces derniers temps, si elle en croyait ses jambes qui la tiraient). Oh, il allait râler un peu, et puis il allait arrêter de faire sa tête de mule et profiter des retrouvailles avec sa marraine préférée (la seule, tiens).

Grainne affichait encore son petit sourire en coin, à la limite de la moquerie, mais empreint d’une certaine tendresse pour ce gosse qui lui ressemblait un peu trop sur certains points. Évidemment que ça n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde quand Beth lui avait raconté, alors qu’elles passaient une soirée ensemble, à quel point Nils semblait aller en trainant les pieds au moindre brunch auquel il avait pu être invité. « Qu’à cela ne tienne, Beth, je te parie que je peux le faire changer d’avis ! » avait-elle fanfaronné alors qu’elle avait probablement pris un verre de trop (oh, elles pouvaient se le permettre en privé, même si de façade, elles respectaient totalement les préceptes du Lord).
Résultat, les y voilà, attablés en terrasse, avec une mission potentiellement impossible à remplir. Mais Grainne considérait que le hasard lui souriait. Il faisait beau, et Nils s’était assis malgré sa réticence. C’est que ça allait bien se passer.

"Et bien, voilà que tu te mets aux coutumes Fitzroy, maintenant?" grogna-t-il derrière son menu alors que Grainne le couvait d’un regard attendri et même presque un peu désolé. Il n’avait franchement jamais rien vécu d’atroce pour se plier de si mauvaise grâce à un vulgaire brunch. "Ou tu as simplement été reléguée à la rubrique gastronomique de ton journal?" À cette pique acide, la blonde ricane tranquillement, soufflant un « Bah voyons ! » peu sérieux. Enfin, il semble se dérider (oh, elle le connaît, il fait ça pour la façade seulement, et doit penser pouvoir la duper). "Ça fait longtemps, Remy, comment vas-tu? - Ça pourrait être pire…, répond-elle en haussant les épaules avec nonchalance tout en reposant son propre menu qu’elle n’avait pas encore pris le temps d’inspecter, trop occupée à scruter les mimiques du jeune homme. J’ai réussi à sécuriser un date avec un petit jeunot, je pense que je peux m’estimer heureuse. », raille-t-elle encore avec un clin d'œil complice, avant de prendre une gorgée de thé.

Elle le couve toujours de son regard bleu chaleureux mais perçant, et elle finit par demander, plus sérieusement, même si plane encore dans le timbre de sa voix un éclat amusé : « Tu ne m’en veux pas trop, au moins ? Sachant que c’est ta mère qui m’a donné cette idée sournoise et que je ne suis qu'une innocente exécutante… » Un rire cristallin ponctue l’affirmation avant qu’elle ne congédie l’ombre serviable qui venait prendre leur commande, beaucoup trop tôt dans cette entrevue : « Laissez-nous encore deux minutes, je n’ai absolument pas regardé… Tu sais déjà ce que tu veux, toi ? », demande-t-elle à Nils alors qu’elle reporte son regard céruléen sur la carte pour quelques instants.

Malgré les déconvenues liées à l'horaire du brunch, et à son principe même, Nils ne pouvait pas présentement dire qu'il détestait la situation dans laquelle il se trouvait. Il avait toujours admiré Remy, sans même savoir si son jumeau ressentait la même chose. Il ne l'adulait pas aveuglément comme il avait pu (et pouvait encore) le faire avec sa mère, Beth. Toujours est-il que Remy n'était pas en reste dans l'estime du jeune homme. Il la trouvait incroyablement courageuse, vis-à-vis de son accident, talentueuse, au vu de sa carrière et d'une classe certaine, à voir comment il observait attentivement la façon dont elle manipulait sa canne, afin de pouvoir l'imiter par la suite.
S'il y avait bien une condition qui pouvait influencer son avis pour la coutume du brunch, c'était bien entendu la compagnie.

"Ça pourrait être pire… J’ai réussi à sécuriser un date avec un petit jeunot, je pense que je peux m’estimer heureuse." Le visage de Nils se crispe vaguement d'incompréhension, complètement imperméable face à la tentative de Remy de rajeunir sa manière de communiquer... Pas besoin de ça, avec Nils, dont le comportement relevait plus d'une vieillard ronchon que de l'idole des lycéennes. La confusion le fait rougir un peu, en plus de la perspective de paraître en date avec une femme plus âgée, aux yeux des autres clients ou des passants.

Il s'écrase un peu plus dans sa chaise, le nez rivé à son menu, comme s'il pouvait se défiler au regard presque transparent de Remy en se coinçant entre les scones magiques et la formule spéciale pour les enfants.
"Tu ne m’en veux pas trop, au moins ? Sachant que c’est ta mère qui m’a donné cette idée sournoise et que je ne suis qu'une innocente exécutante…" Dans un mouvement de stupeur, Nils plaque le menu sur la table. Il hausse les sourcils, secoue le menton. "Comment?" Bah, ça faisait sens. Liam n'était plus là pour vendre la mèche à propos des petits secrets de son jumeau (pour ne pas dire qu'il était devenu lui-même son plus grave petit secret). Quant à Otto... il ne devait sans doute même pas savoir que Nils n'aimait pas les brunches... Puisqu'au final, s'il ne les aimait pas, c'est aussi parce qu'il brunchait avec Otto. "Si on ne peut même plus faire confiance à son propre sang..." Il hoche du chef, simulant un dépit accablant.

"Tu sais déjà ce que tu veux, toi ?" Nils hausse une épaule. "Pas vraiment ; généralement, tout est déjà là et je n'ai qu'à attraper ce qui se trouve à portée de main." Il se tord un peu sur sa chaise pour observer ce que les tables voisines avaient choisi. "Puisqu'on est là, on ne marquerait pas le coup? On commande un de chaque ; je t'avais bien dit que tu finirais critique culinaire pour ton journal."

À un moment, tôt ou tard, elle allait finir par se vexer que ses tentatives de rajeunir son vocabulaire tombent systématiquement à l’eau, à chaque fois. Bon, en prime, la plaisanterie n’était peut-être pas très bien amenée, ni même adéquate, vu comment Nils avait l’air perplexe vis-à-vis de cette histoire de date. À ne pas réitérer à l’avenir, donc. La note mentale fut faite et remise à plus tard.

Poursuivant, Remy divulgua donc l’origine de ce traquenard et la stupeur de Nils fut, il fallait le reconnaître, quelque peu délectable. Évidemment qu’il ne se doutait pas que sa mère pouvait être aussi retorse, mais c’était mal connaître l’ancienne Serpentard auprès de qui Grainne avait fait ses classes et passé un certain nombre de cours. "Si on ne peut même plus faire confiance à son propre sang..." maugréa-t-il, et elle ne peut qu’abonder dans son sens, d’un « You and me both. » faisant ouvertement référence à la querelle sans fin (bon enfant, cela dit) qui l’opposait à Darragh, lorsqu’il s’agissait de déterminer lequel des deux était the Looks (votre servante ici présente), et lequel était les Brains (Monsieur Je-pratique-la-magie-de-l’esprit-pour-mes-loisirs-personnels) de leur duo. Il allait de soi que les absents avaient tort, na ! Bon, et en prime, disons qu’elle songeait aussi aux innombrables occasions où ce fourbe rouquin qu’était son frère trouvait le moyen de lui glisser à l’oreille que ce cher Mike était un parfait parti.

Un « Mh » compréhensif accueillit le constat de son filleul quant au fait qu’il n’avait guère le choix d’habitude, et Remy se demanda un instant si ça valait le coup d’en toucher un mot à Beth… Avant d’estimer que cette dernière devait parfaitement connaître la situation, pour avoir justement glissé subtilement cette information dans leur dernière conversation. À croire que la haut-juge avait un coup d’avance, par moments. Le jeune homme avait néanmoins de la ressource et trouva un stratagème pour éviter de devoir faire un choix : "Puisqu'on est là, on ne marquerait pas le coup? On commande un de chaque ; je t'avais bien dit que tu finirais critique culinaire pour ton journal." Un sourire amusé orne désormais les lèvres de la rédactrice-en-chef, qui hoche la tête, l’air intéressée par la proposition. « Ça m’a l’air pas mal du tout comme projet. Bon, bien sûr, on va prendre notre temps hein, on n’est pas pressés. Et je te préviens… » amorça-t-elle juste après avoir fait signe au serveur qu’ils étaient prêts à commander, prenant le temps de finir son avertissement à l’égard du jeune Brigadier : « N’essaie même pas de payer dans mon dos, parce que ça va très mal se passer sinon. »

La menace plane.
Lui ferait-elle vraiment du mal ?
Non, jamais.
Mais elle serait bien capable de l’inviter plus souvent à des brunchs, ou à tout ce qui l’ennuie au possible, s’il lui venait l’idée de jouer au galant homme alors qu’elle avait dit qu’elle l’invitait.
Qu’importe qu’il gagne sa vie correctement : il fallait bien qu’elle trouve un moyen d’utiliser tout l’argent qu’elle avait amassé, non ?

Si Nils et Liam avaient essayé d'imiter leurs aînés en lançant l'éternel débat du Looks et du Brain, ils n'avaient pas fait long feu. Il faut dire que physiquement parlant, ils étaient indifférenciables. Nils avait certainement un meilleur look que Liam, mais Liam l'emportait haut la main en termes d'attitude et de confiance en soi. Quand à l'intellect, les deux garçons avaient été soigneusement élevés et éduqués par leur brillante mère, aussi, ils avaient chacun appris à faire usage de leur matière grise, parfois même à leur dépens.
Le débat avait donc tourné court, et dès lors, les garçons avaient dû repartir dans leurs activités favorites, à explorer des lieux hantés ou à se faire peur dans les couloirs de la maison. S'ils ignoraient qui des deux étaient the Brain et qui était the Looks, il était certain en revanche qu'aucun des deux ne pouvait prétendre au titre de the Guts.

"Ça m’a l’air pas mal du tout comme projet. Bon, bien sûr, on va prendre notre temps hein, on n’est pas pressés. Et je te préviens… N’essaie même pas de payer dans mon dos, parce que ça va très mal se passer sinon." Nils oublie certainement de respirer, ou seulement même de cligner des yeux, alors qu'il soutient difficilement le regard ferme de sa marraine. Il profite de l'arrivée du serveur pour dissimuler son émoi lorsqu'il remet les deux menus plastifiés. Un sourire confus craque sur son visage. "Loin de moi l'idée de débourser un penny pour un brunch ; ce serait contre mes principes!" plaisante-t-il, chassant l'idée d'un revers de la main. "Et puis, c'est toi la businesswoman qui a bâti son empire dans le journalisme ; en comparaison, je ne suis qu'un genre de... vétérinaire pour adultes?" Il fronce le nez et les sourcils, réalisant avec dépit à quel point cette description peu valorisante s'avérait pertinente.

Nils ignorait en revanche que la fortune de sa bien-aimée marraine était également issue de son rang à la tête des Travelers ; mais si un jour il était amené à le découvrir, pour sûr qu'il ne serait pas si surpris que ça.
"Ça me ferait presque un coup au moral de me dire que je passe mes journées à babysitter des bêtes humaines et des humains bêtes, ah!" Qu'on se le dise ; leur petite entrevue servait aussi à relâcher un peu la pression. "Depuis quelques temps, c'est le chantier à la Brigade ; je les savais pas disciplinés, mais depuis que Kalen Yaxley fait partie des abonnés absents, on se croirait une veille de pleine lune à longueur de temps!" Il s'affale un peu plus dans le fond de sa chaise.

Le serveur revient avec deux cafés Espresso sorciers, histoire d'ouvrir le bal, et le jeune homme y noie son désarroi d'une rapide et unique gorgée. "Tu sais quoi? Je pense que tu as raison ; prenons notre temps, aujourd'hui."

Il y avait quelque chose dans l’attitude de Grainne qui la rendait charmante au demeurant, mais son regard d’acier bleuté avait effectivement tendance à glacer le sang de ceux qu’elle venait à menacer, même en plaisantant. Que Nils ne s’inquiète pourtant pas davantage : jamais Remy n’aurait pu s’attaquer à son neveu autrement que de façon bienveillante et plutôt pacifique. Point de menace d’intenter à sa vie donc.
Surtout que Beth lui en voudrait à jamais.
Et que ce jeune homme ne méritait pas cela.

Qu’il proteste, donc, avec une fausse véhémence, quant à ce refus de débourser quoi que ce soit pour un vulgaire brunch, cela convenait très bien à sa marraine, qui n’en demandait pas tant. "Et puis, c'est toi la businesswoman qui a bâti son empire dans le journalisme ; en comparaison, je ne suis qu'un genre de... vétérinaire pour adultes?" La rédactrice-en-chef de Witch Weekly esquisse un rictus carnassier alors qu’elle hoche la tête de façon affirmative. C’est bien vrai que, des deux, elle est la plus fortunée. Mais bon, tant qu’il continue d’ignorer la principale source de ses revenus, c’est mieux. Pour autant, elle le réconforte d’une voix douce : « Ne te dénigre pas tant que ça, voyons. Tu t’occupes également des personnes tout à fait normales… » Et, tout en disant ces mots, elle s’éloignait profondément de ce qu’elle pensait vraiment. Elle jouait un rôle dans cette société, comme de nombreuses personnes qu’elle pouvait croiser dans les rues du Londres sorcier. Les hybrides, qu’ils soient hémovores ou lycanthropes n’étaient pas moins normaux que les autres : leur statut social variait simplement selon le gouvernement en place. C’était donc malheureusement une question de survie, que de mettre le masque qu’on attendait d’elle, et de dire des choses qui, finalement, n’étaient même pas le centième de ce qu’elle envoyait à la publication dans son magazine. Et de rire, néanmoins, quand même, lorsque Nils exprime son exaspération quant aux bêtes humaines et aux humains bêtes.

Ce n’est pas comme si la Values Brigade accueillait dans ses rangs des parangons d’intellect : rien qu’en songeant au fait que James Buchanan Jr et Langford Prewett y coulaient des jours heureux en disait long sur l’état de la Brigade. Pour autant, Remy se garda bien de siffler un commentaire nauséabond à son filleul : il aurait été sot de l’encourager à prendre en grippe des personnes avec qui il devait œuvrer de concert jour après jour. Elle songe aux autres visages de la Brigade qu’elle connaît, et c’est lorsque celui de ce cher Felix Wickham lui revient en mémoire que Nils lâche une information inédite qui attire soudainement toute son attention : "[…] je les savais pas disciplinés, mais depuis que Kalen Yaxley fait partie des abonnés absents, on se croirait une veille de pleine lune à longueur de temps!"
Sans en avoir l’air, elle se réjouit de cette nouvelle. Bon, bien sûr, il reste toujours l’autre Yaxley, Corban, qu’elle connaît très bien pour avoir fait ses classes en même temps que lui à Poudlard. Mais déjà, un de moins, c’est à prendre. Elle pourrait répondre, l’encourager à poursuivre dans cette voie de complaintes ô combien intéressantes (sans ironie, en plus), mais le serveur approche et dépose leurs cafés sur la table. Tandis qu’elle prend sa tasse et souffle doucement dessus, Nils reprend et elle sent sa lassitude : "Tu sais quoi? Je pense que tu as raison ; prenons notre temps, aujourd'hui. - Je suis ravie de t’entendre céder ! » Elle prend une petite gorgée de café et repose la tasse dans sa soucoupe pour observer le jeune homme face à elle quelques instants, avant de proposer : « Tu sais, Nils… Si jamais travailler avec des incompétents et des sauvages ne te convient plus, tu pourrais toujours venir travailler pour moi, hm? »

L’offre est sérieuse, même si c’est toujours difficile d’en être sûr, lorsqu’on repère le léger sourire en coin qu’elle arbore en formulant la proposition. Mais cela tient plus à la plaisanterie qui s’échappe de sa bouche rapidement : « J’ai justement besoin d’un reportage qui servirait de petit guide pour les meilleurs brunchs de la capitale magique, donc je me dis que c’est le poste rêvé pour toi. » Là, le sourire est beaucoup trop large pour duper son interlocuteur, et elle clarifie : « Non mais, plus sérieusement : de mémoire, ta plume correspondrait bien au style général, et j’aimerais masculiniser davantage mon pool de chroniqueurs… » Elle avoue ce dernier point en se penchant un peu vers lui, par dessus la table. Un froncement de sourcils léger plus tard, elle commente cependant un peu plus bas, comme pour ne pas lui laisser d’illusions sur le poste qu’elle lui fait miroiter : « Bon, réflexion faite, je ne suis pas sûre qu’on est exempts d’incompétents cela dit… »

Remy tente de rassurer Nils quant à la sanité d'esprit de ses collègues, mais ça ne fait qu'arracher un regard mi-circonspect, mi-désappointé au jeune homme qui tripote sa petite cuillère, secouant le menton de gauche à droite. Parfois, ça lui prenait de considérer ses "collègues" d'un regard moins moralisateur, voire même de se dire que certains avaient dû en baver, et que leur dégénérescence ne venait pas de nulle part. Et puis, il y en avait toujours un pour lui faire la blague de trop, pour s'asseoir sur son bureau, froissant ses papiers, pour lui taper lourdement la causette, et le bref instant de considération de Nils prenait fin. Il réalisait alors que Langford Prewett était censé avoir l'âge de sa mère, que James Buchanan Jr avait une fille à charge (enfin plus ou moins, elle devait avoir son âge maintenant), ou même que Reinir Jonsson était responsable de toute une meute.
Nils se rappelait alors qu'il était censé avoir à faire à des grown ass adults et qu'il n'en était rien, si bien que même Remy finit par reconnaître l'effort que ça devait être au quotidien de bosser avec eux.

"Tu sais, Nils… Si jamais travailler avec des incompétents et des sauvages ne te convient plus, tu pourrais toujours venir travailler pour moi, hm?"
Nils retient son souffle. Il lève la tête pour clouer son regard piquant à celui de sa marraine, curieux de mesurer le sérieux de cette invitation. C'est ce moment que choisit le serveur pour refaire surface, faisant léviter du bout de sa baguette un plateau chargé de scones, de marmelade et autres fruits confits.
Nils serre les dents, frustré à l'idée que Remy en profite pour changer de sujet de conversation. Il entrouvre même la bouche, sur le point de renchérir, mais sa voix s'étrangle, son courage s'effrite, une première fois, alors qu'il n'a même pas eu le temps de songer concrètement à son offre. Parce qu'il y réfléchit, à toutes berzingues ; l'hypothèse balaye tout sur son passage, tous les plans concoctés par ses parents, tout le futur sagement écrit à l'encre indélébile.

Alors que Remy continue d'expliquer son idée, Nils se permet une chose dont il n'a plus l'habitude ; il se projette, il espère, il s'imagine accepter l'offre, bosser avec Remy, jouer pour un temps le critique culinaire, qui sait, signer ses propres articles. Une vie loin des milices armées du Ministère, loin de Ste-Mungo. Une vie loin des dégénérés de la Brigade, loin des collègues chiants de l'hôpital, loin d'Otto, bien évidemment. Une vie sans l'ombre de la marque des Ténèbres qui plane au-dessus de sa tête. Une vie hors de l'ombre de ses parents, de ses terribles ancêtres, hors de l'ombre de l'ombre qu'était devenu son frère.
"Ça serait super, oui..." Nils a l'enthousiasme aussi timide que le sourire en coin qu'il cède à sa marraine. Mais Remy le connaît, elle peut sentir le battement de son cœur qui s'accélère (il n'arrive même plus à les compter), le sourire qui se retient, bouffant ses lèvres à défaut de bouffer son petit-déjeuner.

Il ne se rend pas compte qu'il a réduit en miettes un scone, trahissant le stress sous-jacent, tapi dans l'ombre de son enthousiasme. Il lâche ce qu'il a dans les mains, agrippe sa serviette pour s'essuyer fiévreusement les doigts, qu'il sent se recouvrir d'une fine couche de sueur. A croire qu'il se sent coupable d'avoir nourri l'illusion de tels projets. "Mais c'est pas possible... J'ai besoin de ce post à la Brigade, si je veux espérer un jour p-prendre la Marque..." Son sourire se tord bizarrement, peinant à feindre l'enthousiasme qu'il venait de ressentir, mais cette fois-ci pour quelque chose dont il ne veut pas.
Ses doigts se crispent autour de son avant-bras, anticipant l'inscription du tatouage maudit.
"Mais j'ai toujours mon job à mi-temps à la radio, là... Et crois-moi, la prochaine émission va faire jaser ; tu sais que j'ai failli y rester, dans cette histoire." C'est lui qui renchérit finalement sur un autre sujet, tentant de se trouver des excuses, de trouver un compromis qui rendra le refus de cette offre alléchante moins difficile à vivre, priant pour que sa marraine n'insiste pas...

L’offre est sincère : il n’y a pas grand chose de mieux qu’elle pourrait offrir à Nils, que de rejoindre les rangs de Witch Weekly, plutôt que de rester dans l’ombre de son père indigne. Elle le sent bien, Remy, que le jeune Fitzroy ne prend guère plaisir à travailler avec les membres de la Values Brigade, et elle voudrait pouvoir lui faciliter la vie. Ainsi, elle ouvre une porte de sortie éventuelle, sans avoir vérifié avant avec Beth que la mère approuverait pareil revirement de situation professionnelle pour son rejeton.
À vrai dire, maintenant qu’elle y réfléchissait, elle était prête à parier que Beth ne verrait que d’un mauvais œil cette tentative de subversion, même si Grainne était confiance dans sa capacité à faire comprendre à sa meilleure amie qu’elle n’œuvrait que dans le meilleur intérêt de son filleul.

Néanmoins, il était évident que ce n’était pas le plan de carrière qu’on avait prévu pour Nils et lui-même en était pleinement conscient, quoiqu’il ne dissimulait pas aussi bien que possible la tristesse que cela pouvait produire en lui. Remy avait bien compris, au demi-sourire naissant sur les lèvres du jeune homme, qu’il avait sincèrement pris en compte sa proposition et l’avait même véritablement considérée, avant de se rendre à l’évidence face à cette sorte de graal inatteignable. Elle guette ses gestes, l’interrompt d’abord alors qu’il exprime son enthousiasme avec pudeur, par un : « Tu n’es pas obligé de répondre tout de suite, hein. » prononcé avec douceur et compréhension.

Déjà, sous les yeux bleus de la rédac-chef, il réduit en poussière le pauvre scone qu’on lui a apporté. Remy se doute bien qu’il va néanmoins répondre, par la négative, et ça l’attriste profondément, quoiqu’elle n’en laisse rien paraître, surtout lorsqu’il énonce la raison fondamentale qui le retient à la Brigade : "Mais c'est pas possible... J'ai besoin de ce post à la Brigade, si je veux espérer un jour p-prendre la Marque..."

Elle ne dit mot. Son visage ne bouge pas.
Toujours est-il qu’elle sent son cœur couler au fond de son ventre, comme une grosse pierre, en constatant que son filleul est embrigadé.
Et comment ne le serait-il pas ? Logique, vu le monde dans lequel ils vivent, qu’elle-même contribue à faire vibrer avec les torchons qu’elle publie dans son magazine.
Encore quelque chose qu’elle pourrait trouver à reprocher à ce gros con d’Otto, en plus d’avoir laissé Beth seule pendant toutes ces longues années.

Elle hoche la tête, néanmoins, esquissant un sourire compatissant, comme consciente de l’honneur plus grand qu’il y avait à être marqué dans cette société, plutôt que d’écrire des conneries dans une revue féminine à grand tirage. « Je comprends, évidemment… », parvient-elle même à glisser tout en acquiesçant, le sourire doux revenu sur ses lippes.
Elle en côtoie tant des mangemorts, entre ceux qui se glissent dans ses draps, ou ceux qu’elle peut croiser à des réceptions plus habillées et plus coincées, qu’on n’irait pas l’imaginer en vomir les principes. Elle est bien intégrée dans la bonne société, quoique non marquée. Elle est une de ces opportunistes qui, sans prendre officiellement de parti, peut ainsi manœuvrer à vue et arrive soigneusement à contourner les obstacles. Elle est la caution sympathisante de la famille Lynch, celle qu’on oserait jamais qualifier d’amoureuse des hybrides, et encore moins de Muggle Lover, comme on a pu qualifier son jumeau. Mais, loin des regards scrutateurs, il n’en reste pas moins qu’elle n’adhère pas aux préceptes du Seigneur des Ténèbres, et ne croit pas à cette séparation des sociétés que les Mangemorts et leur gouvernement cherche à imposer de façon pernicieuse. Il lui semble un bref instant, alors qu’elle observe Nils, voir une lueur poindre dans les yeux du jeune homme, la même que celle qu’elle voit dans ses propres yeux lorsqu’elle regarde son reflet, chaque matin. Cette lueur qu’on a lorsqu’on est partagé, lorsqu’on se sent peut-être piégé.

Les yeux ancrés dans ceux de Nils, elle ne voit pas l’ensemble, elle ne le voit pas se crisper sur son avant-bras. Elle l’entend, l’écoute attentivement, alors qu’il tente de la rassurer -car c’est ce qu’il fait, non ? ou cherche-t-il à se rassurer lui-même ?- lorsqu’il parle de son mi-temps radiophonique. "Mais j'ai toujours mon job à mi-temps à la radio, là... Et crois-moi, la prochaine émission va faire jaser ; tu sais que j'ai failli y rester, dans cette histoire." Une gorgée d’espresso plus tard, elle s’est ressaisie (il serait dangereux de pousser davantage Nils vers la sortie de ce chemin tortueux vers lequel les époux Fitzroy l’ont dirigé) (dangereux pour elle, dangereux pour les Lynch, dangereux pour les Travellers, même). Elle saisit donc la perche qu’il tend comme une invitation silencieuse à ne pas insister davantage pour son offre de poste dans sa rédaction, et préfère plutôt enchaîner dans la direction plus plaisante qu’il a ouverte.
C’est aussi qu’elle a toujours aimé l’écouter raconter ses histoires.
Quand il était mioche, lui et Liam avaient une certaine propension à parler beaucoup, ce qui n’avait jamais été désagréable, lorsque Remy venait passer du temps avec Beth, pendant que ce sombre connard d’Otto était enfermé à Azkaban. Elle se souvenait encore de quelques aventures que les jumeaux avaient vécu, et qu’ils avaient raconté avec moults détails.
Elle espérait que celle à laquelle il venait de faire allusion serait aussi trépidante.

Un plateau flotta jusqu’à eux sans qu’un serveur ne fasse le déplacement, et tandis que Remy prenait les plats et les posait sur la table qui s’étirait au fur et à mesure pour tout pouvoir accueillir sur sa surface, elle encouragea Nils à se faire conteur : « J’imagine que c’est aussi passionnant que tout ce que tu as pu me raconter les dernières fois. » Et, renvoyant le plateau dans le nulle part d’où il était arrivé, après avoir humé le bol d’œufs brouillés qui fumait, elle arqua son sourcil et afficha un air de complotrice, comme pour essayer d’amadouer le Brigadier : « Est-ce qu’il y aurait moyen d’entendre tout ça avant cette fameuse émission ? » Allez, il ne fallait pas refuser à une journaliste son lot de scoops quotidiens…

"Est-ce qu’il y aurait moyen d’entendre tout ça avant cette fameuse émission ?" Remy n'a pas à demander deux fois que Nils est déjà en train de tirer de la doublure de sa cape son inséparable carnet. Il parvient à trouver une petite place au milieu de cette profusion de nourriture, non sans avoir, au passage, piocher une poignée de framboises sorcières qu'il a déposé dans un coin de son assiette pour les picorer.
Il va même jusqu'à poser la carafe de jus de fruit en acier juste devant lui, comme s'il s'agissait d'un micro magique, et qu'il était en plein enregistrement.

"J'ai pas encore tout mis en ordre ; il faut dire que cette affaire reste l'une des plus... brouillonnes de mon tableau de chasse, ah!" Bien qu'il ait sorti son carnet, il le garder fermé près de lui, l'index coincé entre deux pages, le pouce caressant pensivement l'arête cornée de la couverture. "Donc d'un côté, il y a cette fille qui a disparu, et de l'autre, cette maison, abandonnée, du genre "les proprios se sont volatilisés". Du coup, bien entendu, j'ai fait le lien." Il dépose sa tasse d'expresso vide sur le plateau magique, se sert à Remy et à lui un verre de jus de citrouille. "Et bingo ! Les lieux étaient pas si abandonnés que ça, en fin de compte ; un vampire, et du genre solitaire, en plus de ça, avait installé son... son nid? dans les décombres de la maison."

Bon, il n'évoquera peut-être pas tout de suite le décès de son assistant de fortune. "Si j'avais eu Liam avec moi, on aurait réglé ça en deux sorts, trois mouvements!" Nils contrôle sa respiration, ouf, ça va, il a réussi à prononcer son nom sans que ça parte en vrille dans sa voix.
Il ne parlera peut-être pas non plus de ce qu'il était advenu de la jeune femme. Au cas où on ne l'aurait pas encore compris, Nils avait tendance à faire de ses montagnes des taupinières ; repousser les événements traumatisants, passés ou à venir, dans un coin bien reculé de ses pensées, juste au cas où ça suffise à les faire disparaître. Un classique.
"Et c'est pas faute d'avoir côtoyé des vampires à la Brigade ! Je veux dire, on a tout un panel des plus variés!" Il ouvre la main, désignant le brunch comme s'il s'agissait des marqués de la Brigade. "Des centenaires, des fœtus, des solitaires, des clans entiers, vraiment, je pensais avoir brassé toutes les catégories!" Il tapote la couverture de son carnet avec une petite fièvre, repensant aux innombrables listes qu'il avait dressés, non sans l'aide de la plus imminente des hémovores, Sienna Graymalkin (bon, c'est surtout parce qu'elle était l'une des rares à qui il voulait bien parler (n'en déplaise à Boris) et qui voulait, de surcroit, bien lui parler aussi —de rien, Sid).

"Bref. Je n'en avais jamais vu un pareil... C'est comme la fois où on est allé dans la vieille église avec L— avec Liam." L'enthousiasme qui l'avait animé semble se bloquer comme les rouages d'une vieille pendule. Une petite faille, un simple engouement pour un sujet qui les avait toujours passionnés, avec son jumeau, et tous les émois de ces dernières années venaient de s'y engouffrer de nouveau.
C'est sans aucun doute le fait de parler des histoires de fantômes comme il avait l'habitude de faire avec Liam. C'est peut-être le goût sucré et régressif de la confiture sur les scones. Il se tait, un instant, n'essayant même plus de réfréner ce qu'il avait remis en marche, malgré lui.
"Remy, comment on est censé faire, sans son jumeau? Il écrase le reste des framboises du bout de sa fourchette, se bouffant l'intérieur des lèvres, les images de son précédent récit se mélangeant avec ses aventures passées, aux côtés de son jumeau. Est-ce que tu sais, Remy? Comment tu ferais, sans Darragh?"
Sa voix craque, son visage semble craquer, dans le battement frénétique de ses cils, dans sa bouche un peu coassante qui essaye de pas trop se tordre. Et, au travers de la fissure, un seul constat: Liam me manque.

Penchée au dessus de sa tasse de café presque finie, Remy est toute ouïe à l’égard du récit que va bien lui faire son filleul, voyons. Rien que de le voir sortir son carnet, elle sait qu’elle va avoir droit à une histoire d’anthologie et s’en frotterait presque les mains. À la place, c’est un immense sourire qui accueille le mouvement du jeune Fitzroy et les gestes qu’il réalise pour installer un peu son décor de conteur. Écoutant avec attention et sans chercher nullement à l’interrompre, elle hoche la tête et prend note mentalement de ce qu’il dépeint : la disparition de cette fille, et une maison laissée à l’abandon. Rien de très compliqué à comprendre pour l’heure, et toutes les chances pour que le cadavre de la fille soit retrouvé dans la maison (yikes). Même s’il lui sert du jus de citrouille, elle est déjà happée par le récit et ne cherche pas à s’en saisir, les mains toujours ancrées autour de sa tasse de café, et les pupilles fixées sur le visage de Nils.

"Et bingo !" s’exclame-t-il, lui arrachant un rire attendri. Il faut bien le reconnaître, il est bon pour conter des aventures, elle est vraiment embarquée dans l’histoire. »(…) un vampire, et du genre solitaire, en plus de ça, avait installé son... son nid? (…)" Ooh, miment ses lèvres en silence, alors qu’elle hoche encore une fois la tête brièvement, comme pour l’encourager à continuer sans lui prêter attention. "Si j'avais eu Liam avec moi, on aurait réglé ça en deux sorts, trois mouvements!" "C'est sûr que ça aurait été plié rapidement!", confirme-t-elle doucement, songeant encore à leurs exploits lorsqu’ils étaient gosses. Finalement, vu le temps qu’elle avait passé chez Beth lorsqu’ils étaient mioches et que ce crétin d’Otto se planquait ou croupissait à Azkaban, Grainne les avait pratiquement élevés avec Ms Fitzroy, en vérité. Elle savait bien à quel point Nils avait tout fait avec Liam depuis tout petit, et elle se souvenait aussi les conseils qu’elle avait pu leur donner quand ils voulaient des secrets de jumeaux qu’elle seule pouvait leur suggérer. Et, dans un sens, ça la rassurait de le voir en parler encore, alors qu’Otto faisait mine de n’avoir jamais eu que deux fils, et que Beth évitait habilement le sujet lorsqu’il menaçait de venir déranger leurs discussions. Écoutant toujours attentivement son récit et ses remarques quant aux hémovores de la Brigade, Remy voulait bien le croire, n’ayant jamais vraiment fait en sorte d’en discuter avec les principaux concernés.

Un vampire solitaire, donc, qui changeait des hémovores à peu près civilisés au service de la Values Brigade. "Bref. Je n'en avais jamais vu un pareil... C'est comme la fois où on est allé dans la vieille église avec L— avec Liam." Les prunelles de la blonde étaient descendues un instant sur ses mains, tapotant pour l’une le carnet qu’il n’avait pas ouvert, mais elles remontent immédiatement, dès qu’elle l’entend trébucher sur le nom de son jumeau, et lorsqu’elle croit percevoir un accent beaucoup moins enjoué que précédemment. Un pli inquiet froisse ses sourcils sombres alors qu’elle le dévisage et qu’il fuit ses yeux, avant qu’il n’interrompe brusquement son récit pour lui poser une question inattendue : "Remy, comment on est censé faire, sans son jumeau? Ça la laisse coite, même si Grainne referme assez vite la bouche et recompose une mine plutôt sereine alors que la question la frappe en plein cœur, et qu’une seconde vient le lui briser, presque immédiatement après : Est-ce que tu sais, Remy? Comment tu ferais, sans Darragh?"
Elle inspire profondément, avale le reste de café dans le fond de ta tasse (café froid, soudainement trop amer pour ses papilles), pose la tasse sur le plateau qui patientait sagement dans les airs, avant de tendre les bras à travers les victuailles et de poser une main sur le dos de celle de Nils. "Oh Nils…", trouve-t-elle seulement à dire, alors qu’elle serre avec tendresse la main qu’elle tient désormais. "Je…", elle renifle, sent que ses yeux sont peut-être plus humides, alors que ses émotions sont trop fortes pour vraiment réfréner la vague d’angoisse qui lui enserre le cœur rien qu’à imaginer un seul instant de se retrouver sans Darragh. "Je ne sais pas, non. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui." avoue-t-elle, lentement, d’une voix peut-être un peu trop basse parce qu’elle ne veut pas flancher. "Je ne sais pas comment il aurait fait si…", un soupir et ses yeux fuient son filleul alors qu’elle se remémore un moment où elle a cru réellement mourir "Tu es trop jeune pour t’en souvenir, toi et Liam aviez six ans, mais un bâtiment s’est effondré pendant que j’étais dedans et… j’ai passé du temps à St Mungo’s, pendant que les médicomages faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour sauver la vie de certains, ou pour me rendre mes jambes en l’occurrence…" Involontairement, sa main serre davantage encore celle de Nils tandis que de l’autre elle essuie les larmes qui perlent au coin de ses yeux. Un sourire triste étire ses lèvres, tandis qu’elle souffle et reconnait : "J’ai jamais eu aussi peur de toute ma vie, et je crois que le pire à ce moment précis, c’est que Darragh n’était pas là." Sous les décombres, le souffle court, la peur de la nuit éternelle, et ce même si au dehors les sorciers s’activaient à toute vitesse, et que finalement elle n’avait peut-être passé qu’une demie-journée piégée. "Encore que, il valait mieux qu’il ne soit pas là, ça n’aurait rien changé au problème dans tous les cas…" elle s’essuie le bout du nez d’un revers de la main, avant de récupérer une serviette pour estomper l’humidité encore au coin de ses paupières en déglutissant. "Je ne sais pas ce que j’aurais fait si la situation avait inversée : lui sous les décombres, entre la vie et la mort, et moi au dehors. Je crois que je serai devenue folle." Elle ne savait pas, et elle ne voulait pas même l’imaginer, à vrai dire.

Un instant, elle semble vouloir dire quelque chose, mais se ravise brièvement. Quelques secondes passent, alors qu’elle se remet de ses émotions, et ingère celles de ton filleul, avant finalement de reprendre : "Tu sais, Nils, ce n’est pas parce que Liam a choisi un autre camp que tu es voué à ne plus jamais le retrouver." Et tout en disant cela, elle sait qu’elle marche sur des œufs, que la situation est bien plus complexe que cela, et qu’après tout elle s’adresse à un futur mangemort, un futur marqué. "Votre lien est plus fort que ces questions de camp, gouvernement contre terroristes." Si Beth était là, il y a de grandes chances qu’elle la fusille du regard et n’apprécie guère les paroles de sa meilleure amie. Mais Grainne continue tout de même, en tenant toujours fermement la main de Nils. "Tu veux connaître le secret ultime des jumeaux ?" Elle se penche un peu, avec un sourire vaguement malicieux, pour se rapprocher de Nils par dessus la table, posant sa main libre sur la joue du jeune homme avec tendresse. "Ce n’est pas parce qu’on est séparés que l’on est seul. Si j’ai tenu, alors que vraiment rien ne m’y prédestinait, c’est parce que je sentais Darragh avec moi. Ces histoires comme quoi les jumeaux ont un lien magique spécifique, c’est pas des conneries, ou alors je me leurre peut-être, mais je crois, vraiment, qu’à ce moment-là, c’est Darragh qui m’a filé la force nécessaire pour tenir. Comme toi et Liam le ferez peut-être un jour." Et ce disant, elle espère sincèrement qu’il n’en viendra jamais à devoir réellement affronter son frère, sans vraiment savoir si ses paroles apporteront le réconfort nécessaire à Nils.

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