Nils n'aime pas les brunches. Il n'est pas du genre à traîner au lit le dimanche matin, alors généralement, il finissait par mourir de faim en attendant que la table soit dressée. A son avis, le brunch se situait au pire moment de la journée, trop tard le matin et trop tôt l'après-midi, si bien qu'il devait patienter une à deux heures de plus avant de mourir de faim (une fois de plus) pour le dîner.
Nils aimait que les choses soient claires ; que chaque repas ait un rôle spécifique, et un contenu différent. Le brunch représentait le chaos des lève-tard, qui amassaient beaucoup de bouffe sur la table, juste pour pouvoir se vanter, l'après-midi, au country club sorcier, dans un soupir un peu las mais si fier : "oh, nous ce matin, on a brunché".

Nils n'aime pas les brunches parce que ça voulait dire revenir à la maison et subir pendant plusieurs heures les roucoulades de Wickham, le surplus de bouffe et surtout, surtout la présence de son père. Depuis qu'il avait quitté la maison, il ne le voyait plus qu'en coup de vent au Ministère, et c'était amplement suffisant.
Ces derniers temps, même, Otto était encore plus difficile à croiser. Nils savait que c'était à cause des événements du mois dernier, sur l'île de Gracefield. Il avait lui-même du mal à recouvrir le sommeil, ou simplement l'appétit (raison de plus pour laquelle il n'aimait pas les brunches).

Pourtant, ce dimanche là, Nils piaffait presque d'impatience à l'idée de revoir ses parents. Comme à son habitude, il était arrivé un poil en avance, le temps de respirer les lieux, de faire un tour dans le jardin, histoire de choisir quel massif d'hortensia il allait pouvoir dévisager tout au long du repas. Les lieux étaient étrangement calmes, ce qui signifiait que Felix n'était pas (encore) là. Une elfe de maison eût tôt fait de prévenir Nils que monsieur Wickham ne serait pas là du tout, aujourd'hui.
Nils sent les minuscules rouages magiques de sa prothèse dentaire piquer dans ses joues creuses, alors qu'il serre les dents, comme s'il espérait empêcher la boule compacte qui venait de se former dans son ventre de sortir.
Parce que peut-être qu'au fond, il espérait que Felix soit là ; parce que Felix, tout comme les brunches, étaient tout le temps là, inévitables, et qu'ils représentaient dès lors une ancre stable, accrochée au navire de ses petites habitudes.

Si Nils ne paraissait visiblement pas dans son assiette, tandis qu'il observait les elfes de maison s'affairer à en disposer toute une armada sur la table du jardin (trois par personne, plus la toute petite pour déposer les buns), c'est parce qu'il avait pour objectif d'arracher une information cruciale à son père. Une entreprise risquée et certainement vouée à l'échec, quand on connaissait la propension du Mangemort à manipuler les autres, voire même à être habituellement celui qui posait les questions, et non qui y répondait.
Mais bon, Nils n'était plus à ça près ; le mois dernier, il avait tué un sorcier de sang froid, pour la première fois et refusait pertinemment de s'étaler sur le sujet, alors autant continuer sur la lancée des mauvaises décisions qui allaient le projeter tout droit dans la gueule du serpent.

A l'instar de la nature qui se fige, annonçant l'imminente arrivée des Détraqueurs, l'échine de Nils se crispe, ses dents se pressent les unes contre les autres, les jointures de ses doigts s'éclatent sur le pommeau de sa canne, alors qu'Otto déboule sur le perron dominant le jardin. "Otto," siffle-t-il, soutenant avec douleur le regard de celui qu'il refusait d'appeler père. "I heard Wickham wouldn't join us today." La boule au fond de son ventre est si lourde qu'il ne fait que deux-trois pas dans sa direction, la main tendue pour le saluer. Elle vrombit jusque dans ses oreilles, faisant pulser dans sa tête, au rythme des battements de son cœur, l'image de l'écran de son téléphone, imprimant les mots succincts envoyés par son frère quelques jours plus tôt : "otto tried 2 kill me".

Otto adore les brunches. Le terme adorer est probablement un peu poussé pour désigner la pointe d’enthousiasme qu’il peut ressentir chaque dimanche matin en se levant aux aurores, à la perspective de perpétuer cette tradition familiale. Mais toujours est-il qu’il tire une certaine satisfaction à pouvoir réunir les siens, comme le faisait son père avant lui, et même son grand-père. Force est de constater que ce n’est pas tant de pouvoir observer sa famille réunie autour d’une table et de pouvoir passer du temps exclusivement en leur compagnie qui le satisfait, que de simplement avoir le pouvoir, et peut-être même l’autorité de le faire. Il est le chef de famille après tout (n’en déplaise à sa soeur aînée qui n’a jamais su fonder de foyer, elle), et de retour au pays qui plus est ; il est presque de son devoir d’imposer ce temps entre Fitzroy (et invités de marque, quand l’occasion se présente, évidemment).

Otto tient donc particulièrement aux brunches du dimanche, et il est persuadé que c’est également le cas pour Beth, Anna, Felix qui se retrouve souvent embarqué dans cette tradition avec ses propres enfants, et même Nils - Jude, quant à lui, du haut de ses dix ans, est trop jeune pour se permettre la moindre opinion. Et Otto est, à vrai dire, particulièrement attaché aux brunches du dimanche en ces temps troublés. Il n’a jamais été aussi soulagé de sortir du N9 de temps à autre que ces dernières semaines - il ne l’avouera évidemment jamais, et ne parlera jamais que de l’honneur de pouvoir servir les nouveaux desseins du Lord.

”Otto.” Les orbes noires du Mangemort se posent sur son fils lorsqu’il s’avance dans le jardin, paré d’un de ses fameux cols roulés austères aux couleurs tristes que Felix et Beth ne manquent jamais de critiquer. Et en s’approchant, il remarque évidemment les cernes plus marqués sous les yeux de son fils, ses joues peut-être plus creusées encore, sa mine consternée ; il le remarque, oui, mais ne fait rien de cette information. Il ne peut prétendre connaître la tête des bons ou mauvais jours de son fils - il ne peut prétendre le connaître tout court. ”Son”, répond-il en serrant sobrement la main qu’il lui tend, l’appeler fils n’étant certainement pas laissé au hasard, quand Nils a toujours refusé de l’appeler père - une bataille qu’Otto a mise de côté pour se concentrer sur d’autres, il faut savoir faire des choix. ”I heard Wickham wouldn't join us today.” A cette ouverture, les sourcils de l'alchimiste se relèvent tout juste sur son front alors qu’il relâche la main de son fils pour le détailler un instant. Oh, il se doute bien, que Nils n’est pas dupe, ou du moins que la présence répétée de Felix chez les Fitzroy doit apporter quelques soupçons, mal ou bien placés. Il ne lui viendrait jamais à l’idée de lui en parler néanmoins, évidemment, et d’éclairer ses lanternes à ce sujet. Non, ce qui le surprend est qu’il souligne ce fait ; Otto non plus, n’est pas dupe (ou plutôt, Beth lui a fait comprendre que son fils ne semblait pas porter plus que ça l’ami de la famille dans son coeur). ”He won’t indeed, it will be Fitzroy only today. Your aunt should be here in a matter of minutes, and your mother and brother are getting ready upstairs”, répond factuellement l’alchimiste alors qu’il relâche sa main en le détaillant de la tête aux pieds de son habituel regard inquisiteur, comme s’il cherchait un pli mal repassé, une poussière, n’importe quoi pour lui faire une réflexion sur la tenue irréprochable de son rejeton.

”But I’ll make sure to tell him you asked for him next time I see him. You know, I was thinking about it lately, it’s good for you to discover the ropes with your mother and I, but you should get closer to other Death-Eaters to learn all the Lord’s ways.” On y revient, toujours, inlassablement, car Otto ne sait quel autre sujet il pourrait aborder avec Nils pour combler le silence. Définitivement, il ne le connaît pas (et ce malgré les insistances de Beth pour qu’il apprenne à mieux le connaître), et il lui semble toujours évidemment qu’il ne partage rien d’autre que la quête de son fils pour obtenir la Marque. N’est-ce pas amplement suffisant ? ”I’m sure Felix would be glad to do so”, continue-t-il en se détournant légèrement pour prendre place sur l’une des chaises du perron, puis en ouvrant la main vers l’assise à ses côtés pour y inviter Nils. ”Besides, you’re colleagues now. You could follow him during his duty and see how Handlers work, and learn more about how we should act as Death-Eaters at the same time. It would be killing two thunderbirds with one spell.” Parce que, évidemment, du haut de ses vingt-sept ans, c’est tout ce dont Nils pourrait rêver : être considéré comme un stagiaire de dernière année découvrant les ficelles de son propre métier.

"Son." I'm not your son. Pas besoin d'être legilimens pour comprendre que c'est ce que Nils pense quand ils se serrent la main. La rancœur qu'il ressent vis à vis de son paternel est écrite sur le visage de Nils, à l'instar de l'un de ses carnets qu'il cache consciencieusement et qui est simplement et puérilement rempli d'insultes à l'égard d'Otto, comme la phrase, impérieuse, "im not ur son", dont le nombre d'instances est suivi de près par un sobre mais efficace "i hate you". Un carnet avec lequel il ne se montre pas, cela va de soi, et qu'il garde au moins aussi secret que son téléphone portable. Ceci dit, si le contenu du carnet était dissimulé aux yeux de tous, le mépris et la colère qu'il ressentait pour Otto, eux, étaient aussi palpables que sa maudite main dans la sienne.

Nils n'en est pas à s'essuyer la main après avoir serré celle d'Otto, mais la manière qu'il a de la laisser pendre dans le vide au lieu de l'agripper à sa canne inutile semble montrer que tout son bras a été vidé de sa substance, au contact froid et sévère d'Otto. Il fuit son regard, qu'il a planté sur la porte derrière eux, dans l'espoir d'y voir apparaître le reste de la famille ; il en presque à attendre avec impatience l'arrivée de sa tante, pour ce qu'il en est.

"But I’ll make sure to tell him you asked for him next time I see him." Nils ne peut s'empêcher de le fixer à son tour, clignant des yeux. What the bloody hell. A quel moment Otto a pu penser une seule seconde que Nils voulait que Felix soit là???? Il n'avait fait que constater son absence, dans une tentative désespérée de faire la conversation à son père, via l'un des seuls sujets qui éveillait son intérêt, soit Felix Wickham. Il en voulait pour preuve que son Mangemort de père en était à projeter son obsession pour son acolyte sur son fils... Wth. La bouche de Nils baille deux-trois fois de sidération, avant qu'il ne referme son clapet, trop confus (et apeuré) pour protester.

S'il devait ruer dans les brancards chaque fois qu'Otto balançait une incongruité du genre, Nils n'était pas sorti de l'auberge...
"Besides, you’re colleagues now." Nils manque de se prendre les pieds dans sa chaise, alors qu'il s'attable à côté du chef de famille. Plaît-il ? Otto était-il vraiment en train de lui faire un pep talk sur comment fonctionnait le métier qu'il exerçait depuis sept ans ? Sept années à torcher le derrière crasseux d'une Brigade composée intégralement de dégénérés. Difficile de se persuader qu'Otto disait ça comme une piqûre de rappel du genre "c'est bien que tu fasses ça, je me rappelle encore tes débuts, comme si c'était hier. D'ailleurs, c'est pour ça que je t'en parle comme si je venais d'avoir l'idée :)". What the hell indeed.

"Seems like I've been killing those thunderbirds for a while now..." constate-t-il simplement, jouant avec les dents de sa fourchette qu'il presse contre la pulpe de ses doigts. Toujours moins douloureux que de devoir small talk avec Otto. "I know pretty much all of Felix shenanigans by now." Il ne lève pas les yeux, fixant et comptant consciencieusement les petits trous en dentelle dans la nappe. "He and Al-massri make quite the pair..." Bim, tiens, prends ça dans les dents, papa ; ton mignon a une vie, en dehors de toi.

Jude déboule dans un coin de son champ de vision, et le cœur de Nils s'allège de quelques grammes. "Hi there." Il gratifie son benjamin d'un sourire tranquille, lui presse gentiment l'épaule et lui caresse les cheveux. Il tire la chaise à côté de lui pour l'inviter à s'asseoir, histoire d'avoir au moins cette présence réconfortante pendant le repas. "Have you seen mom? -Yes, she'll be here soon! I'll get her!"
Nils est sur le point de demander à Jude comment ça va à l'école, histoire de pouvoir ignorer Otto en bonne et due forme, mais le petit est déjà reparti à la recherche de leur mère. La main de Nils se crispe, tandis qu'il essaye de le retenir faiblement.

Lorsqu'il traîne de nouveau son attention sur Otto, son visage et son cœur se sont refermés comme une coquille. "How do you know someone is ready to get the Mark? I mean... after what happened, I was thinking of... speeding up the process, in a way?" La vision du crime commis pendant la débandade des Battues lui enclave la mémoire, comme une main autour de sa gorge. A mesure qu'il formule sa question, la voix de Nils s'étrangle, et c'est presque dans un murmure qu'il la conclut, retenant sa respiration, alors qu'il essaye de décortiquer l'imperturbable figure de son père, avide, malgré tout, de son avis.

tw: very bad parenting

Le regard glacial d’Otto suit méthodiquement les gestes nerveux de son fils alors qu’il joue comme un enfant avec sa fourchette, et il doit faire un effort pour se retenir de lui faire une réflexion paternaliste comme il en a le secret (”Tiens toi bien. Tiens toi droit. Articule. Ne parle pas dans ta barbe. Relève les yeux. Ne traîne pas des pieds.” autant de remarques héritées de son propre père qu’il ne manque jamais d’abattre à son fils maintenant qu’il en a l’occasion). On lui a toujours dit que Nils est son rejeton tout craché, et si Otto trouve ces paroles souvent bienvenues et rassurantes, il peine tout aussi souvent à voir cette ressemblance qui semble pourtant être une évidence pour les autres. Encore plus quand l’intéressé grommelle face à lui, détourne le regard, présente comme un animal effrayé, un adolescent de vingt-sept ans qui bredouille encore face à son paternel.

”Seems like I've been killing those thunderbirds for a while now… I know pretty much all of Felix shenanigans by now.” Visiblement, Nils n’a pas compris ce qu’il essayait subtilement de lui glisser, qu’il est grand temps qu’il se trouve un mentor plus ou moins officiel - Felix ou un autre, tant qu’il ne s’agit pas de l’un de ces arrivistes qui ont pris la Marque récemment en débarquant d’on ne sait trop où pour jouir des privilèges conférés par le titre de Mangemort. Otto ne les juge pas, autant qu’il ne les considère pas ; il juge simplement que son fils n’aurait rien à apprendre entre leurs pattes. ”He and Al-massri make quite the pair... − I heard so, yes, and that’s precisely-- − Hi there.” Coupé au beau milieu de sa phrase, le Mangemort referme la bouche pour détourner le regard vers Jude qui apparaît avec son enthousiasme juvénile ; sans reprendre son discours, il regarde plutôt la scène se dérouler sous ses yeux sans dire un mot, si ce n’est quand il voit son fils benjamin repartir à toute allure. ”Jude, no running inside the house!”, dit-il d’une voix forte en lui adressant un coup d'œil pour voir l’enfant s’arrêter dans sa course et repartir sur un rythme plus calme. Children.

Son attention se rapporte aussitôt sur Nils, lorsqu’il sent son regard dur et fermé sur lui - peut-être est-ce bien son rejeton tout craché, après tout. ”How do you know someone is ready to get the Mark? I mean... after what happened, I was thinking of... speeding up the process, in a way?” La logique d’Otto oscille entre la volonté de son fils à prendre la Marque, et son impatience presque irritante quant au chemin pour y parvenir. Il n’y a rien qui le rendrait plus fier que de voir son enfant enfin recevoir la bénédiction du Lord et pouvoir suivre ses traces, ainsi que celles de Beth, pour se mettre officiellement à son service. Mais il est important que Nils comprenne que la Marque ne s’obtient pas comme on obtient une bonne note à l’école - et s’il avait le droit de pleinement s’exprimer sur l’éducation de son fils, voilà longtemps qu’il aurait souligné à sa femme qu’il n’est pas normal que sa formation traine autant. ”What happened - I told you already to be more specific when you speak. You can’t have everyone trying to guess what you mean every time you open your mouth, son.” Cette fois, il ne se prive pas d’une remarque, alors qu’il reste immobile sur sa chaise, une main étendue sur la table et l’autre posée sur ses genoux, marquant un bref silence avant de reprendre : ”I guess you’re referring to your sudden awakening during the Gracefield’s events.” L'événement lui a été rapporté par Beth, et ses mots sont encore frais dans son esprit. Your son killed someone for the first time. En y repensant, la mâchoire d’Otto se contracte légèrement, et son regard coule sur son fils, sur son accessoire (que quelqu’un lui explique un jour ce que cette canne fait entre les mains de Nils), pour mieux remonter jusqu’à lui. ”Tell me Nils, you’re twenty-seven, aren’t you? I’m curious to know why it took you twenty-seven years to put that wand to good use, and how you could think simply killing a terrorist would be nearly enough to get the Mark. But that’s probably a conversation I need to have with your mother, it’s not entirely on you.” Sa voix se fait tout juste plus sèche. Il n’éprouve aucun plaisir à réprimander Nils comme il peut le faire par moment avec Jude - il juge simplement nécessaire de lui remettre gentiment les idées en place, et de lui faire revoir à la baisse ses attentes, et vraisemblablement son jugement.

Un instant, son regard se tourne vers la végétation bordant le jardin de la maison familiale, un bref soupir lui échappant. Non, sincèrement, il n’éprouve aucun plaisir, et il aurait autrement plus aimé que Nils se montre déjà à la hauteur, du haut de ses vingt-sept ans. ”There’s no speeding up the process, son. You need to prove yourself to the Lord. And before that, you need to prove yourself to me. I’d say what happened is a good start, but it’s a late start, and a slow one”, ajoute-t-il d’un ton plus calme, exposant froidement et factuellement les faits. Nils a besoin de se réveiller, assez urgemment, et si Beth n’est pas capable de le gérer elle-même, peut-être est-il temps qu’il intervienne (cette simple pensée lui vaudra probablement la pire remontrance de sa femme qu’il ait pu connaître). ”Instead of turning your wand against any wizard, you could have turned it against your brother. He was there, that night, I’m sure you’ve noticed. It would have been a good way to at least prove yourself to me.”

"What happened - I told you already to be more specific when you speak. You can’t have everyone trying to guess what you mean every time you open your mouth, son." Si Nils n'était pas déjà en train de retenir sa respiration, cette remarque lui aurait coupé le souffle. Ses narines palpitent tandis qu'il remplit progressivement ses poumons d'air, le plus silencieusement possible, comme si ça pouvait rendre la remarque d'Otto moins odieuse.
Liam, lui, il savait déchiffrer ce que Nils faisait comprendre. C'est lui qui parlait pour eux deux, qui portait sa voix, qui interrompait les autres pour laisser le temps à son frère de s'exprimer. C'est leur mère qui les avait encouragé à tirer le meilleur de leurs deux personnalités très différentes. De plus, les jumeaux n'avaient parfois pas besoin de parler pour se comprendre, contrairement à Otto que Nils, personnellement, ne comprenait pas même lorsqu'il parlait.
Oh, ses mots faisaient sens, et plus encore, le sous-texte et les reproches aussi. Nils ne comprenait juste pas ce qu'il faisait là, pourquoi il lui était venu soudainement l'envie d'intervenir dans l'éducation d'enfants qu'il n'avait tout bonnement pas l'air d'aimer.

La shit storm continue, tandis qu'Otto le met en face du fait qu'il est trop lent, qu'il aurait dû faire ses preuves bien plus tôt et que, pis encore, celle qu'il venait de fournir difficilement était loin de suffire. Et, au vu du traumatisme qui l'avait secoué le jour où il avait tué cet unique rebelle, Nils se demandait bien ce qui allait rester de lui, le jour de la cérémonie de la prise de la Marque.
Durant ses missions à la Brigade, il en avait vu un paquet, des morts. Contrairement à lui, les duos handlers/hounds n'y allaient pas de main morte. Nils avait plissé du nez devant la violence de certaines exécutions, détourné un peu les yeux, parfois, quand on faisait pas attention à lui. Il avait même dû, une fois, aboyé à un hound d'achever son travail et les souffrances de sa victime (plusieurs fois, même).

Nils ne sait pas ce qu'il espérait, à vrai dire. Ce n'est pas comme si son père l'avait une seule fois féliciter pour quoi que ce soit ; et ses encouragements prenaient davantage des allures de remontrances, ça, il avait fini par s'y faire. Mais s'habituer à un tel traitement ne voulait pas dire qu'il n'en souffrait plus.
"Instead of turning your wand against any wizard, you could have turned it against your brother. He was there, that night, I’m sure you’ve noticed. It would have been a good way to at least prove yourself to me." Dans une pulsion, Nils relève la tête, vrillant son regard dans celui de son père, une fureur sourde grondant dans le fond de ses yeux. Plus question de retenir sa respiration, à voir comme sa poitrine se soulève, comprimée sous trop de couches de vêtements serrés, rigides (à eux deux, ils constituent la palette complète des nuances de gris). Sa main sagement posée sur la table à côté de son assiette se compresse en un poing serré, et il la retire subitement.

"Well, if I get this right, Liam made it out alive, so I guess I wasn't the only one who didn't put my wand to good use," siffle-t-il avec une impertinence inattendue.
Nils peut se laisser marcher dessus pendant des années sans broncher, quand il s'agit de Liam, c'est une autre histoire, où sa passivité se met à bouillir jusqu'à écumer. Il regrettera sans doute cette échaudée, mais sur le coup, il est simplement aveuglé par une haine sourde, une jalousie piquée.
And what if I've proven myself to you by not killing you and leaving with my brother when I had the chance?

"Not everyone benefits from a stay at Azkaban to lose their souls; sounds like you sped up the process for yourself, in the end..." qu'il crache, se sentant trembler de la tête aux pieds, incapable de savoir si ça relève de la peur ou de la colère ; sans aucun doute un cocktail des deux, comme d'habitude. "Was that specific enough for you, dad?"
Tout au fond de son crâne, il sait qu'Otto ne peut pas le tuer, parce que maman va bientôt arriver, parce que Jude peut débouler d'un instant à un autre, parce qu'il n'a plus que lui, comme aîné. Mais plus au fond encore, un doute, hurlant, persiste.

tw: very bad parenting

Une lueur éclate au fond des pupilles de Nils, et Otto fronce légèrement les sourcils, plus par surprise qu’autre chose. Il l’a déjà croisée, cette lueur presque noire, à de rares occasions, mais jamais avec autant de précision que le soir où il l’a rencontré - ou plutôt, où il l’a revu après une absence involontaire de quinze ans. Il y a quelque chose de différent, cependant, cette fois-ci. Quelque chose d’assuré, de prêt à lui éclater en plein visage, quelque chose d’inattendu et d’habituellement inexistant chez son fils aîné. Et ce n’est pas exactement pour déplaire à Otto ; s’il a pu éveiller quelque chose en Nils, et allumer son regard d’habitude autrement plus morne et fuyant, tant mieux. Il aurait simplement aimé que ce ne soit pas en mentionnant son frère - il aurait dû faire une croix dessus il y a bien longtemps, et il réalise une fois de plus que ce n’est pas le cas. ”Well, if I get this right, Liam made it out alive, so I guess I wasn't the only one who didn't put my wand to good use.” Les sourcils de l’alchimiste se haussent sur son front, et il détaille rapidement la posture nerveuse et tendue de son fils. Il n’a pas souvenir que ce dernier se soit déjà permis une réflexion aussi impertinente - et si elle n’était pas crachée avec autant de mépris et de haine, il lui ferait presque penser à Felix.

Le fait est que cela n’a rien à voir ; ces mots sortent de la bouche de Nils.

”Not everyone benefits from a stay at Azkaban to lose their souls; sounds like you sped up the process for yourself, in the end...” Et ce coup-ci, Otto n’y voit plus une impertinence prouvant que son fils en a au moins un peu dans le ventre. Oh, le fait qu’il insinue (qu’il dise très clairement) qu’il n’a plus d’âme ne l’effleure pas vraiment, voir pas du tout - c’est un classique du genre, et il s’est déjà vu opposer bien plus incisif. C’est à la mention d’Azkaban que son regard s’est assombri, planté dans celui de Nils, qui le soutient avec la même haine que précédemment. Otto prend une profonde inspiration en pinçant les lèvres. ”Was that specific enough for you, dad?” Il le considère un instant supplémentaire, et écarte la possibilité de porter sa main à sa ceinture pour sortir sa baguette de son étui, histoire de lui donner ce qu’on appelait dans le temps une bonne leçon - Beth ne le tolèrerait probablement pas, à son grand regret.

A la place, il lui oppose un sourire froid, qui se mute en un début de rire, de ceux à peine audibles qui secouent tout juste ses épaules, sans faire remonter la moindre joie jusqu’à ses yeux. ”You’re so very lucky you’re Beth’s son”, lâche-t-il sans lâcher ses yeux des siens, un air presque menaçant derrière son sourire fin. Parce que là repose tout l’avantage de Nils, dans cette démonstration grotesque d’insolence ; car si cela ne tenait qu’à lui, son fils serait en train de se tordre de douleur sur le sol, simplement pour lui donner enfin une bonne raison de détourner constamment le regard devant lui. ”There’s only so much she can protect you from. Cross the line like that again, and I’ll have to show you I can cross some myself.” La menace est dite presque tranquillement, en une évidence que Nils ne doit pas ignorer. Tout comme Liam a renoncé, en rejoignant les terroristes, à la protection que lui assurait l’accord entre Beth et Otto que ce dernier n’intervienne pas dans l’éducation de leurs fils, rien n'exempt Nils d’un jour dépasser les limites de cet accord - des limites définies par les valeurs et la patience d’Otto, et accessoirement l’amour qu’il porte à sa femme. Rien de plus.

Il prend une nouvelle inspiration, sans bouger d’un poil, histoire de chasser le début d’irritation que Nils a réussi à faire naître en lui, avant de reprendre plus calmement : ”Now, I’m only assuming this pathetic attempt to standing up to your father was because of what I said about your brother. I thought we were way past that.” Il y a presque une pointe de déception dans sa voix, dans sa dernière phrase. Peut-être parce qu’il l’est un peu (comme souvent). Et le pire est certainement qu’il comprend, en un sens, d’où vient la colère de Nils, et son incapacité à passer à autre chose depuis la trahison de son jumeau. Il comprend, certes, mais ne parvient pas à compatir, à vraiment saisir cet attachement, cet acharnement presque, à ses yeux froids et détachés de ses propres émotions. ”We all have our fair share of weaknesses, myself included. But your brother betrayed us, and you, years ago. He chose not to be part of this family anymore. If you don’t let go of the bond you once shared and move on, I’m not sure how you could be trusted to serve the Lord.” Lui, du moins, il n’est pas certain de pouvoir lui faire confiance, et il n’est pas prêt d’oublier cette faiblesse que son fils lui a exposée. ”You have to work on that. And on your attitude, too”, se permet-il d’ajouter en secouant la tête, les lèvres pincées et les mains croisées sur ses jambes.

Si Otto n’a pas un regard pour sa baguette, qu’il aurait pu dégainer aussitôt pour le punir un bon coup, le regard de Nils va et vient entre les yeux noirs de son père et le bord de la table derrière laquelle il devine la ceinture et la baguette de son père, la surveillant comme si elle aurait pu soudainement se doter d’une volonté propre et lui sauter à la gorge. Ce n’est que lorsqu’il réalise que les coudes et donc les épaules d’Otto remuent doucement qu’il décroche son regard de la baguette pour le planter de nouveau sur le visage du Mangemort qui est en train de rire; ou plutôt d’imiter un rire, à la manière de quelqu’un qui aurait lu un manuel d’instructions sur comment rire sans avoir jamais vu quelqu’un le faire pour de vrai, voire même, sans même comprendre ce à quoi ça servait. Parce que ses yeux ne rient pas, tandis qu’il répond enfin, glaçant: "You’re so very lucky you’re Beth’s son. There’s only so much she can protect you from. Cross the line like that again, and I’ll have to show you I can cross some myself." La menace est clairement palpable, projetant des sueurs froides dans l’échine de Nils, dont la silhouette longiligne finit de se ratatiner. Il en est à essayer vainement de compter les poils de sourcils blancs sur le visage d’Otto, pour fuir son regard, pour fuir ses paroles, sa présence toute entière.
Fort heureusement, les menaces d’Otto restent ce qu’elles sont, car s’il avait ordonné à Nils de disparaître de ce plan astral, le jeune homme se serait exécuté sans l’ombre d’une hésitation.

"If you don’t let go of the bond you once shared and move on, I’m not sure how you could be trusted to serve the Lord. You have to work on that. And on your attitude, too. - I know. I— I’ll try harder..." Sa réponse se noie dans l’arrivée miraculeuse de sa mère. "Boys! What a lovely sight you are!" Secoué d’un réflexe nerveux, Nils se tourne automatiquement vers elle. Si Jude n’avait pas déjà pris la place, il se serait réfugié aussitôt dans son giron. Son regard trahit à quel point la situation ou la vision était loin d’être aussi lovely qu’elle l’imaginait.
Nils n’a jamais compris le désir de sa mère de construire une famille normale et exemplaire. Il ne comprenait pas comment elle pouvait être aveuglée à ce point, les penser suffisamment naïfs pour que ce soit possible; c’est elle qui les avait aidé à affuter leurs esprits et leurs opinions, et elle en savait vraisemblablement plus sur les mésaventures d’Otto qui lui avait coûté son âme que tout ce que les garçons pourraient un jour apprendre.
Le regard qu’il lui jette ressemble à celui d’un condamné qui voit en son bourreau son dernier témoin mais aussi sa fin.

"You got out of bed way too early, I almost got cold." Nils fait une grimace, détournant son regard lorsque sa mère rejoint le côté d’Otto. Pis encore que la tentative vaine et naïve de les faire s’apprécier, Nils ne comprenait pas son amour pour lui; le même qu’elle pouvait nourrir pour ses fils. Nils ne comprenait pas comment sa mère pouvait aimer autant Jude qu’Otto. N’en déplaisent aux innombrables pages de carnets qu’il avait noirci pour tenter de trouver une explication, ça ne faisait pas sens, ça n’était pas logique. Il se force à ne pas bouger lorsqu’elle lui caresse les cheveux, agrippant son regard à la présence réconfortante, désintéressée, de son petit frère. "Oh honey! I heard your brunch with Remy was wonderful. Did she manage to convert you? - Yes, it was lovely..." se contente-t-il de répondre succinctement, dévisageant les plats sur la table, comme s’ils avaient moisi en moins de temps qu’il n’avait fallu à Otto pour le menacer.

Nils ressent l’envie urgente de révéler à sa mère ce qu’il venait de se produire; il aimerait qu’elle le sente, qu’elle sente la tension dans l’air, l’absence de tension, comme un vide vers lequel il était inéluctablement attiré et repoussé à la fois, compressé entre deux sentiments écrasants. "Tell me you haven’t eaten too much this morning, at least." Otto might as well have eaten my heart and soul, but I’m fine.
Beth se tourne vers Otto et Nils profite de cette absence d’attention pour se concentrer sur Jude à qui il sert un verre de jus de citrouille, puis tartine un scone dans son assiette, lui demandant presque à voix basse comment se passait l’école, comptant désespérément les grains de fraise nageant dans la confiture, tandis que son petit frère lui explique les aléas tranquilles de sa scolarité.

”Boys! What a lovely sight you are!” La voix de Beth s’élève soudainement dans le jardin, et plutôt que de se tourner immédiatement vers elle, le regard d’Otto reste quelques instants de plus ancrés à celui de Nils, comme pour sceller ses quelques dernières paroles et les imprimer chez son fils. We’ll talk about it later, semblent lui dire les deux pupilles sombres de l’alchimiste, qui finit par se détourner pour voir Beth se pencher sur lui et l’embrasser pour le saluer, Otto ne réagissant pas vraiment à cette marque d’affection – sauf preuve du contraire, ils sont toujours mariés, et ont toujours une profonde affection l’un pour l’autre. ”You got out of bed way too early, I almost got cold.” Une affection qui ne prend pas cette forme là néanmoins, et Otto hausse les sourcils en la considérant, sans rien en dire pour autant, préférant plutôt souligner que : ”I didn’t want to let Nils wait by himself.” C’est toujours mieux que de dire franchement devant ses enfants qu’il n’aime pas traîner au lit (Otto a plutôt toujours été du genre à se lever une seconde après avoir ouvert les yeux), et qu’il n’a en plus aucune raison de traîner au lit lorsqu’il partage ce dernier avec Beth. Et il n’aurait pas voulu rater cette conversation avec son fils aîné qui, malgré la tournure qu’elle a prise, s’est révélée particulièrement intéressante.

Son attention est reportée brièvement sur Jude tandis que Beth discute légèrement avec Nils en s’installant (”If you want to eat at the grown ups table, don’t sit like a child Jude.”), et tandis qu’il réprimande naturellement son jeune fils, le regard d’Otto croise celui de sa femme, où brille une discrète lueur intriguée. A-t-elle entendu sa conversation avec Nils ? Si c’est le cas, le Mangemort ne doute pas un seul instant qu’il en entendra parler prochainement – qu’à cela ne tienne, il n’a pas grand chose, si ce n’est même rien du tout à cacher de ce qu’il a pu dire à son fils. Au contraire, peut-être est-il temps qu’ils aient une discussion à ce sujet, avec Beth.

”Do we know when your sister is supposed to apparate? – ”She shouldn’t be too long now, she’s usually on time.” La ponctualité une valeur familiale inculquée par leur père (entre autres héritages aussi stricts que celui-ci), et à peine Otto a-t-il le temps de terminer sa phrase qu’un craquement attire l’attention des Fitzroy, marquant l’apparition de Anna. Parée d’une habituelle robe noire et de sa tout aussi habituelle expression fermée et froide, elle s’avance vers la tablée dans un ”Good morning.” plat avant de s’asseoir avec, selon les codes d’Otto, un manque flagrant d’excuses – rien de surprenant chez sa sœur aînée, encore moins causante que lui. ”You’re late. – I am.” Et elle ne lui oppose rien de plus que ces deux petits mots que le Mangemort ne relève pas – son échange avec Nils a déjà failli gâcher le brunch familial, et il ne va pas se risquer à le faire en tentant une réprimande inutile à sa sœur. Alors, il se redresse sur sa chaise, relève le menton pour sonder la tablée, s’arrêtant brièvement sur Nils qui, lui, prend soin de garder son regard hors du sien. ”That’s everyone, then. Bon appétit.”