Il finit par s’excuser, Tommy, machinalement, même si ce n’est pas la chose à faire. Il n’empêche que c’est ce qu’il ressent alors il le dit. Il est désolé. Car s’il serait stupide de prendre le blâme des cicatrices de Nate et du cauchemar qu’il a vécu à Gracefield, Tommy n’en reste pas moins prompt à s’accuser de tout ça quand même. Une voix dans sa tête (une voix singulièrement familière à celle de Dwight) persiste à lui répéter qu’il a joué un rôle dans tout ça.  Qu’il aurait pu faire plus pour Nate. Qu’il aurait pu le protéger de tout ça. C’est le rôle d’un grand frère, après tout.
Evidemment, Nate ne voit pas les choses ainsi et il ne perd pas de temps pour rendre cela très clair. Avant que Tommy n’ait l’idée de réitérer ses excuses, son cadet plante son regard dans le sien, revenant véritablement à la réalité, s’arrachant à la ronde de ses souvenirs.

Pendant que son frère s’escrime à lui dire qu’il n’y a pas d’excuses à faire, du moins pas en ce qui concerne Tommy, ce dernier serre les dents, se force à acquiescer légèrement de la tête. Son frère a raison, mais il ne parviens pas totalement à s’imposer cette vérité. Dwight n’est pas à blâmer pour cela, pas vraiment, mais peut-être un peu.
Tout est juste trop clair dans la tête de Tommy. Le souvenir des instants qui ont suivis la disparition de Nate n’est jamais parvenu à s’émousser. Parfois, il suffit à Tommy de fermer les yeux pour ré-entendre les paroles accusatrices de leur grand frère, des paroles qu’il s’était empressé de lui retourner d’ailleurs, entre culpabilité, colère, tristesse et fierté.
Maintenant, il n’est plus question de tout ça. Faudrait oublier, fermer les yeux sur le passé et sur le blâme largement étalé. Tommy aimerait que ce soit si simple.
Il voudrait pouvoir s’auto-persuader que même si Nate à tort, même s’il aurait peut-être effectivement pu faire quelque chose pour préserver son petit frère, ça n’a plus vraiment d’importance. On ne ré-écrit pas le passé.
Nate a souffert, mais Nate est vivant.
C’est là tout ce qui importe non ?
Il essaie de s’accrocher à ça quand les paroles de Nate virent dans une voie périlleuse. Non il ne blâme pas Tommy, mais voilà qu’il commence à se blâmer lui-même. Bordel.

Tommy n’interrompt pas son frère, même si l’envie le brule de le faire. Non. C’est une chose qu’il se fustige lui-même, aussi pénible que cela puisse être à faire et à regarder, mais voir son frère s’y mettre aussi… Du Tommy tout craché tout ça, quand on en viens à la famille et plus particulièrement à sa fratrie. Fais ce que je dis, mais surement pas ce que je fais.
Il n’a pas le monopole sur la souffrance qu’on s’impose inutilement à soit-même et il conviens qu’il l’accepte.
Il laisse Nate aller au bout de sa prise de paroles, même s’il a l’impression que tous les mots que son cadet prononce sont comme autant de lames venues taquiner sa peau. Quand il est sûr que son frère n’ouvrira par la bouche pour ajouter quoi que ce soit, Tommy desserre les lèvres et se surprend à réussir à s’exprimer d’une voix soit étranglée mais tout de même bien audible. « Si je ne peux pas me blâmer pour ce que tu as vécu » du moins aux yeux de Nate « alors tu n’as pas le droit de le faire non plus » même si c’est plus compliqué que ça, évidemment. Manque de chance, ce constat s’applique à tout et à tout le monde. « Tu n’as rien fais de mal, Natie. D’accord ? » Le surnom qui sort sans qu’il y prenne garde, sa voix retrouve un peu plus d’aplomb. Il est conscient que rien de ce qu’il peut dire ne viendra à bout de la culpabilité de son frère malgré tout. Il n’est que trop bien placé pour savoir tout ça. Tant pis. Certaines guerres sont juste trop ardues, voir carrément vaines. Le temps doit faire son oeuvre, penser les plaies, ou tout du moins les laisser moins vulnérables.

Tommy vire sur un autre sujet, n’attend pas de confirmation spécifique de la part de son frère. A la place il remet les pieds dans les plats, ayant des difficultés à formuler les questions qui s’embrouillent à la commissure de ses lèvres.
Il voit presque visiblement la consternation s’inviter dans le regard de Nate en mode « des amis, t’es sérieux ? ». Ouais. Non. Tommy se reprend rapidement, s’efforce de rendre son interrogation plus légitime, moins maladroite. Ça ne marche pas tout à fait. Franchement, il se sent effroyablement gauche. Cette discussion n’a rien d’une balade de santé mais il était plus que temps qu’ils y passent ensemble.

Nate n’a pas l’air satisfait par sa façon de se justifier et il s’empresse là encore de le lui signifier. Non, il n’ira sûrement pas voir un psy et sans doute que oui il repoussera bien des mains susceptibles de l’aider. Hmf. Nate lui assène encore une fois qu’il va bien et qui est Tommy pour lui rétorquer que non ? Son petit frère n’a plus dix ans. Il est adulte, d’autant plus endurci par l’horreur de son passé et il n’a pas besoin que ses aînés s’escriment à prendre des décisions pour lui. Tommy n’entend pas aller dans cette direction, quitte à se mordre la langue pas mal de fois pour s’en retenir.

Son frère laisse ensuite entendre que, quand bien même il voudrait parler à des gens qui ont eux aussi enduré Gracefield, encore faudrait-il qu’il soit en mesure de les identifier. Tommy fronce un peu les sourcils. Nate ne se souvient pas des personnes qui étaient avec lui ? Ça parait absurde, mais peut-être que ça ne l’est pas du tout. Peut-être que Tommy ne comprend juste vraiment pas de quoi ils sont en train de parler là.
Il est tenté de pousser son cadet dans ses retranchements, de faire un peu forcing, mais ce n’est pas la chose à faire. En face de lui, Nate s’enfonce un peu dans sa chaise, visiblement contrarié.
Bienvenue au club, frérot.
Nate regrette déjà. Tommy, lui, ne peut en dire autant même si les confidences de son frère pèsent sur lui à présent. Il fallait qu’ils parlent. Ils en avaient besoin.
Nate va jusqu’à réclamer qu’ils oublient tout bêtement et ça fait sourire Tommy. Ça lui arrache même un petit éclat de rire un peu roc, un peu sec. Il a envie que de ça lui aussi, d’oublier. Malheureusement, cela ne constitue pas une option.
« Non, on ne peut pas. » Qu’il lâche simplement en secouant un peu la tête. « Et on ne devrait pas, j’imagine. T’as eu raison de nous forcer à avoir cette discussion. Maintenant on l’a eue. Ce qui est fait n’est plus à faire, j’imagine qu’on devrait en être soulagés. »
Soulagés. Ouais. Non. Pas sûr que ce soit le sentiment qui domine entre eux deux dans l’immédiat, mais ça viendra sûrement. Il faut qu’ils croient en ça. Qu’ils se persuadent de leur mieux que ça ira. Tommy entend bien se battre pour ça.
« Ça ira mieux avec le temps. » Et il le pense, même si ce n’est pas forcément évident de se raccrocher à ça quand on a encore un pied solidement ancré dans la tourmente.

Tommy ne relève pas l’ironie qui suinte de la voix de son frère. Non, il n’est pas franchement question de soulagement, n’empêche que cette discussion ne peut pas leur avoir fait plus de mal que de bien. Le silence peut apporter autant de souffrance que les mots. Maintenant que Nate lui a dressé un portrait sans doute amoindri de tout ce qu’il a vécu, Tommy peut ravaler sa curiosité (ou du moins essayer) et ils peuvent s’orienter sur des chemins moins pentus. Son petit frère ne tarde d’ailleurs pas à s’y essayer.

L’empressement de Nate à rediriger la conversation dessine sur le visage de son frère ce qui ressemble à un sourire. Les coins des lèvres de Tommy se relèvent légèrement alors qu’il s’emploie à distancer les ombres trop nombreuses. Il aimerait pouvoir affirmer à son cadet que le pire est derrière eux. Qu’ils l’ont eut leur conversation douloureuse et qu’elle marque la fin de tout. Qu’il ne sera plus jamais question des battues et de la mort présumée de Nate et de tout ce que cette dernière a changé et provoqué. Rien ne ferait plus plaisir à Tommy que de promettre à son frère que le passé ne viendra plus jamais les importuner d’aucune manière, mais il s’agirait là d’une promesse vouée à l’échec. Loin de lui l’envie de s’avancer sur un terrain aussi miné.

Nate et lui en ont fini de ramener le passé sur le tapis pour l’instant. Va falloir que ça suffise. Retour au présent tout en sachant que les ombres ne sont que passagèrement distancées. Reste à fermer un peu les yeux pour alléger le coeur des uns et des autres. Tommy consent à le faire et pas que pour Nate. Il a aussi besoin de s’obstiner à regarder au devant. Il le fait pour Mira depuis des mois en affichant un enthousiasme qu’il ne ressent pas toujours. Il entend bien déployer autant d’efforts (voir plus encore) pour essayer de protéger Nate de tous les démons qui les encerclent. C’est son rôle de grand frère, après tout. Il serait temps qu’il honore.

Tout en écoutant son frère, Tommy s’efforce donc de se réfugier dans la « normalité » ou du moins ce qu’il peut en obtenir de plus proche. Il se découpe un nouveau morceau de brioche (le dernier a finit en charpie) un peu trop conséquent pour son degré d’appétit actuelle et commence à étaler dessus une grosse noisette de beurre.

Nate parle, beaucoup. Il interroge son grand frère sur le contenu de ses journées, mais enchaîne avec des suppositions avant de lui laisser le temps de lui délivrer une réponse. Il fait à la fois les questions et les réponses. Ça fait sourire un peu plus franchement Tommy qui prend une pleine bouchée de brioche beurrée. C’est pas tout ça, mais il a quand même du boulot aujourd’hui et remplir un peu son ventre ne sera pas de trop.

La dernière prise de parole de son petit frère, qui l’interroge sur une éventuelle mission que Tommy aurait à remplir et qui l’entraînerait loin de son cadet, fait se figer un peu son sourire sur ses lèvres. Il jurerait qu’il perçoit du regret, voir de l’inquiétude dans la voix de son cadet. Tommy descend une gorgée de café avant de répondre, désireux de rassurer Nate. Il ne va nulle part. Du moins pas pour l'instant.

« Je passe le gros de mon temps ici en fait, en général. » A son poste de travail, s'entend, pas dans la cuisine spécifiquement. Quoi qu'il en soit pas le quotidien le plus passionnant qu’il ait jamais vécu mais il a connu bien pire. Loin de lui l’envie de se plaindre alors qu’il y a de cela pas si longtemps sa vie était mille fois pire, quand il était persuadé d’avoir perdu non pas seulement son petit frère mais aussi Mira. « Je planche pas mal sur le cas de Mira et sur la malédiction que ce salopard de Travers lui a jeté. » Ses foutues branchies que Tommy ne parviens que bien trop rarement à oublier et qui le privent du plaisir d’entendre la voix de sa meilleure amie. « J’espère trouver rapidement une solution. Elle ne peut pas rester comme ça. » Non pas que cela la mette en danger ou qu’elle ne s’y soit pas accoutumée avec le temps (elle n’a pas eut le choix, après tout), mais cela ne constitue pas une excuse pour autant. Il se garde bien d’évoquer la culpabilité que suscite en lui la posture compliquée de Mira. Non pas qu’il la cache très bien non plus, ceci dit. Sa culpabilité est parfaitement lisible dans ses yeux, d’autant plus pour quelqu’un qui, comme Nate, le connaît très bien.

« L’enfoiré... » Tommy acquiesce à ça, la bouche réduite en une ligne fine. « Ça fait combien de temps qu’elle est comme ça ? » Assurément beaucoup trop longtemps. Tommy n'aurait jamais cru que ça prendrait autant de temps. Pas qu'il se soit jamais figuré non plus que ça puisse être simple. Non. Mais il n'avait aucune idée qu'il s'écoulerait des mois et même des foutues années sans qu'il ne paraisse avancer d'un millimètre dans ses recherches. Il est donc piteux, gêné, au moment de répondre à l'interrogation de son frère mais il le fait quand même. « Elle s'est échappée en 2003 et la malédiction s'est déclenchée à ce moment là. » 2003. Cela paraît à Tommy à la fois effroyablement loin et atrocement proche. Il garde un souvenir aiguisé de cette période de sa vie. La peine innommable qu'il s'est traîné après la disparition de Mira, puis le pique inattendu d'espoir après avoir été contacté par Lazarus pour se voir informé que sa meilleure amie avait contre toute attente survécu. Il se rappelle de retrouvailles sous une tente, de semaines passées rien qu'à deux, à se tenir en marge de tout et de tout le monde pour des raisons de sécurité. Il se souvient de son soulagement, de son optimisme quant à son aptitude à lever la malédiction. Le monde autrefois si noir paraissait foisonner de promesses alors. Il n'était pas totalement heureux, mais l'espoir était revenu. Et l'espoir n'est pas encore mort.
Non.
Il n'empêche que ça fait foutrement mal de reconnaître que la dernière fois qu'il a entendu la voix de Mira remonte à 2003. Il y a de la honte dans les yeux de Tommy alors qu'il fuit brièvement le regard de son frère, peu enclin à y voir se refléter quoi que ce soit qui puisse évoquer de la déception. « Tu vas trouver la solution. » La confiance que Nate place en lui le touche au cœur, même s'il n'est pas sûr qu'elle soit justifiée. « Je t'aiderai si tu veux, ça m'occupera. » Tommy acquiesce d'un mouvement de tête. Deux cervelles valent toujours mieux qu'une seule et puis, même s'il ne va pas le dire à voix haute, la perspective de garder son frère dans son sillage le réjouit. Même s'il doit embourber Nate avec lui dans des recherches toujours aussi infructueuses, au moins pourront-ils rattraper un peu de temps perdu. Ça, et puis Tommy sera moins enclin à se faire du soucis pour la santé de son benjamin si ce dernier se trouve avec lui. Cela lui ôtera un sujet de distraction dans ses recherches, recherches qui exigent de lui qu'il leur octroie toute son attention. Il peut moins que jamais se permettre de laisser son esprit vagabonder loin de ses priorités. « Et puis peut-être qu'un regard neuf ça permettra de penser à d'autres possibilités pour briser la malédiction. » Effectivement oui, peut-être Tommy - et Mira - sont-ils tellement perdus au loin dans leurs recherches qu'ils finissent par manquer de recul pour identifier certaines voies à suivre. « Ton aide est la bienvenue. » Réponse honnête. Main tendue par Nate et volontiers saisie par son grand frère.

De sa main Tommy commence à nettoyer rapidement la table, à rassembler les miettes éparpillées. En parlant de boulot, il serait temps qu'il s'y remette maintenant. Il est à deux doigts de le dire à son frère quand celui ci le devance en rouvrant en premier la bouche. « Eh, aucun rapport » Tommy suspend son ramassage de miettes, relève la tête pour accrocher son regard à celui de son frère, « mais si jamais t’as du temps plus tard, mais vraiment si t'as du temps, tu pourras me ramener à la planque de l’autre jour ? » Face à cette requête inattendue, Tommy fronce les sourcils. Il n'est pas loin de demander pourquoi mais là encore Nate, plus rapide, lui en dérobe l'occasion. « Je vais bien » hm « mais il paraît qu’ils veulent nous revoir pour discuter. » Le froncement de sourcils de Tommy se fait un peu plus prononcé. Non pas que les propos rapportés par Nate soient surprenants. Evidemment que l'Ordre veut parler aux personnes qui viennent d'être récupérées. Glaner toutes les informations, toutes les confidences qu'il est possible de rassembler. « Je leur demanderai s’ils ont pas une autre baguette à me faire essayer. » D'un mouvement de tête, Tommy approuve. Il reprend son nettoyage de la table, achève de rassembler les miettes au bord du meuble avant de les faire tomber dans sa main libre. Il se lève ensuite et rouvre la bouche alors qu'il est en route vers la poubelle. « J'aimerais bien poursuivre mes recherches durant une heure ou deux, mais on peut se retrouver ensuite, si tu veux, pour la pause déjeuner et gagner la planque dans la foulée ? » Il jette les miettes puis se retourne, fait à nouveau face à son petit frère. « Si tu veux participer dès maintenant aux recherches, tu peux bien sûr. C'est comme tu veux. » Tommy comprendra que son frère ait prévu autre chose, bien évidemment. Quoi qu'il en soit, il est pour sa part tout à fait disposé à se dégager une partie de la journée pour accompagner Nate au Fawkes Learning Center. Il a envie d'être complètement présent pour son frère, à défaut d'avoir pu le protéger du cauchemar qu'il a vécu durant ces dernières années. Hors de question de faillir à nouveau à son rôle de grand frère. C'est exclu.