America a les doigts qui palpitent ; c’est de sa faute, sa tentative de faire la cuisine s’est soldée par une tentative d’homicide par elle et contre elle, et par une casserole renversée. Told you so, disent les regards des habitants alors que la sorcière lutte pour ne pas pleurer de contrariété. Elle s’ennuie ici, les autres savent tout d’elle mais elle ne sait rien d’eux, et elle ne veut rien savoir, America ne veut plus être liée à l’Ordre du Phénix et moins elle aura collaboré, moins elle aura l’air coupable aux yeux de Kenneth quand (si) il la retrouve.

Elle peut déjà imaginer sa colère, il n’est pas un homme à qui on glisse entre les doigts sans qu’il n’y ait de conséquences. America l’a rarement vu énervé, elle a commencé à travailler avec lui à un moment où continuer de protéger l’Ordre et ses secrets commençait déjà à sembler vain, mais elle sait que cette fois là serait sans précédent.

Kaya a tenté de discuter avec elle, America lui a fait comprendre qu’elle voulait être seule : le casque sur ses oreilles en témoigne comme l’expression crispée de ses sourcils froncés. Elle ne veut pas les voir, vexée que sa tentative de se rendre utile se soit soldée par un échec si cuisant, épuisée par la douleur de ses mains entrées en contact avec l’eau brûlante. L’Ipod diffuse Grace Kelly, elle secoue la tête en rythme, les iris rivés à une tâche sur le mur du dortoir. Les autres l’ont laissée seule en se rendant compte qu’elle ne serait pas de bonne compagnie, elle ne s’attendait pas sursauter en sentant une présence derrière elle.

- What? demande-t-elle à Vanya avant de froncer les sourcils d’un air interrogateur à la vue de la silhouette qui se profile derrière elle.

- There’s Winson here for you. You remember him?

America n’a demandé à voir personne depuis son retour, souvent les habitants viennent lui parler d’une personne au hasard et attendent avec appréhension son verdict. La sorcière se demande à chaque fois s’ils sont plus soulagés lorsqu’elle se rappelle de quelqu’un ou déçus que de simples connaissances n’aient pas quitté sa mémoire contrairement à ses plus proches amis.

- Yeah.

Si elle n’a pas demandé après les autres, c’est qu’elle ne voulait pas les voir. Les habitants ont cherché à la trouver, elle le sait parce qu’ils le lui ont dit et que malgré tout ce qu’elle peut trouver à leur reprocher, ils prennent soin d’elle, mais les personnes extérieures au M&S l’ont abandonnée.

Vanya s’efface pour laisser America avec son visiteur. Cette-dernière ôte son casque et éteint son Ipod, vaguement contrariée par la visite surprise.

- Salut !

America observe Winston et se décale pour lui faire une place sur le lit à côté d’elle.

- Salut, répond-t-elle.

Elle esquisse un demi-sourire, revoit le Winnie de l’école, celui qui l’accompagnait lors des collages. La futilité des bases de leur relation la frappe : lui et elle se ressemblent. Ils se ressemblaient, aujourd’hui America n’arrive plus à voir l’utilité de se battre, c’est une lutte sans fin qu’ils ne gagneront pas, mais personne ne veut l’admettre.

-  Ca fait grave longtemps, tiens des gâteaux (America prend les gateaux) t'sais on a retrouvé ma sœur. Elle avait disparue, comme toi, mais pas dans le même endroit qu'toi. C'est trop bien d'vous retrouver toutes les deux, t'veux un gâteau ? Ah oui j'te les ai déjà refilés, haha...

- Ouais, les Battues ? On a retrouvé une fille d'ici aussi, Sarah.

A la surprise générale, America s'est souvenue de Sarah et personne n'a encore compris pourquoi, tout comme personne ne sait pourquoi America n'a pas atterri au même endroit qu'eux, pourquoi on s'est donné la peine de lui faire ça quand les autres étaient réduits à l'état de gibier. America aurait préféré être envoyée là où tout le monde va, alors peut-être elle ne se sentirait pas si étrangère à tout.

- Elle va bien ta sœur ? Paraît que personne est vraiment revenu de là-bas.  

Elle attrape un gâteau de ses doigts à nouveau enrubannés suite à son atelier cuisine, en prend une bouchée. Elle n'a pas été vérifier les on dit, Sarah et elle ne parlent plus vraiment.

- Tu deviens quoi ? demande-t-elle finalement.

Elle observe Winston la bouche pleine, lui trouve un air de bébé mais moins que la dernière fois qu'elle l'a vu, il faut dire qu'elle s'est principalement réfugiée dans des souvenirs datant de plus de dix ans, ceux-là ne lui déclenchent pas de migraine et ne créent pas de nœud d'angoisse dans son estomac, elle sait qu'ils sont réels et inchangés. Dans ces souvenirs, Winston ne doit pas avoir plus de treize ans. Il ne devrait pas être là.

Tout le monde prend des pincettes avec elle, comme si elle risquait de s’effondrer à la moindre secousse trop brutale. America déteste ça, elle déteste comme ils lui rappellent à chaque seconde qu’ils savent tout d’elle mais qu’elle ne sait rien d’eux. Ils lui racontent des anecdotes qui ne lui évoquent rien, mentionnent des personnes dont elle n’a jamais entendu parler, évoquent des relations qu’elle n’a aucun souvenir d’avoir jamais entretenues – pour ce qu’elle en sait, ils pourraient tous lui mentir pour mieux la garder tranquille dans un lieu où elle ne se sent plus vraiment chez elle. America se souvient pourtant de l’intérieur, de sa chambre, de ses orchidées, elle serait seulement incapable de situer le M&S si on le lui demandait.

Parfois, elle reçoit de la visite par des personnes qu’elle connait. C’est définitivement les meilleurs moments, même si elle a l’impression de ne plus avoir tant de points communs que ça avec ses amis. Ils sont là à se battre dans les rangs de l’Ordre, mais qu’est-ce que l’Ordre fait pour eux ? Ne voient-ils pas qu’ils les laisseraient crever comme ils ont laissé America crever au ministère ? Qu’ils ne font rien de concret à part une expédition de temps en temps pour garder les esprits apaisés ?

- Elles sont vivantes, c'est déjà ça, non ?

America acquiesce.

- Et Perry va... Bah c'est pas fou niveau sommeil puis c'est comme tu l'disais, elle est pas encore tout à fait revenue mais j'espère qu'avec le temps... En tout cas, on est ensemble maintenant.

America acquiesce de nouveau ; elle sympathise réellement avec ceux qui sont revenus des horror games, ils ont vécu la même chose qu’elle dans une certaine mesure, seulement ils y sont restés plus longtemps et n’ont rien oublié de leur expérience. Depuis qu’elle a appris l’existence de l’île, America se dit qu’elle aurait préféré y être envoyée.

Elle n’est pas d’une grande aide en tout cas, les autres ont essayé de lui expliquer le déroulement de l’opération de libération et tout ce qu’ils ont découvert mais America se sent étrangère à tout ça. Elle reconnaît l’horreur de ce que les prisonniers ont subi, celle qu’elle était aurait participé à l’attaque et aurait fait fleurir partout des affiches expliquant ce qu’il s'y est passé, mais aujourd’hui elle se contente de regarder l’intervention d’un œil critique, parce que les autres lui ont dit que les hauts placés savaient pour Gracefield avant la réunion d’annonce. Cela la conforte dans son idée que l’Ordre se contente de sacrifier ses soldats comme des pions.

- Et ton amie, elle va bien ?

- Je crois bien, elle a toujours l’air de vouloir réduire le monde à feu et à sang donc c’est que ça doit aller.

La vérité c’est que Sarah a l’air de s’arranger pour ne pas rester dans la même pièce qu’America plus de quelques minutes sans que la sorcière ne sache pourquoi.

- Je survis. C'est dur des fois, la résistance. Genre on sait ce qu'on veut, on sait qu'on ne peut que faire ça parce qu'on peut pas laisser l'pays comme ça mais... Mais c'est loin quoi. J'espère qu'avec les battues plus d'gens ouvriront les yeux et rejoindront parce qu'sinon on va juste mourir un par un...

America pose sur lui un regard nouveau, l’air inquisiteur alors qu’elle a légèrement plissé les paupières. Ce n'est pas souvent qu'elle n’a pas l’impression d’être la rabat-joie du coin en ne faisant qu’énoncer la vérité (l'Ordre craint, il faut ouvrir les yeux)

- Les gens rejoindront pas, dit-elle comme une évidence. J’ai essayé avant, c’était pour ça les affiches, c’est pas comme si ça avait changé quoique ce soit. Tout le monde a peur, personne veut finir aux horror games ou …

Ou comme elle.

Comme elle qui ne sait rien de ce qu’il lui est arrivé, qui n’a aucune certitude que celle qu’elle a tout oublié, les visages, les lieux, ce qui fait d’elle qui elle est, ce qui a conduit à tout ça.

- L’Ordre c’est plus que de l’utopie, ils font même plus de passes ? Ils ont vraiment besoin de chair à canon et ils le cachent même pas. Jsuis sûre que ça les arrangeait d'aller interrompre les horror games, genre le timing, c'était le calme plat, y'avait des scissions et des dissensions, bim ils te pondent un sauvetage de grand ampleur qui va leur remettre l'opinion public dans la poche et en plus servir de nouveaux soldats sur un plateau. Faut être con pour pas voir leurs magouilles.  

Elle dit ça elle dit rien, de toute façon, elle est absolument certaine que c’est tout ce que les résistants sont aux yeux des cercles supérieurs, de la chair à canon, sinon ils ne les abandonneraient pas dans la gueule du loup.

- Assez parlé d'moi ! Comment tu vas toi ? J'suis vraiment content de te voir, tu sais ? Tu t'es fait quoi aux doigts ?

America prend le temps de reprendre un bout de gâteau, le temps de savoir ce qu’elle doit répondre. Question un, réponse incertaine, question deux, réponse positive, ça se voit à la gueule de Winston qu’il est plutôt content de la voir, question trois, réponse … inconnue. Peut-être qu’elle devrait spécifier à chaque début de conversation qu’elle a développé une dent contre les interrogatoires.

- Moi aussi je suis contente de te voir, se contente-t-elle de dire après avoir habilement ignoré la première question. C’est bien de voir des têtes connues de temps en temps.

Elle mord une fois de plus dans sa part de gâteau avant de jeter un oeil à ses mains enrubannées (encore)

- Et ça c’est –

Des brûlures qui ont fait blêmir le guérisseur de l’Ordre qu’elle a vu, apparemment particulièrement graves ce qui expliquerait pourquoi ses mains tremblent toujours et pourquoi elle n’est toujours pas complètement guérie – rien qui n’a été arrangé par l’accident de cuisine de tout à l’heure.

- Bah en fait je me suis brûlée en essayant de faire des pâtes.  

Elle hausse les épaules, vraiment trois fois rien, elle ne faisait que ça avant, se brûler en essayant de cuisiner, c’est comme ça que les autres l’ont bannie de la cuisine pour lui éviter de s’ébouillanter.

Ils ont tous essayé de rappeler à America qui elle était avant de disparaître (disparaître – de leur point de vu, du sien, elle n’a jamais disparu, a seulement été arrêtée et enfermée, ceux qui ont disparu ce sont les autres : ils ont été arrachés de sa vie et de ses souvenirs, remplacés par des silhouettes floues aux visages dépossédés de leurs traits) rien n’a fonctionné. Elle ne veut même pas redevenir comme avant, c’est dangereux, c’est stupide, elle ne veut plus se bercer d’illusions.

- J'pense pas pour l'Ordre (America fait la moue, clairement pas convaincue) Ok y avait des dissensions mais l'sauvetage, il était nécessaire. On pouvait pas laisser les gens là-bas alors qu'on avait les moyens d'les tirer de là.

- Il était nécessaire mais Arthur m’a dit qu’ils ont avoué savoir depuis plus longtemps que ça et pourtant personne a jamais rien dit. S’ils cachent quelque chose d’aussi gros, imagine sur quoi d’autre ils peuvent vous mentir.

America triture le bord de son bandage en se mordillant la joue, son regard se balade dans la pièce avant de revenir sur Winston lorsqu’il reprend la parole.

- Et t'en sais rien pour les affiches, rien que sur moi elles marchaient, j'tombais dessus et j'me disais que j'avais fait le bon choix !

Ça lui arrache un sourire mais rapidement, la culpabilité la rattrape ; ses tripes se nouent, l’impression d’avoir fait quelque chose de mal lui fait couler une sueur froide. Elle n’aurait jamais du faire ce qu’elle a fait, elle aurait du rendre sa baguette quand il était temps, se plier aux règles, pas produire des slogans révolutionnaires qui confortaient les gamins dans leurs idéaux dangereux.

- Jsuis désolée, dit-elle avec un soupir destiné à évacuer la pression sur sa poitrine.

Et Winston change de sujet, heureusement, America peut quitter ses réminiscences coupables et se concentrer sur les légères palpitations de ses mains – pas les habituelles, celles qui la suivent depuis qu’elle est revenue, plutôt les nouvelles qu’elle a déclenchées en se brûlant dans sa tentative de cuisiner pour tromper l’ennui. Elle n’a jamais été capable de faire cuire quoique ce soit, elle aurait du le savoir.

- Non mais la cuisine... (Amy le regarde avec un sourire) J'ai une amie qui doit m'en apprendre les bases mais j'pense que, sans mauvais jeu de mot, c'est cuit.

Ça la fait rire, elle aime bien les blagues nulles et ça ne risque pas de changer.

- Peut-être pas, jpense que ça dépend juste du plat parce qu’une fois j’ai fait un spacecake et il était pas raté!

Elle se souvient de sa chambre balayée d’étoiles lumineuses, de la chaleur d’un corps contre le sien et d’un rire près de son oreille, mais le visage de la personne est indiscernable. America ne s’y attarde pas, elle sait que si elle tente de percer le voile sur les traits, il n’en découlera rien de bon.

- L'mieux, c'est d'acheter des gâteaux. Les moldus sont trop forts en gâteaux en plus. T'sais, j'ai même ma carte de fidélité à la supérette où j'viens tout l'temps, du coup ça m'coûte vraiment pas cher. La prochaine fois, j't'en ramènerai plus. C'est quoi tes préférés ? Moi j'aime bien ceux avec les pépites de chocolat là et l'emballage bleu...

- Les oreos ? demande-t-elle. Moi c’est les cinnamon rolls. Avec un café, devant la cheminée – mes parents en achetaient tout le temps en hiver.

Elle fait comme Winston et reprend un gâteau, croise son regard.

- T'sais, j'ai eu une idée pour la marque des hybrides (elle hoche la tête pour qu’il continue) Ca devrait t'plaire, y a de l'art plastique (petit rire) mais si tout l'monde se fait un triangle sur la joue, plus personne saura qui est quoi et hop, moins de discrimination. Ca s'rait bien non ?

Le sourire d’America s’évanouit et ses iris reviennent se poser sur ses mains bandées. Pourquoi est-ce qu’il veut à ce point se battre contre tout ? Où est-ce qu’il trouve la foi de continuer à le faire ?

- Moins de discriminations dans l’Ordre ou en général ? Les gens sont déjà assez en danger dehors pour pas se rajouter une cible sur la gueule nan ? Sérieux Winston, ça sert à rien tout ça, tout ce que vous allez y gagner c’est la mort.

Ou pire, n’ajoute-t-elle pas. Pire comme l’oubli, pire comme la solitude écrasante qui perclut son corps depuis qu’elle ne se sent plus chez elle nulle part.

- Tu veux pas le voir mais l’Ordre vaut pas mieux que Voldemort, ils font les mêmes choses sous couvert du Bien et tout le monde leur mange dans la main.

Dire qu’elle est redevable envers Kenneth pour l’avoir aidé à voir clair dans leur jeu serait un peu exagéré, mais elle ne peut pas nier qu’au moins, maintenant qu’elle sait, elle ne se laissera plus si facilement avoir par les belles promesses d’hypocrites. Elle voudrait faire entendre raison aux autres, à Winston aussi, mais America doute que ce soit possible. Elle ne sait pas comment Kenneth a pu arriver à bout de ses convictions autrefois aussi bien intégrées que celles de Winnie, il a probablement fait preuve d’une patience incroyable qu’Amy n’a pas.

- Ils devaient avoir une bonne raison d'garder l'secret, tu sais ?

America fronce les sourcils, l’air aussi sceptique qu’agacée.

- Donc pour toi c’est légitime qu’un petit groupe de personnes détienne toutes les informations et les partages seulement quand il le décide ? Tu trouves ça normal d’obéir à des gens qui te donnent seulement les infos qui les arrangent ? Y’a plein de gens qui sont restés sans nouvelles de leurs proches pendant des années pendant que le cercle 7 savait, on a pas le droit d’enlever aux gens le droit de savoir.

Amy fait tourner les bagues autour de ses doigts, rendue nerveuse par le sujet de discussion qui lui tord les boyaux, une petite voix soufflant constamment dans sa tête qu’elle a commis une erreur monumentale, que l’on s’est joué d’elle (America déteste plus que tout qu’on lui mente) et que sans l’Ordre, si elle s’était contentée de rester à sa place, Eugene ne serait pas mort, Mallory ne l’éviterait pas et elle ne serait pas vide. Vide de tout sauf du sentiment de culpabilité, cinq cercles sur son poignet qui ont causé la perte d’amis, le départ de sa famille, qui n’ont mené à rien de concret – qui lui ont fait perdre dix années de sa vie durant lesquelles elle n’a fait que se prendre pour Che Guevara quand elle n’était qu’un Guy Fawkes raté.

- T'as pas à l'être... Il dit ça parce qu’il ne sait pas. T'sais Amy, j'sais pas ce que t'as vécu et tout et tout mais ça avait pas l'air d'être cool et j'sais pas trop quoi te dire non plus qui soit à peu près pertinent... Mais si t'as besoin d'aide ou autre, tu peux compter sur moi !

- Ben… merci c’est gentil.

Ils veulent tous l’aider mais on ne peut pas l’aider, c’est sa croix à porter et America ne peut plus se repentir maintenant qu’elle n’est plus au ministère là où elle aurait du travailler dès les premières mesures donnant aux gens comme elle le statut qui leur va de droit. Elle sourit tout de même en voyant Winston lever une main solennelle.

La tension se relâche lorsque la conversation dévie vers un terrain dépolitisé, America retrouve un sourire durable alors que les souvenirs incomplets affluent et la renvoient à une de ses rares expériences culinaires réussies.

- Des spacecakes ? J'savais qu't'étais une thug toi !

- Bah ouais, qu’elle répond avec un petit rire. Pour un peu Winston aurait l’air surpris. Si tu veux que j’en refasse un un jour tu me dis hein, moi ça me gêne pas.

Peut-être que c’est ça qu’elle devrait faire, retrouver l’adresse de son ancien dealer et s’anesthésier à la weed. Plus de chasse aux souvenirs, plus d’ennui – l’idée serait presque trop tentante.

Et voilà que Winnie revient à ses préoccupations d’origine. America en est un peu contrariée mais son amitié avec Winnie est née de ça, de leur volonté commune de toujours trouver une nouvelle cause pour laquelle militer et de leur ténacité lorsqu’il s’agit de se battre pour la liberté. America ne partage plus rien de tout ça avec Winnie.

- Moins de discrimination dans l'Ordre puis en général, et nous sommes déjà recherchés, ça n'change pas tant qu'ça. A part qu'si les gros spécistes de l'Ordre ne savent plus qui est hybride et qui ne l'est pas, ça calmera déjà l'jeu de ce côté-là.

- Ca se tient, concède-t-elle, sa moue toujours présente sur les lèvres. Mais bon, vous en obtiendrez plus rien maintenant, des chefs, ils sont bien installés au pouvoir, bien au chaud dans leurs petites chambres à … (America cherche le nom de la planque des plus hauts cercles, celle dans laquelle elle a refusé une chambre, fut un temps; ça lui déclenche une vive douleur dans le crâne, elle cesse de chercher) ‘fin t'as capté, jcrois pas qu’ils en aient quelque chose à faire de qui se trimballe avec un triangle ou pas. Jveux dire, ça marche qu’au népotisme et à l’affinité là-haut, t’es pas la sœur d’Untel du cercle sept ou le gamin de Molly Wesley on te laisse crever dans les prisons du ministère ou sur leur île de merde. Moi je te le dis, l’hybridité c’est juste un prétexte de plus pour écraser les troupes, ça fait que renforcer leur petite hiérarchie bien établie qu’il faut surtout pas bousculer.

Elle est lancée maintenant, iris rivés à ceux de Winston parce qu’elle croit sincèrement tout ce qu’elle avance. A l’époque, elle était aveugle aux défauts de l’Ordre, était reconnaissante envers l’opportunité qu’on lui avait donnée de mener sa planque et ses opérations, maintenant elle sait que ce n’était que jeter des restes à un chien, que ce que les hauts cercles cherchent, ce n’est qu’à occuper les troupes dans des tâches vaines pour qu’elles ne se rendent pas compte que leur cause est désespérée.

- L'Ordre n'a jamais, ne fait et ne fera jamais les mêmes choses que Tu-sais-qui. America fait la moue, doigts jouant toujours furieusement avec ses bijoux. T'sais Amy, l'Ordre c'est nous aussi et on est loin du mangemort moyen, j'pense juste qu't'as oublié ça.

- L’Ordre c’est vous mais tu refuserais vraiment un ordre direct s’il te semblait pas juste ?

America y aurait sérieusement réfléchi avant, partagée entre son envie de bien faire, sa loyauté à l’organisation et ses valeurs.

- J'en ramèn'rai plus la prochaine fois !

Elle baisse les yeux sur la boîte vide, esquisse un sourire un peu pincé. L’arrière de ses yeux lui lance, son crâne pulse, ça pourrait être pire mais elle sait qu’il suffirait de pousser un peu trop pour que la migraine se déclenche, or Winston n’est pas la personne toute désignée pour les discussions les plus neutres.

- Ils étaient super bons en tout cas, dit-elle avant de se lever et d’essuyer son pantalon pour en faire tomber les miettes. Je commence à être fatiguée, tu pourrais dire à Vanya que je me couche un moment ? reprend-t-elle pour congédier le garçon.

America n'a jamais aimé être seule mais pire que la solitude, le sentiment d'être étrangère à ceux qui constituaient autrefois son entourage proche - du moins quand elle se souvient d'eux. Elle préfère passer le reste de la journée à regarder le mur que de faire face à la triste réalité : celle dans laquelle elle a changé et est incapable de retrouver celle qu'elle était avant.