Le SWAMP est différent de tout ce qu’elle a connu jusqu’alors. Ca n’a rien des paysages de la campagne samarqandaise, de ces étendues arides, parfois quasi désertiques, ni même de ses quelques vergers ancestraux, souvent cachés aux moldus, étonnants sur les ocres des alentours. Ca n’a rien non plus des villes ni des étendues de Russie, plus brièvement aperçues durant les quelques mois où elle y a vécu. Rien, même, de ce qu’elle a vu des paysages des Etats-Unis, entre les gratte-ciels de New York ou Washington. Ca change, et elle doit dire que, même si le merveilleux des souvenirs de son pays natal lui manque, il y a quelque chose de plaisant, d’autrement magique à découvrir ces endroits, ces nouveaux lieux  à l’odeur d’inconnu. La moiteur lourde de Floride lui pèse un temps, tout de même, celui des habitudes qu’on cherche. Il y a quelque chose – un air un peu sauvage, la vie partout où elle regarde, où elle écoute, foisonnante. Ca a un goût d’Eden qu’elle ne sait pas nommer.

Les gens aussi, semblent tous différents. Rien que dans le syscrew qu’elle a rejoint, pas un visage qui vraiment se ressemble - un melting pot d’origines, d’âges, de traits, de magies. Ca lui fait étrange, tout de même, qu'ils aient à partager leur quartier, tous les dix.
Beaucoup, aussi, lui semblent trop bruyants et bavards, trop vifs aussi, alors qu’elle a promis - à son oncle et sa tante comme à elle-même - de se consacrer à ses études. Travaille dur et soit discrète pour t'intégrer et te faire une place, qu'on lui a un jour dit. Comme quelqu'un d'autre, plus récemment, lui a laissé entendre que les Saturnes sont renfermés, gloomy même. Pour taquiner peut-être, elle croit, il n'empêche que c’est plus nuancé que ça. La réserve est là, la confiance prend du temps à se gagner, le cœur a vraiment s’ouvrir à la bande qui l’entoure. Ils sont gentils, pourtant. Azariah, aussi exaspérant qu’il peut parfois l’être, a une douceur dans ses sourires, un éclat assuré qui pousse à la confiance. Elle apprécie Oscar, aussi, même si la différence d’âge et de maturité est claire. Peep, s’il lui semble trop curieux, trop présent et effervescent, semble sincère dans sa manière de se soucier d’eux. L'intensité et le charisme de Red l'impressionnent, quant à Petey arrivé en même temps qu'Azariah et elle, well... il semble mécontent et taciturne, reste un peu à l'écart, mais au moins apporte un peu de calme - intentionnel ou non.

Son regard s’échappe par-delà les pages de son livre de métamorphose, par-delà le bout de terrasse de leur appartement. Sur l'îlot en contre bas, son syscrew s’amuse à grands rires, et une bribe de voix tire un sourire discret derrière son livre redressé.

L'air du soir est doux et embaume d'espoirs et de promesses.
Peut-être, après tout, qu’elle s’y fera.

TW: mention de meurtre, mort.

Un voile gris est tombé sur le SWAMP. Le genre de brume poisseuse et opaque qui ne se lève pas, qui s’acharne et qui colle à la peau, colle aux arbres, aux plantes, à tout ce qui existe. Ca semble émaner de l’eau comme de la terre, prendre racine dans l’air.

Où que Zarya regarde, c’est là. Même en intérieur. Même ailleurs. Ca a recouvert ses yeux, son cœur, une pellicule de toile arachnéenne qui tapisse l’intérieur de son crâne.
Tout est terne, monotone. Sourd et silencieux, comme insensible à leur monde qui s’effile et se délie, tombe en poussière.
Peut-être que c’est ça aussi, ce gris. De la poussière, ou de la suie. Leur monde qui part en flammes alors que les sourires se sont déjà noyés.

Peep est mort.
Petey, enfuit.

Les soupçons sont trop lourds, trop évidents pour ne pas exister, ni pour ne pas être crus. C’est Petey n’est-ce pas ? La question, ce serait plutôt de savoir s’il a tué Peep volontairement, ou si ce n’était qu’un accident. Azariah l’aurait cru, s’il était resté, s'il avait affirmé qu’il ne voulait pas ça. Red, probablement pas. Elle ? Elle ne sait pas.

Tout semble trop flou. Incertain alors que tout est définitif. Ca n’a pas de sens.

Dans le creux laissé par leur absence, dans les sillages de leurs départs, ils leur laissent un mélange de tristesse et d'incompréhension, l'endeuillement. La colère et l'amertume, aussi.

Zarya cherche Azariah, mais lui aussi se creuse d'absences. Elle aurait besoin de sa présence aujourd'hui, voudrait être là pour lui aussi, il reste inatteignable. C'est sûrement lui qui le prend le plus mal - elle n'est pas dupe, elle a bien vu les regards qu'ils s'échangeaient au fil des années, et s'il y a la jalousie, il y a la compréhension aussi. Il y a des douleurs - des gens pour qui la douleur ne se partage pas.
Le soleil a disparu, absorbé, bouffé par une culpabilité aliène, qu'il prend pour sienne.

Leur monde se délie. Ils se perdent et se dispersent en tessons de pierres et de planètes, météorites éclatés sur la réalité, sans plus trouver où se raccrocher.

Jupiter a trop voulu jouer au dieu, celui qui dirige et se prend pour un roi. Se sent-il seulement coupable ?
Elle espère, froidement.
Elle lui en veut.
Comment a-t-il pu ?

Son appartement est calme. Silencieux, de ces non-bruits pesants, qui trahissent l'absence.
Zarya attend, jette un oeil vers l'horloge sur les murs dénudés, se ronge les sangs.

La cheminée s'illumine, éclat verdoyant qui se traîne autour de la silhouette s'y dessinant, puis se dissipe aussi soudainement qu'il est apparu. Zeb sort de l'âtre. En voyant son air fermé, l'esquisse du sourire de Zarya se fige, crayon levé en plein tracé. "Zeb? Is everything alright?" Zeb se fait plus distante depuis quelques temps. Depuis la malédiction qui l'a frappée et que Zarya a heureusement réussi à lever quelques jours plus tôt - peut-être même depuis un peu avant. Elle se dit que c'est normal, une réaction naturelle d'inquiétude face au stress que peut représenter leur départ et les horizons inconnus vers lesquels elles se dirigent.

Zarya se lève de son fauteuil, s'approche de Zeb pour prendre une de ses mains. "Do you have your luggages?" Elle n'a aucune valises autour d'elle, contrairement à celles qui sont soigneusement rangées en rang près de la cheminée, mais il est certain que les réduire pour les glisser dans sa poche était sans doute l'option la plus discrète pour Zeb.
"I don't have them," vient finalement la réponse, douce dans le silence. Elle rencontre enfin son regard, s'enfonce un temps dans ses yeux. Encore, cette distance, mais aussi un peu d'une tristesse, la force d'une résolution. "I won't leave, Zarya." Elle cligne des yeux, les lèvres s'entrouvrent, le surprise - amère d'un goût pas si inattendu - s'écoule. "Excuse me?"
Zeb serre sa main doucement et la relâche. "I can't go. My family needs me here, i have responsabilities."  Elle ajoute sans hésiter, ferme dans sa douceur alors que Zarya fronce les sourcils sans vraiment comprendre. "Reponsabilities? Like what? Your father only wants your brother to take over his affairs even if he knows you're interested and he's not." Zeb gaves her a pointed look, as if the answer was logical and Zarya slow not to see it. "I won't leave them."

Un temps, un silence. Ca dure. Elle pourrait essayer d'insister et de la convaincre de partir avec elle ; laisser la tristesse s'écouler et supplier, lui dire qu'elle a besoin d'elle. Ce serait faux : voilà longtemps qu'elle sait qu'elle n'a réellement besoin de personne. D'ami.es et de gens qui l'entourent, bien sûr. D'une personne particulière, non, même si elle l'aime, même si ça la blesse assez pour lui briser un peu le coeur.
"Are you really sure?" La voix est calme mais creuse, maculée de vide, sa fermeté fausse, juste la résolution de ne pas la laisser trembler. "... Yes." Un instant qui hésite puis s'affirme.

Le tic régulier des aiguilles de l'horloge se poursuit un temps alors qu'elles se regardent et s'évitent du regard, elle ne saurait, étrangement, le dire vraiment. Sa voix brise encore l'attente. "Is it because of the malediction? becau- - No. I was  thinking about it already, about staying here. But just before we were supposed to leave? It is a sign, Zarya, no one can deny that." C'est une colère humide et confuse, un mélange d'un gris sombre et orageux qui l'entraîne, durci sa voix autrement restée calme, par un mystère qui lui échappe. "A sign? Cut the bullshit Zeb, it never was one." Même si elle est parfois du genre à y prêter attention malgré sa rationalité, sans forcément s'y arrêter - ça, ça n'a rien d'un signe, elle en est sûre. C'est une excuse. "Just say it as it is: you're leaving me. - Only if you go. You're the one leaving. - Oh don't try that smartass crap on me Zeb. I won't stay, nor beg for anything. You want us to be done, we're done. - Zarya... - Go now, please. I have to get ready."

Elle la regarde partir. S'y force presque sans ciller, sans laisser le sel de sa voix atteindre ses yeux. Même alors que Zeb a disparu comme elle était apparue, elle reste plantée là dans un ersatz de fermeté, quelques secondes, de quoi être sûre qu'elle ne revienne pas. Pas un espoir - elle s'y refuse. Pas un espoir - elle se répète sans décider.
Les paumes se pressent devant les yeux pourtant, le corps se resserre un temps sur lui-même, se recroqueville, un instant dans sa coquille. Quelques minutes où expulser le bleu du coeur, où laisser couler des yeux la douleur de se qui se brise. Les projets et les rêves piétinés, qu'elle s'affaire à laisser là. Ca fait moins à porter. Ce sera plus léger.

Elle se redresse après un temps, le silence revenu. Essuie d'un geste les dernières traces de larmes. Réduit ses bagages de quelques coups de baguette, qu'elle coince dans ses cheveux relevés à la va vite, retrousse ses manches.
Elle a à faire. Les émotions attendront bien.
Elle part.

La pièce est vide dans son sillage.
Restent juste quelques regrets et souvenirs délaissés.