Ce fut presque à regret que Frida quitta son survêtement couleur lever de soleil (orange trop flashy) cet après-midi là. Le vieux coucou enchanté (cadeau que sa fille lui avait ramené d'un de ses voyages juste pour l'embêter car Frida n'aimait pas tout ce qui faisait des tic-tac agaçants et du bruit par-dessus le marché) gazouilla les quinze heures et le contact rassurant du tissu synthétique de sa tenue précédente lui manquait. Elle soupira avant de ramasser les bricoles qui encombraient la table basse de son salon (journaux, livres à l'eau de rose, grilles de mots-croisés remplies en trichant ainsi que quelques tasses de thé pas entièrement bues). "Molkky !" appela-t-elle d'un ton sec. Un craquement retentit dans la pièce, faisant apparaître un vieil elfe aussi chenu que devrait l'être sa maîtresse. Il lui manquait une oreille  et ses grands yeux globuleux injectés de sang lui donnaient une apparence plus qu'effrayante. Frida l'aimait bien, presque autant que son croup qui, à cette heure, devait être occupé à chasser les papillons dans le jardin entre deux siestes en plein cagnard écossais (donc cagnard relatif). "Prépare le thé et les gâteaux, nous avons de la visite." Elle disait nous par habitude des années de mariage que même une décennie n'avait pas réussi à effacer. Nous, elle et les photos qui trônaient sur la cheminée, nid à poussières en puissance que Molkky était tenu de nettoyer aussi souvent que possible. Frida jeta un coup d'œil sévère aux cadres et la même œillade lui fut rendue par plusieurs versions photographiques d'elle-même, âge variant selon les clichés. Tout était en ordre alors elle s'autorisa un sourire qui n'effaça pas totalement son air soucieux.

Tom avait disparu, encore. A peine avait-il retrouvé la beauté d'antan qu'il jouait les filles de l'air. Gâchis songeait Frida. Inquiétant surtout car ce n'était pas la première fois et que c'était quand même de mauvais goût de laisser le pays comme ça. Elle frissonna en repensant à ce qu'il s'était passé alors qu'elle s'en était étonnamment bien tirée. Car personne, pas même le Lord, s'attendait à ce que Frida se jette dans la bataille, elle n'avait jamais été une grande duelliste et - malgré sa taille impressionnante - n'avait jamais prétendu l'être. Alors quand l'Ordre avait débarqué, elle s'était contentée de se réfugier dans une pièce attenante à la grande salle de réception avec d'autres invités avant de transplaner au moment où la voix du jeune Zabini avait retenti. Elle avait alors rejoint les autres mangemorts et noté l'absence du Lord. Depuis, sa moue préoccupée ne l'avait pas quittée. Nouveau soupir, cette histoire était mauvaise pour ses rides, il faudrait qu'elle en touche deux mots à son frère. En attendant, elle finit rapidement son rangement avant d'aller ouvrir la porte d'entrée car l'on venait d'y sonner. "Narcissa, ma chère !" salua-t-elle, s'effaçant de la porte pour laisser entrer la sorcière. Le vieil elfe apparut, prêt à récupérer sac et veste pour les poser sans un pli dans le coin réservé pendant que Frida babillait les banalités d'usage. "Vous êtes très élégante aujourd'hui, j'aime beaucoup votre coiffure ! Pas comme celle de la petite Rowle qui ne s'arrange pas du tout. Non mais vous avez vu son cache-oeil ? C'est d'un mauvais goût... Entrez, entrez, Molkky a préparé le thé, il doit être pile à la bonne température." Et elle prit la direction du salon, démarche énergique comme pour prouver au monde entier que le temps n'avait pas d'emprise sur elle, s'asseyant dans son fauteuil réservé, laissant le sofa à Narcissa. "Quelle histoire quand même" ne put-elle s'empêcher de souffler et l'air qu'elle avait en disant cela lui donnait ses soixante-dix années bien passées.

Narcissa était bien contente de ne pas être allée aux Battues ce mois-ci. Une sombre affaire, une ridicule et insupportable affaire, qu’elle était bien contente de ne pas avoir vue de ses yeux. Le désastre était complet et tout ne tenait plus qu’à l’aide de fils si minces. Le Lord était introuvable, les rumeurs allaient bon train et Narcissa ne pouvait que s’assurer, jour après jour, que Harry était bien à sa place pour ne pas complètement perdre foi en leur gouvernement.
Heureusement, en apparence tout allait bien. Tout allait pour le mieux, elle était heureuse, le Lord était en voyage, elle s’entendait très bien avec son mari et sa belle-famille et il n’y avait rien, absolument rien qui devait inquiéter la population. La preuve, elle prenait encore la peine d’aller visiter sa vieille mentore, pour un thé (qu’elle espérait corsé) et les dernières nouveautés. Sans nul doute qu’on parlerait causerie, mariage des enfants, et du charmant parti que Frida et Narcissa s’étaient mises à imaginer entre Ollie et Draco. Bien sûr, cela écorchait encore la bouche de Cissy d’imaginer son fils avec une sang-mêlée mais enfin il fallait bien se faire à la déchéance.
— Oh Frida, quel plaisir de vous voir ! s’exclama-t-elle en entrant dans la majestueuse maison de la mangemort.
Frida avait cette classe des vieilles membres de l’Élite, de celles qui servaient la cause depuis bien longtemps et qui, avec le changement de gouvernement, avaient su saisir l’occasion pour briller. Narcissa partageait son quotidien avec bien de ces gens-là, auraient dit sa mère si celle-ci était encore en vie. Heureusement pour les oreilles et l’intimité de ses pensées, sa chère mère était depuis longtemps décédée. Elle pouvait donc jouer au lien maternel avec cette vieille amie du Lord qui avait aidé son arrivée dans leur ordre puis dans l’Élite, où elles partageaient pensées et missions avec plaisir.
Narcissa était souvent effarée par son amie, effrayée de ce qu’il se passerait si la dame savait tout ce dont Narcissa rêvait, mais globalement savait qu’elle devait la vie de son fils à cette femme-là. Que si elle avait pu prendre la place de Draco, lui éviter l’accablement d’une vie d’atrocités, c’était parce que Frida lui avait tendu la main et, quand tant d’amis lui avaient tourné le dos, l’avait au contraire à retrouver le sommet.
— Oh, vous exagérez ! Miss Rowle n’est pas de notre standing, n’allons pas attendre d’elle de correspondre à nos valeurs, n’est-ce pas ? Enfin, sa pauvre mère…
Elle laissa veste, sac et chapeau au petit elfe à qui elle n’adressa pas un regard.
Depuis Dobby, Cissy haïssait les elfes. Sales raclures traitresses. Et laides avec ça. Disgracieuses et impertinentes. Molkky en faisait partie, elle avait bien vu la bestiole répondre à sa maîtresse une fois, et elle ne pouvait concevoir qu’on puisse se confier, s’appuyer ou s’attacher à ces êtres. Si Cissy avait dû en reprendre, c’était pour la société, pour la pression sociale. Plus aucune de ces choses n’était autorisée à entrer dans ses appartements privés, se chargeant du reste du domaine pour compenser.
— J’arrive juste à temps alors, c’est parfait.
Et elles purent s’installer au salon, avec un soupir pour Cissy quand s’installa finalement sur le sofa. Un soupir qui laissa entrapercevoir la fatigue et le stress qui l’accompagnait depuis cette terrible affaire. Et quand Frida parla d’histoire Cissy ne se trompa pas. On ne parlait plus des frasques vestimentaires d’Anthea. Autre soupir alors que la main de la sang-pur se tendait pour attraper un thé bien mérité.
— D’un sordide… Enfin je n’ai jamais aimé cet endroit, j’espère qu’on n’en entendra plus parler…
C’était un vœux un peu naïf mais qu’elle voulait faire pour tenter de conjurer le sort. Que l’Ordre se contenterait de la joie de récupérer ses membres, ou alors qu’ils se feraient infecter par les multiples maladies qu’avaient dû contracter les prisonniers, et qu’ils en mourraient tous, les débarrassant de cette lie désagréable. Elle en frémit d’horreur.
— J’espère que vous n’y étiez pas, ma chère ! Les récits qu’on m’en a fait étaient…
Elle ne précisa même pas, sinon d’un mouvement de main écœuré. Non, tout cela l’horrifiait. Elle voulait faire disparaître cette honte sous le tapis, comme tout le reste. Partagée, cependant, entre la crainte que le gouvernement tombe et l’espoir étrange que ce soit l’occasion de s’enfuir enfin… Prendre son fils, Lucius, passer la frontière vers la France et ne jamais regarder en arrière.

Oh, elle aimait bien, Frida, que des sorcières d'aussi jolies lignées que Narcissa Black trouvent du plaisir à venir la voir, ça lui arracherait des sourires triomphaux s'il n'y avait pas de public. De plus que Narcissa lui devait son salut ainsi que celui de son bâtard de môme, détail non négligeable. L'ascenseur social avait plus que marché, Frida était au sommet, Frida exultait. La seule ombre au tableau était peut-être le voyage du lord mais comme il fallait garder l'affaire secrète, la vieille sorcière songeait à rester dans le déni de la disparition. Comme ça, pas de rides supplémentaires creusées par le souci et elle pouvait continuer à vivre sa meilleure vie de rombière amatrice de tea party. Bientôt installée dans son fauteuil préféré du salon, son regard - ainsi que les regards des divers portraits décorant la pièce - était rivé sur l'invitée, attentif.  Elle finit par décocher un sourire - un peu venimeux - quand la blonde rebondit sur la petite Rowle. "M'est avis" - elle adorait donner son avis - "que pour le bien de sa famille Rosemary aurait du s'abstenir d'adopter..." Déjà que la mère avait été déshéritée. Et quitte à ne pas se marier ni faire d'enfant biologique, à quoi bon s'encombrer de futurs petits déviants car il était connu que cette espèce là se reconnaissait entre elle pour mieux s'assembler.

Soupir pour marquer son désaccord, elle ouvrit la voie jusqu'au salon et prit place. Le déni quant à la situation n'avait pas duré longtemps. Tom avait disparu et c'était somme toute inquiétant. La porte ouverte à la décadence et aux colères divines peut-être même. "L'ambiance jeux du cirque était particulière, oui... Mais au moins cela permettait à certains d'entre nous de se divertir." Et de leur laisser les mains libres pendant ce temps. Que les hommes, les vrais, les virils, aillent taper sur du prisonnier, ça convenait très bien à Frida qui pouvait cancaner à outrance derrière leurs dos. "J'y étais, exceptionnellement." Elle insista sur le dernier mot, hors de question que son amie s'imagine qu'elle fréquentait ce genre de lieu. "Il y avait une réception en l'honneur du maître après tout" souligna-t-elle avant de poser un regard indéchiffrable à Narcissa qui n'avait pas daigné s'y montrer. Sacré coup de chance quand même. "Quoiqu'il en soit, j'espère que tout cela rentrera vite dans l'ordre et que les prisonniers seront rattrapés. Rien que d'imaginer tous ces... individus grouillant dans les rues, cela me révulse." D'ailleurs, les loups-garous, les vampires, ils étaient contagieux, manquerait plus qu'ils se mettent à mordre à l'aveuglette et ça serait l'horreur. "Heureusement que l'on peut compter sur notre brigade" ajouta-t-elle, toujours prête à se lancer indirectement des fleurs (car après tout, vu que le Magenmagot, c'était plus ou moins elle, le ministère tout entier était donc plus ou moins sous sa coupe).

Cissy eut un petit sourire en entendant son aînée prendre la défense de ces jeux grotesques. On ne serait jamais allé à organiser de telles choses quelques décennies auparavant. C’était d’un vulgaire… Cissy ne tolérait (n’avait toléré devrait-elle plutôt dire) les Battues que parce qu’elle avait fini par se convaincre que c’était du divertissement pour les branches les moins lettrées de leur statut social. Narcissa ne se définissait pas non plus comme une intellectuelle mais elle estimait avoir un certain standing que quelqu’un de sa caste se devait se représenter.
Bien entendu, les sang-mêlés arrivistes ne pouvaient pas concevoir l’ordre, l’honneur que le véritables familles représentaient. La charge qui tombait sur les épaules de ces représentations du bien, du vrai. Narcissa, elle, se dévouait à cette tâche : d’être un modèle pour tous, de représenter ce qu’il y avait de plus respectable et de plus sorcier en ce bas-monde.
Si on oubliait les petits écarts avec son ancien mari.

— Oh non, chère amie, vous y étiez, s’horrifia-t-elle avec une main au cœur. Vous n’avez rien eu, je l’espère.
Narcissa était, malgré ses récentes incartades, majoritairement une sorcière de salon. Se battre contre de vulgaires résistants n’étaient clairement pas dans ses obligations. Elle laissait ça à ces gens du niveau 2, avec leur uniforme et leur air mal aimable.
— Mais oui, la reception… Vous comprenez, avez mes obligations envers Harry, je n’ai pas pu me libérer ce soir-là. Les missions du Lord passent bien entendu avant les invitations mondaines, viennent-elles de Lui-même.
Et elle eut un petit rire, pour accommoder cette déclaration qui pourrait passer pour une maxime. Narcissa aimait à rappeler que, dans toute cette histoire, elle avait été choisie pour « reconditionner » le Survivant, qu’il vivait encore chez elle, qu’elle était responsable en partie pour sa collaboration. Même s’il en fallait plus pour complètement impressionner Frida, Narcissa espérait que cela suffirait à bloquer des questions indiscrètes.
Ou la révélation qu’elle n’avait, tout simplement, pas du tout eu envie de retourner dans cet endroit grotesque sans la compagnie privilégiée de Silver ou de Myrthild à ses côtés.

La discussion, quant à elle, continuait dans des affres toujours plus puants. La main au cœur de Narcissa monta à ses lèvres comme pour retenir la répulsion de sortir de sa bouche.
— Oh sûrement qu’ils n’oseraient pas sortir dehors, ils doivent s’être réfugiés dans les égouts, s’indigna la grande dame avant de prendre finalement de sa tasse de thé.
Elle approuva peu après les paroles de son amie, agita une main écœurée, acquiesça encore.
— Oh bien sûr, notre brigade, que serions-nous sans elle, approuva Narcissa qui n’avait pourtant que mépris pour leur bas métier. Même si, finalement, ils ne sont que la main armée de notre estimé Magenmagot et, vraiment, c’est sans vous que nous serions démunis.
Elle lui sourit chaleureusement en levant sa tasse en son honneur. La flatterie n’avait jamais fait mal à personne et après tout Narcissa en pensait presque chaque mot. Il suffisait d’un peu arrondir les angles et on se retrouvait dans une merveilleuse après-midi entre amies à parler des faits de société. Tant que l’on n’abordait pas l’absence du Lord…
— Je vous remercie, d’ailleurs, de me libérer du temps de la sorte alors que votre département doit être dé-bor-dé.
Douce considération, en effet, lorsqu’on savait que Narcissa n’avait pas travaillé une heure de sa vie sinon pour se présenter aux réunions de la Chambre, qui restaient surtout des événements mondains avec des sujets de conversation un peu plus sérieux.
— Mais je me suis toujours dit qu’il fallait, dans les pires moments, toujours trouver le temps de ralentir et d’apprécier une tasse de thé. Surtout après ce que vous avez traversé, d’être sur place… Ah, ma pauvre amie.

En vieille teigne qui se respectait, Frida avait été présente lors de cette horrible attaque et s'en était tirée sans la moindre égratignure - elle devait avoir plus ou moins la résistance aux milieux extrêmes d'un tardigrade de bonne constitution - si ce n'était que son chignon avait été dérangé. Pour quelqu'un de sa stature, un mètre quatre-vingt trois et pas un seul millimètre de perdu en soixante-dix-sept ans, elle était étonnamment douée pour se faire oublier quand il s'agissait de se battre. Plus de son âge, bien entendu. "Non, ne vous inquiétez pas" assura-t-elle avec un sourire suffisant car la bave du crapaud (ou plutôt les crocs de loups-garous) n'atteignait pas la blanche colombe. "Il en faut plus pour m'atteindre." Parce que sinon jamais elle n'aurait survécu à la première guerre. D'ailleurs, cela ne faisait-elle pas deux fois qu'elle passait à où le Lord trépassait ? Frida espérait bien que non, ce serait un drame pour le monde entier. Quant à la raison de l'absence de Narcissa, la vieille n'y trouva rien à redire alors se contenta d'un sourire pincé. "Ce n'était peut-être pas plus mal pour vous." Il y avait déjà eu trop de pertes alors si à ces dernières s'ajoutait celle de sorcières qui lui étaient redevables... "Harry va bien ? Ce n'est pas trop pesant pour vous ?" Presque jalouse de ne pas être celle à qui le Lord avait demandé une telle faveur.

Les rebelles à leur place dans les égouts puis les louanges. Frida joua les modestes, chassant les paroles d'un geste de la main. "Nous ne faisons que notre devoir" assura-t-elle avant de lever sa tasse à son tour pour prendre une gorgée de thé. Il manquait un peu de sucre à son goût alors elle s'empressa d'en ajouter deux-trois morceaux puis, en touillant, elle dévisagea son interlocutrice quelques instants. Non, décidemment, elle aimait bien Narcissa Black et n'était certainement pas bien placée pour lui faire des reproches quant au choix de son désormais ex-mari. Ni même la juger sur le sujet. "Je trouve toujours du temps pour mes amies." Stricte vérité. Et elle aurait pu se lancer dans un long discours sur l'importance de la camaraderie mais elle n'en fit rien. Elle ne s'étendit pas non plus sur la quantité de travail à abattre, pas assez chic de râler sur ses devoirs. Le mieux était encore que ce soit les autres qui la plaignent, comme le faisait actuellement sa protégée et la vieille se redressa sur son siège, air de celle qui avait déjà tout vu et en verrait encore bien d'autres sans baisser les bras. "Il est vrai que de pareilles épreuves secouent toujours un peu. Mais l'essentiel est d'en sortir grandi et de s'en remettre vite. Cette vulgaire escarmouche est bien la preuve que nous avons encore beaucoup à faire pour purifier cette société." Sur cette belle déclaration, elle prit un biscuit et changea de sujet. "Sinon, comment va votre fils ?"