tw : mention de chasses humaines

L'ambiance est agitée au campement - c'est que, cela fait quelques jours que leurs disparus commencent à revenir. Il n'ose pas leur poser de questions, Tao, parce que leurs yeux en disent bien assez. Don't ask supplient les prunelles, alors qu'ils arrivent tant bien que mal à récolter quelques brèves informations par-ci et par-là de ce qui leur est arrivé. Une île. Des chasses. Des mangemorts. Et l'Ordre, qui est venu les secourir. C'est suffisant pour Tao, qui peut à peu près faire sens de ces informations, à la façon d'un puzzle à l'illustration trop sombre. Chaque regard vers les visages amaigris, et les cicatrices, et les larmes qui coulent à chaque souvenirs qui reviennent est un coup de poignard dans le coeur.
I can't take it anymore. Il a besoin de sortir, de respirer un peu - sinon il va craquer, lui aussi. C'est sûrement un peu égoïste dans le fond ; après tout, ce n'est pas lui qui ressort d'un cauchemar ambulant. Mais toutes ces nouvelles informations qui arrivent, après tout ce temps passé dans le noir, lui font l'effet d'un tsunami qui lui tombe dessus sans prévenir. Pour certains revenants, ça fait plus de trois ans qu'il ne les a pas vus - arrachés par le gouvernement, et les nombres se sont alourdis avec le temps.

Souvent Tao se rassurait en disant que tout irait mieux une fois qu'ils les retrouveraient.
It's only the beginning.
There's still a long road ahead.

Y a un long soupir qui file entre ses lèvres alors que Yoyo file au-dessus de sa tête pour se percher à un arbre, quelques mètres au-dessus de lui. Tao pensait que s'éclipser dans un des bois aux alentours de leur campement pourrait lui faire du bien - il s'est trompé. La colère est toujours là, la fatigue aussi ; et la peine qui lui retourne les tripes. They hurt my family grondent les os sous sa peau. Ses doigts se crispent le long d'un tronc d'arbre et il ne fait même pas attention à l'écorce qui s'effrite sous sa peau. Les yeux et les cheveux virent au rouge - puis au bleu, quand l'envie de pleurer lui revient en plein dans la figure. C'est le hoot hoot inquiet de Yoyo qui le ramène à la réalité - il a toujours eu plus de mal à supporter les débordements émotionnels de Tao, raison pour lequel ce-dernier tente toujours de faire attention. Sa moitié a déjà bien assez souffert. "Sorry dude." qu'il fait en tendant la main pour effleurer le plumage du hibou, dont les grands yeux scintillants le sondent avec bien plus de précision que personne ne pourrait jamais le faire.
Yoyo est doux et chaud sous ses doigts encore tremblants et couverts d'écorce qui se décroche de sa peau, petit à petit. Tao ferme les yeux un instant ; les rouvre quand l'animal s'agite et pousse des hoot plus insistants que d'ordinaire. Pourtant, Tao ne voit rien - et ne sent rien non plus. "What's going on little guy ?" demande-t-il alors que Yoyo bat des ailes sur place, ses aigrettes s'agitant dans tous les sens. Something. Tao se concentre un peu et comprend aussitôt : les battements effrénés d'un myocarde humain battent contre ses tempes, et ce n'est pas le sien. Someone's there. Le sorcier se fige, son instinct partagé entre fight et flight ; le hibou, quant à lui, finit par s'immobiliser à son tour. Le silence de la forêt est percé par les battements qui tambourinent à ses oreilles grâce aux sens de Yoyo ; l'oeil perçant du hibou sonde les alentours tandis que le sorcier décide de fuir, ou d'aller à la rencontre de la personne qui, peut-être, est blessée.

La fatigue est terrible, écrasante : il aimerait bien dormir, Cecil, mais le sommeil vaut presque une sentence de mort compte tenu de la situation. Il ne sait pas si on a suivi sa trace jusqu’ici, mais la paranoïa lui garde les yeux désespérément ouverts (la douleur permanente des blessures aide pas mal à la tâche, aussi) et sa période d’éveil dure depuis tellement longtemps qu’il commence à douter de ce qu’il voit ou entend parfois. Les délires hallucinatoires sont cruels, et font un bien mauvais mélange avec l’imagination débordante qui affole l’esprit du fugitif. Celui-ci n’a de cesse de voir des ombres dans sa vision panoramique, lesquelles ont tôt fait de disparaître sitôt qu’il se tourne dans leur direction. Une brindille qui craque, l’impression insupportable de sentir une présence juste derrière lui… et puis rien, jamais : rien d’autre que la vie tranquille du sous-bois dans lequel il a trouvé refuge en urgence, rien de plus que la faune dérangée par la présence de l’intru.
Ça ne change rien, pour le lycanthrope : à chaque fausse alarme, le soulagement est bref et bientôt relégué aux oubliettes par l’obligation absolue de devoir rester vigilant. C’est stupide : après trois jours, il pourrait se dire que si Boris et Markus savaient où il s’était tiré et voulaient lui remettre la main dessus, ils l’auraient déjà fait depuis longtemps. Merde, Cecil est blessé et épuisé : on fait difficilement plus facile, comme proie.

Et puis, il y a la faim, comme un petit monstre bien familier qui rôde et lui mordille les entrailles avec insistance. Le fugitif connaît ces bois, c’est vrai : il les connaît suffisamment bien pour que l’image d’une petite clairière à proximité soit la première qui se soit imposée à son esprit avec suffisamment de clarté quand il lui a fallu décider en urgence d’un endroit où transplaner. Il est capable de se débrouiller dans la nature, les milieux forestiers recèlent peu de mystère pour lui sauf qu’il n’est pas en état de chasser... ni de faire grand chose d’autre, au fait. Bouffer des baies, ça devient vite rébarbatif. Et Cecil n’a rien sur lui, forcément, parce que pour une fois qu’il avait vraiment besoin de se tirer en deuspi, fallait que ce soit avec les poches vides, toutes ses affaires soigneusement laissées derrière lui dans sa dernière planque en date.

Pour la énième fois de la journée (et de celles qui l’ont précédée), les sonnettes d’alarme se mettent brusquement à hurler à l’intérieur de sa caboche et il perçoit les battements de son cœur s’affoler dans sa poitrine. La certitude de n’être pas seul. Encore. Sauf que cette fois, son instinct gueule un peu plus fort : cette fois, il y a quelque chose en plus.
Oh for fuck’s sake, can't you keep your shit together? Il a conscience que l’épuisement se joue un peu trop de lui et qu’il est un peu trop sur les nerfs. Sauf qu’à trop tirer sur la corde comme ça, il ne va pas tenir le rythme bien longtemps. Cecil s’adosse contre le tronc d’un arbre et ferme ses yeux trop traître à son goût, laissant ses autres sens prendre le dessus. Et… oui, il y a bien quelqu’un non loin, dont le vent lui traîne aimablement l’odeur. Là, deux possibilités : soit il est là pour lui, soit pas du tout. Dans un cas comme dans l’autre, la fuite lui apparaît comme une mauvaise idée. Si on l’a suivi jusqu’ici, on le trouvera ailleurs. Et si l’inconnu·e n’a rien à voir avec ça… eh bien, Cecil a besoin d’aide. Désespérément. La confrontation apparaît inévitable et il est las de se planquer.

Le gamin est en train de... causer à son hibou ? quand il parvient à se rapprocher suffisamment de lui pour avoir un bon visuel. Et puis, un instant plus tard, la réalisation percute : he knows I’m here. Du coup, Cecil se traîne dans le champ de vision de l’autre, avec sa sale gueule de déterré insomniaque et un poil psychotique sur les bords. “What do you want?”, il demande d’une voix rauque d’être restée coincée au fond de sa gorge sur les trois derniers jours. Sa main droite est crispée sur sa baguette, piètre menace compte tenu du fait qu’il ne risque pas d’en faire grand chose. “Why are you here? Are you alone?” Les questions fusent, le regard méfiant et à la limite de l’hostilité ne se décroche plus de l’inconnu – sauf à contempler l’oiseau, parfois, avec ce petit air de convoitise affamée. Quant à son attitude, elle est plus défensive qu’agressive : Cecil cherche encore à déterminer s’il représente un danger pour lui, les apparences peuvent être trompeuses et il ne tombera pas dans un piège aussi simple. Demander de l’aide ? Les mots lui brûlent la langue presque autant que sa marque lui brûle la joue (quoique, quand même pas) mais il ne se sent pas encore prêt à baisser sa garde, aussi peu vaillante soit-elle.  

Un bruissement soudain dans les fourrées fait sursauter Tao qui bondit pour confronter la source du son - Yoyo pousse un léger cri, ses serres s'enfonçant dans l'épaule du sorcier. Il a un mouvement de recul lorsque la silhouette décharnée s'offre à ses yeux, presque famélique. Encadré par la végétation, l'homme - werewolf, Tao remarque aussitôt la marque sur sa joue - a des airs de Robinson Crusoé. He might need help. "What do you want?" La voix est brusque, enrouée - la main va pour chercher la baguette. Il est sur ses gardes, c'est normal. Tao lève aussitôt les mains devant lui. "Whoah, easy dude." qu'il tente, les battements du coeur de Yoyo assourdissant presque ses oreilles. I need to calm them both. "Why are you here? Are you alone?" L'homme montre les crocs, la méfiance scintille dans ses prunelles. Il fait peine à voir - chat sauvage presque à sec qui tente de se tirer d'une potentielle menace. Ils sont beaucoup dans ce cas de figure. Tao en a rencontré beaucoup, des sorciers qui, comme lui, tentent de gonfler le dos même s'ils n'ont plus grand-chose pour se protéger. Pourtant, y a quelque chose d'autre chez lui qui lui souffle qu'il ferait mieux de ne pas trop s'approcher sous peine d'y laisser quelques doigts.
Immobile, le métamorphomage désigne le hiboux sur son épaule, puis le pointe vers sa propre poitrine. "It's just the two uf us." Just us. Il ne tente rien de téméraire, étant donné la situation qui ne tient qu'à un fil déjà bien assez maigri. Le jeune homme ne sait pas de quoi l'autre est capable, et le regard qu'il a posé sur Yoyo lui a arraché un long frisson. He looks hungry - God, how long did he stay like that ? Le campement n'est pas loin. Si l'homme a besoin d'aide, d'un endroit où rester, ils pourront lui offrir refuge pour aussi longtemps qu'il le voudra - mais Tao doit d'abord s'assurer qu'il n'est pas une menace. Et désamorcer la bombe.

Un moineau fuse sous leurs yeux, tranche le silence tendu qui s'est installé. Tao abaisse légèrement les mains, mais les garde à découvert. C'est surtout pour prouver sa bonne volonté et rassurer l'homme - lui n'a pas besoin de baguette pour lancer des sorts. Mais il n'a pas besoin de le savoir. "We're not your enemies." reprend-il avec plus de détermination cette fois. Les aigrettes de Yoyo se stabilisent un peu, signe que lui aussi se calme - good. Il peut penser plus clairement, maintenant. "You don't seem alright." Le ton se fait un peu soucieux, mais reste monotone. Purement factuel. Le métamorphomage darde ses grands yeux soulignés de cernes sur le loup-garou et pointe du doigt sa sacoche sans pour autant l'ouvrir. "I have a few snacks in there." Une façon détournée de lui demander s'il peut fouiller dans ses affaires sans qu'il ne le fasse exploser avec sa baguette. "I'm not your enemy." précise-t-il une nouvelle fois, au cas où l'inconnu ne l'aurait pas entendu plus tôt.

It’s just the two of us, répond l’inconnu sans paraître s’offusquer de l’attitude de son interlocuteur. Malgré la tension presque palpable, le nouveau venu n’a l’air ni apeuré ni menaçant ; c’est déjà un bon point pour lui même si, concrètement, cela ne pourrait très bien n’être qu’un simple jeu de façade dans un cas comme dans l’autre. Cecil, quant à lui, ne se détend pas pour autant : s’il ne craint pas l’oiseau (à tort ou à raison d’ailleurs), il n’est pas assez fou pour se sentir confiant à l’idée d’un potentiel affrontement contre un autre sorcier. Tout ce qu’il a pour lui à l’heure actuelle, c’est l’avantage de la surprise (pour peu qu’il se décide à prendre les devants sans crier gare) et il n’est même pas convaincu d’être réellement capable d’en tirer un avantage qui en vaille la peine. Mieux vaut, donc, œuvrer dans l’idée d’éviter d’en arriver là. Et espérer que cela ne soit pas non plus dans les plans de son vis-à-vis…
Tandis qu’il hésite encore à croire les propos de ce dernier (la paranoïa lui souffle qu’il ne fait peut être face qu’à un simple appât d’aspect inoffensif pour simplement l’amener à baisser sa garde ; le peu de rationalité qu’il lui reste  l’informe quant à lui que cela ne sert à rien de poser des questions et d’ouvrir un dialogue si c’est ensuite pour ne pas accepter les retours qu’on lui donne), le fugitif se complaît dans le silence, ses iris d’un jaune déconcertant toujours rivés sur l’autre sorcier. You don’t seem alright, continue-t-il devant le mutisme apparent de Cecil, et celui-ci ravale à la dernière seconde une pique sarcastique visant les talents d’observateur de l’inconnu. C’est l’impulsivité raisonnée à la dernière seconde par une étincelle de bon sens : inutile de s’aliéner gratuitement quelqu’un dont il ne sait pas encore les intentions à son égard.

Finalement, c’est la mention de la nourriture qui parvient finalement à allumer l’intérêt dans son regard méfiant, un peu à l’image d’un clébard abandonné qu’on appâterait avec une poignée de croquettes – ironiquement, l’image  n’est pas tant éloignée de la réalité que ça si on remplace l’idée de l’abandon par celle de la fuite. Cecil lorgne la sacoche avec une envie non dissimulée et se mordille l'intérieur de la joue, mais toute la bonne volonté du monde ne suffit pas à empêcher son estomac de gronder férocement à la simple idée d’avoir quelque chose à manger à portée de crocs. “And how exactly am I supposed to believe you?” il demande finalement quand l’inconnu réitère pour la seconde fois son affirmation quant au fait qu’il ne lui est pas hostile. “As far as I know, everyone is right now.” A bit dramatic, maybe. Même s’il est vrai que, de son point de vue, il est plus facile pour le lycanthrope de partir du principe de base que personne n’est son allié : cela peut permettre d’éviter une erreur susceptible de lui coûter très cher.
D’un autre côté… il sait très bien qu’il arrive au bout, qu’il ne peut probablement plus continuer bien longtemps seul, à moins d’un miracle – et Cecil n’y croit pas vraiment, à ces petites bêtes-là. À un moment ou à un autre, il va bien falloir qu’il baisse sa garde, même temporairement ; il s’agit juste de bien choisir ledit moment pour limiter la casse.

Après une nouvelle œillade appuyée sur la sacoche, Cecil recentre son focus sur l’inconnu et son piaf. “Give it to me”, il décrète d’un ton qui se veut ferme, indiquant d’un geste du menton le sac de son vis-à-vis. “It’s not like I can trust you so…” Meaning : non, il ne le laissera pas fouiller son contenu et ainsi potentiellement s’emparer d’un objet (au hasard, sa baguette) susceptible de le blesser. S’il y a vraiment des consommables à l’intérieur, il devrait probablement être capable de les y dénicher sans aide. “Just… give it to me”, il répète, essayant d’asseoir une autorité qu’il ne possède qu’à la seule condition que son compagnon incongru choisisse de laisser faire. “Now.” Et s’il refuse ? Il aura l’air malin, le Cecil, ce n’est pas comme s’il avait quoi que ce soit pour monnayer un échange après tout.