Elle est là, Esme, à errer un peu partout aux différents étages du bordel à la recherche de quiconque voudrait aller faire un truc parce qu'elle s'ennuie. C'est souvent ennuyant, la journée. Les clients préfèrent venir le soir, c'est mieux pour rester dans la discrétion, garder les visages cachés dans l'obscurité et avec la lumière tamisée du Filet du Diable justement mise pour ne pouvoir reconnaître qu'à peine les gens. Il n'y a pas ça dans la partie privée - celle où vivent et dorment les prostitué.e.s - parce qu'ils se connaissent déjà entre eux donc c'est pas gênant. En général, Esme, quand elle doit descendre le soir pour aller gagner son pain, elle fait en sorte qu'on ne puisse pas trop la reconnaître. Avec beaucoup trop de maquillage sur le visage et tout ça. En même temps, la quart de vélane, elle a pas super envie qu'un des clients viennent la voir dans la rue et lui parler de ça.

Journée qui passe trop lentement, en plus de base elle était censée passer la journée avec Angel mais les deux nanas se sont encore disputées - pour pas grand-chose, comme d'habitude, de toute façon elles se reparleront le lendemain comme si rien n'était arrivé. C'est toujours comme ça, ça change pas. C'est deux dramas queens Angel et Esme en même temps. Puis pas que ces deux-là, les autres aussi au Filet du Diable. En même temps, à force de voir les mêmes gueules tous les jours, ça agace à force. Puis, Esme, c'est une adepte des gossips. Dès qu'elle entend une quelconque rumeur débile qui traîne ou un truc dans le genre, elle se dépêche d'aller le raconter aux autres. Jusqu'à ce que ça lui retombe dessus, et là elle fait la meuf étonnée et s'excuse avec un air pas du tout désolé. Une peste, comme ils l'appellent. Mais bon, en vrai, elle s'entend bien avec tout le monde ici, malgré deux-trois embrouilles de temps en temps, mais c'est normal.

Petit tube de mascara qu'elle tient entre ses mains pendant qu'elle l'applique sur ses cils en se regardant dans le miroir parce que va falloir qu'elle aille avec les autres trouver des gens à charmer pour gagner son pain. Sauf que quand elle descend de l'étage privé avec les chambres personnelles, elle voit de loin qu'il y a l'air d'y avoir de l'agitation à l'entrée du bordel. Et quand elle s'approche pour voir ce qu'il se passe, Esme, elle fronce les sourcils. « Winnie ? » Elle soupire, dit aux autres qu'elle s'occupe de ça puis elle sort à l'extérieur et regarde le garçon de haut en bas en le dévisageant. « Qu'est-ce que tu fous ici ? » Qu'elle demande d'un ton sec. Ça fait des lustres qu'elle ne l'a pas vu, les seules fois où elle communique un minimum avec lui, c'est par le biais de lettre - une tout les deux mois genre ça arrive vraiment pas souvent qu'elle décide de lui parler, par peur d'être mêlée à ses conneries avec la résistance.  

cw. mention de prostitution et de drogue

A quoi pouvait donc ressembler les hommes qui se payaient des prostituées ? Tel était la question existentielle de Winston, planté devant son armoire grande ouverte, hésitant presque à copier son style sur les pervers un peu clichés des films. Ou alors, il demandait son avis à Conan et à Fitzgerald. Pas parce qu'il les soupçonnait d'aller se faire des petites virées au Filet du Diable mais plus parce qu'ils étaient ses potes et on demandait toujours l'avis sur sa tenue à ses potes (cqfd). Il pourrait aussi envoyer un sms à Nacho pour l'appeler à l'aide, comme ça il aurait même droit à un petit joint et ils pourraient se caler dans les champs, à côté des escargots, le temps de trouver LA tenue. Après, le problème d'appeler à l'aide serait de devoir expliquer pourquoi il tenait tant que ça à aller dans un endroit super louche alors que franchement, il soulevait qui il voulait vu comment il était trop bg (c'était sa maman qui lui avait dit à l'époque, la citation exacte était plutôt "tu es beau mon fils, tu auras plein d'amoureuses... ou d'amoureux hein"). Dire qu'il voulait juste voir sa sœur lui ferait avouer la localisation précise de cette dernière et ce n'était pas très bien pour sa sécurité, non ? Il ne savait pas trop Winnie, avait peut-être aussi un peu peur des remarques qui en découleraient, que ça aille dans le sens des théories de deux-trois crétins qui affirmaient que les vélanes, c'était juste bon à ça.

Il opta pour la tenue la plus passe-partout, capuche de son sweat rabattu sur le visage, main dans les poches, tête baissée, dos pas droit, posture parfaite de l'ado renfrogné et hop, route tracée jusqu'à l'Allée des Embrumes qui lui donnait vraiment froid dans le dos. Winston rasait les murs, craignait le débarquement des autorités pour une raison X ou Y puis de se faire rafler au passage. Ca allait qu'il avait échappé au tatouage sur le visage et que son sang était dilué à soixante-quinze pourcents. Au premier coup d'œil, on ne lui trouvait rien de particulier à Winston, juste qu'il était joli garçon, juste qu'il était en cavale depuis des années. Alors il pressa le pas jusqu'au lupanar, entra, demanda la blonde un peu rougissant, bafouillant que les blondes, c'était son truc, comprit qu'il allait avoir des problèmes quand on lui dit qu'il fallait payer avant. Merde, il n'avait pas pensé à ça, obnubilé par le fait que c'était ultra-gênant de devoir rendre visite à sa sœur en se faisant passer pour un client.

Heureusement que les aînées ont un sixième sens pour sortir les petits frères de la mouise. Winston, il lutta pour ne pas avoir le sourire jusqu'aux oreilles en voyant Esme. Des lustres qu'ils ne s'étaient pas croisés après tout, un peu plus et le son de sa voix s'effaçait de la mémoire du garçon, comme celui de leurs parents. Cœur qui manqua un battement, pensée vers l'autre voix familiale qui lui manquait. "Je suis venu te voir..." Pour dire adieu, on ne savait jamais après tout. "C'est que ça commençait à faire longtemps" qu'il dit à voix basse, regard insistant à Esme pour qu'elle les amène ailleurs, loin des regards où les gens pourraient commencer à relever les ressemblances. "Tu vas bien ?" Lui, il était un peu (beaucoup) stressé mais bon, il faisait avec et les cernes lui donnaient des airs de jeune premier mystérieux.

Elle a aucune idée de ce qu'il fait là Winston, n'est même pas sûre qu'elle a envie de le savoir d'ailleurs et aurait peut-être préférée qu'au moins, il lui envoie une lettre plutôt que de passer au Filet du Diable directement, dernier endroit où elle avait envie de le croiser, parce que y a quand même cette partie d'elle qui a toujours honte de bosser ici. Pourtant, il est là maintenant, et en plus de ça, il est en train de s'attirer les foudres du vigile à l'entrée donc c'est Esme qui se retrouve à devoir régler tout ça, disant qu'elle s'en occupe. Franchement, ça aurait été plus simple qu'ils se retrouvent à un autre endroit. « Je suis venu te voir... » Elle se retient fort de ne pas le prendre dans ses bras, parce que quand même, c'est son frère puis ce serait mentir que de dire qu'elle n'était pas contente de voir son visage qu'elle oubliait presque tellement les deux ne se voyaient que très peu. « Oui bah t'aurais pu me prévenir avant... » Qu'elle lui répond, bras croisés, air pas super content quand elle l'observe parce qu'elle risque pas de montrer à cet idiot qu'elle est heureuse de le voir puis qu'en plus, y a toujours le vigile à côté puis d'autres gens autour. Il vaut mieux pas rester là pour discuter. « C'est que ça commençait à faire longtemps » Elle ne pourrait pas dire le contraire, depuis qu'elle avait appris la disparition de sa sœur, elle évitait un maximum Winnie, que ce soit par écrit ou en vrai (déjà qu'avant elle ne le croisait pas souvent non plus). Sûrement par peur de craquer et de prendre la mauvaise décision puis de suivre le garçon à l'Ordre pour retrouver leur sœur. Après un regard jeté en direction du vigile qui semble s'impatienter et qui veut sûrement faire partir Winston, elle attrape le bras de ce dernier et le tire avec elle vers l'extérieur comme ça ils seront (à peu près) tranquille pour discuter. Puis, il faisait nuit donc cela voulait dire qu'il y avait moins de risques pour que quelqu'un reconnaisse le visage du garçon comme étant un fugitif. « Tu vas bien ? » Elle comprend pas que le gars puisse venir ici tranquille et discuter avec elle comme si tout allait bien alors qu'il est censé rester caché parce que c'est quand même un fugitif qui fait partie de l'Ordre du Phénix, aka la raison pour laquelle il y a une guerre en cours dans le monde sorcier. « Oui, ça va. » Le ton est super sec. « Mais Winston, t'es au courant que c'est dangereux pour toi de venir ici ? Si quelqu'un te reconnaît... » Elle préfère pas imaginer, se voit pas se retrouver complètement seule sans plus aucune famille. « Et toi, tu vas bien ? Pourquoi t'es venu ? T'as des nouvelles de Perry ? » Elle enchaîne les questions avec l'air inquiète maintenant, regard planté sur Winston parce qu'elle se rend compte qu'elle l'a vraiment pas vu depuis la nuit des temps, et que là elle se retrouve face à lui comme ça sans même en savoir la raison. Parce que y en a forcément une de raison, c'est pas juste pour la voir qu'il est là.

cw. mention de prostitution

Prévenir ? Mais quelle idée nulle, ça aurait gâché l'effet de surprise de la venue on fleek du plus beau petit frère du monde. Esme n'y connaissait rien dans l'art de soigner ses entrées, ni d'avoir l'air avenant. Winston élargit son sourire juste par contradiction. Des mois sans se voir et il aimerait autant ne pas passer l'entrevue à tirer une tronche de six pieds de long parce qu'il ne s'était pas annoncé. Quelle rabat-joie cette Esme, ohlala, quand il pourrait raconter ça à Perry... Même qu'on le tirait dehors au lieu de l'inviter dans sa chambre. Quoique ça aurait été glauque de monter dans la chambre de sa sœur vu sa profession... Et le sourire se fana un peu quand les remontrances commencèrent, il leva les yeux au ciel, ostensiblement. "Ne t'inquiète pas, tout va bien." Il avait l'habitude de faire attention, il n'avait jamais pu se balader autrement que sur ses gardes depuis qu'il avait quitté sa putain d'école-prison alors parfois, il aimerait qu'on arrête de le prendre pour un gosse à lui rabâcher qu'il fallait s'inquiéter. Cela ne servait à rien. A part à faire grimper son niveau d'anxiété. "De toute façon, on ne se ressemble pas, je suis beaucoup plus beau" qu'il fanfaronna avant de lancer un regard empli de jugement au ciel assombri de Londres où ne brillait aucune étoile. Au moins, à Sweet River, il n'y avait pas de pollution, juste des champs à perte de vue, de quoi ravir les allergiques. Il s'imagina quelques secondes sa sœur là-bas, se dit que ça aurait été quand même compliqué pour Esme, mais peut-être moins compliqué que prostituée. D'ailleurs, Winston ne comprenait pas - pas du tout - ce choix. Parce qu'ok, tout le monde n'avait pas les épaules pour se faire résistant mais de là à coucher avec l'ennemi... Il ne fit aucun commentaire, préférant recoiffer - inutilement car les mèches tombaient toujours parfaitement - ses cheveux avant de répondre. "Ca va, comme d'hab !" Avec les heures de sommeil en moins et l'angoisse qui lui tordait le ventre. Et il ne savait pas quoi répondre à la suite parce que des nouvelles de Perry, il n'en avait pas, juste des espoirs et sa sœur lui avait déjà dit que tout cela n'était qu'une perte de temps. D'ailleurs, c'était presque étonnant qu'elle lui parle de Perdita. "Et je te l'ai déjà dit voyons" - sourire de mec chiant qui veut bien répéter pour les vieilles uniquement parce qu'il était cool - "je suis venu pour te voir. Parce que j'sais que je te manquais ho-rri-ble-ment." Ou pas, du moins Esme n'était pas du genre à le montrer. Et lui, c'était peut-être la dernière fois qu'il la voyait, qu'ils se voyaient tout court. Et il avait peur Winston, entre deux risettes, son air fanfaron et une blague nulle. "Tu racontes quoi ? Ca se passe bien ?" demanda-t-il, priant pour qu'elle ne lui serve quand même pas trop de détails. Cela n'aurait pas été sa sœur qu'il se serait risqué à demander les anecdotes drôles.