"I don’t want to upset anyone… usually I’m good at it; but since I’m here, it seems that I’m in over my head… or that I can’t go in other people’s heads that easily anymore…" Je relève les yeux vers Serena, vers son épaule un peu dénudée par son t-shirt trop grand, sa bouche qui fait si artistiquement la moue et ses longs cheveux décolorés qui frisent dans tous les sens. Je crois que je sais qu'elle n'est pas Legilimens ou une autre saveur de liseuse d'esprts. Non, il y a des gens qui sont dans la tête des gens juste parce qu'ils les comprennent et qu'ils savent quoi dire, et quand, pour se faire comprendre et pour faire comprendre aux gens ce qu'ils attendent d'eux.

Moi, je suis nul pour ça. Je ne sais jamais ce que veulent dire les gens ou ce qu'ils veulent ou ce qu'ils attendent ou ce dont ils ont envie. J'aimerais bien, enfin je crois, ça m'épargnerait beaucoup de déceptions et de tristesses et de crises et je pense que ça aurait rendu les vies de ma mère et de mes adelphes plus faciles.
J'aimerais tellement, tellement, tellement être différent. C'est un combat perdu d'avance, mais c'est bien d'en rêver parfois.

Je regarde Serena hésiter, rentrer sans oser, choisir ses mots. Ça doit lui faire bizarre. Elle a toujours la vibe de quelqu'un qui ne se pose jamais de question... "It's okay," je décide de dire, une phrase aussi vide de sens que d'émotion, pour lui dire qu'on peut passer à autre chose. Et que ça va aller. It'll be okay in the end; if it's not okay, then it's not the end. It'll be okay in the end; if it's not okay, then it's not the end. It'll be okay in the end; if it's not okay, then it's not the end...

"Your room looks nice and cosy; mind if I take a look?" J'arrête mon mantra mental, mes mains continuant de caresser mécaniquement Mendo qui ronronne sur mes genoux. "I won’t touch anything, I promise. - Hm..." je lui jette un regard un peu suspicieux. "Okay. You can touch, but don't break anything."

Je garde les yeux sur elle alors qu'elle progresse lentement à travers la pièce. Elle regarde mes bibelots et mes vinyles et mes posters et mes plantes et mes meubles récupérés dans la rue et mes livres et mes bijoux et mes BDs et mes vêtements. Je la laisse faire en caressant Mendo, ne détournant jamais mon regard, jusqu'à ce qu'elle arrive à ma basse sur son présentoir. "You're very curious," je dis lentement. Ce serait trop simple de croire que Serena ne s'intéresse qu'à elle. Est-ce que c'est comme ça qu'elle entre dans la tête des gens? En s'intéressant à eux?

Est-ce que je l'intéresse? La question me chatouille agréablement les entrailles. "Did you end up eating anything? Are you not hungry?" je lui demande en détournant enfin mon regard d'elle pour embrasser le visage de Mendo tendu vers moi, mes doigts continuant de lui masser la fourrure. "You should eat more."

"Okay. You can touch, but don't break anything." Serena tourne la tête vers lui, dans un geste si calculé et si charmant, ses boucles s’écrasant dans son dos comme des vagues. "Oh baby, I only break hearts… Elle prend la pause quelques secondes avant de se remettre en mouvement. No, I’m kidding, is she, though? It’s from a song of an artist I did a collab with…"
Elle ne touche à rien donc, parce qu’elle sent le regard de Caliban sur elle. Elle a des mouvements un peu comme des vagues où elle fait semblant d’effleurer des objets ou des vêtements sans jamais vraiment les toucher, parce que mine de rien, la pression du don’t break anything fige les petits cheveux dans le bas de sa nuque.

"You're very curious. - Only because you’re very interesting." Serena n’était pas si curieuse que ça. Elle n’en avait pas besoin de l’être, parce que ses tatouages et l’alignement de sa planète lui permettait de savoir quoi ressentir sans avoir à faire le moindre effort. Au mieux, elle pliait même les émotions des gens à sa propre humeur.
Autant dire qu’elle n’y était jamais parvenue avec Caliban, pour le peu de fois qu’elle avait essayé (ou peut-être que si, peut-être qu’il s’était emporté parce qu’elle-même ne se sentait pas très bien). Serena n’était pas habituée aux échecs, alors quand elle y faisait face, elle pliait très vite bagages pour aller voir si l’herbe n’était pas plus verte et plus facile d’accès ailleurs.
Néanmoins, cette fois-ci, elle n’avait pas pour autant cessé de graviter autour de lui, lévitant en silence, enfin, un silence à sa manière, as in, I’m talking to everyone else in the room but you.  

Arrivée de la basse, sa bouche forme un rond impressionné. "That’s so rad!" Elle se retient de lui demander s’il sait comment en jouer parce qu’elle le voit de là pencher un peu la tête sur le côté, ses dreads brossant son épaule: "why would I keep a bass in my room if I don’t know how to play?". Ce à quoi Serena n’aurait pas osé répondre qu’aux Etats-Unis, elle avait tendance à entasser tout un tas d’instruments et autres skates bricolés et décorés sur mesure à son image, juste parce que c’était stylé. Loin d’elle l’idée de pratiquer un instrument de musique, si ce n’est pour cette fois où elle avait passé une semaine en festival, et que son compagnon de l’époque (rencontré dans ce même festival d’ailleurs) lui avait appris Wonderwall à la guitare (c’était une excuse pour se mettre entre lui et la guitare quand il lui donnait des leçons, écourtées généralement par leurs baises insupportables) (elle détestait quand il jouait de la guitare, c’était d’un ennui!!) (à y réfléchir, elle se demande si ça n’était pas une basse aussi???).
C’était d’ailleurs pour cette raison qu’elle avait simplement dit that’s so rad, afin que Mendo ne l’accuse pas de mentir; la basse était vraiment stylée, et elle l’aurait bien vue sur le mur de son salon, comme un trophée.

"Did you end up eating anything? Are you not hungry?" Un silence; son index descend le long de l’épaisse corde de l’instrument; elle ne trouve pas ça agréable, et se demande à quel point Caliban s’est abimé les ongles à trop jouer. "It’s fine, I’ll snack on something in the morning. - You should eat more. Elle hausse ses épaules nues. I need to try my outfit for my next role in two days, I’ll eat once it’s done." Son rôle, c’était celui du background character dans la série sur la BPM ; et, le costume en question, elle ne le savait pas encore, mais il s’agissait d’une simple chemise blanche qui puait des restes de transpiration à force d’être portée, et un harnais en carton, pour faire office d’uniforme.
"I would like to ask you to play me something but I’m afraid it will wake up your roomies…" Elle se résigne, se détourne de la basse et vient s’asseoir sur le lit de Caliban. "You should try to get some sleep," qu’elle rétorque, sans pour autant bouger de sa place, le regardant dans les yeux, pour la première fois depuis longtemps.