Elle revenait de chez un collectionneur installé au fin fond du pays, celui-ci ayant ramené chez lui une pièce achetée une petite fortune et dont la signature aurait fait baver plus d’un amateur. Pilar avait eu le regret d’informer son acheteur qu’il s’agissait d’un faux, de qualité certes, mais un faux. Pas même le plus habile des faussaires n’aurait pu tromper son œil habile, d’autant plus quand elle avait rouvert des livres avant de venir expertiser l’œuvre afin de rendre un jugement complètement fiable.

Elle transplana au bout de sa rue, la distance qui la séparait de sa résidence privée fut avalée par le claquement de ses talons qui ne réussissait pourtant pas à lui faire ignorer les présences autour d’elle. Elle balaya les alentours du regard, notant les silhouettes en uniforme dans l’ombre, il y en avait beaucoup, ça ressemblait à une intervention et l’idée que ça se déroule au pied de chez elle la mettait mal à l’aise. Il y eut un éclat vert et rouge à quelques blocs de là, Pilar fronça les sourcils (de loin, quand ça perçait les ténèbres, ça ressemblait à un début de feu d’artifice – elle n’aimait pas les feux d’artifice) et suivit des yeux les ombres qui se précipitèrent vers la lumière tout en accélérant le pas jusqu’à chez elle. D’un tour de baguette, elle déverrouilla la porte et s’engouffra dans le hall en allumant les bougies qui éclairaient les lieux ; elle sursauta en constatant qu’elle n’était pas seule. « ¡Dios mío! » Sa baguette légèrement prompt à la nervosité émit une gerbe d’étincelles digne d’un lashlabask de première année mais qui aurait bien roussi les moustaches d’un chat. Par chance le sort se ficha dans un mur. « Mais qu’est-ce que vous faites dans le noir ?! » demanda-t-elle, une main sur son cœur qui s’était emballé sous la surprise. Qui était-il, le petit fils de la vieille dame du troisième ? Mais qu’est-ce qu’il attendait là, les lumières éteintes ? « C’est une résidence privée ici, à moins que vous ne soyez là pour madame Goldberg ? Elle est au troisième étage, » reprit-elle. Sa baguette toujours pointée sur le garçon n’avait pas bougé depuis qu’elle l’avait remarqué comme un fantôme dans son hall d’entré, puis soudain, elle se dit que c’était peut-être un livreur, et peut-être que lui aussi était mal à l’aise à l’idée de traîner dehors quand les flics rôdaient pour une raison quelconque (probablement un résistant trop peu discret, elle ne donnait pas cher de la peau du malheureux). Peu importait, elle allait vérifier qu’il quittait bien les lieux au cas où il compterait s’en prendre à la pauvre madame Goldberg (elle s’en voulait un peu d’avoir donné son adresse) puis rentrer chez elle ; c’était l’heure de la pâtée de Precious et Candela, il fallait aussi qu’elle sorte Nana de son vivarium si elle ne voulait pas qu’il se cache dans un endroit que lui seul connaissait pour la nuit.

tw. agression

Il avait la gorge douloureuse d'avoir trop couru et chaque respiration - trop rapide - ravivait l'impression de brûlure. Garçon ravala un sanglot, remit assez inutilement de l'ordre dans ses cheveux - rien que ça l'avait trahi - et entreprit de se calmer. Inutile ça aussi, ses mains tremblaient toujours autant et les larmes n'étaient vraiment pas loin. Il avait peur aussi, ça le prenait aux tripes et il ne s'imaginait que trop bien allongé sur le béton, le regard fixe et un peu vide, la VB autour, comme ses parents avant lui. P'tain, p'tain, p'tain... Et maintenant, des bruits de pas, la porte qui s'ouvrit, le hall qui s'éclaira sur une sorcière, pile face à Winston aux yeux humides, aux vêtements crades parce qu'il était tombé, qu'on l'avait fait tombé, qu'on avait essayé de lui faire bien pire. Parce que les hommes, ça ne devait pas être aussi joli, ça ne devait pas faire tourner la tête des autres mecs comme ça. Et Winston, il avait vu le trouble, il en avait joué en décochant le sourire charmeur, ce qu'il n'avait pas vu arriver par contre, c'était la déferlante de haine. Insultes, maléfices, un coup de poing en bonus, il n'avait jamais couru aussi vite parce que de toute façon répliquer n'aurait servi à rien. Ils étaient quatre en face de lui, ils avaient même appelé la VB pour nettoyer l'Angleterre des hybrides de son genre. Ils avaient d'ailleurs craché le mot comme si c'était la chose la plus immonde du monde.

Alors il était là, avec son air de chiot maltraité et ses cheveux nickel, à contempler la sorcière, manquant de hurler quand il vit un éclair sortir de sa baguette. "Je, je..." réussit-il à bégayer avant que la sorcière ne reprenne. Troisième étage, madame Goldberg, cool cool cool. Et la brune n'avait pas l'air cool avec sa baguette qui le visait encore. Winston trembla de plus belle, songea qu'il faudrait qu'il se dépêche de devenir un résistant badass parce que pour l'instant il n'avait que la tchatche et la gueule du jeune premier (à crever). "Ils sont partis ?" finit-il par demander, de sa plus belle expression de gamin triste qui apitoyait les gens presque à coup sûr. Et là, il espérait vraiment vraiment que la brune n'ait pas vendu son âme au gouvernement parce que sinon, il était totalement mort.

Elle n’était pas les services sociaux Pilar, ni guide touristique, ni flic, elle allait donc rentrer chez elle parce qu’un gamin caché dans son hall d’entrée, ce n’était pas son soucis. Ou pas, elle avait failli le défigurer avec une gerbe d’étincelles non-voulues et il la regardait avec de grands yeux de chien battu. Pilar le dévisagea des pieds à la tête, nota les vêtements tâchés de … l’eau sale du caniveau de toute évidence. « Je, je... » Très bien, elle commençait à saisir les bails et éventuellement à attraper pitié ¡joder! Il ne fallait pas prendre pitié du premier chien errant venu, ça n’apportait jamais rien de bon, la preuve avec Precious qui était une épine dans le pied quoique la plus mignonne des épines.

« Ils sont partis ? » C’était le coup de grâce, maintenant elle se sentait complètement impliquée et voulait s’assurer que oui, ils étaient bien partis. Elle le fit, lèvres pincées parce qu’elle n’était pas ravie ravie de s’être laissée avoir – et si c’était un criminel recherché ? Et si la BPM venait toquer à sa porte parce qu’elle l’avait aidé ? C’était surtout un gamin qui tremblait devant sa baguette puta madre, elle avait oublié de baisser sa baguette et il devait croire qu’elle allait le fusiller sur place et elle avait un chien de garde si jamais les flics se pointaient. Elle abaissa son arme, jeta un regard en coin à l’inconnu et glissa un œil dans la rue. Aussitôt la porte ouverte, aussitôt la porte fermée, il n’y avait personne, seulement des voix qui se réverbéraient entre les murs des bâtiments. « On dirait bien, répondit-elle, mais ils doivent pas être loin, » elle se retourna vers lui, regard noir alors qu’elle réfléchissait seulement à ce qu’elle faisait maintenant. Le laisser tout seul, c’était bien, c’était safe, mais elle se sentirait mal après à se demander s’il s’en était sorti ou pas alors qu’elle aurait éventuellement pu aider. « C’est toi qu’ils cherchent ? » demanda-t-elle. Elle regarda du côté de la porte, puis vers l’escalier, soupira. « J’habite en haut, si tu veux venir boire un café en attendant, » lâcha-t-elle finalement sur un ton complètement détaché – c’était rien, elle invitait seulement un type recherché par les flics chez elle, la routine – avant de gravir les escaliers jusqu’au premier étage où elle habitait. Elle ouvrit la porte, vit passer entre ses pieds son spitz qui aboya de sa voix aigue pour l’accueillir. « Cállate Preciosa, tenemos un invitado, » elle poussa la chienne à l’intérieur du bout de sa chaussure et jeta un œil derrière elle pour vérifier s’il l’avait suivi. Elle se demandait toujours quelle idée lui avait encore traversé l’esprit.

Il tremblotait encore, regrettant plus que jamais sa sortie sous le regard de la brune à l'air peu commode. Merlin, elle ne pouvait quand même pas le dénoncer, hein ? Peut-être que maintenant, ils donnaient des primes de capture pour achever le côté bêtes traquées de ceux qui avaient pris le large ? Winston, il retenait son souffle depuis le début de la conversation ou presque, yeux posés sur la baguette résolument plantée vers lui alors que la sienne était sagement pointée vers le sol. Fuck, il avait zéro chance. Et il manqua de pleurer de soulagement quand l'inconnue annonça qu'ils étaient partis, baissant son arme de surcroit. Ok, elle avait toujours le regard effrayant mais au moins, elle ne semblait pas lui vouloir trop de mal. "Merci" souffla-t-il d'une petite voix, se disant que les sorts anti-transplanage de fuite spécialement créé pour son cas ne devaient pas être encore levés mais qu'au moins, il ne les avait plus totalement à ses trousses. Légère grimace à la question suivante, il hocha la tête un peu comme un gamin pris en faute. "Oui... Mais j'ai rien fait" ajouta-t-il précipitamment, pour pas qu'elle pense qu'il était un assassin ou quoi sous ses airs de chiots mouillés. Ca ne devait même pas avoir effleuré l'esprit de la sorcière vu qu'il décrocha directement une invitation pour le café. Trop fort le Winston, amadoueur professionnel d'individus revêches au premier abord. Il sourit pour la première fois, expression encore un peu ternie par la peur qui ne lui vaudrait donc aucun prix du sourire le plus charmeur. C'était partie remise, garçon prit les escaliers derrière la brune, espérant un peu naïvement que rien n'allait lui arriver. Se trompa, évidemment, parce qu'il se fit sauter dessus par un mini-machin qui ne lui arrivait pas aux genoux. Il se baissa vers le chien pour lui faire un pat-pat avant de regarder sa propriétaire. "Preciosa, c'est ça ? Elle est super mignonne !" Nouveau sourire, Winston, il avait grave des skills avec les petits chiens qu'on trouvait d'habitude à la botte des vieilles, c'était ses années à gratter des bonbons à de parfaites inconnues qui lui valaient ça. "Merci hein, pour l'invitation puis pour pas m'avoir dénoncé... J'm'appelle Winston." Et il était un peu mal à l'aise, planté dans l'entrée de l'appartement d'une parfaite inconnue, la mine défaite. Encore heureux que la chienne ne l'avait pas grogné.
 

Il y avait un chat errant dans son hall et il grelotait comme s’il avait pris la pluie, évidemment, Pilar avait envie de l’adopter, le problème était qu’il avait la police sur le dos et que la brune ne tenait pas vraiment à tremper dans plus d’affaires louches que celles de l’Angelus.

- Oui... Mais j'ai rien fait.

Mais voilà il la prenait pas les sentiments et Pilar avait beau faire la tough girl, elle n’aimait pas laisser les gens dans leurs problèmes. Elle répondit au sourire du gamin par un sourire un peu crispé, le jaugea une dernière fois du regard au cas où elle aurait raté un détail majeur prouvant qu’il était un fou furieux recherché pour attentat à la bombe, mais rien, elle ne voyait qu’un gosse effrayé.

Arrivée à son étage, elle coula un regard en arrière pour s’assurer de la présence du petit délinquant, jeta un œil à Precious pour vérifier qu’elle ne commettait pas un meurtre d’invité et fut rassurée par l’absence de grognements et de hurlement. Très bien, sa chienne s’était enfin fait un ami, c’était bon signe, si Precious aimait quelqu’un, la personne devait forcément être quelqu’un de bien.

- Preciosa, c'est ça ? Elle est super mignonne

Pilar hocha la tête et esquissa un léger sourire. Pour une fois que sa chienne n’était pas qualifiée de monstre ou de démon. Elle posa ses escarpins, perdit couci couça sept centimètres de hauteur, et accrocha sa veste au porte-manteau.

- C'est ça. C’est rare qu’elle soit gentille avec quelqu’un, commenta-t-elle. Tu peux poser ta veste ici, ajouta-t-elle en désignant les porte-manteaux de l’entrée.

Pilar fit le tour de l’appartement pour ouvrir la cage (comprendre : l’aire de jeu de Candela le furet), passa devant le vivarium de Nana pour constater que l’iguane était déjà sorti. Classique.

- Merci hein, pour l'invitation puis pour pas m'avoir dénoncé... J'm'appelle Winston.

- Y’a pas de quoi, affirma-t-elle en passant dans la cuisine ouverte tout en observant d’un œil discret le garçon dans l’entrée. Tu peux entrer hein, fais juste attention à l’iguane.

Pilar attrapa sa boule cristal, swipa à la recherche d’un restaurant attractif.

- Je vais commander à manger, tu veux quelque chose ? demanda-t-elle en s'accoudant au bar.

Restaurant italien, elle lorgna les pâtes avant de faire signe à Winston d'approcher. Elle lui tendit la cristal pour lui laissa le choix de son menu et se tourna vers ses placards.

- Tu veux quelque chose à boire ? J'ai du sirop ou du jus de fruits, reprit-elle en sortant deux verres.

Elle jeta au passage un gâteau pour chien droit entre les crocs de Precious et découvrit l'iguane dans le pot de la plante verte du bar.