► Uno a Te a Me Il y a un doux fumet de sauce tomate qui embaume la pièce quand tu entres dans la cuisine. On peut entendre la radio qui grésille un classique italien sur lequel ta mamma se dandine en fredonnant. Tu la vois lécher goulument la spatule en bois puis la remettre dans la marmite pour continuer sa préparation. Elle entame ensuite de se lécher tous les doigts sur lesquels s'étaient logés quelques résidus de tomates, tout en dansant sans jamais s'arrêter. Il y a une forme de candeur que tu retrouves chez ta mère, un air d'insouciance dans ses gestes et son sourire, quelque chose de réconfortant dans ses manières et ses courbes. Absorbée par son plat, l'un des rares qu'elle ne relègue pas à Fernando, elle ne remarque pas ton arrivée, alors tu te contentes de l'observer avec un petit sourire sur les lèvres. Ta mère est si exubérante, si têtue... Et surtout si étouffante avec toi et Paula. Si bien que la plupart du temps, tu ne la supportes pas. Mais dans ces moments-là, quand elle n'est pas là pour te rappeler que tu n'es toujours pas mariée à l'âge de dix-huit ans, quand elle n'essaye pas de contrôler toute ton existence par amour et à coups de chantage émotionnel, tu te rappelles à quel point elle est drôle et pleine de vie. A quel point elle est un soleil dans votre maison et à quel point tu l'aimes, malgré tout.

“ Dolcezza ! Je ne t'avais pas vue. ” Tu souris, amusée par l'air surpris de la mamma, puis tu vas l'embrasser sur la joue. “ Mwah ! ” Elle se replonge dans sa cuisine. “ Où étais-tu ? Est-ce que tu reviens de chez Aleeeessio ? ” Elle insiste bien sur le prénom, le roucoule presque en remuant des épaules. Tu secoues la tête d'un air exaspéré. Y a vraiment que ça qui l'intéresse. “ Ma ! Arrête avec Alessio, il se passe rien entre lui et moi. ” L'air vaguement vexée, Sylvia poursuit. “ Excuse-moi de m'intéresser à ta vie, bambina. C'est pas comme si tu me ramenais souvent des ragazzi à la maison. ” Tu lèves les yeux au ciel en allant te chercher un verre de jus de pêche, mais tu dis rien car tu finis par avoir l'habitude - mieux vaut ne pas rentrer dans son jeu. “ C'est que je commence à m'inquiéter moi tu sais. ” Elle remue un peu trop vite sa sauce tomate. “ Je ne sais pas pourquoi ma fille, elle me ramène pas plein de beaux mecs à la maison. Tu es si belle je comprends pas... Peut-être que si tu arrêtais de mettre des baskets moches, les garçons finiraient par te remarquer. C'est très sexy le bruit des talons, tu sais ? ” Nouveau geste d'exaspération que tu peines cette fois à dissimuler. Tu tentes de te faufiler derrière elle, ton verre à la main, avant de sortir de la cuisine, mais elle t'intercepte. “ Regarde-moi ces sourcils là... ” Elle se lèche le pouce avant de te coiffer les sourcils avec. “ Bambina... ” Elle aussi a l'air exaspéré. “ Je vais aller travailler. ” Sylvia lève les mains au ciel. “ Travailler, travailler, y a pas que le travail..., marmonne-t-elle, tout en te laissant partir et en retournant à sa sauce tomate. ” C'est juste que t'as pas la même vision de la réussite qu'elle, et que tu comptes pas dépendre de ton mari pour vivre.

En dépit de vos disputes, ta mamma, ça reste ta mamma. Même si vous n'avez pas le même sang, Sylvia t'a toujours traitée comme elle traite Paula, sans aucune distinction. Rien que pour ça, tu dois l'aimer, même si ça veut dire qu'elle est aussi chiante avec toi qu'avec ta sœur.


► Puro Teatro Vêtu de son costard à carreaux et de sa chemise à double encolure, ton père regarde par la fenêtre d'un air inquiet. Seule sa tête, qui tique légèrement dans ta direction avant de se figer à nouveau vers l'extérieur, indique qu'il a réalisé ta présence. “ Padre, tu as l'air inquiet. ” Sa bouche fait une moue étrange, comme à chaque fois que le souci le ronge, et il claque doucement la langue contre son palet d'un air agacé avant de se retourner vers toi, un sourire qui se veut rassurant accroché aux lippes. “ Mi hija ! Tout va bien. Ce sont les affaires, tu sais. ” Tu fronces légèrement les sourcils en te rapprochant du bureau en cèdre massif qui trône dans la pièce. “ Quelque chose ne va pas ? ” Il fait une nouvelle moue. “ Non, non, tout va bien... Je dirais même que tout va très bien. ” Il se rapproche lui aussi du bureau et passe sa main sur le buste fier de Jules César, gravé dans le marbre et orné de dorures, qui se tient à sa droite. “ Je crois que j'ai trouvé un moyen de se faire de l'argent. Beaucoup d'argent. ” Tu restes interdite quelques secondes avant de laisser échapper un rire. “ Et c'est pour ça que tu fais cette tête ? Parce que tu vas avoir de l'argent ? ” Il sourit, probablement attendri par cette naïveté que t'as - du moins que t'avais à l'époque - face à ses affaires. “ C'est qu'il y a un prix à payer. Je ne sais pas comment ta mamma va le vivre. ” Toujours amusée, tu rétorques : “ Tu sais bien que tant qu'il y a de l'argent, mamma est contente. ” Tu rompts les quelques centimètres qui te séparaient toujours de ton père et tu le prends dans les bras, avec cette chaleur naturelle qu'ont les gens du sud. “ Ne t'en fais pas padre. Quoi qu'il arrive, on sera toujours là. La famiglia avant tout. ”


► Pezzettini di Bikini Un soleil brûlant caresse vos peaux bronzées par des semaines d'exercice. Des lunettes bien trop grandes sur le nez, les bras croisés derrière la tête, tu vies la dolce vita avec ta sœur Paula. C'est comme si tous les soucis du monde ne pouvaient pas vous atteindre. Voilà des jours que vous enchaînez les soirées à danser sur de la pop italienne ou internationale. Des jours que vous oubliez toute responsabilité pour le plaisir d'être là, de vivre en toute insouciance. Demain... Demain est un autre jour. Un jour où vous devrez quitter la Sicile pour l'austérité britannique. Il paraît qu'il y a de l'argent à se faire, là-bas, du moins ton père en est persuadé. Alors, comme vous avez toutes les deux terminé vos études, plus rien ne vous rattache à l'Italie. Rien si ce n'est toute votre vie, vos amis, vos souvenirs. Mais ça, ça passe après les affaires du padre. On ne va pas dire que vous aillez bien accueilli la nouvelle, sur le coup. En particulier Paula, qui vivait une romance torride avec un certain Lorenzo, et qui se vit contrainte de rompre avec lui. S'en suivit une semaine de pleurs et de crises d'hystérie, de grève de la faim et de regards noirs, jusqu'à ce que tu décides d'intervenir et de lui changer les idées. Alors certes, c'est triste, elle a dû se séparer de Lorenzo. Mais déjà, Lorenzo a été vu aux bras d'une autre femme, une blondasse décolorée sur qui tu ne t'es pas gênée de bitcher. Mais qui dit plus de Lorenzo, dit que Paula est célibataire et prête à sortir. Alors c'est ce que vous avez fait, pendant des jours. Les parents sont mal placés pour vous reprocher quoi que ce soit, puisque c'est à cause d'eux que vous en êtes là. Alors vous en profitez.

“ Regarde celui-là. ” “ Mamma mia, bello. ” Ton regard parcourt le corps humide d'un beau brun tatoué, à la musculature mise en avant par l'eau qui dégringole depuis ses épaules tandis qu'il sort de l'eau. “ On va lui parler ? ” Tu lâches un rire, vaguement mal à l'aise. “ Vas-y toi. C'est toi qui doit te changer les idées. ” “ Andiamo, Pia ! J'y vais que si tu viens avec moi ! C'est pas drôle sinon. ” Tu jettes un regard à ta sœur. T'as jamais été une grande croqueuse d'homme, pourtant c'est pas faute d'avoir été élevée par ta mère. Alors ce genre de situation te met mal à l'aise. T'es une grande gueule mais dès qu'il faut agir, il n'y a plus personne pour ce genre de choses. Mais Paula te regarde avec insistance et cette moue de biche, alors tu soupires et te redresses. “ Okay, okay. ” Elle saute littéralement de joie et te prend dans ses bras avant de se relever d'une traite. “ Attenti, t'as le string qui disparaît tellement que c'est comme s'il était pas là. ” Elle regarde son bas de bikini, beaucoup trop fin, comme le tient. Si fins qu'ils laissent apparaître les tatouages assortis que vous vous êtes fait faire dans le bas du dos. “ C'est fait exprès non ? ” Tu rigoles et lui tapes doucement la fesse avant de te diriger vers le bellâtre avec qui Paula flirtera sûrement pendant toute la soirée.


► Borsello Un gros rap italien te parvient depuis ta chambre. Tu arques un sourcil et tournes la tête vers la porte. Tes parents sont sortis, Paula aussi. Et comme tu t'ennuies mortellement depuis que vous êtes arrivés en Angleterre, tu décides de sortir aller voir de quoi il s'agit. Tu descends les escaliers et suit la musique qui devient de plus en plus forte. Et puis tu vois Fernando en train de passer le balais, ou plutôt de se servir de sa balayette comme d'un micro tout en dansant un hip hop approximatif. Une casquette à l'envers, une boucle en or à l'oreille, Fernando s'ambiance comme s'il n'y avait personne autour de lui. C'est qu'il en était persuadé jusqu'à... “ La puta madre Pia ! ” Remarquant enfin ta présence et ton grand sourire narquois, Fernando se tient le cœur avec cet air toujours dramatique qui le caractérise. Il reprend son souffle en éteignant la musique d'un coup de baguette. “ C'est comme ça que tu fais le ménage ? ” “ Bah faut bien s'amuser señorita. Sinon la vie est bien triste. ” Tu souris. “ T'as bien raison. ” Tu descends les quelques marches qui te restaient et rejoins l'homme à tout faire de la maison. “ J'en ai bien besoin en plus en ce moment, de m'amuser. ” “ Ah ? Qué pasa ? ” Fernando a toujours été comme un grand frère pour toi. Le seul un peu censé dans cette maison, avec son cynisme et sa joie de vivre. “ La Sicile me manque... Puis j'sais pas trop quoi faire de ma vie. Mamma arrête pas de vouloir me trouver un mari mais ils sont tous chiants. Et je sais pas dans quoi traine papá mais ça a pas l'air d'aller fort. Bref... J'ai besoin d'un peu de fun. ” Fernando te sort un large sourire et ouvre bien grand ses bras. “ T'es venue au bon endroit amor ! ” Et d'un nouveau geste de sa baguette, il rallume la musique et se met à danser collé-serré avec toi. Et pour la première fois depuis que vous êtes arrivés en Angleterre, tu laisses échapper un rire si franc, si naturel, et tu te sens si bien. Tu oublies tout et tu profites du moment. Et toi aussi tu utilises le plumeau comme un micro en te déhanchant comme tu peux. Et la vie est belle.

► Sara perche ti amo Sylvia avait réussi. C'était presque mission impossible, du moins elle s'en était persuadée. Mais te voilà en robe blanche avec un bouquet dans une main et un mari dans l'autre. Il te faisait pas peur, à l'époque, le Crocodile. Tu le trouvais même charmant. Il avait ce petit plus, ce sourire à fossettes qui camouflait ses dents longues, ce regard un peu profond dans lequel tu aurais dû lire la suite de votre histoire... Il avait les mots, un bagou qui t'hypnotisait. Tu pouvais pas imaginer, à l'époque, que l'anneau qui t'entourait à présent l'annulaire n'était qu'un serpent sournois qui viendrait bientôt t'étouffer, une corde que tu t'étais volontairement mise autour du cou sans prendre conscience des conséquences.

En attendant, tu souriais beaucoup, parce que tu voyais ta mère si heureuse de te voir avec un bon parti - faut dire qu'avec les derniers revirements politiques, tu t'étais retrouvée en marge de la société et de ta propre famille à cause de cette hybridité maudite. Il avait bien voulu de toi, le Crocodile, il t'avait fait cette faveur qu'il te fera payer ensuite. Mais sur le coup, il était parfait. Beau, gentil et attentionné. Suffisamment éduqué pour plaire à ton père et résister à toutes ses interrogations. Il charmait même ta sœur, et la traitait comme son amie. Ah, le Crocodile avait mangé ton cœur et celui de ta famille.


► Historia de un amor Mais le Crocodile avait un autre visage, que tu ne tardas pas à découvrir. Un sourire carnassier, une manière de te faire culpabiliser. Il rentrait tard le soir, mais trouvait le moyen de dire que c'était ta faute. Il exigeait ton amour alors qu'il sentait le parfum d'une autre. Reléguée aux fourneaux et autres tâches ménagères, gare à toi si tout ne reluisait pas ou si le menu du jour ne lui convenait pas. Effacée, traitée comme une elfe de maison, il se justifiait parfois : “ Pia, my love, what do you wanna do in this world? Hybrids like you, they don't get to live. They're animals. You're lucky I found you. You're lucky to be treated like a princess instead of a dog. ” Une princesse bafouée, une princesse oubliée. Les sourires avaient disparus de tes lippes et ton cœur ne battait plus que pour ta sœur, pour veiller à ce qu'il ne lui arrive pas la même chose. Il avait fini par te convaincre, le Crocodile, que tu n'étais rien sans lui. Que tu n'étais rien tout court. Et que les gens comme toi ne méritaient pas plus qu'une longue vie de repentir.


► La boxeuse amoureuse Et puis un jour, ce fut la fois de trop. Cela faisait bien cinq ans que tu t'étais enlisée dans cette relation, perdue dans les mots perfides de ce sorcier qu'on avait mis sur ton chemin. “ What is that ?, il demande en agitant son steak sous tes yeux qui se baissent aussitôt. Is that even edible ? ” Tu sens ton cœur battre un peu plus vite et la peur, habituelle, te tordre l'estomac. Mais tu dis rien, tu veux pas l'énerver. “ Pia, I'm talking to you! I've been working my ass off so that you can wear pretty dresses and have beautiful flowers around the house. And you're not capable of cooking a fucking steak, huh? ” Tu gardes toujours la tête baissée, tu sens la panique monter. “ I'm so so- ” “ Look at me! Look at me when I'm talking to you! ” Immédiatement, tu relèves la tête et croises son regard mauvais. Alors tu te lèves et te précipites sur son assiette, prête à la lui refaire. Mais il la lance à travers la pièce avant que tu ne puisses mettre la main dessus. Tu restes pétrifiée, le regard toujours fixé sur l'endroit où se trouvait l'assiette. “ Sometimes I wonder why I married you... ” Tu relèves la tête, l'implore du regard. “ My love, I'm so sorry... I'll do better- I'll do better next time. ” Mais le Crocodile se lève et il est affamé. De rage, il te pousse à travers le salon et tu t'effondres dans la cuisine. Il n'a jamais été violent, pourtant, il a toujours été doux avec toi. C'est pour ça que cette fois est la fois de trop.

Alors que tu restes recroquevillée à ta place et que ton regard suit le Crocodile alors qu'il sort de la pièce, tu sens déjà une douleur atroce te tordre l'estomac. Rien de ce que tu as pu connaître jusqu'à présent. Tu l'ignores pour cette fois. Mais la douleur se rappellera à toi.


► Joke's on you Ce n'est pas la peur, le plus difficile à vivre. C'est l'amour. Parce que tu l'aimais, le Crocodile. Pas à la manière d'un couple, tu as fini par le découvrir, mais à la manière d'un ami, d'un confident, de quelqu'un qui a compté pour toi. Mais le Crocodile a détruit tout ce que tu avais de plus cher. Il t'a éloigné de ta famille et de tes proches. Et pire encore, il a tué ton enfant. Celui qui n'aurait jamais dû naître de toute façon. Celui dont tu ignorais encore l'existence. Tu sais qu'il n'est pas fier de ce premier et dernier excès de violence. Pourtant ça ne t'a pas empêché d'apprendre à te défendre. Comme mamma le disait, s'il a pu le faire une fois, il pourra le refaire. Et toi tu ne le supporterais pas. Ça n'a que trop duré. Et maintenant tu ouvres enfin les yeux. Tu le vois pour ce qu'il est. Un monstre. Le Crocodile et toi, c'est terminé.

Des mois que tu t'entraînes aux combats au corps-à-corps. C'était tout à la fois un moyen de survivre et une manière de te défouler, de faire ressortir toutes ces émotions enfermées dans tes tripes. Ça t'a fait un bien fou, ça t'a aidé à te reconstruire. C'est qu'il y avait du chemin à faire, des plaies à panser. Et maintenant tu te tiens fière, face à lui, et rien ne peut t'arrêter. “ It's over. ” Le Crocodile te regarde de son air mauvais. Mais au fond de ses yeux, une lueur d'inquiétude. Il a compris que tu ne lui appartenais plus. “ What are you saying, il demande sans ajouter les habituels my love qui aidaient à faire passer ses pires parjures.  You want to leave me... After everything that I've done for you? ” “ I'm not scared of you anymore. ” Tu tentes un pas en avant, le poing serré, la gorge nouée. Il ricane. “ Scared of me? Pia you're nothing without me. ” Il se rapproche à son tour, pose sa lourde main sur ta joue, qu'il caresse avant de saisir fermement ton menton. “ You're nothing without me, il répète, son souffle chaud t'empêchant de respirer. ” Tu soutiens son regard et y déverse toute la haine dont tu es capable. “ You're wrong honey. I'm everything without you. ” Tu agrippes son bras et le retournes comme ta mentor te l'a appris. Surpris, il ne pense pas immédiatement à se défendre, ce qui te laisse le temps de lui donner un coup dans le ventre, pour celui qu'il a assené à votre enfant, puis un coup dans la gueule, pour que la mâchoire du Crocodile reste fermée à jamais.

Ce soir-là, le Crocodile s'en est allé et il n'est plus jamais revenu. Pour la première fois alors, tu as respiré. Cinq ans que l'oxygène avait quitté tes poumons. Pourtant tu sais que votre histoire n'est pas terminée. Parce que le Crocodile est dehors et qu'il est toujours affamé.

► Tengo Un Trato Le local a cette odeur de rance et de transpiration qui te donne à coup sûr le sourire. A chaque fois que tu viens, c'est comme si des ailes te poussaient dans le dos. T'es à la maison, ici, t'es chez toi. Pour la première fois depuis des lustres, tu te sens en sécurité. Rien ne peut t'atteindre. Tu es avec tes filles, et vous êtes fortes, vous êtes intouchables. Le fight club, c'est avant tout une histoire de famille. Des femmes, de tous les horizons, qui viennent ici pour une chose : se défouler, se battre. Toi t'y as trouvé ton compte. Ça t'aide à canaliser tes humeurs et à te sentir plus forte. Puis bientôt, ça t'aidera à donner un sens à ta vie. Parce qu'en dehors du club, on te traite comme une moins que rien. T'es une hybride après tout, et en ça le Crocodile avait raison : des gens comme toi, la société n'en veut pas. Alors c'est pas les petits boulots que t'enchaînes qui vont te donner une raison d'exister. Le club, en revanche, devient la porte ouverte à tout autre chose. Un moyen pour toi d'aider les femmes qui se retrouvent dans la même situation que toi. Même si ça n'a jamais été le but premier du club, tu comptes bien trouver un moyen de te rendre vraiment utile. T'en as parlé qu'à une des filles, ton ancienne mentor, parce qu'il n'y a qu'elle qui est au courant pour ton passé. Tu restes globalement très discrète, parce que t'as pas envie d'amener tes bagages sur le ring. Enfin, d'une certaine manière, ils sont logés dans tes poings, mais tout le monde a des bagages. Pas besoin d'étaler les tiens. Personne ne sait trop qui tu es en dehors du club. Pour tout le monde tu es Cleopatra, t'es comme une grande sœur. Et ça s'arrête là. “ Come on, girls! Is that all you've got? ”


► I'm Outta Love Le Crocodile est revenu. Pas chez toi, mais probablement chez une autre. Tu as eu vent de ses agissements, comme une ombre dans la nuit. T'as senti son souffle chaud et ses pattes lourdes agripper tes entrailles. Et t'as su, presque instantanément, ce que t'allais devoir faire. C'est pas parce que vous êtes encore mariés et que tu sens encore sa magie liée à la tienne. T'as appris à vivre avec. C'est parce qu'il est en liberté et qu'il sévit sûrement auprès d'une autre femme. Et à la place de cette femme sans visage, tu imagines ta sœur. Ça pourrait arriver à Paula, comme ça t'est arrivé à toi. Alors tu as remonté la piste du Crocodile jusqu'à l'étang de ses congénères, et t'as rejoins les Warlocks.

Tu as pris un autre visage, un de ceux qui plaira sans doute au monstre que tu ne connais que trop bien. Et tu es devenue serveuse au Dancing Phoenix. Parce que tu sais qu'il fréquente l'établissement. T'as pas encore eu l'occasion de lui parler, parce qu'on te surveille de près. Tu te dis que c'est parce que t'es pas du gang, mais parfois t'as l'impression qu'ils flairent davantage. Qu'ils savent que tu es quelqu'un d'autre, quelqu'un qui n'est pas là pour les bonnes raisons.


► Indigo Night Tu sors du Dancing Phoenix, il se fait tard. La nuit est tombée depuis déjà bien longtemps et sans doute que le jour ne va pas tarder à pointer le bout de son nez. T'es épuisée, parce que tenir ta transformation aussi longtemps te donne le tournis et que t'as bossé toute la nuit. Toujours aucun signe du Crocodile, tu commences à te demander si t'es sur la bonne piste, si t'as bien fait de te mêler à tout ça... Et puis tu la vois. Une femme, vêtue d'une tenue bien trop chic pour errer ainsi au beau milieu de cette ruelle mal famée. Une beauté froide, tirée à quatre épingles, mais dont le chignon s'est à moitié défait. Son maquillage a coulé et elle a ce regard perdu, en plus d'une blessure ouverte à la lèvre. “ Are you okay ?, tu lui demandes, toujours sous les traits d'une autre. ” Elle te dévisage ; son regard est froid, insondable. Tu peines à savoir si tu l'importunes ou si tu lui fais peur. Tu insistes. “ What happened to you ? ” Pas de réponse. Au lieu de ça, elle se détourne et part à grandes enjambées loin de toi. Tu la laisses partir. Tu ne sais pas encore qui elle est, ni quelle est son histoire. Tu ne peux pas encore comprendre pourquoi tu te sens si liée à elle avant même que vous ayez échangé vos premiers mots à visage découvert.