« Si je ne le fais pas, qui le fera ? » Un sourire vient ombrager le visage de Shōta, crispé et sans chaleur, en pensant d'abord qu'elle est en train de plaisanter. Mais non, pas du tout. Sita, aussi élusive que sincère, est bien en train de lui dire ce qu'elle pense d'une simplicité si renversante qu'il faut quelques instants à l'acteur, les yeux écarquillés, pour bien comprendre ce qu'elle est en train de lui dire.

Qui le fera? Personne, véritablement personne. Ni Maeve, ni Papa, ni personne - personne, personne, personne, parce qu'il est seul, seul, seul. Le constat n'est pas nouveau, mais s'y heurter d'une manière si simple et directe dans cet état lui fait plus mal que d'habitude. Les mains de Shōta se crispent autour du verre qu'il vient d'attraper sur le comptoir. Il aimerait s'y noyer, ou que ce soit une potion-miracle qui le plonge dans un long et fantastique sommeil bienheureux duquel il se réveillera dans un autre corps, une autre vie, un autre monde.

Même Sita n'est pas capable d'accomplir ce genre de miracles, et Shōta sait qu'il entretient ces idées stupides qui au final lui font plus de mal que de bien. C'est comme ne pas pouvoir s'empêcher de titiller la plaie douloureuse sur les gencives, alors qu'on sait qu'elle se tiendrait bien mieux si on la laissait seule.

« Ce n’est pas une tâche, pour moi, de faire tout cela. J’ai toujours eu beaucoup de… mh, chance. » Shōta lève un regard un peu vide vers elle, surpris de l'entendre tout autant qu'il est étonné de la teneur de ses mots. « Et je sais très bien que ce milieu est… ce qu’il est, n’est-ce pas ? C’est une façon pour moi de donner un peu de cette chance à d’autres, je suppose. » Il ne les mérite pas. Ni Sita, ni cette chance dont il a lui-même bénéficié étant jeune. Il ne mérite rien de ça, mais Sita s'en fiche. Shōta se permet d'entrenir l'idée que peut-être elle l'apprécie réellement, et pour qui il est, au-delà du travail et de ses obligations. Cette pensée est réconfortante. « Ce n’est pas toujours parfait, mais c’est toujours honnête. » Shōta a un petit sourire triste. "Oui, je..." Que répondre à ça? Il aimerait... lui montrer la réalité des choses (qu'elle pourra toujours essayer mais que le monde restera tordu, que les gens sont pourris jusqu'à la moelle et surtout dans leur milieu), la secouer dans tous les sens pour la faire craquer (afin qu'elle soit aussi désespérée et désabusée que lui), lui hurler dessus (pour qu'elle réalise qu'il ne mérite pas d'être aidé, sauvé, apprécié) mais à la place, Shōta prend simplement une première gorgée de son verre.

Et elle lui fait un bien fou en dégringolant le long de sa gorge jusqu'à son estomac. "Merci, Sita," marmonne-t-il du bout des lèvres en tentant un regard pas trop humide ni honteux dans sa direction. "Je..." Il sait que s'épancher en remerciements ne servira à rien, qu'elle les écartera d'une phrase bien pensée ou d'un mouvement de la main, mais qu'importe. C'est tout ce qu'il a à lui offrir, alors il ne s'en prive pas: "merci, vraiment."