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LAUGHTERC'est des rires tonitruants qui accueillent l'arrivée d'Aaron Vaughan dans son appartement du Londres sorcier. C'est les épaules voûtées par sa journée de travail que l'auror attrape au vol le plus jeune de ses fils qui cavale vers lui sur des jambes instables.
Amos n'avait pas été prévu mais il n'en était pas moins un enfant aimé. Véritable rayon de soleil, intrépide et rieur, le petit garçon parvenait à séduire n'importe quelle personne qui le rencontrait. Même les plus réfractaires.
Surtout les plus réfractaires. La petite boule d’énergie semblait en véritable croisade pour être apprécié du plus grand nombre et il n'avait jamais échoué.
Aussi Aaron, auror endurci et généralement plutôt stoïque ne peut s’empêcher de lancer un sourire étincelant et rare à sa progéniture qui gigote déjà pour reprendre sa liberté. Attrapant fermement le garçon par la taille, il utilise son autre main de manière experte sur ses côtes jusqu'à ce qu'il éclate à nouveau d'un rire tonitruant.
DEATHTétanisé, apeuré.
Les flancs liés à ceux de son frère, Amos regarde la mort dans les yeux pour la première fois de sa vie. C'est la lumière qui s'éteint dans le regard de son père qui lui fait lacher son premier sanglot. Il n'avait jamais compris la mort, elle ne s'était jamais invitée à sa vue mais maintenant il sait. Il comprend en voyant son visage vide, qui ne s'animera plus jamais pour lui, qui ne le fera plus jamais rire, qui ne chuchotera plus jamais de je t'aime avant de le border.
Alors il s'accroche à son frère d'une poigne douloureuse car il sait qu'ils ne seront bientôt plus que deux. Il s'accroche de toutes ses forces jusqu'à ce que celui-ci ne le pousse en arrière. Et Amos est incapable de bouger alors que son frère s'avance sans même lui lancer un regard. Alexius n'est pas animé par la souffrance mais par la haine.
Amos lui, du haut de ses huit ans, n'est animé que par une peur profonde et indicible. Alors il ne bouge pas, les yeux fixés sur la scène qui se déroule devant ses yeux, muet spectateur de l'horreur qu'il contemple. Le temps s'allonge, se ralentit puis se stoppe. Enfermé dans sa coquille, le petit garçon ne sent même pas les mains qui se posent sur lui et l'emportent. Il ne voit plus rien que la mort, il n'entend plus rien que les échos des cris perçants de sa mère qui s'est pourtant tue depuis longtemps.
Il se laisse emporter sans broncher, docilement, aveuglement alors que ses larmes se tarissent.
VOICELESSAmos n'a pas prononcé un mot depuis son arrivée au manoir tant et si bien qu'on l'a depuis renommé Eleazar faute de connaître son prénom.
Eleazar n'a pas prononcé un mot depuis son arrivée au manoir.
Il n'aurait pas pu s'il l'avait voulu. Il avait d'abord eu peur d'ouvrir la bouche et qu'un cri ne s'en échappe pour ne plus jamais s'arreter. Lui qui avait toujours eu un rire au bord des levres n'était même plus capable de prononcer son nom. Désormais et même seul, il avait beau ouvrir grand la bouche, il avait beau vouloir hurler, il ne semble pas capable de faire sortir le moindre son. Alors Eleazar observe.
Silencieusement, il explore les murs de sa nouvelle demeure dès qu'on le laisse sans surveillance. De jour, il n'est jamais seul, on vient le chercher des l'aurore. De nuit, il se glisse hors de la chambre qu'il partage avec d'autres garçons et erre dans les couloirs ses yeux curieux virevoltant d'une ombre à une autre sans jamais vaciller. Le petit garçon a peu dormi depuis son arrivée, hanté par des yeux vides dont les détails s'effacent petit à petit mais qui refusent de le laisser tranquille.
Il sait qu'il n'est pas censé être hors de son lit durant la nuit, il sait que si Alabina venait à le trouver en train d'errer il serait renvoyer promptement sous ses couvertures. Il sait également que s'il arrive à se faire suffisamment discret , aussi discret que Namiko, il pourra se réfugier dans un endroit où personne ne viendra le chercher.
Le pas léger, le regard vif, il se faufile entre les murs froids du manoir essayant maladroitement de reproduire la vivacité et la discrétion de Namiko. Ce soir, il a de la chance et arrive à passer entre les mailles du filet. C'est d'une main presque plus hésitante qu'il tape deux fois sur la porte face à lui.
Eleazar n'a pas le temps de faire plus de deux battements de cœur que la porte s'ouvre silencieusement, comme s'il l'attendait, comme si Severino savait que le petit intrus allait de nouveau vouloir venir passer du temps silencieusement en sa compagnie. Eleazar observe le géant face à lui qui sans dire un mot le laisse passer le pas de la porte et il entre rapidement de peur que celle-ci ne se referme avant qu'il ne puisse rejoindre la place qu'il s'est attribué dans la pièce.
CURIOSITY KILLED THE CATEleazar avait toujours été un enfant curieux et son arrivée au manoir ne l'avait absolument pas calmé dans ses ardeurs. On avait beau lui répéter que la curiosité était un vilain défaut, il se repentait puis repartait presque inconsciemment dans ses travers. Il avait entendu bien plus de choses qu'il aurait dû en entendre à son âge, des choses qu'il n'avait souvent pas bien compris. Il avait parfois demandé aux autres garçons de sa chambrée quelques questions anodines, espérant comprendre mais il n'avait jamais osé le faire pleinement, de peur que l'on découvre qu'il avait encore mis son nez où il n'aurait pas dû le faire.
Au fils des mois, il avait appris à se faire extrêmement discret, son pas s'était allégé, sa vitesse améliorée et il devait tout ça à Namiko.
C'était elle qui l'avait laissé la suivre sans le dénoncer. A chaque faux pas, à chaque bruit, elle avait disparu soudainement et l'enfant puis l'adolescent avait appris de ses erreurs et il ne les avait plus commises les fois suivantes. Ce jeu du chat et de la souris, ils l'avaient joué pendant des années.
Namiko avait appris à l'enfant muet qu'il avait été que la voix n'était pas la seule forme de communication et Eleazar aux milles pensées curieuses par minute avait lentement mais sûrement appris à communiquer avec elle. Il avait d'abord été brusque, il avait d'abord été envahissant et la douze n'avait jamais hésité à le lui faire savoir. Il avait été « zappé » par sa magie, envoyé volé en arrière, immobilisé un nombre incalculable de fois ces dernières années mais il n'avait jamais renoncé.
Il aimait à penser que la douze avait dans son cœur une petite place pour lui et qu'il avait réussi à l'avoir à l'usure. Pourquoi sinon, l'aurait-elle laissé le suivre ? Apprendre de ses erreurs ? Pourquoi l'avait elle forcé à se poser pour apprendre le jeu de Go avec elle et enfin réussir à se canaliser ?
Le petit garçon désormais jeune homme s'était bien adapté à sa vie presque de captif, il avait beaucoup appris – parfois de manière pas très conforme aux règles établies par Alabina. Mais c'était sans aucun conteste Severino et Namiko qui lui avaient permis d'en apprendre le plus.
FAILURE & FEARLa dernière fois qu'Eleazar avait été aussi paralysé par la peur et proche des larmes avait été le jour de la mort de sa famille. Cet épisode qui avait été particulièrement douloureux du haut de ses huit ans, n'avait aujourd'hui plus aucune incidence. S'il avait été présent ce jour, si ses parents avaient été arrêté par les Crains, s'il avait fini par trouver sa place au manoir c'était parce qu'ainsi en avait été la volonté de Dieu. Ses parents avaient été des impies mais leurs fautes l'avaient conduit à son destin. Eleazar savait qu'il était né pour servir les Douze, qu'il était né pour servir Dieu.
Aussi, la panique qui venait de l'envahir alors qu'on lui avait annoncé son échec était-elle tout à fait légitime.
Elle l'était même d'autant plus qu'il avait entendu durant une conversation entre deux adeptes – qu'il n'aurait pas du entendre une fois de plus - le sort réservé à ceux qui échouaient leur baptême. L'amnésie, l'abandon. Que resterait-il de lui si on lui vouait ce sort ? Il avait vécu la majorité de sa vie au manoir des Crains. Que resterait-il s'il ne se souvenait pas des dix dernières années ? Il n'avait que très peu de souvenir de ce qui s'était passé avant, un vague sourire, la sensation d'une main dans ses cheveux, voilà tout ce dont il se souvenait. Eleazar n'était même pas capable de se rappeler de sa propre date de naissance.
Et aujourd'hui, face aux disciples qu'il avait voulu impressionné toute sa vie, il venait d'échouer. Il peut sentir ses entrailles se retourner alors qu'il attend la peur au ventre, la panique au bord des lèvres de savoir ce que le sort lui réserve. Il s'était agenouillé durement sur le sol de la chapelle dès qu'on lui avait sommé de patienter, des qu'on lui avait indiqué qu'une décision n'avait pas encore été prise le concernant. Il avait récité chaque prière, chaque mot saint encore et encore jusqu'à ce que ses pensées ne soient remplies que de cela.
Ce n'est que lorsqu'il entend son nom être prononcé qu'il se relève rapidement, les mains blanches tant ses doigts se resserrent contre le bois du banc qui l'aide à se relever. Comme si cette emprise les empêcheraient de se débarrasser de lui, comme si son avenir était toujours glorieux sous la lumière des cieux.
Il tourne la tête une panique palpable dans les yeux. Ce n'est que lorsqu'ils les voient, que lorsque Severino hoche discrètement la tête qu'il relâche un souffle qui s'était bloqué au fin fond de sa gorge. S'il l'avait pu, s'il l'avait osé, il se serait jeté dans les bras du géant. Car ce hochement de tête, ce simple geste était la réponse qu'il attendait. Une seconde chance.
C'est un
"Merci" palpitant qu'il laisse échapper de ses lèvres alors qu'il les suit hors de la chapelle.
FAITHCeux qui l'avaient connu très jeune enfant aurait été incapable de le reconnaître aujourd'hui – la plupart le croyait de toute manière mort aux cotés de sa famille. Fini le jeune bambin souriant et rieur, Eleazar était un homme stoïque et aux premiers abords réservé. Il riait intérieurement bien plus souvent qu'il ne l'aurait fait de manière naturel. Il avait appris à se contrôler et c'est seulement lorsqu'il était avec des gens de confiance qu'il laissait tomber lentement les murs qu'il avait fondé autour de lui.
Personne n'aurait cru en le voyant qu'il était l'une des mains armées de l’Église, une des mains armées des Douze. Et pourtant, Eleazar suivait désormais depuis plusieurs années les ordres de son maître Severino. Il avait pourchassé, attrapé, parfois même tué des impies, des traîtres. Les runes qui lui jonchaient la peau était sa plus grande source de fierté. Elles le marquaient comme appartenant à un collectif, appartenant à une famille - même s'il n'oserait pas employer ce terme à voix haute. Il était quelqu'un, il avait un but. Eleazar était une force inépuisable et inarrêtable. Il n'avait jamais abandonné ce sentiment de peur de décevoir, d'être abandonné et chaque souffle qu'il prenait, chaque pas dans une direction n'avait que pour but de prouver sa valeur. De prouver qu'on avait besoin de lui.
Il savait qu'il serait si simple de le remplacer, qu'il serait si simple de se débarrasser de lui ou de l'oublier. Alors il ne laissait de chance à personne de s'en rendre compte. Il était toujours le premier volontaire, toujours celui qui n'avait aucune hésitation. Il avait foi en Dieu, foi envers les Douze, foi envers son maître et surtout foi en lui-même.
Les Crains, leurs actions étaient la seule chose qui en valait la peine, la seule chose qui lui ouvrirait un jour les portes du paradis, Eleazar en était convaincu.