Elle avait l’impression de ne pas avoir vu ses parents depuis une éternité, et il lui semblait aussi voir ses adelphes au compte-goutte. Elle les croisait pourtant dans les couloirs, au réfectoire et durant les cours de sport (ou plutôt les séances de torture qu’elle dispensait) mais ce n’était pas suffisant pour elle, alors régulièrement, elle leur glissait quelques mots et leur donnait rendez-vous dans les endroits les moins visités de l’école. Peut-être avait-elle le droit de les voir, mais l’ambiance répressive de l’établissement lui laissait supposer que l’on n’apprécierait pas de la voir bavarder avec des étudiants, alors les rendez-vous avaient lieu dans l’ombre, comme presque tout ce qu’il se passait dans l’école.

Elle avait arrêté Winston à la fin de la séance de trois fois cinq cent pour lui demander de la retrouver un peu plus tard, puis Perry avait passé l’info à Esme. Quelques heures plus tard, elle avait appris de la bouche d’un surveillant que sa sœur passait la soirée au cachot pour une des raisons stupides et habituelles qui autorisaient les enseignants à punir les élèves. Perdita dut alors se résoudre à rejoindre Winston à l’un des étages supérieurs dédiés aux cours, là où à a cette heure, elle espérait que personne n’aurait l’idée de monter. Au pire, elle saurait trouver une excuse, urgence familiale ou quelque chose du genre.

Elle arriva la première, s’adossa au mur et entreprit d’observer la qualité de ses ongles pour passer le temps. Ils étaient nets, comme d’habitude, si elle ne contrôlait pas grand-chose depuis son arrivée ici, elle pouvait au moins s’assurer que son image était impeccable : de ses cheveux teints en blond à son maquillage discret en passant par la forme de sa manucure. Il y eut du bruit, elle releva les yeux pour voir apparaître la silhouette reconnaissable aux épais cheveux bouclés de son frère ; alors elle esquissa un sourire ravi. « Winnie, » lança-t-elle en l’observant, heureuse de lui trouver l’air plus en forme que celui qu’avait sa sœur en général. « Ça va ? T’as pas eu de mal à venir ? » s’enquit-elle, vaguement inquiète à l’idée qu’il ne s’attire des ennuis en ratant un appel ou quoique ce soit qui ferait remarquer son absence.  « Esme ne pourra pas venir, elle est punie … » expliqua-t-elle ensuite, se promettant de faire un tour aux cachots pour lui apporter quelques restes de son propre dîner. « Je voulais te dire, j’ai reçu une lettre de maman, » elle fouilla dans la poche de sa robe, en extirpa une enveloppe qui lui avait été envoyée à elle en particulier mais s’adressait bien aux trois enfants. « Tiens, tu pourras la donner à Esme après ? » Elle la lui tendit, esquissa un sourire (l’habituel, le rassurant. ) « T’as entendu parler de leur nouvelle invention là, le sortilège Von Baume ? » Elle avait entendu un prof en parler, ne savait pas si la nouvelle s’était répandue dans l’école quoique les enseignants ne tarderaient pas à s’en vanter auprès de tous les étudiants.

Son petit frère était définitivement le rayon de soleil dans l’adversité. Tout comme elle il souriait, un contraste notable avec les tristes mines des autres élèves terrassés par la perte de tout espoir et les mauvais traitements. Les Karahalios étaient différents, ils étaient ensemble, ça constituait leur force, et surtout, ils ne perdaient jamais leur optimiste. C’était dans leur sang, c’était dans leur éducation, tant qu’il y avait de l’espoir il y avait de la vie, et ils s’appliquaient à s’assurer que les deux subsistaient. Pour Esme cependant, c’était différent. Elle était terne et morose, cela attristait Perdita qui aurait voulu que comme elle et Winston, sa sœur réussisse à trouver l’énergie de supporter tous les affres sans se laisser dépérir. Ce n’était pas faute d’essayer de lui redonner le sourire, Perry donnait rendez-vous à ses adelphes autant de fois que possible ; ils avaient besoin les uns des autres et c’était ensemble qu’ils avanceraient le plus loin.

« Si c'est une carte postale, j'la garde pour ma collection, » ça fit rire Perdita qui secoua la tête. « Y’a pas de carte postale, par contre, papa a mis des autocollants de foot dedans, je sais pas où il les a trouvés, » répondit-elle, son sourire s’étirant alors que le souvenir du moment où elle avait sortit la lettre de son enveloppe pour y trouver des stickers Panini sortis de nulle part s’imposait. « Je pense que c'est pour toi, parce que je vais pas coller de footballer sur mon armoire, et Esme non plus, » sûrement que Winston ne comptait pas plus le faire qu’elles deux, mais l’habitude de tout laisser au cadet était persistante. « Juste des rumeurs. C'est mauvais nan ? » Perry acquiesça, la mine ayant doucement viré un peu plus sombre. « A nous ça fera pas plus de mal puisque tout le monde sait déjà, pour les autres par contre … » Tous ces gens qui vivaient dans le semblant de sécurité offert par un secret bien gardé allaient bientôt voir leur monde s’écrouler, Perdita se sentait mal pour eux, et un peu en colère contre ceux qui imposaient à d’autres d’exposer jusqu’à leurs origines. C’était une intrusion impardonnable dans la vie d’autrui et personne n’aurait dû avoir le droit de l’exiger. « J’espère que ça ira pas trop loin et qu’ils feront rien à ceux qui sont né-moldus, » dit-elle d’un air pensif en fronçant les sourcils. On leur avait déjà retiré toute reconnaissance en tant que sorciers, c’était déjà assez horrible pour que de nouvelles mesures ne les atteignent pas.

Perdita resserra sa queue de cheval, secoua la tête comme pour en chasser les idées noires. Faire grise mine ne lui ressemblait pas, imaginer le pire non plus, et surtout elle ne voulait pas plomber le moral de son frère qui devait se sentir beaucoup moins bien psychologiquement qu’elle en tant qu’élève entre ces murs. « J’ai appris un truc tout à l’heure, ce soir c’est pudding en dessert, » annonça-t-elle pour changer de sujet, un sourire revenant flotter sur ses lèvres.

« Je les garderai précieusement, j'te le jure ! » Elle sourit, opina en lorgnant les stickers avant d’aborder un sujet un peu plus préoccupant que ce qu’il adviendrait des autocollants. « Ca révèle la généalogie, c'est ça ? » Elle hocha à nouveau la tête. « Il parait que c’est complètement fiable, » elle avait entendu des rumeurs affirmant que le test retraçait les origines sur une dizaine de générations, d’autres assurant que le gouvernement modifiait les résultats à sa guise pour incriminer qui il voulait. Perdita en avait froid dans le dos. « Ils peuvent faire quoi d'pire que ça ? » La sorcière avait beau préférer voir le meilleur, elle n’en était pas pour autant idiote au point de ne pas savoir qu’il pouvait arriver pire. « Ils pourraient tous nous tuer, ou vous faire travailler, » dieu merci, l’idée ne semblait pas encore être envisagée ; ce n’était pas pour autant que la situation des enfants d’indésirables était enviable.


« En-fin ! » Perry retrouva vite le sourire, elle était bien plus à l’aise dans les discussions légères. « J'espère que ça s'ra bon. Puis qu'ils y auront quand même mis du sucre. T'imagines l'truc ? Ils font des assiettes trop belles mais genre ils ont truqué la recette pour que ça soit dégueu et comme ça on est trop dègue ? Ce serait ho-rri-ble. Pire qu'être privé de dessert. – Attends vu comme le chef est radin, jsuis sure qu’il aura mis que vingt grammes de sucre au lieu de cent et ça aura pas de goût, » à croire que c’était un critère pour devenir cantinier ici, s’attacher aux ingrédients comme à sa vie pour les économiser. Et elle écouta son frère jacasser, elle aimait bien ça écouter les gens, puis elle callait des commentaires à intervalle régulier parce qu’elle aimait bien parler aussi. « C'est parce que j'suis en pleine croissance » Elle hocha la tête, c’est qu’ils étaient grands dans la famille et il fallait bien que Winston atteigne la taille de leur père pour rivaliser en vélanitude. « J'demanderai à Esme de me filer son pudding, j'suis sûr elle aime pas. Ou alors elle est trop bien pour ça. – Arrête, la pauvre, en plus après le cachot elle aura forcément faim alors laisse-lui son dessert, » exigea-t-elle sur son ton impérieux d’aînée qui dictait les règles. Elle jeta finalement un œil à sa montre, « allez on doit y aller avant de rater un truc important, on se voit plus tard hein ? » Elle lui sourit, repassa la porte et redescendit pour rejoindre les élèves.