good deeds

début juillet 2007 | @remy lynch

Ce n’est pas très charitable de sa part, mais à chaque fois que Darragh n’est pas élu (et, il doit l’avouer, pas toujours de la façon la plus fair play, mais il n’est pas dans le crime organisé exactement pour jouer fair play) pour aller s’entretenir avec les autres chefs du Syndicat, c’est un soulagement. Surtout depuis les dernières semaines, alors que les tensions entre certains gangs sont à leur paroxysme et qu’il ne fait définitivement pas bon d’être dans la même pièce que leurs têtes pensantes. Ou n’importe où, en faut, considérant la méfiance générale qui règne depuis l’altercation entre la Fox des Warlocks et le chef de l’Alberich. Même si ce n’est que pour entendre des platitudes, partager les informations récoltées ça et là à propos des mouvements dans la société, et dire que oui, bien sûr, tout va bien de notre côté, merci de vous intéresser à nos affaires, ràs.

C’est Carmichael la victime du jour ― et pendant que son meilleur ami fait grâce de sa belle gueule dans la réunion privée et hautement surveillée, sa jumelle et son humble personne s’occupent également à quelque chose de la plus haute importance.

C’est-à-dire, partager un verre de whiskey (du bon whiskey, merci) avec des membres des Black Hands.

Il s’en sent à peine coupable. Bon, quand même un peu, mais à son excuse, c’est lui le dernier qui s’est collé à la tâche, deux fois plutôt qu’une dans la dernière semaine (et il fait bien attention de ne pas céder trop souvent à son envie d'aller voir directement dans leur tête ce qu'ils ont choisi pour le tirage du jour)(ce n'est pas très respectueux, paraît-il). Il revaudra ce verre à Mike. Puis, ce n’est pas comme s’ils ne faisaient QUE boire ! Ils ont un brin de conscience professionnelle, tout de même, et si sa sœur et lui-même sont confortablement assis à deviser avec les Black Hands, c’est uniquement dans un but professionnel. Que pour échanger informations, contacts et autres promesses de travail commun, dans une atmosphère agréable. Absolument rien d’autre, qu’importe ce que peuvent bien raconter les œillades appuyées que Selket et lui échangent, au détour de la conversation, sans se cacher spécialement. C’est une femme mariée, mas il n’y a rien de mal à simplement flirter un peu, n’est-ce pas ?
Quoique, vu tout le soin obstiné que la femme devant lui met à éviter le regard de Grainne, c’est à se demander ce que la rédactrice en chef, elle, a bien pu faire. Ce serait bien qu’elle ne sape pas tous leurs efforts de diplomatie avec ses goûts affligeants en matière d’hommes.
« L’avantage, si l’Alberich et les Warlocks se déchirent, glisse-t-il à Grainne dans leur langue natale, l’irlandais permettant un peu d’intimité au coeur d’une pièce où toutes les conversations sont des sujets sensibles, c'est qu'on va nous oublier un peu. » Il n’est jamais contre l’idée qu’on oublie les nombreux soucis de l'An Lucht Siúil (et de l’angoisse de pouvoir défrayer la taxe syndicale annuelle) et qu’on se concentre davantage sur ceux qui font les nouvelles à l’instant.

Elle n’a pas choisi la bonne chaise, se rend-elle compte un peu tard, alors qu’elle constate que son siège est bancal. Tapotant le bas de sa canne contre le pied du fauteuil, elle rétablit l’équilibre comme si de rien n’était et reprend le fil de la conversation sans trop de difficultés. Pour l’heure, merci Merlin, ils échangent des banalités plutôt polies avec deux membres des Black Hands, ce qui fait que ce n’est pas gravissime si Grainne n’est pas extrêmement attentive. De ce que la Ring Finger et le Middle Finger leur laissent entendre dans leurs réponses plus ou moins laconiques, il semble évident que les Black Hands n’ont aucun intérêt à ce que le conflit entre les Warlocks et l’Alberich n’éclate pour de bon. Songeant un instant à ce pauvre Mike qu’ils ont laissé partir à la réunion sans plus de mots d’encouragement que les habituels « On te revaudra ça ! », la comptable se dit qu’elle est bien plus à l’aise dans cette discussion informelle que dans une conférence entre têtes de gangs. Tournant légèrement la tête vers son jumeau lorsqu’il s’adresse à elle dans leur irlandais natal, elle hoche la tête avec nonchalance à ce qu’il affirme : « Tant qu’on ne nous demande pas de prendre parti dans ce merdier… », réplique-t-elle tranquillement dans la même langue, avant de reprendre une gorgée de son whisky (de contrebande, évidemment, mais pas un des plus écœurants, fort heureusement).

En face d’eux, les capitaines du vieux gang britannique semblent avoir eu un aparté en parallèle, mais Selket décroise ses bras et se penche légèrement vers Darragh, qu’elle a l’air de sacrément préférer à sa jumelle, pour intimer des informations qu’il est toujours intéressant de mettre en commun : « Tant qu’on arrive à contenir le tumulte de l’altercation à venir, les autorités auront autre chose à faire que de s’intéresser à nous. » En silence, la blonde acquiesce, bien consciente que les Brigades du Ministère ont des cibles plus importantes que de criminels réglant leurs comptes. « Von Bäume a réussi à éviter la surmédiatisation du sac du Filet du Diable, mais je doute qu’il ne se borne à faire de la communication officielle à partir du moment où il aura déclaré la contre-attaque. - Là-dessus, il faudrait peut-être trouver un moyen de convaincre mon confrère du Daily Prophet qu’il a tout intérêt à ne pas publier trop d’articles mettant en lumière certains dérèglements… », suggère alors Grainne, restant tout à fait impassible alors qu’on a commencé à lui faire du pied sous la table. Coulant un regard entendu à son vis-à-vis -responsable donc des avances discrètes, elle dévisage Farrow et reconnaît pudiquement : « Vous aurez sans doute plus de poids que nous là-dessus, eu égard à votre présence plus ancienne en ces terres… » Oui, oui, tout à fait : pas du tout parce qu’ils ont perdu du monde depuis le début des années 2000 et ont donc dû revoir certains champs d’action à la baisse…

Les discussions médiatiques apportées par Selket ont le don de tirer une maigre grimace de Darragh, qui n’a définitivement pas d’amour pour les journaux, la radio et les boules de cristal. C’est le métier de sa jumelle et justement, il sait donc doublement qu’il faut se méfier de tout cela. Que ce sont des outils à double tranchant, en ce moment utilisés et surutilisés par le gouvernement pour atteindre ses fins peu vertueuses. Peu importe le monde, sorcier ou moldu, d’ailleurs : il en a bien assez lu, jadis, pour savoir que les feuilles de chou écrites par les sans pouvoirs ne sont pas plus clémentes. Pas moins achetables, non plus, selon qui sait étirer assez de fric, et tout le monde sait que Dougal MacMillan s’achète bien.
Qu’il s’achète cher, mais qu’il s’achète.

Le léger vacillement de la chaise de sa sœur le fait la regarder avec curiosité, mais elle évite bien soigneusement son regard, pour plutôt se concentrer sur l’homme assis devant elle et le sourire malicieux qui flotte sur son visage. L’aîné des jumeaux roule légèrement des yeux, amusé de ce manège qui n’est pas nouveau. À choisir, il préfère encore qu’elle s’acoquine avec un criminel qu’avec un Mangemort. Même si bon, s’il devait choisir le criminel, son choix se porterait forcément sur un autre larron (son frère de cœur, soyons clairs). « Vous aurez sans doute plus de poids que nous là-dessus, eu égard à votre présence plus ancienne en ces terres… Il porte la Marque, MacMillan ? Non, répond le Farrow, ce serait bien trop d’engagement de sa part. Il est facile à gagner à n’importe quelle cause, tant que y’a des Gallions en jeu. La silhouette massive se réinstalle confortablement, une fois faite la confirmation de l’impression de Darragh à propos du propriétaire du Daily Prophet. Ah, celles et ceux qui jouent leur honneur pour l’inexistant parfum de l’argent… les gens qu’il préfère. On a des agents au Daily Prophet qui pourront nous tenir au courant de ce qui est sur les presses et si quelque chose de gênant se prépare… » L’homme les laisse compléter la phrase. Ce sera tout aussi facile de pouvoir intervenir en amont et que les articles rédigés, les premières pages bien montées, les gros titres racoleurs, s’effacent et laissent place à quelque chose de définitivement bien moins alarmant pour tout le monde. Surtout pour le crime organisé.

Ça l’écoeure toujours autant, de devoir à demi-mot demander des faveurs aux autres, alors qu’ils n’ont plus l’influence de jadis.
Il sait pourtant ce qui doit être fait, parfois.

Le rouquin prend une gorgée de son verre et à son tour, se replace sur son siège. Il s’adresse indifféremment aux deux Black Hands, bien que son oeil se porte plus agréablement sur la figure élégante de Selket : « Je ne pense pas qu’ils vont nous demander de les aider, Warlocks ou Alberich. Nos visions ne sont pas compatibles, dit-il, dans un euphémisme quasi délicat pour signifier que les Travellers crachent sur les trafics des deux autres gangs. S’ils pouvaient mutuellement s’éliminer au passage, il n’en serait pas déçu. Mais les autres… » Un regard par-dessus son épaule, vers le reste de la pièce où d’autres capitaines et personnes importantes attendent la fin de la réunion. Les Wang autant que les Black Axe et tous les Russes confondus sont des cartes dont il ignore tout des intentions, et au moins trois de ces gangs ont un point en commun : young men. Le fléau du crime organisé (il le sait, il en a déjà été un).

Grainne hoche la tête à la réponse de Lance, lorsqu’il clarifie la position politique de Macmillan et, dans un sens, elle suppose que c’est ce qu’on doit dire d’elle (quoique, la ligne éditoriale n’est pas à vendre, même s’il faut bien la tordre ponctuellement pour s’assurer les bonnes grâces du régime). Un sourire entendu accueille ensuite l’information relative aux agents des Hands : elle aurait dû parier.
De l’intérêt de ne pas avoir été décimé par les arrestations en tout genre.

Elle écoute, elle observe, elle continue de faire du pied à Farrow comme si de rien n’était. Un « Eh. » s’échappe d’entre ses lèvres à l’affirmation pudique de son jumeau, imperturbable, qui a sans doute repéré son petit manège (c’est lui, the Brains, hein, qu’on ne s’y trompe pas). Évidemment qu’ils ont des divergences de points de vue avec les deux gangs qui trafiquent des créatures et des êtres humains sans sourciller. Pas pour rien que quand elle voit Gus en dehors des murs du syndicat, elle évite soigneusement de parler boulot, parce que ça risquerait de devenir moche. En biais, du coin de l’œil, elle repère la moue légèrement pincée de Selket, qui disparaît aussi rapidement qu’elle s’était peinte sur ses traits.

L’inquiétude de son frère est la sienne également, et doit sans doute être partagée par les Black Hands. Pour les gangs plutôt attachés aux valeurs du syndicat et à sa stabilité, une querelle qui diviserait fortement le crime organisé serait un des pires fléaux possibles. Mais là encore, malgré leurs relations plutôt correctes avec l’ensemble des gangs, il est difficile d’anticiper les mouvements possibles. « Faut voir si les tensions seront réglées d’ici l’anniversaire du Syndicat... - Ça m’étonnerait grandement. », tranche sèchement la voix de Selket, sans pour autant hausser le ton, comme si elle redoutait d’être entendue par quelqu’un d’autre qu’eux. La sorcière blonde suit avec attention l’échange de regards entre Selket et Farrow, mais aucun son n’en sort, si bien qu’elle en revient à son frangin et maugrée un « Elle en sait plus qu’elle n’en dit. » en irlandais, comme pour lui suggérer de lui tirer les vers du nez, puisqu’il est évident qu’il a plus de crédit auprès de la Ring Finger que sa sœur.

Grainne reprend une gorgée de sa boisson, jette un coup d’œil vers la porte fermée derrière laquelle Mike doit être en train de subir la réunion des chefs. Et puis, alors que son regard revient vers leurs collègues, elle repère le profil de Shklyarov, en pleine discussion avec un de ses sous-fifres. Sans s’attarder sur le criminel toujours muni de son attaché-case, elle fronce légèrement les sourcils et interroge ses compères : « Tant que la Bratva ne rentre pas dans la danse, j’imagine que ça peut être contenu. J’ai pas spécialement l’impression que le jeune tsar peut entendre raison, mais son éminence grise verra peut-être un intérêt à empêcher un rapprochement avant la fête annuelle... »

Le rouquin hoche légèrement la tête aux mots de sa sœur, lorsqu’elle lui signale que leur interlocutrice en sait davantage qu’elle en laisse paraître, à propos de la querelle qui oppose l’Alberich aux Warlocks. Les Black Hands ont toujours travaillé dans l’optique d’être un peu les alliés de tout le monde, les ennemis de personne, et surtout, un gang fermement accroché à son siège syndical. Encore une fois une histoire de connexions et d’influence que les Irlandais ne peuvent plus prétendre posséder et qui tiennent uniquement en la personne de sa chère jumelle. S’il veut savoir ce que Selket sait (beaucoup de savoir, ici), il devra lui parler en privé ― le sujet semble sensible et elle semble décidée à ne rien dire devant Grainne. Ça, ou pousser The Brains à aller interroger plus en profondeur le Farrow.

Son propre regard bleu s’attarde aussi sur la silhouette toujours bien mise du Shklyarov, qui s’est présenté avec un accent à couper au couteau lors d’une autre rencontre. L’intérêt commun s’est vite dissipé alors que leurs affaires divergent grandement, mais le personnage, lui, est resté, et ceci qu’importe l’agacement évidemment du jeune tsar (prince ?) à la moindre interaction avec le Russe. Ce qu’il ne payerait pas, parfois, pour comprendre ce qu’ils se racontent ! « Tant que la Bratva ne rentre pas dans la danse, j’imagine que ça peut être contenu. J’ai pas spécialement l’impression que le jeune tsar peut entendre raison, mais son éminence grise verra peut-être un intérêt à empêcher un rapprochement avant la fête annuelle... La Bratva est occupée à cimenter sa place au Syndicat, participer à une guerre ne serait pas en leur faveur. Il est peut-être jeune, mais il peut comprendre cela, déclare Darragh en accordant le bénéfice du doute à Ivan (il est vraiment trop généreux). Y’a quelques rumeurs à propos d’une partie de chasse, entre autres », qu’il ajoute avec un sourire équivoque. La réaction des deux Hands est aussi différente que possible : le grand sourire de Lance un parfait contraire de la moue pincée de Selket, qui laisse à loisir son camarade évoquer une rencontre fructueuse pour tout le monde, sur fond de cottage décadent. Les termes de la rencontre ne sont pas évoqués, ni même ces détails qui pourraient être croustillants et en révéler plus que les faits officiels, mais la tension nette de la Ring Finger en révèle bien plus que ce que le Farrow offre pour leurs oreilles. La conclusion est faite par le Lynch : « Ce conflit va profiter à tout le monde, sauf aux concernés. Disons que c’est le moment idéal, si vous voulez saisir des… opportunités, approuve le Middle Finger. Avec les autres, au Syndicat ou non, comme avec nous. »

La main pourrait difficilement être plus tendue.

Il veut même la prendre, lorsqu’un autre Middle Finger vient interrompre la conversation pour s’accaparer l’attention des deux Hands, laissant les Irlandais dans un flou soudain. Un instant de flottement que Darragh met à contribution, demandant à voix basse à sa jumelle, dans leur langue maternelle : « Qu’est-ce que t’as fait pour qu’elle te déteste ? Bref coup d'œil vers Selket, qui a repris une expression attentive, loin de cette un peu agacée (ou carrément contrariée) qu’elle arbore depuis le début de cette conversation. Ne me laisse pas deviner, j’imagine déjà le pire. »

Elle a parfois l’impression que son frangin lit dans ses pensées tandis qu’ils parlent tranquillement à des gens qui ignorent sans doute tout du fait que celui qui affiche des airs bourrus est finalement le Cerveau de la bande, avec ses capacités en magie de l’esprit. Pour autant, ce serait se leurrer et oublier les longues discussions qu’ils ont pu avoir ces derniers temps avec Mike et quelques autres de leur cercle proche et interne au gang irlandais. Ils sont, dans tous les cas, sur la même longueur d’onde, ce qui veut bien dire que ça craint en ce moment au sein du Syndicat.

Cela dit, ce n’est pas Grainne qui va s’en vouloir d’être intervenue alors qu’Engel avait profité de la fin d’une réunion du Syndicat pour prendre à parti Carrie, pour une raison qui ne lui semblait pas suffisamment valable pour manquer de faire couler le sang dans l’espace sacro-saint où ils étaient réunis encore une fois ce soir. Rien en tout cas de trop grave ou d’irrattrapable : il avait suffi de proposer à Carrie une séance de shopping pour l’adoucir de nouveau à son égard. C’était toujours mieux de faire en sorte que les plus sanguins du Syndicat n’aient pas de dent contre elle, ou contre les Irlandais.
Donc oui, comme disait Darragh plus tôt, tant mieux si on les oubliait dans cette affaire.

Habituée à flairer des potins et des secrets depuis sa plus tendre enfance, elle identifie assez vite le point sur lequel il serait intéressant d’avoir davantage d’informations : ce n’est pas comme si les Black Hands en face d’eux n’avaient pas trahi une divergence de souvenirs à l’égard de cette fameuse chasse. Encore une fois, néanmoins, la façon d’apprécier les créatures magiques diverge cruellement, entre les Lynch et leur éducation (et le gagne-pain familial) d’une part, et la façon de faire de la Bratva de l’autre. Rien qui ne lui donne envie de se rapprocher de ce gang.
À creuser, donc, ne serait-ce que pour savoir quels rapprochements étaient en cours.
Mais certainement pas par elle, tandis qu’elle croise de façon surprenante le regard de Selket, qui semble quand même toujours lui en vouloir, mais a l’air néanmoins de lui signifier en silence que les hommes sont des gros porcs, comme en cherchant un semblant de solidarité féminine.
Un hochement de tête de la blonde en guise de réponse dans cette trêve éphémère.

L’offre de Farrow en tout cas ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, et voilà Grainne qui sort une cigarette et l’allume, tendant son briquet et son paquet (un reste de Black Jealousy qu’il faudrait vraiment qu’elle termine) à Farrow s’il veut s’en griller une, sauf que la discussion s’interrompt un instant avec l’arrivée d’un intrus à leur conciliabule.

Il n’en faut pas moins pour que son jumeau ne vienne l’interroger tranquillement. Petite moue pincée sur le visage de Grainne, qui souffle la taffe de tabac à l’opposé du museau de son frangin, pour éviter de l’indiposer ou quoi, et hausse les sourcils alors qu’il (l’)enchaîne. Faisant tomber les cendres dans une coupelle au milieu de la table, elle gagne du temps (quelques minuscules secondes, certes) soupire un instant et intime, toujours dans leur langue maternelle : « Tu te souviens du numéro spécial de la revue, pour noël dernier, avec toutes les belles gueules des Marqués ? Disons qu’à cette occasion, j’ai pu renouer avec un certain tireur de baguette d’élite, qui s’avère être son ex-mari... Mais il est possible qu’elle n’ait pas eu le mémo sur le fait qu’ils étaient séparés, ou que sais-je... » Haussement d’épaules, peu soucieuse des mariages qu’elle pouvait avoir brisé dans son existence. Et de reprendre une bouffée de tabac, en jetant un coup d’œil aux Black Hands toujours dans leur conversation annexe, avant de revenir à Darragh qui la regarde avec un air qu’elle ne connaît que trop bien : « Oui, je sais, tu es désespéré. Que veux-tu que je te dise d’autre que : j’ai un certain faible pour les muscles et les mâchoires carrées ? Et d’embrayer direct’ pour ne pas qu’il commence à mentionner le troisième membre du Triumvirat qui n’est heureusement pas là pour entendre ça. Bon, mais sinon, ils sont sérieux, tu penses, là avec leur main tendue ? Ça pourrait être sacrément utile.... » Elle tapote sa cigarette dans le cendrier improvisé. Ça pourrait éviter qu’ils soient dans une situation trop compliquée, oui, s’ils venaient à s’associer avec les Black Hands, mais encore fallait-il que les conditions soient avantageuses pour eux. « Tu fais le gentil, je fais la méchante ? Qu’on en sache un peu plus sur cette histoire d’opportunité... » Une répartition des rôles qui variait clairement selon qui étaient leurs interlocuteurs en face, mais qui avait fait ses preuves depuis longtemps.

Sa soeur jumelle aurait parfaitement le droit de l’envoyer péter plus loin et de lui dire de se mêler de ses affaires : toutefois, les affaires de coeur et de cul des uns et des autres le concernent, si ça risque d’avoir une influence sur l'An Lucht Siúil et le bon déroulement de leurs opérations. Lui-même s’emploie à ne pas trop compliquer les choses plus que nécessaire avec ses propres histoires, considérant que de toute façon l’ensemble de son œuvre, incarnée en Fiona, a causé suffisamment de soucis. Le soupir que lui sert Grainne a toutefois de quoi l’inquiéter et lorsqu’elle lui déballe le pot-aux-roses, c’est à son tour de soupirer. Très, très profondément, ceci sans même exagérer.
Bien sûr qu’elle est une femme adulte, qui décide ce qu’elle fait de son corps, et que l’(allegedly) ex-mari en question aussi, mais il se passerait bien, alors qu’ils approchent tous deux de leur 50e anniversaire, de devoir encore démêler des querelles amoureuses comme s’ils étaient à Hogwarts. « Oui, je sais, tu es désespéré. Que veux-tu que je te dise d’autre que : j’ai un certain faible pour les muscles et les mâchoires carrées ? Un flic, Remy… » Le surnom, bien rare dans sa bouche, en ponctuation de sa déception face aux terribles choix charnels de l’Irlandaise. Il préférerait nettement qu’elle en reste à Mike, entendons-nous bien, ou si elle veut varier les plaisirs, au coach de Quidditch qui fréquente aussi ses draps. Des types biens, sans Marque des Ténèbres, sans épouse dans le crime organisé, sans insigne de police.

Surtout Mike.
Merci.

La rusée évite d’ailleurs tout juste qu’il ramène ledit Mike sur le tapis, ce qu’il ne manque jamais de faire, revenant au sujet de conversation principal ― pas ses fesses, donc, mais bien les potentielles alliances avec les Black Hands. Ses yeux bleus évaluent discrètement leurs deux interlocuteurs, comme pour tenter de deviner leur sérieux de ce simple fait. Il userait bien de sa Legilimancie, mais Darragh n’a pas envie de dévoiler tous ses trucs. « On a plus à perdre qu’eux, donc je pense qu’ils sont sérieux. » Ce n’est pas le genre de la maison de proposer des deals à tout va, sans y penser vraiment derrière, ni sans avoir de filet de protection. S’ils doivent se fier à un seul gang ici, c’est bien aux Black Hands. « Tu fais le gentil, je fais la méchante ? Qu’on en sache un peu plus sur cette histoire d’opportunité... Facile. Le sourire se fait crasse, complice. C’est ça, d’être The Looks. » Et cette fois-ci, c’est à lui de ne pas laisser l’opportunité à sa jumelle de répliquer, profitant que les deux Hands reviennent à leur siège pour tout de suite endosser son rôle : « Notre whisky cuvée spéciale revient bientôt en stock, je suis sûr que vous avez des contacts qui seraient ravis de l’écouler. Oui, et le contact, c’est entièrement moi, pour consommation personnelle », que blague le Farrow à l’oeil soudain brillant à l’évocation des fameuses magouilles alcoolisées des Travellers, non sans lui tirer un rire au moins égal au sien. Ils traînent au Syndicat depuis pratiquement toute leur vie, tous les deux, embarqués dans les histoires familiales, et la réputation de fêtard de l’homme n’est plus à faire. « Ou pourquoi pas organiser quelques paris autour de nos courses ? »

Hm, s’il y avait le moindre doute qu’elle avait déçu son jumeau, il fut levé dès lors que le rouquin employa le surnom que le reste du monde utilisait pour s’adresser à elle. Autant dire que ça ne l’avait pas motivée à rester plus longtemps sur le sujet de ses histoires de cul (parce que Marsh était un amant, rien de plus) (comme Mike, évidemment) (mais ne parlons de Mike, voulez-vous ? elle se refusait à ouvrir les yeux sur cette histoire).

Si elle laissait le beau rôle à son frangin, c’était aussi parce qu’elle n’était pas spécialement enthousiaste vis-à-vis de cette histoire de rapprochement. À être un gang tout à fait réduit en termes d’effectifs depuis quelques années, Grainne était consciente qu’il aurait fallu un rien-du-tout pour qu’un clan plus gros et plus imposant ne décide de les avaler. Si bien que laisser Darragh mener la charge et les négociations, c’était une sage décision. Après tout, c’était lui qui était plutôt le rêveur de ce gang, alors il aurait bien des idées pour amorcer ce rapprochement.

En tout cas, histoire d’apaiser sa déception vis-à-vis des errements charnels de sa jumelle, elle ne releva pas au moment où il se vantait d’être la belle gueule de leur duo, se contentant de lever les yeux au ciel en soufflant. Ça tombait bien que le Middle Finger et la Ring Finger reviennent à eux, pour que les Lynch puissent voir un peu où Farrow voulait en venir. La première proposition était assez logique : entre trafiquants de choses interdites, il était évident qu’ils sauraient trouver un point d’entente et c’est un rire sincère qui s’échappa des lèvres de la blonde lorsque le brun se vanta d’écouler tout leur stock. « On pense à des gens qui savent apprécier les crus de qualité avec parcimonie, pas des barriques comme toi, chéri. », raille-t-elle tout en ayant repris le pied sous la table à Lance et en lui adressant un baiser taquin dans les airs.
Oui bon, le principe de la méchante n’était pas vraiment nécessaire ici : ça ne serait que lorsqu’ils parleraient pourcentages et ce genre de choses qui nécessitait une bonne connaissance des chiffres et de la comptabilité actuelle de l’An Lucht Siúil qu’elle se ferait probablement plus sévère qu’une porte d’Azkaban. Tandis que Darragh poursuivait en embrayant sur un possible accord vis-à-vis des courses et des bookmakers des Black Hands, Grainne se leva doucement : ils étaient à la fin de leurs verres chacun et elle avait besoin de se dégourdir les jambes quelques instants, parce qu’elles commençaient à lui faire mal. Et plutôt que de le laisser voir, elle préférait se trouver une occupation et se fit généreuse un instant (dans l’intérêt des négociations, bien sûr), en s’adressant aux trois autres : « La même chose ? » Un accord global plus tard, elle s’éloigna vers le bar pour aller réitérer leurs commandes, la main sur le pommeau de sa canne.

Ce fut le moment où Selket, après avoir échangé un regard avec Lance, répondit à la proposition du rouquin : « Vos courses… elles sont honnêtes ? C’est que Monsieur te le dira mieux que moi, mais on aime bien être sûrs de ce sur quoi on ouvre les paris.  » Elle dit ça avec un sourire entendu avant de souffler, la menace qui frôle l’énonciation d’une évidence : « Ça fait mauvais genre de se faire entuber sur l’issue, hein… » Une légère moue, comme si elle ne s’inquiétait pas pour autant que les Travellers ne les plantent, et elle siffle le fond de son verre (une gorgée, à peine) alors que Grainne revient à proximité de la table, annonçant tranquillement tout en s’asseyant : « Ça arrive. Désolée pour l’interruption. » L’Irlandaise interroge du regard Darragh, comme pour savoir si ça avait avancé pendant sa brève absence, et c’est Selket qui reprend avant le rouquin, comme pour signifier qu’elle considérait qu’il y avait plus urgent que son ressentiment à l’égard de Ms Lynch, surtout s’ils étaient en train d’essayer de trouver un terrain d’entente entre leurs deux gangs : « On parlait paris. Vous les gérez comment, vos courses ? Je suis curieuse de savoir si ça marche comme nos… altérations des matchs de Quidditch… »

Farrow rit un peu plus fort à la boutade de l’Irlandaise, confortant Darragh dans son approche. Il veut ses interlocuteurs de bonne humeur et non pas crispés, bien que Selket semble l’être un peu moins depuis que le sujet de la Bratva a été mis de côté. Définitivement le genre d’information dont il s’entretiendra discrètement loin des oreilles de la Ring Finger (il aime aussi que ses interlocuteurs n’aient pas envie de lui arracher une partie quelconque du corps)(être The Looks, ça vient avec de lourdes responsabilités). Le rouquin acquiesce silencieusement à la question de sa sœur, alors que celle-ci s’éloigne pour aller chercher de nouveaux rafraîchissements.

« Vos courses… elles sont honnêtes ? C’est que Monsieur te le dira mieux que moi, mais on aime bien être sûrs de ce sur quoi on ouvre les paris. Ça fait mauvais genre de se faire entuber sur l’issue, hein… » Les courses, c’est son domaine ― celui dont il a pris la tête il y a quelques années, en même temps qu’il a acquis le titre de chef des Travellers. Il connaît autant les paris qui les entourent que les bêtes qui y participent, sans parler de celles et ceux qui viennent de plus en plus assister à ce loisir que tous pensaient perdu, pendant un temps. Il faut croire que le goût du risque et de l’adrénaline, il faut désormais le trouver ailleurs que dans les petits plaisirs dûment autorisés par le gouvernement et estampillés ASAP… Un fait qui est bien pour satisfaire le gang irlandais et qui pourrait s’avérer encore plus lucratif s’ils s’associent aux Black Hands, qui ont fait des paris sportifs une de leurs spécialités.
Ainsi, Darragh est plus qu’à l’aise de s’adresser à Selket et d’éclairer les zones d’ombre qui subsistent autour des courses illégales : « Nous en organisons un nombre suffisant d’honnêtes pour que les courses truquées ne soient pas trop évidentes. » Principe simple : il faut qu’on leur fasse confiance, avant de pouvoir parier le moindre Gallion dans leurs affaires.

Grainne l’interrompt dans ses explications, apportant avec elle le whiskey nouveau et la confirmation que leurs partenaires sont en mode affaire, en témoigne la nouvelle question de Selket : « On parlait paris. Vous les gérez comment, vos courses ? Je suis curieuse de savoir si ça marche comme nos… altérations des matchs de Quidditch… Pour déjà avoir assisté à un match truqué de Quidditch, truqué par probablement l’homme devant lequel il est assis… il sait ce qui se cache sous le mot poli. Oui et non. Les “altérations” ont lieu en amont et on laisse nos bookies s’occuper de donner les bons conseils au chanceux du jour. Rien qui blesse les créatures, bien sûr. » Évidemment : on ne refait pas un éleveur de créatures magiques, et surtout pas un Lynch. Le moindre mal fait aux bêtes sur les pistes est davantage un signe d’intervention extérieure malicieuse et une alarme, pour l’An Lucht Siúil.

Il embrasse pleinement son rôle de charmeur charmant, avec sa propre prochaine proposition : « Grainne saura mieux vous proposer quelque chose de financièrement intéressant, mais... venez à la prochaine course organisée. Tous les deux. Vous verrez ce qu’il en est. L’éclat qui brille dans les yeux bleus du Farrow lui assure que le Middle Finger risque d’être de la partie ― on ne refait pas un parieur sportif et le vice de l’homme est presque trop connu. Autant que tous les autres qu’il affiche en étendard. Les mises commencent à dix Gallions pour les premiers parieurs. Prudent, commente Lance, et Darragh peut seulement approuver. La meilleure façon de ferrer le poisson. » L’offre n’engage pratiquement rien, pour les Black Hands : une visite, un spectacle, un peu d’argent de poche misé… tout qui puisse tourner en leur faveur. Les deux têtes de leurs interlocuteurs se consultent et lui ne se retient pas pour envoyer un clin d'œil à sa jumelle. Ce n’est pas encore dans la poche, mais laissez-le décider que ça se dessine bien.

Grainne écoute attentivement la discussion qui s’est lancée, principalement entre Selket et son frangin. Oh, oui, son pied est non loin de la jambe de Farrow, mais elle a mis une pause dans le contact aller-retour, parce qu’il s’agit d’une conversation peut-être un peu trop sérieuse pour continuer à se faire du pied en tout bien tout honneur. Son nouveau verre en main, elle fait tourner le liquide ambré dedans, songeuse. Et de hocher la tête avec gravité lorsque Darragh rappelle que les Travellers n’ont pas pour habitude d’abîmer les bêtes qu’ils font courir. Un principe de base auquel il ne viendrait jamais à l’esprit des Lynch de déroger, eux qui ont grandi dans une ménagerie variée et bien moins domestiquée que celle qui se dit « Magique » sur Diagon Alley.

Les billes de leurs interlocuteurs glissent brièvement vers la blonde lorsque l’éleveur de créatures promet qu’elle saura trouver un prix convenable et elle hausse légèrement les épaules, comme pour leur signifier de ne pas non plus trop rêver. La négociation ne pouvait pas non plus être trop facile, ou ils risqueraient de laisser percevoir leur fragilité. Mais déjà la proposition de Darragh reprend l’attention des Black Hands et Grainne, qui scrute les traits de Selket à cet instant, repère qu’elle semble suffisamment curieuse et intéressée pour qu’on puisse espérer l’y voir. Un sourire à son frérot, qui prouve une fois de plus ses dons de charmeur, et la blonde reste silencieuse, le temps que Selket reprenne la parole après avoir consulté son homologue : « Ça peut se faire. Vous avez un endroit spécial pour organiser ce genre d’évènements ? » Elle est définitivement à la pêche aux informations, songe la journaliste, alors qu’elle observe l’attitude de Selket, clairement moins tendue que lorsqu’il s’agissait de la réunion entre Bratva et Black Hands.

« On change régulièrement. Des fois qu’une Brigade du Ministère ne veuille venir y fourrer le nez… », répond calmement l’Irlandaise, sans animosité ni agressivité, mais plutôt sur un air entendu. « Ça se tient… », approuve Selket en hochant la tête, avant de prendre une gorgée de whisky. L’autre raison pour laquelle l’An Lucht Siúil change régulièrement de lieu de courses, c’est aussi pour éviter une visite inopportune d’un autre gang qui pourrait vouloir passer outre le principe de respect des activités d’autrui. Mais il paraît que ça ne peut pas être reconnu officiellement, que ça viendrait à ternir la réputation du Syndicat. « Ça évite aussi de devoir débourser des centaines de Gallions pour conserver un emplacement… », complète-t-elle, trop le nez dans les comptes pour ne pas y voir également un intérêt lucratif. Elle hausse les épaules en disant cela, comme si c’était une économie infime. Comme s’ils étaient encore assis sur des tas d’or, à la manière de leprechauns, comme les rumeurs le racontaient vingt ans auparavant. Selket n’a pas l’air d’être suspicieuse à cet égard, fort heureusement, puisqu’elle lève son verre qui contient encore une bonne lampée du pur-feu et s’accorde : « Eh bien, faisons comme ça : tu nous diras où vous retrouver ! propose-t-elle en s’adressant à Darragh, avant d’ajouter, comme une promesse : Et on parlera pognon après, si ça nous plaît. », achève-t-elle avec un regard convenu à Farrow, et un sourire en coin (?) (À croire que Gina y trouve un certain soulagement à pouvoir traiter avec des gens qui considèrent que les femmes ne sont pas juste des trophées dénués d’esprit.) « Oh, ça vous plaira. », promet Grainne en trinquant.

Les verres finis, les Black Hands se lèvent de table d’un même mouvement, laissant les Lynch assis ensemble. Tournée vers son jumeau, la blonde (et la belle gueule) du duo propose un plan d’action : « Tu crois que dans la demie-heure qui reste d’ici la fin de la réunion, tu peux réussir à en savoir plus sur ce que Selket sait de l’histoire du Filet du Diable ? Je peux me charger de sonder ce bon vieux Lance pour apprendre ce qu’elle n’a pas aimé dans l’entrevue avec la Bratva, en retour… » Et d’ajouter, d’un air concerné : « Faut bien qu’on ait des choses à raconter à Mike quand il sort, hein. » Comme si elle ne sentait pas les potins à plein nez et qu'elle n'avait pas envie tout bonnement de tout savoir, comme d'habitude.