Il regarde les volutes de fumées s’élever dans l’air en prenant des formes improbables. La musique résonne dans la pièce, un rayon de soleil réchauffe sa peau nue, aucune hallucination à l’horizon, ou du tout moins il lui semble. La vie semble belle. Ambroise tire une nouvelle fois sur sa cigarette, ferme les yeux et pourrait presque s’endormir laissant la nonchalance ambiante se transformer en une petite sieste. Cette parenthèse de farniente est la bienvenue, il n’en a pas beaucoup dans sa vie faite de tout et de rien. La plupart du temps, il est avec son frère, tout d’abord parce qu’ils sont des jumeaux plutôt liés mais aussi et surtout parce que la plupart de leur business se fait sur la base du duo très bankable des Flamel Twins. Ambroise adore Amaury, il est le seul à pouvoir complètement le comprendre et inversement, mais son frère est… Disons qu’il prend beaucoup de place. Le cadet est plus calme de nature, sympathique à sa manière, mais aussi plus discret ce qui lui donne soit disant un aspect mystérieux qui plaît à une partie de leur audience. Ils se complètent bien, mais au-delà de ça, ces moments passés loin de l’autre sont particulièrement agréables. Vivre dans l’ombre de son frère n’est pas évident et la jalousie d’Ambroise a besoin d’un peu de répit pour ne pas se déverser sur le pauvre Amaury qui se contente d’être lui-même. Avoir un jumeau, même quand on l’adore, c’est toujours bien plus complexe que toutes autres relations. Tout se mélange à l’extrême. Il a autant besoin d’Amaury que celui ci peut lui taper sur les nerfs.

A côté de lui, Paul, ou Pauly parce que ca fait plus « artiste », un photographe qui a son petit succès, analyse les derniers clichés qu’il a pris. Ca fait quelques semaines qu’ils se voient. Ambroise l’inspire soit disant, lui se contente de le laisser l’amener aux expositions, restaurants, soirées de ce milieu artistique sorcier auquel il appartient. Le français adore ça, se faire entretenir est quelque chose de facile et de fondamentalement confortable. Sans compter que Pauly est un très bon coup, argument principal pour Ambroise il est vrai.

L’artiste rompt soudainement le calme ambiant, s’enthousiasmant sur ce qui semble être un petit bijou découvert dans sa pile de clichés. « This one is amazing. » Il se lève de sa table de travail est vient s’asseoir à côté d’Ambroise que se relève lentement du lit dans lequel il était étalé comme une crêpe. Le regard du Flamel se pose sur la photographie de Pauly et il sent un frisson lui parcourir la colonne vertébrale lorsqu’il se voit sur le papier glacé. « The light, the grain, your expression… What was happening in your head ? » Ambroise sait exactement ce qu’il se passait à cet instant là. Il sait qu’il a vu le sol s’effondrer devant lui, le trou s’agrandir inéluctablement, et il se souvient qu’il n’a pas su comment réagir. Real or not ? Personne de confiance à qui poser cette question, personne pour l’ancrer à la réalité. Seule la non réaction de Pauly lui avait confirmé qu’il avait à nouveau à faire à une hallucination. Ce qu’il se passait dans sa tête à cet instant précis ? C’est ce sentiment qui tétanise le corps de ne pas savoir quoi croire, que faire, comment réagir, quoi dire, de se contente de retenir sa respiration, de manquer un battement du cœur. Il déteste ce sentiment, c’est celui qui le hante le plus à cause de sa malédiction, celui où toutes ses névroses sont à fleur de peau prêtes à le dévorer toutes crues, le moment où il est terriblement vulnérable. « I’ve seen this look before but it always fades so fast. Catching it on this picture, it’s a miracle ! » Pauly est dans son monde, il ne se rend pas compte qu’Ambroise est profondément irrité par ce cliché que l’anglais trouve pourtant si génial. Le Flamel aime bien jouer à la muse, être un trophy boy en échange de quelques photos de lui ou peinture ou autre, mais il déteste lorsqu’on gratte la surface. Il déteste qu’on le perce à jour de cette manière si flagrante, si permanente, vouée à s’afficher aux yeux de tous. Exactement tout ce que Pauly cherche à faire via son travail justement. Appelons ça un conflit d’intérêt. Le problème est que Pauly est bien trop excité par une simple photo, ca met les nerfs d’Ambroise en boule. « Look at your eyes, look closer ! Were you sad ? Scared ? I can’t even tell. » Ambroise rend la photo à son amant, tire une nouvelle latte, tapote la cendre dans le cendar adjacent et se rallonge. La photo est peut être jolie avec ses couleurs douces, l’exposition donnant dans le clair obscur et tout le reste, mais ça ne suffit pas à contrercarrer le reste. Ambroise aurait envie de la lui faire bouffer.

Bien entendu, ce n’est pas la faute de Pauly si Ambroise déteste autant une simple photo. L’artiste ne sait même pas de quoi il ressort exactement. Ce n’est pas quelque chose que les jumeaux disent, parce que personne ne peut comprendre. Depuis qu’ils sont tout petits, leurs vies est incompréhensible pour les autres. Depuis même avant leur naissance à vrai dire. Leurs parents ont peut être pensé bien faire en allant voir Baba Yaga, ils pensaient sauver leurs enfants et c’était vrai sur le papier. Ils n’ont pas pensé aux conséquences, ou les ont simplement minimisé, alors que c’est le principe même de l’alchimie. C’est peut être pour ca qu’Ambroise rechigne à vraiment s’adonner à cet art, il ne sait que trop bien ce que peuvent êtres ses effets. Il est vrai qu’Amaury est celui dont les séquelles sont les plus voyantes. Sa non-voyance, qu’Ambroise n’a jamais vu comme un handicap vu qu’il considère son frère comme apte à bien plus que lui, a fait qu’il était particulièrement surveillé, choyé, pouponné. Ambroise s’est parfois senti comme une espèce de bâton dans les roues pour ses parents. Le fait même de devoir être alitée pour le garder encore quelques semaines de plus que son frère à l’intérieur d’elle, a empêché sa mère de s’occuper correctement de l’aîné à son arrivée dans ce monde, lui qui, étant prématuré, avait pourtant tant besoin d’elle. Elle a compensé par la suite laissant un peu Ambroise de côté, enfin il a vu les choses comme ça. La vérité est que ses parents ont fait comme ils pouvaient avec cette situation impossible. Quoiqu’il en soit, ca a nourri une jalousie déplacée, complètement, Ambroise le sait mais ne prend pas la peine de s’en vouloir. Il est comme ça, égo-centré voir parfois égoïste.

Il a toujours été angoissé. Le fait de ne pas pouvoir distinguer les hallucinations du reste le mettent on edge. Et lorsqu’elles sont là, il n’arrive pas à s’empêcher de sursauter ou de les suivre du regard, ca lui donne un air distancé, un peu fou aussi. Il a toujours un moment de blanc avant qu’il parle, ne sachant pas, tout simplement, si il se donnera en public à parler avec un mur ou le vide intersidéral. Petit, il ne faisait pas attention, il se contentait de les prendre entièrement comme étant sa propre réalité. Si ses parents l’ont trouvé plusieurs fois à parler seul dans sa chambre, il y a parfois eu des situations bien plus dangereuses, de celles qui l’ont marqué à vie. Une chute dans un trou noir, une noyade dans la rivière… Les parents Flamel en sont ressortis hyper vigilants et attentifs, étouffant un peu leur progéniture au passage. Lui en est ressorti plein d’angoisses et de méfiance. Sa nervosité a grandi en même temps que lui. Il n’est pas fou mais c’est tout comme. Les jumeaux sont allés voir des psy, l’un deux a mis un crayon dans les mains d’Ambroise pour lui dire de dessiner ce qu’il voyait. Il ne saurait pas dire si ca a été une vraie thérapie ou si ca l’a fait plongé encore un peu plus, mais il continue encore à ce jour de poser leurs hallucinations sur papier. Il est devenu un peintre talentueux mais la plupart de ses toiles prennent la poussière. Les autres ne comprendraient pas, personne sauf Amaury ne peut comprendre. L’ironie veut que son frère ne verra jamais les œuvres d’Ambroise. Le monde est vraiment mal fait. A vrai dire Ambroise lui-même ne supporte pas de voir ses propres toiles, tout comme il ne supporte pas de voir son visage sur cette maudite photo à la con sur laquelle continue de s’extasier Pauly. « I’m going to put it in first page. My masterpiece ! » Cette remarque le fait se redresser, s’appuyant sur ces deux coudes. L’existence même de cette photo l’énerve mais il peut vivre avec, la savoir exposée aux yeux du monde est une tout autre chose. Il ne peut pas le permettre. « Pauly, it’s trash. » L’artiste se retourne rapidement, visiblement stupéfié. « What ? You’re a fool it’s a one in a lifetime picture of you. It’s your essence Ambroise. » Ambroise soutient son regard. « I don’t like it, you should get rid of it. » Il se laisse à nouveau tomber sur le lit comme pour sonner le glas de cette conversation. Pauly, cependant, est têtu. C’est que c’est un artiste, un vrai. « No way. » Ambroise soupire lourdement avant de se retourner pour écraser sa cigarette. Il peut devenir mauvais lorsqu’il est de mauvaise humeur et on peut dire que celle ci se détériore rapidement. « I thought you were a better judge of your own art. » Cette petite pique est gratuite sans parler du fait qu’elle est particulièrement fausse. Donner dans la mauvaise foi ne l’a jamais dérangé d’autant plus si ça lui permet d’avoir le bon rôle. Pauly, lui, n’a pas l’habitude que les attaques passives agressives d’Ambroise soient tournées contre lui. Ce n’est pas que le français soit un amant particulièrement romantique, adorable et tout ce qui pourrait passer par la face honeymoon d’une relation. Il n’a à vrai dire jamais eu de relation très conventionnelle. Il n’est pas vraiment fidèle, ne fait pas vraiment d’efforts, mais a l’irrésistible charme de profiter entièrement de l’instant présent. Ambroise est de nature sympathique et avenante, évoluant donc parfaitement dans le milieu de la haute société où tisser des liens fait entièrement parti du jeu. Mais en plus d’avoir une attitude facile d’accès, oui, il est charmant, et c’est ce qui fait son succès dans le domaine amoureux. C’est dû à son petit côté mystérieux et c’est aussi celui ci qui attire sur lui l’attention d’artistes du genre de Pauly. Ces amants et amantes sont de jolies parenthèses dans la vie du français, et, si il n’est tombé amoureux que de très rares exceptions, il a toujours pris soin de ses partenaires, enfin à sa manière. Alors bien entendu Pauly ne comprend pas sa remarque que tend vers l’acerbe. « Excuse me ? » Ambroise s’étire nonchalamment tout en persistant dans son opinion biaisée au possible. « It’s bad, trust me. Give it to me, I’ll burn it for you. » Il tend la main vers Pauly comme si celui ci allait vraiment faire ce qu’il vient de lui dire. A la place se dernier lui tourne le dos et retourne à sa table de travail, énervé à son tour. « You really don’t know what you’re talking about. »

Ce n’est pas faux. Ambroisie navigue dans le domaine artistique mais n’y connaît rien. Il sait juste que ca lui ouvre des portes plus ou moins intéressantes et, quasi systématiquement, il en ressort avec des œuvres de valeur à rajouter à sa collection ou des contrats de modèle ou encore quelques bonnes adresses de resto. Pour quelqu’un d’aussi peu organisé et investi que lui, se reposer cette situation est une bénédiction. Et, soyons honnête, si il a cette chance, c’est grâce à son simple nom de famille. Mais en effet, il n’a absolument aucune idée de ce dont il parle n’y connaissant rien en photographie et c’est le cas dans beaucoup de domaine. L’alchimie en est un autre exemple. Si les jumeaux ont cru que c’était par ce biais qu’ils allaient se défaire de la malédiction qui leur pourrit la vie, ils ont vite dévié vers un aspect beaucoup plus simple et moins prise de tête de cet art. Ils se donnent en spectacle plus qu’autre chose, balancent de la poudre aux yeux, sourient quand il le faut, font craquer le publics parce que, bien entendu, ils sont beaux et ça fait 90 % de leur succès. Le fait est qu’ils n’ont pas besoin de maîtriser tous les aspects de l’art familial pour remplir les caisses de gallions, alors ils ne se forcent pas plus que ça. Il en va de même pour la gestion de casino, dernière lubie du duo. Parce qu’ils adorent entuber les gens aux jeux – et de manière général, de toutes évidences -, ils ont décidé de le faire à grand échelle. Sauf qu’ils n’y connaissent absolument rien dans la gestion d’établissement du genre, et de toutes autres genres d’ailleurs. On pourrait les voir comme étant audacieux, ils sont peut être juste un peu crétin et mal habitués à l’échec. Ca leur tombera dessus un jour, et ils seront choqués comme jamais. Mais, pour l’instant, Ambroise continue d’arborer cette assurance qui en est presqu’insolente. « If you show this in your expo, don’t expect me to come back to you. » Comme si Ambroise était indispensable. C’est le destin de toute bonne muse que de se sentir pousser des ailes. « I don’t care. » Ambroise pouffe de rire et le débat se clos comme ça, sur une espèce de non lieu dont on ne sait pas quoi en tirer.


Le lendemain, il retrouve un Pauly passablement énervé qui le pointe d’un doigt accusateur. «What did you do with it ? » Les lèvres d’Ambroise s’étirent en un grand sourire. Il ne prend pas la peine de jouer les innocents et assume son amusement face à la situation. Ses mains s’élèvent dans les airs comme pour mimer une disparition mystérieuse et inexpliquée, geste ponctué d’un « Whosh. » explicite. Il avait prévenu qu’il allait y mettre le feu. Il a une petite tendance pyromane.

Le français se sent d’autan plus comme un con quelques semaines plus tard lorsqu’il voit, dans la vitrine d’un magasin de Diagon Alley, l’affiche de publicité de la prochaine expo de Pauly. Bien entendu, ce dernier avait un double de ses négatifs. Ambroise prend un air mauvais alors qu’il balance dans le vent un : « Fils de goule. » qui vient du fond du coeur. Il écrase sa cigarette et s’en va sans demander son reste.