tw: mention de ts, pensées morbides

"I'm not hungry. Leave, go take care of your mistress and don't come near me unless you're summoned, is that clear?" L'elfe de maison avait ouvert de grands yeux, puis avait déposé le plateau repas sur la table attenant à son fauteuil de mains tremblantes - Celyn avait poussé un soupir en le voyant transplaner avec la délicatesse d'un hippogriffe dans un magasin de porcelaine, excédé par le moindre bruit, le moindre dérangement, la moindre présence, tout ce qui n'était pas le souffle ténu de son frère, dans le silence pesant de la chambre, sa chaleur devenue presque tiède dans le sommeil, sous les paumes fraîches de l'aîné.

Il avait besoin de pauses régulières, dans sa veille, comme pour reprendre son souffle hors de cette bulle endeuillée, criblée d'une incertitude qui, s'il la laissait ramper sous sa peau, l'étourdissait jusqu'à lui donner la nausée. Il ne dormait plus, mangeait à peine, laissait les voix reprendre le dessus dans son crâne ; alors qu'il commençait tout juste à reprendre pied, Celyn avait vu son monde basculer avec une violence douloureusement familière, qui lui avait explosée au visage lorsqu'il avait découvert, au coeur de la forêt bordant le domaine Rosier, le corps inanimé de Caesar.

Pas lui, pas son frère - ils n'étaient plus que trois ; et Celyn avait été frappé de plein fouet par ce chiffre, trois, durant l'interminable attente derrière la porte de la salle d'opération. Ils n'étaient plus que trois, après quatre morts - et la perspective d'y voir s'y ajouter un cinquième lui avait déchiré le coeur comme jamais.

Il aurait voulu s'endormir de nouveau, lui aussi, prendre la main de Caesar comme il n'avait pas su le faire depuis son réveil (depuis jamais, de fait - Celyn n'avait pas été un frère comme il l'aurait dû, pour lui, pour Basil, pour Eun-Ji et Ha-Yun), le rejoindre de l'autre côté de ce monde qu'il connaissait par trop bien désormais, retrouver les leurs, laisser Jeong-Hee et Ben à une vie dont ils ne voulaient plus ni l'un ni l'autre - mais les jours passaient et la main de Caesar restait un poids mort dans la sienne, faisant éclater en sanglots réguliers un Celyn baignant dans un éveil léthargique, tenu par une énergie dont il ne voulait plus, l'éclat des sourires de Zeke une étincelle vacillante dans les ténèbres qui s'étaient abattus sur lui.

Un craquement sonore retentit à ses pieds ; son regard fatigué s'illumina d'une lueur de colère en trouvant devant lui l'elfe explicitement congédié quelques minutes plus tôt. "What did I just tell you, bloody Merlin?" "The Master, Sir." Le sang de Celyn se figea dans ses veines, et l'elfe, jugeant cet état de confusion brusque, ajouta rapidement, comme pour éviter une autre salve d'insultes : "I think, well, no, it appears he has moved."

Celyn se leva derechef, ses pas le précipitant jusqu'à la porte à quelques mètres du couloir ; il pénétra presque aveugle dans la chambre, ses sens obstrués par la panique et l'espoir, ses yeux deux orbites inutiles rivés sur la silhouette allongée de son frère tandis qu'il s'approchait, le coeur battant à une allure inédite. "Caesar", fit-il en pressant une main sur son épaule, ses yeux balayant son visage à la recherche d'un mouvement, d'un souffle de vie. "Caesar, can you hear me?" Son souffle menaçait de s'éteindre, étranglé par les émotions vives ; il s'humecta les lèvres en s'asseyant maladroitement, se retenant à l'assise du fauteuil derrière lui amené par l'elfe. Les doigts de Celyn se refermèrent sur ceux désespérément fins de Caesar, son regard sondant frénétiquement son visage. "Where has he moved? How?", fit-il en direction de la créature, pressant sa main dans la sienne comme pour le faire revenir à lui. "His hm, eyes..." "His eyes moved? What are you even saying?" répliqua-t-il en revenant à son cadet avec un froncement de sourcils à la fois soucieux et furieux, la crainte vertigineuse d'une fausse alerte lui piquant le coeur. "Caesar", tenta-t-il une dernière fois, sa voix se cassant sur ce dernier espoir. Wake up, please.

tw: mention de suicide

"Caesar."

Caesar est ramené à son corps dans un souffle, qui a pour lui des allures de vrombrissement assourdissant. Absent, et puis présent - comme si quelque chose quelque part venait d'appuyer sur un interrupteur, forçant une connexion douloureuse et désagréable à se faire brutalement. Son corps se fait brûlant, se fait physique, se fait solide, se fait bruyant: Caesar sent tout d'un coup son sang rugir dans ses oreilles, puis la cavalcade effrénée de son coeur, puis le sifflement ténu de ses poumons, puis le reste du concert de ses organes à l'oeuvre. Il n'avait jamais remarqué à quel point ils pouvaient être bruyants, pesants, douloureux aussi - il a l'impression que certains se sont liquéfiés, que d'autres sont en feu, que la plupart sont sur le point d'exploser.

C'est avec un vent de panique fiché dans la poitrine qu'il ouvre les yeux, et laisse la lumière tamisée de la pièce lui brûler les rétines; et c'est à bout de souffle qu'il est animé d'un sursaut, presqu'une impulsion magique, en se rendant compte qu'il a été de nouveau fait prisonnier dans un corps fait de chair et de sang.

Eun-Ji, est le premier mot qui lui vient, le visage de sa soeur aux sourcils légèrement froncés s'imposant à lui en filigrane, ses yeux noirs immenses deux portes scellées lui promettant un monde meilleur. Le monde auquel revient Caesar est désagréablement brillant, bruyant, terrifiant, et ses yeux roulent douloureusement dans leurs orbites pour s'accrocher à quelque chose de familier et de reconnaissable, sans trouver quoique ce soit.

Hyung, est le deuxième mot qui éclôt à la surface de son esprit et qui s'imprime dans ses pensées alors que ses yeux balayent les traits cireux de son frère.

Celyn, pas Basil.

Aussi maladroitement qu'il lui donne l'impression de s'être remis à battre, Caesar a l'impression que son coeur chute dans sa poitrine, se transformant en roche dure et solide pour écraser tout sur son passage. Les ravages soudains de la douleur de l'affliction qu'il a lui-même apposée à ses poumons, de ce réveil impromptu qui lui donne l'impression d'avoir traversé le Voile lui-même, de la déception et du deuil qui éclatent soudainement dans sa poitrine en lacérant ce qui s'y trouve. Les yeux de Caesar tressaillent, ses paupières menaçant de se refermer pour le faire replonger profondément dans ces rapides à l'eau froide et cruelle où il a l'impression d'avoir été baigné pendant des siècles durant, écrasé sur tous les rochers sur son chemin, jamais de repos, jamais laissé tranquille.

C'est avec un dernier espoir qu'il pense à sa main et qu'il se rend compte que ses doigts, qui lui font l'effet d'être autant distants que glacés, sont serrés douloureusement dans ceux de Celyn. Ses doigts sont en train de se briser dans cet étreinte, son corps est agité de frissons sous le tissu rêche et inconfortable de son pyjama et des draps, sa langue pèse mille tonnes dans sa bouche parcheminée et sèche et il a l'impression de faire appel à une force miraculeuse quand il parvient à détacher ses lèvres l'un de l'autre, et à répondre faiblement à l'étreinte de la main de son frère sur la sienne.

You'll be okay, lui a dit Eun-Ji, you have each other.

Caesar a envie de sourire, de pleurer, de se rendormir, de ne plus jamais fermer les yeux - une émotion étrange recouvre la douleur et la panique, le soulagement et l'angoisse, une émotion brûlante et diffuse qui explose dans sa poitrine et se glisse dans chacun de ses membres, chacun de ses doigts, de la racine de ses cheveux jusqu'au bout de ses orteils. C'est douloureux, et il a l'impression que ses nerfs sont grignotés sur le passage de cette émotion, mais aussi rassurant - un poids qui n'est ni étouffant ni nauséeux, qui réveille en lui une sérénité inattendue et inédite. "Hyung," parvient-il à articuler à grand mal, à bout de souffle. Sa voix est rocailleuse, lui fait penser à du papier de verre sur une surface métallique. "I... thirsty..."

tw: angst

Puis Caesar ouvrit les yeux.

Le coeur de Celyn imprima un battement furieux, puis un second, éclatant dans sa gorge serrée par le spectacle inespéré qui, après de longs jours d'incertitudes et d'attente, se produisait sous ses yeux. "Caesar," répéta-t-il en se levant précipitamment du fauteuil, le repoussant nerveusement sans quitter son frère du regard, "Caesar, can you hear me?"
Ses traits étaient tirés, ankylosés de ce sommeil lourd dont Celyn portait encore les traces sur lui ; mais ses yeux bougeaient sous ses paupières, et Celyn enserra doucement sa main à la recherche de ce mouvement, ce signe qu'il avait émis lorsqu'il s'était éveillé plusieurs mois plus tôt.

Il eut soudain l'impression de se voir dans un miroir déformé par le temps et les circonstances : l'impression de vivre son réveil à l'envers, dans la peau de Caesar, Caesar dans la sienne - il pouvait sentir la lourdeur de son propre corps, et la douleur dans ses membres compressés par l'étreinte de son frère. Stop. Stop this. Too much. "Hyung." La voix faible de Caesar le ramena brutalement à cette réalité mensongère ; il sonda fébrilement les yeux de son frère à la recherche de la suite, serrant ses doigts dans les siens en de brèves pressions, comme un langage silencieux traduisant toute l'émotion vive battant dans son torse . "I... thirsty..." "Yes", fit-il en détournant vivement les yeux, avant de claquer des doigts en direction du plateau repas laissé dans l'entrée. "Get me that water outside, quick." Il ne vit pas le rapide hochement de tête de l'elfe, son regard revenant instantanément à Caesar, le souffle court ; il avait chaud, terriblement chaud, et déglutit ses mots qu'il était incapable de dire, ainsi figé au chevet de son frère. You're awake. You're here.

Il sursauta au craquement de Dubu à ses côtés, ignora le verre qu'il lui tendait et d'un geste fébrile sortit sa baguette pour tapoter la tête de lit : le matelas se plia de moitié pour relever le haut du corps de Caesar. "Here", fit-il en relâchant à grand-peine la main chaude de son frère pour saisir son épaule et porter le verre à ses lèvres, sa baguette rapidement déposée sur la table de nuit ; ses doigts s'enfoncèrent dans le pyjama que le médicomage lui avait passé la veille, une ancre pour ne pas laisser Caesar s'enfoncer de nouveau dans la nuit, ses yeux rivés sur ses traits, ses propres lèvres laissant filer quelques mots à peine - lui qui avait toujours estimé son esprit pragmatique se voyait bien en mal d'y trouver toutes les qualités, ainsi réduit au strict minimum. "Go get Irene", fit-il brusquement à l'attention de l'elfe, détournant à peine le regard de Caesar, surveillant le verre entre ses doigts, "then the Mediwizard, and let Ben and my aunt know, in this order, I don't care if they're working - go." Ses doigts glissèrent jusqu'au bras de son cadet, tandis qu'il retrouvait son regard - lorsque Dubu eut disparu, et que Caesar eut pris quelques gorgées d'eau, il reprit, après une nouvelle pause : "How are you feeling?" Il ne détestait pas autant ses paroles détachées que sa voix légèrement tremblante sous le choc ; il n'était pas même certain que son corps ou son coeur fragiles parviennent à supporter ce chamboulement beaucoup trop grand pour lui - le médicomage serait là pour eux deux.

tw: grief

Les immenses yeux noirs de Celyn lui rappellent que leurs positions étaient inversées, il y a quelques mois - que c'était lui qui veillait nuit et jour à son chevet, et que c'était lui qui était présent lorsqu'il s'est réveillé. Caesar se souvient de son soulagement, de sa colère, de sa frustration. Est-ce que hyung ressent la même chose, aujourd'hui? Réalise-t-il lui aussi qu'il a perdu son frère à tout jamais, et qu'un autre s'est réveillé dans son corps? C'est l'impression qu'a Caesar, en tous cas. Que Celyn a changé à son réveil. Et que lui-même, après le sien, ne sera plus jamais le même.

Dubu est congédié en quête d'eau, et Caesar sent ses paupières s'alourdir, prêtes à les laisser finir leur course pour replonger dans les affres de l'inconscience, là où tout n'est pas si... douloureux. Ses deux tempes sont vrillées d'une douleur brûlante et diffuse qui se répand partout dans son crâne, comme si on y avait fiché des pics de glace. Ses poumons râlent à chaque inspiration, et exhalent en faisant craquer ses côtes. Sa gorge est sèche, brûlante; son estomac vide et serré comme un noeud de marin; sa peau un supplice, démangeante et brûlante, tapissée de sueur. Et ses oreilles sifflent quand l'elfe réapparaît dans un craquement, le faisant légèrement grimacer - et même ça lui fait mal, entre les sourcils et autour de ses lèvres sèches, et Caesar n'a plus qu'une envie: se rendormir.

Mais maintenant qu'il a ouvert les yeux, il n'est plus question de les refermer. Le matelas bouge sur lui, le force à s'asseoir, et Caesar gémit un peu en fermant les yeux quand la nausée fait baigner son cerveau. "Here." La main de Celyn passe de ses doigts à son épaule, et le verre est apporté à ses lèvres. La fraîcheur de l'objet fait se pencher en avant Caesar, par mécanisme, et il avale une longue gorgée de l'eau fraîche. Elle lui fait du mal en descendant, mais la suivante est rafraîchissante et agréable, et il lève sans y penser sa main restée immobile pour soutenir le verre. "Go get Irene, then the Mediwizard, and let Ben and my aunt know, in this order, I don't care if they're working - go." Irene, le médicomage, Ben, Jieun - rien qu'à l'idée d'être confronté à eux, Caesar a envie de pleurer. Rien que l'idée de croiser de nouveau le regard de son frère lui semble insurmontable. Mais il n'a pas le choix. Celyn est tout ce qui lui reste, et il est aussi son frère aîné, à qui il doit des comptes. Après des semaines de silence tendu, Caesar ne sait même plus quoi lui dire quand il ose croiser son regard.

"How are you feeling?" La voix de Celyn tremble, et la prise sur son bras est hésitante. You'll be okay, you have each other. Caesar ne voulait pas Celyn, il voulait Basil. Il ne voulait pas Jeong-Hee, il voulait Eun-Ji. Et il veut ses parents. Et il veut Ha-Yun. Et il veut... il veut être libre de nouveau, ne pas avoir la magie d'Irene enchaînée à la sienne, il veut pouvoir retourner au Pegasus, vivre avec Dennis dans l'atelier, créer des milliers de statues avec son frère, danser et rire et peindre et boire et aimer. Un jour ou l'autre, il aurait fini par se calmer, par trouver sa voie et s'y tenir - mais pourquoi est-ce que tout s'est précipité ainsi? Pourquoi, lui qui est né dans un océan de privilèges, n'a-t-il pas eu le choix au final?

Pourquoi lui?

"I saw noona." La question lui passe complètement par-dessus de la tête. Il est persuadé d'y avoir répondu: I'm fine, hyung. Cela fait bien longtemps que Caesar a cessé de dire la vérité à sa famille, et bien longtemps aussi qu'il a compris que ça ne servait à rien de toutes manières. "She... the bar... hyung... he's dead." Ses propos sont décousus, tous comme ses pensées qui s'entremêlent douloureusement, cotonneuses et élastiques, perdant leurs signification et leur impact en rebondissant sur sa langue. "I thought..." Caesar repose dans un geste maladroit le verre à moitié vide sur ses jambes, sans se soucier que l'eau se renverse ou non. "I thought he was here, with me... I thought I could... I tried... the contract..." Caesar repense à l'oeil unique d'Izar vrillé sur lui, et une sensation désagréable roule le long de son échine. If he is anywhere, we'll find him, Caesar. If. Keep in mind you might not like the outcome, even if you get what you hope for.

Quand son regard se tourne vers Celyn de nouveau, après avoir divagué sur des scènes imaginées, ses yeux sont plein de larmes. "He's gone for real, Celyn. Basil, he's... he's dead?"

tw: angst, deuil, pensées
morbides, mention de ts

"I saw noona." Le regard de Celyn sonda les yeux vagues de Caesar, posé sur une terre lointaine, un vent de panique soudain face à la possibilité qu'il ne soit pas entièrement revenu de l'autre côté – voyait-il, quand lui entendait ? Son cœur battit lourdement face à cette perspective brûlante, se retenant cette fois au bras de Caesar autant qu'il cherchait à prévenir une nouvelle chute. "She... the bar... hyung... he's dead." Who? Where? Celyn peinait à entendre clairement la voix basse de son frère, prêtant l'oreille avec une réticence sensible à ces mots par trop brutaux – dead. Il avait assez soupé de la mort et de ses rivages ; sa gorge se serra en ravalant l'image encore vive de Caesar étendu au sol, sans vie. "I thought... I thought he was here, with me... I thought I could... I tried... the contract..." Ses mâchoires se serrèrent, ses pupilles vacillant dangereusement sur les traits de son frère comme la flamme d'une chandelle sous un souffle glacial, sans se résoudre à les quitter en dépit de la pénibilité de l'instant (et du verre à l'équilibre précaire, menaçant de tremper ses jambes). "It's alright", répondit-il pour l'apaiser, craignant de sentir le trouble agiter Caesar à son réveil – quitte à lui mentir, quand rien ne semblait tourner rond dans cette réalité obscure dénuée de soleil.

L'idée de Caesar aurait pu se trouver mieux, s'il était resté au-delà du voile, le saisit avec amertyme. "He's gone for real, Celyn. Basil, he's... he's dead?" Celyn retint son souffle devant les yeux brillants de Caesar, si semblables à ceux de Basil (il n'avait jamais compris les différences physiques qu'on leur prêtait, du vivant des deux frères) – is he? Il cilla sans flancher, retenant le vertige qui menaçait de l'engloutir devant cette vérité déchirante. "Yes." Il ne reconnut qu'à peine sa voix, spectateur impuissant s'entendant répondre à Caesar avec une gravité abrupte. "Yes he is." Lui, Eun-Ji, Ha-Yun, leur père et leur mère – quand bien même il n'y avait pas assisté, la mort lente de Prince lui restait douloureusement en tête, un écho lointain de cette douleur sourde, qui, face à la réalité du suicide manqué de son frère, se révélait à lui avec un éclat brutal, courant furieusement sous sa peau pâle.

Dire à Caesar que Basil était mort était une claque féroce qui le forçait à regarder enfin la mort des leurs, et Celyn  tandis qu'il détournait le regard des yeux embués de Caesar, sentit tout le poids d'un deuil invisible, voilé jusqu'alors par son esprit tourmenté, s'abattre lourdement sur ses épaules.

Il se rassit en relâchant la prise de ses doigts pour les déposer fébrilement sur le bord du matelas, restant à portée du corps épuisé de son frère, une image-miroir du sien ne faisant qu'accentuer son inconfort. "I'm sorry." Ses yeux s'humidifièrent en un réflexe devenu presque mécanique, les larmes des ombres familières, symptomatiques du grand vide qui se trouvait en lui – depuis son réveil il avait pleuré, pleuré encore sans parvenir à exhumer le trou béant qui lui trouait le torse, sans comprendre d'où venait ce gouffre béant qui avalait comme un parasite chaque souffle de vie, chaque rayon de soleil, chaque esquisse d'émotions vives pour les transformer en une apathie totale, entière, qui avait  fini par engloutir Celyn.

Il releva les yeux jusqu'aux traits de Caesar, la peur de tomber dans le gouffre étouffée par celle de revoir les yeux figés et les lèvres violettes de son petit frère. "I know I'm not the one you would have liked to be here with you," fit-il d'une voix cassée, l'humidité teintant ses yeux retenue un instant par cette volonté sourde de lui dire (enfin) une vérité brusque qu'il méritait tous deux d'entendre. "I'm sorry it's only the two of us now. The two of us, to look after her." Sa main vint chercher le verre sur les jambes de Caesar, le déposant sur la table en détournant son regard, imitant les gestes nets de leur mère et de leur sœur, des gestes qui lui appartenaient désormais qu'il était le seul aîné de Caesar – puis ses doigts vinrent se refermer sur les siens en une étreinte inhabituelle, faisant rouler sur son cœur un embarras presque exutoire, un vestige de l'horreur liée aux démonstrations d'affection entre frères et soeurs. "I'll look after you too. I'm sorry I wasn't here," souffla-t-il en ignorant les deux larmes qui avaient roulé sur ses joues. "Stay with us. Please."