Padma est en colère. Il y a longtemps qu’elle ne s’est pas sentie aussi en colère. Elle est en colère contre Mengwu qui a cru bon de passer par une intermédiaire, une complète étrangère, une diseuse de bonne aventure de pacotille pour savoir si elle a des secrets, pour savoir si elle lui cache des choses. Elle est en colère contre elle de ne pas être capable de se confier à une personne qu’elle apprécie, de ne pas être en mesure d’avancer alors que les événements qui lui broient la poitrine dès qu’elle y pense se sont déroulés il y a près de dix ans déjà et qu’elle n’a pas revue l’objet de ses malheurs depuis. Elle est en colère contre Terry d’être réapparue dans sa vie sans qu’elle n’y soit préparée et qu’il chamboule sa tête et ses pensées. Elle est en colère contre eux de ne pas être en mesure d’être francs l’un envers l’autre pour ne pas briser leur bulle si douillette. De l’extérieur, ils forment peut-être un couple mignon et amoureux, mais au fond, ils ne se connaissent pas parce que chacun ne laisse entrevoir qu’une infirme partie d’eux et de leur vie. Ils ne présentent que le beau à l’autre, la surface, le léger. Mais, ça ne peut plus continuer. Ils ne peuvent pas espérer avoir une relation prospère s’ils s’entêtent à se cacher des choses, à ne pas raconter les événements qui font ce qu’ils sont aujourd’hui. Padma aurait dû s’en douter que tout finirait par exploser un jour. Elle ne pensait pas que ça serait la faute d’une voyante visitée dans une fête foraine moldue.

Mengwu la rejoint. Il est blême. Elle est rouge. Elle l’accuse. Il s’excuse. Elle ne démord pas. Ses explications l’agressent encore plus. Elle lève les yeux au ciel, énervée. Elle voit bien qu’il s’en veut et qu’il est vraiment désolé, mais le mal est fait. Le coup de la panique, elle n’y croit pas. C’est quelque chose qui le démangeait depuis un certain temps et il a pensé que c’était le meilleur moment pour la confronter sans que ça paraisse. "Alors? C’est ça notre couple? On pose des questions à des étrangers au lieu de se regarder en face? " Elle est aussi coupable que lui. Sa propre question sur la rencontre avec la famille Wang n’était pas complètement innocente. Il semble proche de ses frères et ses sœurs, mais il lui en parle très peu. Il esquive les questions lorsqu’elle pose des questions sur eux. Il est tout aussi vague concernant son travail et ses responsabilités. Ce n’est pas la seule à avoir des secrets. Ses méthodes d’esquive ou d’ignorance ne sont pas les meilleures, mais elles permettaient un certain coussin jusqu’à ce qu’ils soient prêts à se confier, mais tout est brisé maintenant. Padma ne peut pas faire comme s’il n’a pas de soupçons, comme s’il ne se pose pas de question sur elle. Elle ne peut pas faire comme si rien de tout cela s’était passé. Leur balloune est crevée.

Elle le voit mal en point et hésitant. Elle voit qu’il a honte et qu’il a envie de s’enfoncer dans la terre, mais elle ne plie pas. Elle est trop remontée. Trop dégoûtée par la situation. Elle a du mal à reprendre le calme qui lui sied habituellement, malgré les yeux piteux que lui lancent Mengwu. "Bien sûr que tu voulais! Tu ne l’aurais pas demandé sinon." Elle croise les bras, frissonnante tout à coup. Elle prend conscience du lieu où ils se trouvent. Où ils ont leur première dispute. Elle sent les regards sur eux et curieusement, elle s’en fiche. Elle n’a que le Wang dans le viseur. "Si tu tenais à moi, tu ne m’aurais pas lancé sous le magicobus devant une dame qui se donne des grands airs de conspiratrices!" Elle grogne en fermant les yeux n’en revenant toujours pas de son audace. "Et toi? T’es tout blanc peut-être? Tu crois que je n’ai pas remarqué que tu sembles plus pensif que d’habitude? Que ton regard et ta tête sont ailleurs? Tu crois que quand tu évites mes questions sur tout ce qui concerne ta vie privée, que j’oublie ou que ça ne m’affecte pas? Alors vas-y, pose les tes questions? Qu’est-ce que tu veux savoir sur mon compte? Qu’est-ce qui t’agace tant pour que tu n’oses pas me confronter?" Elle se redresse, menton relevé comme pour montrer qu’elle est prête à l’affronter, alors qu’à l’intérieur, elle sent sa poitrine se contracter par la peur et la nervosité. Malgré toutes ses belles paroles, elle n’est pas prête du tout à se révéler à lui.

Padma regrette vite l’invitation lancée sous le coup de la colère. Elle ne sait pas ce que Mengwu a dans la tête, ce qu’il veut savoir. Ça peut être n’importe quoi et elle n’est pas prête à répondre à tous les sujets qu’elle tient sous silence. Elle se voit mal esquiver par la suite alors qu’elle lui a demandé de la confronter. Mengwu garde son calme. Elle ne l’a pas emmené avec elle dans son énervement. Il semble toutefois vouloir abdiquer, pas par envie, mais parce qu’elle l’a mis au pied du mur. Parce qu’elle a énoncé tout haut ce qu’ils tentent farouchement de garder en dehors de leur relation. "Bien." qu’elle répond sèchement. Une victoire. Une petite parcelle de lui qu’elle va découvrir. Bonne ou non, belle ou non, ça sera ça de gagner. Ça ne peut que les rapprocher se confier, non? Elle le suit. Il n’essaie pas de lui prendre la main pour l’entrainer plus loin, loin de l’activité humaine et foraine. Elle croise les bras en prenant un air renfrogné et regardant où elle met les pieds.

Il choisit un endroit à l’arrière des tentes et des stands de jeux. Les sons sont coupés par les couches de toiles des chapiteaux qui les séparent du centre d’attraction. Elle attend. Impatiente de savoir ce qu’il veut lui révéler, compréhensive qu’il doive faire le tri dans ses pensées, inquiète de la teneur de ses propos. Elle garde une distance polie entre eux. Padma observe le Wang. Elle ne l’a jamais vu aussi sérieux. Son regard n’est plus chaleureux. Il ne bouge pas, pas mal une paupière. Il est ailleurs et elle s’en veut de s’être emportée de la sorte. S’il ne veut pas lui en parler, c’est qu’il a une raison. "Écoute, si tu ne veux p…" Mais, il se met à parler et sa révélation la laisse muette. Elle porte une main à sa bouche qui a formé un « O » muet. Son père est mort. Pas seulement mort, mais assassiné. Et il ne connait pas le ou les coupables. Elle ne s’y attendait pas. "Oh, Mengwu. Je suis désolée. Je ne…" Elle fait un pas dans sa direction, mais s’arrête. C’est de sa faute s’il est dans cet état second. Elle la replongé dans ce mauvais souvenir, l’a forcé à le sortir de sa tête. Il reprend alors vie, reprend conscience d’où il se trouve, ce qu’il a pu lui dire. Elle aimerait le toucher, lui signaler qu’elle est là, mais elle attend qu’il le fasse comme pour lui dire que c’est bon, il ne lui en veut pas. "Merci de me l’avoir dit. Je comprends mieux maintenant. Et…je suis là, tu sais. " Elle ne saurait pas comment le réconforter, elle n’aurait pas les bons mots, sauf ceux déjà tout écrits et clichés. Elle n’a jamais vécu un deuil dans son entourage proche. Du moins, pas ce type de deuil. Elle bien dû dire adieu à des gens, mais ils sont toujours vivants, aux dernières nouvelles. "Je…ne te poserai plus de questions sur eux." Elle aurait aimé qu’il lui dise ça dès le départ au lieu qu’elle insiste et qu’il l’ignore. Ça aurait été moins frustrant, même si ça l’est encore. Mais, elle comprend. Elle aussi sa situation familiale est compliquée et elle ne s’en vante pas. N’a-t-elle pas seulement mentionné qu’elle avait une sœur lors d’une discussion? Elle n’a rien ajouté, n’a pas dit qu’elle c’est une jumelle qui a écrit des livres et qui fait partie de l’ordre et qu’elle voyait par intermittence à coup de quelques minutes à la fois. Elle a juste dit qu’elle n’a pas beaucoup de nouvelles. Sans plus. Elle va respecter son choix.

« Nous sommes deux » qu’elle a envie de répondre lorsqu’il confesse qu’il n’a pas été honnête. Elle se contente de baisser les yeux. Le fait est que ce n’est pas un manque d’honnêteté qui fait défaut en ce moment. C’est le manque de confiance, c’est la vérité qu’ils cachent chacun précieusement, des faits dont ils partagent seulement quelques bribes. Juste assez pour satisfaire la curiosité de l’autre, sans détails. Et il enchaine à son tour sur une question qui semble banale, mais qui est le résultat de tout. Son cœur se serre. Padma n’a pas envie, plus envie de répondre. Elle ferme les yeux. Pourquoi c’est si dur? Ça devrait être simple. Il a droit d’en savoir plus. "À…à Poudlard, à ma dernière année, on m’a prise comme bouc émissaire pour la fuite de certains élèves et on…on m’a torturé. Depuis, j’ai du mal à dormir. Je fais des cauchemars, j’imagine des apparitions, j’ai peur de revoir cette personne. " Elle déglutit. Même si elle n’entre pas dans les détails, c’est difficile. Parce que dans sa tête, elle revoie tout. Même après dix ans, c'est toujours aussi dur. "Quand on s’est rencontré, je voyais un psychomage et ça allait beaucoup mieux. Mais voilà, pour certaines raisons, on a dû cesser nos rendez-vous. Et … tout a recommencé. " Elle rouvre les yeux. Elle ne sait pas si elle se sent mieux, probablement pas. Elle ne parle pas de Terry et de tout le reste. Au moins, il a une bonne idée du tableau.

C’est la deuxième fois qu’elle raconte de vive voix ce qu’il lui est arrivé près de dix ans plus tôt et ça fait toujours aussi mal. C’est toujours autant difficile de laisser passer les mots et de se remémorer les pires moments de sa vie. Elle observe la réaction de Mengwu sur ses aveux. Il y a toujours une part d’elle qui a peur que son histoire soit rejetée. Qu’on lui dise qu’elle invente pour se rendre intéressante ou qu’elle exagère les faits. Elle a peur qu’on minimise les effets néfastes que ces tortures ont engendrés et qui la suivent depuis tout ce temps. Qu’on lui dise qu’elle ne fait pas d’effort ou qu’elle devrait en revenir. Alors, la Patil a toujours tout gardé en elle ne se confiant qu’à Ernest et son visage impassible ainsi qu’à son premier vrai petit-ami habituellement empathique et soucieux. Elle s’attendait à retrouver de la pitié et de la surprise dans son regard, elle y voit plutôt de la colère et une autre émotion qu’elle n’arrive pas à nommer. Il semble secoué comme si ces révélations l’étonnent ou le ramènent ailleurs. Elle esquisse un sourire à son commentaire sur Hogwarts. Elle se souvient avoir eu le cœur serré lorsqu’il lui avait révélé avoir toujours rêvé d’étudier au collège réputé lors de leur premier rendez-vous. Padma a eu six années de bonheur, à se sentir bien, en sécurité, à se faire des amis, à rigoler, à étudier, à apprendre, à performer et une seule horrible. Pourtant, c’est celle qui prend le dessus et qui lui fait oublier tous les beaux moments. Elle repousse d’un mouvement de la main les excuses de l’homme. Il ne pouvait pas savoir et elle ne lui en a jamais voulu d’y avoir rêvé. Elle n’a jamais tenté de lui montrer les mauvais côtés de cette école et n’a jamais voulu le faire changer d’avis. Elle a juste toujours évité la question avec habileté.

Elle frissonne lorsqu’il lui prend la main et qu’il la serre. Elle fixe leurs doigts enlacés n’osant pas le regarder. Comme si leurs révélations avaient fragilisé leur relation au lieu de l’endurcir. Comme si quelque chose s’était cassé. Leur accord tacite à ne pas gratter trop profondément dans le passé de l’autre a été brisé. Si Padma a souhaité connaitre un peu plus Mengwu, elle regrette d’avoir laissé sa curiosité l’emporter jusqu’à s’emporter. Elle se permet de relever la tête vers celui du Wang lorsqu’il lui propose de lui trouver des recommandations pour un psychomage. Elle est touchée. Elle ne sait pas si dans le moment elle est prête à se confier à nouveau et à retourner dans ses souvenirs, mais elle apprécie qu’il veuille bien l’aider. Elle sait qu’elle ne peut pas vivre avec cette peur constante de se retrouver sur le même chemin qu’Alecto Carrow. Elle sait qu’il faudra, dans un avenir rapproché, qu’elle reprenne du début, qu’elle s’ouvre à nouveau à un professionnel, mais elle ne se sent pas prête. Elle murmure un "merci" cassé. Il réitère ensuite son offre de lui présenter sa grande sœur et elle réussit à esquisser un sourire sincère. "J’aimerais beaucoup." Elle essuie une larme sur le coin de son œil. Elle expire l’air qu’elle a gardé dans ses poumons tout au long de cet échange houleux. La plus sérieuse et orageuse qu’ils ont eu. Somme toute qui se termine bien, même s’il y a encore des secrets et des non-dits qui planent au-dessus de leurs têtes. Personnellement, la jeune femme en a assez eu pour aujourd’hui. Elle se ressaisie. "Tu veux aller faire un tour de grande-roue?" Question d’aller se calmer et d’avoir un moment doux après cette tempête inattendue. Question de profiter de leurs derniers instants de bonheur.