Les nouvelles circulaient vite, notamment celles de ce type, aussi était-elle rapidement arrivée aux oreilles des Al-Massri de Potter’s End, réveillant les murmures et questionnements d’ordre éthique. Fallait-il rendre visite à l’épouse et à la fille du défunt malgré tout ? Allait-il au moins être inhumé dans les traditions ? On avait considéré que faire parvenir une carte de condoléances à Amal ne ferait de mal à personne. Majid avait lui suivi les rumeurs de loin, il y avait de toutes façons d’autres préoccupations que le décès du vilain petit canard de grand-oncle (au hasard, mariage mariage mariage).

Puis il y avait eu un dîner en petit comité chez une quelconque personne bien en vue, Majid toujours ponctuel et arborant un nouveau costume de chez Taylor’s (must-have du riche bellâtre) s’y était présenté, sourire courtois distribué à la ronde alors qu’il saluait les maîtres de maison. Il lui fallut faire le tour des invités, adresser à chacun un compliment aimable et quelques questions, how’s your son ? your robe is splendid, where did you get it ? avant de ne plus pouvoir éviter le moment où il faudrait parler à la cousine de degré X. Il afficha donc le sourire poli habituel, balaya un grain de poussière de la manche de sa veste « as-Salam Alaykoum, » la salua-t-il. « Mes condoléances pour ton père, inna Lillahi wa inna ilayhi raji'un, » simple politesse, après tout, on ne passait pas à côté de quelqu’un que l’on savait en deuil sans présenter quelques mots, même quand le défunt n’était pas ce qu’on faisait de plus honorable et la fille pas ce qu’on faisait de plus aimable. En fait, même en dehors des agissements de Farouk, Majid n’aimait pas Siham, elle lui était antipathique, il n’appréciait pas les gens d’apparence aussi froide qu’elle et encore moins ceux qui le regardaient, lui et sa famille, d’un air dédaigneux. « Comment va ta mère ? » demanda-t-il finalement, balayant vainement des yeux la pièce à la recherche de la grande-tante. En attendant, il comptait un peu les secondes et essayait de caser le plus de formalités pour pouvoir s’échapper sans passer pour mal-élevé devant elle (quand bien même il ne la considérait pas apte à juger) ou les autres convives.

Presque jalouse de sa mère qui était priée de rester au maximum chez elle - on suivait les directives à la lettre dés que ça arrangeait bizarrement - alors que Siham devait se coltiner les dîners pour sauver les apparences. Pas de cavalier, que ce soit son père, Saib ou même Marius. Légère impression d'être toute seule, spécialement quand l'on se fendait d'un sourire peiné et d'un silence affecté en sa présence. L'envie de se barrer augmentait avec les minutes écoulées, l'impossibilité de se sauver au moins métaphoriquement par le biais d'un (ou deux, ou trois) verre de vin flirtait avec la torture psychologique et laissait la gorge sèche de ne pas pouvoir se désaltérer dignement entre quatre banalités échangées. L'enfer personnel de Siham était typiquement une soirée de ce type là. Sans musique qui valait le coup, guindé, sans visage aimé ou détesté pour briser la monotonie de la compagnie qui laissait indifférente.

Le pire fut quand elle réalisa que l'instant où le cousin éloigné déboula dans son espace vital fut sans doute le plus palpitant de la soirée. Regard légèrement hautain - d'autres diraient blasés - alors qu'elle détailla la silhouette. Joli costume, elle, de son côté, avait du faire dans le sobre. Robe simple, talons pas si hauts, absence de tout autre bijou qui ne soit pas son éternel pendentif doré lui tombant dans le décolleté. "Wa alaykoumou-ssalam" en guise de salut avant que le sourire décoratif ne flanche un peu. "Choukran..." On ne savait jamais quoi répondre aux condoléances des gens, même après des années à fréquenter les milieux de la haute. Puis Siham n'avait jamais perdu officiellement de membres de sa famille proche auparavant. Elle se raidit un peu à la mention de la mère qu'elle imaginait vivre sa meilleure vie dans son bain - ou plus probablement en train de fixer le plafond, réalisant à peine qu'elle avait perdu les deux hommes de sa vie -. "Elle va aussi bien qu'on le peut dans de telles circonstances" annoncé platement alors même que l'air signifiait que la question était conne à poser. Qui allait répondre un "Oh elle a sabré une bouteille de champagne pour l'occasion" ? Ou même peindre la dépression de la veuve alors que l'on n'était absolument pas proche de l'interlocuteur malgré les liens de sang. "Joli costume" complimenta-t-elle avant de saisir un petit-four sur le buffet. Voilà, elle avait trouvé son activité.

Majid ne s’ennuyait jamais à l’extérieur, se contentant de tout sujet aussi futile soit-il pour rebondir et bavarder pendant des heures, il y avait de toute façon assez de convive pour changer d’interlocuteur plusieurs fois et varier les plaisirs. Et puis il y avait sa cousine dont on évitait beaucoup la compagnie en sachant les travers dans lesquels ils baignaient, sa famille et elle. La courtoisie voulait cependant qu’on présente ses condoléances aux proches du défunt et Majid en seul représentant présent de sa famille voulait bien se porter volontaire pour se donner bonne conscience. « Wa alaykoumou-ssalam, » elle souriait, sans doute pas si terrible que la légende le disait, quoique, le brun était bien placé pour savoir qu’on ne se méfiait jamais assez des sourires aimables. « Choukran… » Il sourit aussi, nota de raconter à sa mère comme elle l’avait bien élevé au point qu’il était aussi adorable avec la cousine qui copinait avec Voldemort qu’avec le reste du monde.
       
« Elle va aussi bien qu'on le peut dans de telles circonstances, » une réponse pertinente. Siham y gagna un sourire affable alors que Majid saisissait un amuse-bouche sur le buffet. « Joli costume, » il esquissa une risette modeste. « Merci, » dit-il, se retenant de retourner le compliment vu la tenue sobre de circonstances adoptée par Siham. Le brun lui ne faisait pas dans le passe-partout, du moins choisissait-il des coupes classiques qui finissaient toujours par être remarquées pour la qualité des tissus ou leur iridescence, après tout, il était un Al-Massri. « Des nouvelles de Saib ? » demanda-t-il finalement. Un décès était sans doute le meilleur moyen de faire revenir un disparu, pour peu qu’il soit toujours en vie, or le cousin l’était-il ? Telle était la question. Il semblait que la disparition ait beaucoup intrigué au début mais que les ragots se soient essoufflés avec le temps, c’était dommage, Majid aurait bien voulu avoir le fin mot de l’histoire. Des disparitions, il semblait de toute façon y en avoir tous les jours, une habitude (vraiment) très désagréable du gouvernement d’après le brun, bien qu’il se garda bien d’en parler. Feindre de ne rien voir et plutôt attendre de rentrer chez lui pour en discuter avec Nadia, c’était encore ce qu’on faisait de moins dangereux. « Comment avancent tes recherches d’ailleurs ? J’ai cru comprendre que c’était à toi que revenait le projet … rien qui ne t’empêchera de conserver ton poste à la VB ? » aucun jugement ne transparaissait dans la voix, intérieurement en revanche, c’était bien différent. Majid ne nourrissait pas de sentiment anti-hybride, se demandait encore à quel point il était déplorable de s’en servir comme de limiers. La directive étant de la volonté du gouvernement, il ne devait donc rien en résulter de bon, d’ailleurs il ne comprenait pas ce que sa cousine pouvait bien trouver d’appréciable dans son boulot de brigadière. C'était particulièrement indigne de la famille.

Le sourire poli commençait à étirer les zygomatiques peu habitués à travailler autant et Siham manqua de l'effacer définitivement au nom du cadet. Oh le con. Comment ça tapait pile là où il le fallait. Elle ne cilla pas, regretta une seconde que ce ne soit pas Nadia la disparue - elle aurait pu demander des nouvelles comme ça, "alors vous l'avez faite fuir définitivement ?" - avant de faire non de la tête. "Aucune hélas. Vous auriez été dans les premiers prévenus, c'est la moindre des choses." La famille d'abord, n'était-il pas ? Bien que la moindre des choses était de se pointer aux enterrements pour y faire figuration. Elle, elle y serait allée. Juste pour faire chier, certes. Et s'impatienter dans le fond de la procession parce que c'était long. Elle y serait même allée avec Saib parce que Saib aimait bien faire genre qu'il était parfait même envers les gens qu'il méprisait et ils auraient été beaucoup mieux habillés que Majid à cet instant. Elle se sentait seule maintenant, Siham vs le reste du monde. Monde qui était décidé à ne jamais lui foutre la paix.

Voilà que le petit cousin parlait comme le vieil oncle cliché. "Et tes projets ? Tu travailles bien j'espère, hein ? A quand le mariage ?" Elle lui en posait des questions ? Regard indéchiffrable alors qu'elle buvait une gorgée de jus de citrouille qui manquait définitivement de whisky. "Oh, rien ne m'empêchera de garder mon poste..." Parce que c'était un peu marrant. "Après tout, les résistants sont des terroristes" - comme le cousin et les cousines (rip) de Majid qui avaient pris le maquis sans la moindre discrétion pour que tout le monde puisse bénéficier de la mauvaise réputation - "alors cesser de lutter contre eux me semble impensable." Sourire mielleux, à deux doigts de continuer l'apologie du régime parce qu'elle connaissait son texte sur le sujet. "Je veux dire, notre honneur est en jeu." Regard qui se fit glacial parce que de son point de vue - partagé désormais plus que par sa mère  - c'était le débarquement des autres Al-Massri qui avait foutu la merde. Avant, tout se passait très bien. A la limite, elle gardait Nahel qui relevait le niveau. Les autres... Entre Nadia qui devait comptabiliser trois neurones au total (et encore les bonjours) et Majid qui ne posait que des questions désagréables... "Mais merci de t'interroger sur l'état de nos recherches" - Siham n'avait pas encore tout à fait intégrée qu'elle en était désormais à la barre - "j'espère que ton travail à Ste Mangouste se déroule pour le mieux." Risette suintant l'hypocrisie.

Les convenances avaient quand même étaient inventées pour faire chier le monde, c’était ce que Majid pensait très fort alors qu’il affichait un sourire poli et observait celui figé de sa cousine. Une gorgée de sa boisson pour conserver son air plus cool que cool face à Siham qui comme d’habitude lui donnait l’impression qu’il parlait à un glaçon à l’élocution parfaite (boring) « Aucune hélas. Vous auriez été dans les premiers prévenus, c'est la moindre des choses. » Elle jouait bien, il lui tirait son chapeau. Il n’en avait pas, alors il se contenta d’opiner d’un air grave. « Quelle tragédie, » commenta-t-il solennellement. Saib en avait eu marre de sa famille décadente pour sur, mais ça, Majid ne le dit pas.

« Oh, rien ne m'empêchera de garder mon poste... Après tout, les résistants sont des terroristes, alors cesser de lutter contre eux me semble impensable. » Il avait presque honte de partager son sang, en fait, il remerciait ses parents de lui avoir donné une éducation correcte et de ne pas s’être écarté du Coran comme Siham et feu son père l’avaient fait, il était évident quand on la voyait que cela n’apportait rien de bon. Pourtant il conserva son expression courtoise, « je veux dire, notre honneur est en jeu. » Un bien joli mot qu’elle employait, on aurait demandé à Majid qu’il aurait assuré que son honneur, elle l’avait perdu il y avait de ça fort longtemps. D’ailleurs, en avait-elle jamais eu ? « Quelle chance que ton père et toi aient été là pour le sauver, » rétorqua-t-il d’un ton mielleux alors qu’il se demandait de quel droit elle faisait référence à Aslan, Flora et Hestia qui eux étaient des gens biens, pas comme elle et ses parents. Ses cousins avaient beau avoir rendu précaire l’existence de Majid et des siens, ils restaient la famille, une famille qu’il estimait contrairement à celle qui se tenait devant lui.

« Mais merci de t'interroger sur l'état de nos recherches, »  il lui sourit poliment, acceptant gracieusement les remerciements ; après tout, c’était un gros effort qu’il avait fait pour venir jusqu’à elle et c’était tout aussi éprouvant que de s’enquérir sur l’état d’une entreprise dont il se fichait comme de l’an quarante. « C’est bien normal, » assura-t-il nonchalamment, regard circulant parmi les convives à la recherche d’une bonne âme qui lui servirait d’excuse pour échapper à la compagnie désagréable de Siham. « J'espère que ton travail à Ste Mangouste se déroule pour le mieux. » Ses iris en revinrent à la cousine, il sourit en miroir au sien, vraisemblablement tout aussi faux. « Pour le mieux en effet, on ne s’y ennuie jamais … » un visage connu spotted par-dessus l’épaule de Siham et son sourire passa d’hypocrite à réel. « Si tu veux bien m’excuser, je dois absolument la féliciter pour ses récentes fiançailles, » dit-il en désignant d’un vague geste une dame occupée à fièrement montrer l’alliance à son doigt. « Ç’a été un plaisir de te voir en tout cas, » ou pas vraiment, il espérait même ne plus avoir affaire à elle avant un bon moment, alors il la salua et s’éclipsa.

Regard sombre, sourire plus factice encore - un peu triste sur les bords sans même qu'elle n'en soit consciente - oui, un drame que la disparition du cadet. Un sous-fifre du régime de moins. Il fallait le prendre comme ça, toujours voir le verre à moitié plein même s'il n'y restait que les Al-Massri avec qui elle ne partageait pas grand chose si ce n'était pas le néant. Quoique là, un point commun sautait aux yeux : le sourire factice qu'ils s'envoyaient en miroir. A croire qu'ils avaient la même bouche les cousins. Enfin non, pas tout à fait cousins, elle, elle était la grande cousine en théorie, alors il lui devait au moins le respect, pas les remarques ironiques qui commençaient à l'agacer. Pas les sous-entendus comme quoi Siham, son père - bien le respect pour les morts -, sa branche en général ne valaient rien. Légère envie de lui jeter son verre au visage et de le voir s'étouffer avec un petit four. Même pas elle lui taperait dans le dos, les Al-Massri étaient de toute façon plus à un décès près. Alors les décès de bâtards qui plaisantaient sur l'honneur... "N'est-ce pas ?" rhétorique, ton calqué sur le mielleux du cousin. Elle n'attendait pas de réponse, priait plutôt pour que l'entrevue s'arrête le plus vite possible. Quoiqu'après, il resterait le dîner et si ce n'était pas en compagnie de Majid, ce ne serait guère mieux. Soupir réprimé - elle regrettait définitivement de pas y être allée au bras de Marius ou mieux, d'avoir joué à l'endeuillée inconsolable - elle se concentra plutôt sur le maintien de son sourire alors que le visage restait de glace. Banalités sur le métier de l'une puis de l'autre, youhou, on atteignait le sommet de la conversation futile, Siham voulait un peu mourir. En plus, elle avait la confirmation que Majid était définitivement infréquentable. Le gars kiffait bosser à Ste Mangouste. Avec des gens. Malades de surcroît. L'angoisse. Même elle préfèrerait s'ennuyer à ça. Le sourire s'élargit un poil - c'était tout calculé, pour faire genre la cousine heureuse de constater l'épanouissement de son proche - félicitations sur la facilité de l'intégration à deux doigts d'être dégainée quand elle perçut le changement dans le sourire de Majid. Il ne lui était clairement plus destiné. Quel dommage, le voilà qui prenait congés pour encenser une meuf qui avait cru que c'était une bonne idée de se fiancer. "Plaisir partagé" dit avec toute la bonne foi du monde et sa risette ne fut même pas feinte quand elle vit le sorcier s'éloigner. Pour vite être remplacé par un nouveau relou venu lui présenter ses condoléances. Fuck.