Cette année le gala de charité annuel de l’ASAP avait été organisé en grandes pompes. La salle de réception du Diogènes Club avait été réaménagée de fonds en comble pour l’occasion. On y avait érigé une scène immense précédée d’un podium de quinze mètres sur lequel seraient mis en valeur les lots destinés aux enchères. La cérémonie serait présentée par l’ancienne rédactrice en chef de Witch Weekly et membre honoraire de l’ASAP : la célèbre Adèle Travers. La mère du porte-parole de l’association avait généreusement accepté d’endosser ce rôle de la plus haute importance. Pour la seconder, on avait choisi Sally Greyback, modèle d’intégration incontesté de tous les hybrides du pays. Parmi les généreux sponsors qui accompagnaient la soirée, on retrouvait Rosier Events du côté de la décoration et de l’agencement général, Travers Households dont les elfes de maison assuraient le service des rafraîchissements, ainsi que les ateliers Parkinson, qui avaient bien gentiment habillé l’ensemble des membres de l’ASAP. Le gala serait bien évidemment retransmis en direct sur les ondes de la BCBC à une heure de grande écoute, afin de collecter des dons supplémentaires.

Tandis que la foule en délire se pressait dans la salle de réception du Diogènes Club afin de mettre la main sur les tables les plus proches de la scène, Adèle Travers répondait en coulisse aux dernières questions des attachés de presse de Witch Weekly, sur lesquels elle avait veillé pendant de nombreuses années. “Je suis certaine que cette année nous battrons aisément le record des galas précédents. Nous avons neuf lots d’une valeur inestimable. Je meurs d’envie de vous en dire plus, mais je n’ai malheureusement pas le droit.” Petit clin d'œil complice à l’égard des journalistes, en leur rappelant au passage qu’elle en savait bien plus qu’eux, comme toujours. D’ailleurs, on ignore si Adèle Travers s’est trompée en annonçant neuf lots, ou si elle a sciemment omis de mentionner le dixième, qu’elle n’estime peut-être pas à la même valeur que les autres…

20h00. Les lumières s’éteignent soudain dans la salle. Le public composé de sorciers de sang-pur, mais aussi d’employés du Ministère hybrides et sang-mêlé triés sur le volet, trépigne d’impatience et se livre à une salve d’applaudissements, à l’issue de laquelle la maîtresse de cérémonie fait son apparition sur scène. La robe vert émeraude d’Adèle Travers scintille sous le feu des projecteurs qui illuminent la tribune, et pour cause, elle est ornée de diamants de la tête aux pieds. Un fier sourire illumine le visage de la matriarche alors qu’elle s’apprête à prendre la parole. “Mesdames et messieurs, bonsoir ! Je vous souhaite la bienvenue au gala de charité annuel de l’ASAP. J’espère que les employés de mon fils Louis Travers, prennent bien soin de vous dans le public.” Un sourire étrangement chaleureux étire ses lèvres lorsque ses pupilles inquisitrices se posent sur le visage du fils prodige, assis au premier rang. “Ce soir, vous allez avoir la chance d’assister à la vente aux enchères la plus novatrice qui soit. Jamais dans l’histoire de ce pays, on n’aura vu de lots plus fabuleux que ceux que nous sommes sur le point de vous proposer.” Adèle marque une courte pause pour ménager le suspense pendant encore quelques instants. Ce n’est que lorsqu’elle s’est suffisamment nourrie des clameurs du public, qu’elle poursuit enfin. “Je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps… Cette année, c’est du temps que nous mettons aux enchères. Du temps très précieux puisqu’il s’agit d’une soirée en tête à tête avec le mangemort de votre choix, mesdames et messieurs ! Et qui dit mangemort, dit aussi… Elite.” La foule se met alors à pousser des hurlements de joie et des sifflements approbateurs. Du haut de la scène, Adèle Travers jubile ostensiblement. “Mesdames et messieurs, je vous prie de bien vouloir accueillir Anthea Rowle, Bertram Prewett, Dante Burke,  Marlon Travers, Rabastan et Rodolphus Lestrange, Silver Marsh, ainsi que la chaussette sur l’elfe de maison, Wolfram von Bäume !” Les applaudissements redoublent d’intensité alors que la belle brochette de mangemorts fait son apparition sur scène. D’un geste autoritaire de la main, Adèle Travers fait signe à son fils cadet de s’avancer sur le devant du podium, au plus près des badeaux. “C’est avec un membre de l’Elite que nous ouvrons le bal, alors je veux voir les gallions pleuvoir ! Marlon Travers, 51 ans, sang-pur, chef de la brigade de police magique et porte-parole de notre chère association à ses heures perdues. Dans son costume, il est presque aussi gracieux que sa mère.” Le sourire d’Adèle était alors en parfait contraste avec la mine renfrognée de son cadet, qui n’avait visiblement aucune envie d’être jeté en pâture de la sorte.

Spoiler:

Lorsqu’Adèle Travers était venue te voir à toi en premier, pour participer à la vente aux enchères annuelle de l’ASAP, tu avais immédiatement dit oui. Enfin, tu avais pris ton air étonné le plus magistral, avait laissé le suspense s’installer tout en gesticulant de stupéfaction, puis, tu lui avais dit oui. Celle qui te considérait comme son deuxième fils, avait fait un très bon choix en te sélectionnant pour être le joyau de la cérémonie. Les enchères allaient décoller grâce à toi, c’était certain. Cette année serait celle de tous les records.

Contrairement à ton habitude, tu ne t’étais pas fait désirer ce soir. Tu étais même arrivé plus tôt que tout le monde afin de t’assurer de te voir attribuer le meilleur maquilleur magique débauché pour l’occasion. Tu t’étais même montré si convaincant, qu’il avait fini par te céder la potion rajeunissante, qu’il réservait à l’origine à Wolfram von Bäume. “C’est pas une potion qui suffira à sauver les meubles !” que tu t’étais esclaffé en blaguant sur le père de ta future belle-soeur.

Une fois la préparation achevée, tu étais allé faire un petit coucou à ton frangin pour l’aider à se détendre un peu. Tu savais parfaitement qu’il n’aimait pas beaucoup ce genre de réception. Attirer l’attention sur sa petite personne n’avait jamais véritablement été l’une de ses forces. C’est pourquoi, tu t’étais toujours dévoué à occuper le devant de la scène pour vous deux. “Tu devrais essayer de sourire un peu, mon grand. Sinon y a vraiment que ton Allemande qui enchérira sur toi. Ne me dis pas que pour une fois, t’as pas envie de passer la soirée avec quelqu’un de plus… joyeux !” Ce n’est qu’après l’avoir gratifié d’un petit coup de coude complice dans les côtes que tu le libéras de ta présence, pour aller saluer la splendide Anthea Rowle, et son… ordinaire fiancé.

Alors qu’Adèle montait enfin sur scène sous les acclamations du public, les assistants de l’ASAP courraient dans tous les sens pour inviter les différents lots à se mettre en rang. Toi, tu étais déjà fin prêt, et ça tombait bien, puisque l’on t’avait dit que tu serais le premier à entrer dans l’arène. Eh oui, il fallait bien un sorcier exceptionnel pour échauffer les foules et éviter qu’elles ne s’endorment. Tu préparais déjà ton plus beau sourire quand Adèle annonça finalement… le nom de son deuxième fils (le vrai). Pas suffisamment rapide pour tendre un croche-pied à Marlon, tu te retournas brusquement vers l’assistant le plus proche. “Attendez, il y a une erreur ! C’était à moi de commencer ! Pourquoi elle l’a appelé à lui en premier ?” Décidément, on courrait à la catastrophe ! Certes, Marlon n’était pas trop mal pour son âge, mais franchement, sa moue boudeuse aurait presque pu faire fuir un détraqueur (he wished). Tu ne pouvais pas laisser une telle erreur se poursuivre. Menaçant l’assistant de lui jeter un Doloris s’il osait encore poser une main sur toi pour t’empêcher de gravir les escaliers, tu finis par grimper sur scène avec grâce et élégance (you wish). T’approchant de la maîtresse de cérémonie, un grand sourire juché sur tes lippes, tu vins flanquer une bise sur sa joue. “Mesdames et messieurs, le chef de la brigade vient d’être appelé sur une affaire urgente. Mais n’ayez crainte, je suis persuadé qu’il saura régler tout cela bien vite et sera à même de venir clôturer les enchères.” D’un signe de la main, tu indiques à un Marlon un peu trop heureux d’échapper aux projecteurs, la sortie de la scène. Puis, tu te retournes vers le public et prends ton air le plus sérieux, avant de finir par éclater de rire. “Je me présente donc à vous pour ouvrir officiellement cette belle soirée. Rodolphus Lestrange, 45 ans, responsable du bureau de régulation des médias, et membre de l’Elite, bien entendu. Si vous me choisissez, je vous promets que vous en aurez largement pour votre argent.” Te rajeunir de dix ans ou énoncer des promesses presque graveleuse, difficile de savoir ce qui était le pire dans cette introduction.

Spoiler:

Peut-être que Svetlana devrait avoir honte de se tenir au premier rang de la foule des spectateurs amassés pour l'occasion. Peut-être que ce n'est pas correct pour une femme de son rang et qui plus est, une femme mariée, de se mettre ainsi en scène. Mais Svetlana n'a jamais été une grande adepte des conventions, au fond. Elle les connaît, elle joue avec, mais ce n'est pas tant par conviction que pour servir un but plus profond. Dans sa jeunesse, Svetlana était même connue pour tout l'inverse. La jeune femme qui faisait les quatre cents coups avec son frère, qui riait bruyamment entre deux shots de vodka et qui confectionnait des bombes dans son garage. Ah, ce que l'âge peut nous rendre sages... Heureusement, se marier avec Engel avait été la plus sage de toutes ses décisions, un moyen pour elle de conserver dans son mariage une soif d'inconnu, une possibilité de découvrir le monde et les gens qui le composent sans avoir à se soucier d'heurter la sensibilité de son époux. Un mariage basé sur la confiance, donc, et permettant aux deux protagoniste de rester propres à eux-mêmes sans jamais douter de l'amour de l'autre et, d'une certaine manière, de sa fidélité. Une relation bien plus saine, donc, que tous ces pince-sans-rire du Ministère qui cachent leurs adultères derrière des regards austères.

Il n'y avait donc pas de quoi avoir honte, en fin de compte, et sans doute qu'elle croiserait son mari dans la soirée, au bras d'elle-ne-savait trop qui encore. Avec un rictus, Svetlana songe qu'il serait amusant - quoiqu'attendu - qu'ils misent tous deux sur le même cheval. Cela étant dit, il n'était pas garanti que la soirée se termine comme elle l'espérait, mais quand bien même, elle s'amusera de voir son cher beau-frère mis sur le devant de la scène tel la miss BCBC qu'elle rêve de voir sommeiller en lui. Oui, quoi qu'il arrive, cette soirée aura au moins le bon ton de la faire rire...

Ce n'est pas donné puis que Miss Travers annonce l'arrivée de son cher fils sur l'estrade, Marlon étant un homme terriblement terne aux yeux de la Von Bäume, quand bien même sa mâchoire lui donne un air relativement séduisant.

— Mesdames et messieurs, le chef de la brigade vient d’être appelé sur une affaire urgente. Mais n’ayez crainte, je suis persuadé qu’il saura régler tout cela bien vite et sera à même de venir clôturer les enchères.

Arquant un sourcil agréablement surpris, Svetlana se redresse légèrement sur son siège, amusée par la tournure des événements. Elle aime être surprise.

— Je me présente donc à vous pour ouvrir officiellement cette belle soirée. Rodolphus Lestrange, 45 ans, responsable du bureau de régulation des médias, et membre de l’Elite, bien entendu. Si vous me choisissez, je vous promets que vous en aurez largement pour votre argent.

Nouveau rictus, cette fois un peu plus sonore. C'est que Svetlana connaît Lestrange pour avoir déjà fréquenté quelques soirées en sa compagnie. Si l'homme est loin des 45 ans qu'il prétend avoir, il ne fait cependant aucun doute qu'il est de très charmante compagnie. Aussi, Svetlana se joint aux acclamations du public qui, visiblement, apprécie le charisme du sorcier. Galvanisée par cet élan de foule, Svetlana est la première à lever sa pancarte.

— Cent gallions.

Elle lance un sourire amusé au mangemort et espère qu'Engel n'est pas trop loin. Les enchères seraient bien plus amusantes à deux.

Spoiler: