1970s
Pain
You don't know the half of the abuse

Sally connaissait pas la mort.
Elle comprennait pas pourquoi le gosse bougeait pas. Plus. Dans les bras de Fenrir il était froid. « La fièvre est retombée » non Fish il est décédé.
« Quoi »

« Il est certainement bien mieux où il est maintenant. »
La jeune femme y avait pas cru, même si elle entendait plus son coeur battre, même si il hurlait plus à sa mère de venir le chercher. Elle a voulu le prendre des pates de Fenrir. Elle a secoué sa masse comme si ça pouvait réveiller le corps de sa torpeur. Elle lui a ordonné de mordre le gosse de nouveau, que ça allait marcher cette fois-ci, parce que ça avait toujours marché, parce que ça pouvait pas échouer, pas vrai ? Ils étaient supérieurs.
Ils connaissaient pas la mort.
Elle a l'odeur du pus et du sel transpiré.
« Un endroit où la morsure ne lui fera plus jamais mal et où il ne sera pas constamment en danger. »

Et maintenant Fish se demandait bien ce qu'il y avait après.
Arrivée sous la tente comme on tomberait d'une chaise, avec cette réalisation encore nouvelle l'idée lui donnait des sensations de vide. Ou peut-être que c'était le choc. Après trois jours d'agonie : plus rien. Et après : quoi ?
Quel monde meilleur.
Ils étaient pas en plein dedans ?

Fish essaie de formuler ça, plantée comme une conne, toute droite à l'entrée de la tente parfumée mais à chaque fois qu'elle essaie de l'ouvrir ses lèvres tremblent et elle sent les larmes monter. Puis elle a pas les mots aussi, à mettre sur la peur sourde de réaliser qu'on peut juste fermer les yeux et..
Alors elle dit rien, poings serrés. Encore rouges d'avoir frappé l'Alpha qui lui a rien expliqué, les ongles s'enfoncent dans sa paume, piquent la peau moite. Les sillons de sang sont pressés contre la tasse chaude qu'on lui tend - et ça pique un peu plus. Calme aussi un peu ses tremblements.


De la tasse son regard se relève enfin vers Raven, et les larmes coulent sans qu'elle puisse rien y faire alors plutôt que s'assoir Fish plonge sur la sorcière pour cacher son visage dans ses cheveux longs, l'entourer de ses bras quitte à foutre la moitié de la tasse à côté (par terre, sur elle, sur l'autre) et elle serre. Serre comme elle aurait voulu serrer contre elle l'enfant, encore chaud, vivant.
Il était mort - est-ce que c'est réel ?
« Je savais pas.. »
Si elle savait.
Bien sûr qu'elle savait.
« J'veux pas y croire » Son emprise se reserre comme un étau autour de la sorcière parce qu'elle trouve toujours pas les mots, parce qu'aussi elle pige toujours pas. Mortels, ou pas ? Race supérieure où juste..
Si c'est pas ça, c'est quoi ?

Rien.

Face au vide qui lui crève la poitrine, Sally tient debout qu'accrochée à Raven.

Les notes faisaient doucement vrombrir sa cage toracique, et Sally bougeait pas. Acrochée à Raven, elle laissait les bras autour d'elle la mouvoir, un peu. Ses doigts tiraient dans les boucles de ses cheveux emmêlés. Elle serrait sans comprendre ce qu'elle lui disait, parce que ça faisait pas de sens, et de nouveau face à elle la jeune femme pouvait que lui renvoyer son incompréhension, rouge et bouffie, elle s'effondre dans le canapé rembourré. Fish essaie d'entendre sans écouter, mais aux longues tirades compliquées elle préférait la berceuse. Souffrir, survivre, c'était pas dans son vocabulaire, c'était pas ce qu'on lui avait toujours promis. Elle comprend pas.
« Je comprend pas »
Et rien que dire ça lui fait remonter des larmes qu'elle essaie de ravaler. A la frustration se mêlait la honte d'être dans cet état, ses mains serrent le jean troué, elle regarde ses pieds. « Surtout, ne culpabilise pas » Fish secoue furieusement le crâne et renifle. « Non » C'est pas son genre de regarder en arrière, ça l'a jamais été. C'est pas comme ça qu'il l'a élevée.
Pourquoi s'en vouloir quand on est supérieurs, pas vrai.
« Y'a qu'un responsable» Son regard se décole finalement du sol pour se planter sur la sorcière. « Depuis le début.. » Fish émet comme un début de rire qui se coince dans la trachée. « J'veux pas y croire »

Sans connaître le terme, Sally était en pleine remise en question et elle aimait pas la sensation. Se ratatine encore un peu plus lorsque Raven parle de le quitter.
Pour la première fois l'idée lui traverse l'esprit.
La louve s'enfonce dans la bourre en soupirant. Ses mains passent sur son visage avant de s'entremêler derrière sa tête, bras écartés et jambe agitée, les yeux perdus dans les pans de la tente. Dans son crâne vide les mots résonnent.
Encore un concept qu'elle comprenait pas.

« Tu sais quoi je » Boule de nerfs, Fish se lève. « C'est pas être capable où pas, c'est qu'j'veux pas » Elle commençait à tourner sous les bâches, chaque nouveau passage semblant désordonner un peu plus le feng shui de l'arrangement. « Y'a rien à surmonter, y devrait pas y'avoir ! C'est ça l'truc, pas partir.. j'sais pas quoi.. » Toutes ces fois où Chip a faillit y passer, elle y repense, et ça lui donne envie de gerber. Même elle, même lui, c'était un miracle qu'ils aient survécus. Un miracle que Sally l'ai toujours cru. « Normal qu'une sorcière comprenne pas. » Difficile à dire si c'est un sourire ou juste ses dents serrées, ses pieds labourent les tapis aux couleurs délavées. « Si on meurt pareil on vit pas pareil »

Quand les mots quittent ses lèvres, Sally les regrette presque. A voir la réaction de Raven elle se rend compte qu'elle se défoule peut-être sur la mauvaise personne « Non on ne vit pas pareil » alors que c'était bien la seule qui était là pour elle. La seule, si c'était pas triste, et Fish lui tourne le dos. Continue de s'agiter comme un chien en cage, à buter contre les babioles contreplaquées doré, elle sort son paquet de sa poche arrière seulement pour trouver toutes ses clopes d'écrasées. « Tu ne peux pas aller attaquer Fen à chaque fois qu’il mord une nouvelle personne et que ça tourne au vinaigre » Le paquet défoncé et inutile est envoyé rageur dans une lampe qui se renverse mais elle braille par dessus le bruit de la porcelaine qui se brise « Est-ce que j'ai l'air d'avoir demandé des putains d'conseils ?! » Où est-ce qu'elle a l'air totalement dévasté, les joues collantes de frustration tristesse où colère on savait pas trop, elle encore moins. Normal qu'une sorcière comprenne pas. Elle serre contre elle ses bras, de nouveaux sanglots l'étouffent. Elle déteste ça. Se rappelle pourquoi elle est là. « Où juste.. » Et elle se rappelle que personne peut rien y faire, hausse les épaules. « Ce qu’il te faut c’est partir d’ici quelques heures. » Sally la regarde avec des yeux ronds, deux yeux qui ont envie d'y croire. « Tu veux que je t’emmène loin d’ici pour la nuit ? »
Elle hoche la tête.
« Oui »
Sa main se saisit du poignet délicat de la sorcière, couvert de bracelets « Mais reste avec moi »

L'air la frappe de plein fouet. Juste après, c'est le fracas des vagues qu'elle entend. Ici aussi, il faisait gris. Et tout était désolé. Ses pieds trainant butent sur des gravats, des trucs laissés ça et là à moitié recouverts de mauvaise herbe. Ils semblent rentrer dans un bâtiment que des ouvriers avaient oubliés. Vide et abandonné, quand Raven parle le vent recouvre pourtant sa voix. Fish lève la tête : pas de toit. « Je suis restée quelque temps parmi les moldus et j’ai découvert ces constructions laissées telles quelles. » Sur un mur, elle dégage une plaque recouverte de lierre, bombée par la pluie. Elle y lit : dirymu trwydded adeiladu. A la dernière seconde Sally attrape la barre de fer qui lui est lancée dessus, la tirant du gallois, les yeux ronds. « À défaut de détruire le camp. Allons détruire un village entier » Peut-être qu'une sorcière peut comprendre.

Barre bien en main, Fish hésite pas une seconde à la faire valser en direction de la fenêtre à moitié bâchée qui se brise en éclats. « J'ai pas perdu l'coup d'main ! » Mieux que faire les cents pas sous une tente, elle pouvait tout envoyer péter ici, comme au bon vieux temps, pourquoi pas faire cramer le tout en partant ? Après trois fenêtres, deux tables et une poutre cassées sans mot dire, juste des grognements, Fish reprend son souffle. Regarde les dégâts égrainés derrière elles, la paume moite rendue contre le métal. En l'ouvrant, elle voit un début d'ampoule à l'une de ses jointures et la porte à sa bouche. La barre est lâchée au sol et elle s'assoit.
C'était marrant, quoi, pas longtemps. A présent que son souffle revenait, ses pensées aussi. Devant elle, le béton se confond avec le ciel. Même la mer est couverte d'embruns, Sally connaissait la région que trop bien. Elle sort sa baguette et met en action tous les débris qu'elles ont laissé. S'envolant dans l'air, le mélange menaçant de verre, bois et briques flotte un instant avant de s'abattre en une seule masse  contre un mur de béton. Puis celui d'en face. Puis celui d'en face. Puis celui d'en face. « J'arrive pas à.. » Tiens, elle se remet à parler. Ses lèvres se tordent en une moue de frustration, de colère, du moins ce qui lui restait en stock. « Tu lui en voudrais, toi ? » Le regard faussement absorbé par ses travaux de démolition à distance, un mur fini par tomber.

Fish hausse les épaules. Les gravats retombent quand elle se force à croiser son regard qu'elle sentait, collé à elle. « Et je pense qu’il est normal d’en vouloir à Fen même s’il n’est pas totalement responsable de ses pulsions. »  « Ah ouais ? » La louve baisse les yeux, préfère regarder le pavillon moitié achevé, moitié pété. Raven se fait narratrice de sa tête vide. Elle s'accroche à chaque mot sans vraiment en imprimer aucun. Pour changer. Quand elle s'arrête alors Fish saisit la barre et se relève, fait deux pas avant de donner un coup de pied dans une porte d'entrée qui sort de ses gonds.
Elle lui avait dit de visualiser Fenrir ?
Chaque ampoule lui renvoyait pourtant que son propre visage. « Tu ne penses pas que ce gamin est mieux là où il est, plutôt que de vivre dans la traque, sans attache ? » Elle lui tourne le dos pour mieux briser une chaise de chantier. « Nan » Un morceau de plastique manque de l'éborgner et elle balance l'accident domestique un peu plus loin. « J'décrirai pas ma vie comme ça nan » Parce qu'elle l'accepte pas et qu'elle l'acceptera jamais. De nouveau sa main à la bouche, elle revient au niveau de Raven et se rassoit, deux doigts tendus dans le signe universel de quelqu'un sans clope. « La nature l’a sélectionné lui plutôt qu’un autre. C’est comme ça. » Elle lui en donne une. « C'est pas comme ça, c'est Fenrir qu'a sélectionné. Un mois qu'il en parlait. » Qu'on en parlait.

Si elle l'avait su. Si seulement elle l'avait pas cru. Raven devait sentir la poudre remonter au nez de Fish et s'en rapproche et dit : « Et si t’avais été à la place de fenrir ? t’aurais fait quoi ? »
Elle hausse les épaules.
« C'est ça l'truc » Elle hoche la tête et profite un moment de sa cigarette, le temps de trouver les mots adéquats dans son vocabulaire réduit. « J'ferai pareil je, j'recommencerai pareil. » Ses genoux sont ramenés sous son menton. « Parce qu'on est une famille et qu'c'est comme ça. » Le mégot est écrasé. « Le truc Raven c'est que si j'pense comme lui, si j'fais comme lui, j'peux pas.. » Le vent lui plaque les cheveux en arrière, de ses bras serrés autour de ses jambes y'a qu'un front et des sourcils froncés qui en émergent. Elle commence à avoir froid. « J'ai pas le droit de lui en vouloir » Le truc Raven, c'est que Sally en avait même pas envie.

Ses bras se décroisent pour saisir son crâne, doigts crispés sur le scalp en une boule de nerfs. « Mais c'est d'sa faute - c'est d'sa faute » Ses mains passent et repassent sur ses cheveux tandis qu'elle répète juste que c'est de sa faute sans pour autant y croire encore, après des années à se faire manipuler, à être aimée, c'est de sa faute sonne faux mais peut-être qu'en le disant une dernière fois elle comprendra c'est d'sa faute - non toujours pas, Sally prostrée se balance, mais n'accepte pas.