Noûr n’avait pas beaucoup d’occasion de côtoyer d’autres merfolks, chez elle, elle était la seule dans son genre et dans son entourage, Ocean était une des rares triangles bleus qu’elle connaissait. C’était agréable de pouvoir parler à quelqu’un qui comprenait, les autres ne pouvaient pas imaginer leur attirance pour la mer et c’était rafraichissant de pouvoir parler de navigation avec Ocean qui s’y connaissait.
- Si seulement ça pouvait en empêcher certains de trop s’aventurer sur la mer…Noûr acquiesça, les lèvres pincées.
C’était idiot d’envoyer sur les flots des sorciers effrayés par ceux-ci et condamnés à mort s’ils avaient le malheur de tomber dans l’eau trop froide ou de ne pas pouvoir remonter.
- Ça fait du bien à leur ego de penser qu’ils sont capables de nous contrôler. Comme des chasseurs un peu, avec des trophées vivants.- Le pire c’est qu’ils y arrivent, à nous contrôler, je veux dire regarde nous, répondit-Noûr.
Ca faisait mal de l’admettre, elle détestait l’idée d’être asservie, seulement il fallait se rendre à l’évidence, elle était complètement privée de ses droits fondamentaux. En témoignait le tatouage sur sa joue, celui qu’elle ne regardait jamais quand elle observait son reflet dans le miroir mais qui lui sautait aux yeux quand elle regardait Ocean, sans compter les rendez-vous réguliers de contrôle au ministère et ce travail qu’elles faisaient sans avoir vraiment le choix ni d’autres options. On leur avait arraché leur liberté.
- Tu veux dire jouer sur leurs instincts ? Je me dis qu’il y en a peut-être qui doivent avoir du mal à se contrôler, s’ils sont jeunes tu vois ?Noûr opina, c’était une idée qui lui semblait plausible et ce n’était pas comme si le gouvernement aurait des remords à jouer des faiblesses des gens pour les utiliser à leur avantage. Ça la dégoutait, mais c’était comme pour tout, on y pouvait rien.
- C’est ça. C’est horrible pour eux, on a de la chance de pas avoir ce genre de problèmes, dit-elle.
Sauf si on considérait l’attraction presque insoutenable qu’elles avaient pour la mer et leur vie encore plus gouvernée que celle des autres par les cycles lunaires. Au moins n’avaient-elles pas d’envies sanguinaires tous les quatre matins.
- Eh, ça m’étonnerait pas des sorciers. Surtout… enfin tu sais les sang-purs ? Qui se font mordre ? Ça doit tellement être compliqué dans leur tête, je veux dire… comment on passe du haut de la chaîne alimentaire à… tout en bas, en un clin d’œil. Peut-être que même moi je voudrais déchiqueter des gens dans ce cas-là.Noûr haussa les épaules au moment où elle se souvenait qu’elle n’était techniquement pas là pour bavasser. Elle reprit son époussetage pour avoir une excuse si par hasard quelqu’un entrait dans la pièce et les surprenait à jacasser.
- C’est pas faux, mais bon, déjà sans morsure ils veulent déchiqueter tout le monde, si en plus on leur donne des crocs pour le faire … C’est bien fait pour eux quoi.La blonde changea d’endroit, passa le chiffon sur une nouvelle étagère et récupéra une babiole en plomb (très laide si on voulait son avis) pour la nettoyer rapidement.
- Je sais pas si c’est un métier qui recrute beaucoup. Ou alors… peut-être dans la piscine privée du Ministère. Le niveau neuf là, où personne ne sait ce qui se passe… c’est p’tet bien juste un immense complexe aquatique. Avec un gros toboggan en spirale là.
Ça la fit glousser, des images d’employés du ministère en maillot de bain au milieu de bouées flamant rose ou nageant avec des frittes multicolores lui venaient sans mal à l’esprit et pour un peu, elle aurait demandé confirmation lors de son prochain rendez-vous au ministère.
- Arrête j’ai presque envie d’y aller maintenant, répondit-elle au milieu d’un petit rire.
- J’en laisserai quelques-uns patauger avant de les sortir quand même, histoire de dire.
Ce serait mérité, Noûr acquiesça, ouvrit la bouche pour répondre mais fut interrompue par un cri annonçant que
ILS ARRIVENT lancé depuis l’étage du dessous.
- Merde.
C’est qu’avec tout ça, elles avaient toutes les deux pris du retard dans leur nettoyage et qu’avoir des problèmes avec leur employeur était loin d’être dans les plans de Noûr.
- Jvais faire la pièce d’à côté, je suis super contente de t’avoir vue en tout cas, peut-être qu’on se recroisera ! dit Noûr après s’être assurée que personne n’était apparu sur le seuil de la porte.
Elle adressa un dernier sourire à Ocean, jeta un dernier coup de chiffon sur la bibliothèque et s’éloigna.