Pour une fois, tu as l’air d’écouter attentivement la jeune femme. Du moins, c’est ce que laissent penser ton regard fixe, tes sourcils froncés et soucieux, tes bras enroulés autour de toi, agrippant le tissu de ta chemise froissée, à moitié rentrée dans ton pantalon de jogging pas du tout assorti. Il faut dire qu’à ton arrivée, tu avais été trop sous le choc des retrouvailles avec Rubén pour retenir quoi que ce soit de son discours rocambolesque au sujet du camp adverse. Ça avait toujours été un peu comme ça, avec Rubén ; tu passais ton temps à vouloir l’écouter, mais au final, tu l’écoutais jamais, toujours trop préoccupé par un froncement de sourcil, un regard un peu trop appuyé, une main pensivement agrippée à un rebord de table.
La jeune femme ne laissait place à aucun débordement, simplement agrippée à sa baguette que tu détaillais nonchalamment, infoutu de trouver le moindre charme dans ce ridicule bout de bois.

« Ah ouais, ils pensent qu’on est contre-nature, carrément ? » Tu ris un peu nerveusement, tes mains venant se ficher sur le rebord de la caisse derrière toi. « C’est chaud parce qu’on est quand même vachement plus nombreux que vous, nan ? Ils prévoient quand même pas de tous nous… » Du poing fermé, comme si tu tenais une baguette imaginaire, tu moulines du poignet comme si tu balançais on ne sait quel sort mortel ; une manière de te zigouiller, toi et les autres moldus, sans doute. « J’comprends pas ; aux Etats-Unis, ils ont pas l’air d’avoir ce genre de problème ? Me dis pas que je suis genre tombé dans le seul bled chapeauté par un nazi de la magie ? » Mais elle n’a pas vraiment besoin de te répondre pour que tu soupires un « C’est bien ma veine, tiens… » en baissant le menton avec dépit.

Tu finis par relever la tête. « Et toi, t’es quoi du coup ? C’est tes parents qui ont pas de magie ? Ou alors t’es comme les mecs, genre les vampires et les sirènes là ? » C’est vrai qu’avec sa chevelure blonde presque blanche et son regard magnétique, elle avait des allures d’entité surnaturelle.
Autant dire que tu étais loin de te douter qu’Irina descendait d’une redoutée lignée de mages noirs…

« On ne t’a pas appris à reconnaître les hybrides ? » Tu hausses les épaules, la bouche en cul de poule. « Bah, j'sais pas... jusqu'à preuve du contraire, j'ai encore jamais croisé de mec mi-mec, mi-poisson... Ou genre des mecs qui pissaient en levant la jambe... » Tu te représentes la scène dans ta tête, et ça te fait marrer grassement, comme un adolescent. « C'est donc qu'ils sont pas si différents que ça de nous... » Bon, d'un autre côté, tu n'aimerais pas particulièrement te retrouver en face d'un loup-garou à la pleine lune ou d'un vampire au régime...
En y repensant, et fort des codes moldus que tu avais à propos des vampires, la jeune femme remplissait pas mal de critères ; le côté très snob, très blafard... Tu te masses pensivement la gorge, comme si ta main aurait été suffisante pour l'empêcher de te mordre la couenne. Elle met cependant fin à tes doutes (tu es sûr qu'elle peut lire dans tes pensées, d'une manière ou d'une autre).

« Je suis pas là en temps que moldue ou née-moldue. Je suis de sang-pur. » Et ce terme, là ! Moldu ! Ils pouvaient pas vous désigner par un véritable mot ? On aurait dit qu'un sorcier l'avait inventé en se mouchant dans sa manche... Tu hoches la tête, prétextant être impressionné par la nouvelle, même si pour toi, ça ne signifiait rien, hormis peut-être, qu'elle devait venir d'un genre de famille super riche et super vieille, dans la mesure où tu comparais les sang-purs à ce que vous pouviez faire de pire en aristocratie, ou en bourgeoisie, qui sait, un peu consanguine sur les bords... « Ah bah tout n'est pas perdu, si les purs veulent pas tous nous exterminer... » On ne sait pas trop si tu ironises ou si tu es sincère. Cette discrimination glace ton sang supposément dénué de magie, ou du moins de magie que tu étais capable de ressentir et de lire en toi.
Ça faisait longtemps, que tu avais cessé de les envier, eux et leurs petits sortilèges pour se lasser les chaussures... Tu étais passé par-dessus, t'élançant en avant dans une vie complètement dénuée de toute trace de magie, quitte à rompre les liens avec ta famille.

« Tu as des questions avant que je te ramène avec les autres ? - Bah écoute, j'crois que tu m'en as déjà dit pas mal, hein... Le temps de digérer tout ça... » Tu lâches finalement le bord de la caisse. En relevant la tête pour prendre sa suite et revenir sur tes pattes, tu sens quelque chose dans l'air. « Tu... tu trouves pas que ça sent le cramé ? » Tu lèves le nez, reniflant l'air autour de toi, tournant sur toi-même. Un sifflement à peine perceptible s'élève de l'intérieur de la caisse. Tu te penches par-dessus, et découvres qu'un mince filet de fumée s'élève de l'un des énigmatiques petits objets qu'elle avait ramassés plus tôt. « Eeeh... » Tu fais un bond en arrière, lorsque la bombe artisanale se met à tressauter, crachant des étincelles comme des feux d'artifice. Rien de bien dangereux en soi, mais c'était surtout surprenant. « Euuuh, j'te propose qu'on file avant qu'on nous voit ici ! »

Tu t'éloignes de la caisse, et lui attrapes le bras pour l'attirer hors de ce qui aurait pu être ton ticket de sortie. Comme quoi, elle avait finalement réussi à te convaincre de rester encore un peu parmi eux.