Pour la énième fois depuis le mois dernier, Hannah s'est pressée pour rejoindre le confort et la sécurité de son appartement. Alors qu'auparavant, la médicomage aurait passé plus de temps auprès de ses patients, à retarder jusqu'à la dernière minute le moment de rentrer dans son petit appartement ; ce n'était plus le cas depuis son agression.

Tout a changé, le monde s'est retourné d'un coup sec et son appartement est maintenant le seul endroit où elle se sent bien, à l'abris derrière une porte verrouillée, bien au chaud sous sa couette avec des livres qu'elle n'arrive plus à lire pour lui tenir compagnie. Hannah n'a pas envie d'être seule et pourtant, elle se réfugie dans le silence, ne prend plus de nouvelles et ne sort que lorsqu'elle n'a plus le choix - pour retrouver Ernie ou Susan et pour les tâches obligées de toute vie d'adultes. Mais elle revenait toujours bien vite chez elle, loin des regards qu'elle suranalysait, loin des soupçons qui plus jamais ne la quittaient.

Elle est en train de préparer une potion pour une résistante à la demande de Susan, c'est la seule occupation qu'elle arrive à maintenir et qui la détend ces derniers temps. en réalité, Hannah va un peu mieux, les cauchemars se font un peu plus éparses, et la douleur fantôme a presque entièrement disparu, ne se fait sentir maintenant qu'au réveil avant de passer sur sa peau sensible le baume qu'elle a préparé avec soin. Mais, il y a toujours la peur, et les réactions de sursaut qui font bouillir sa peau et s'agiter son myocarde lorsqu'un bruit sourd ou inattendu survient dans le silence comme lorsqu'elle entend quelqu'un frapper à la porte. Il lui faut quelques secondes pour se reprendre, se concentrer sur sa respiration, laisser la vague d'angoisse devenir écume passagère. Un dernier regard vers sa potion pour s'assurer que rien n'explosera, puis Hannah se dirige vers la porte d'entrée. C'est Bash. Elle retient un soupir, elle aime son frère mais la sorcière ne se sent pas la force de le porter à bout de bras ce soir. Cependant, celui-ci la surprend, il n'a pas l'air d'avoir consommé de la drogue ou de l'alcool ou un mélange des deux - ou si c'est le cas pas assez pour devenir incohérent et s'affaler sur son canapé comme tant de fois auparavant. Le soupir laisse place à un sourire sincère, c'est que son coeur se réchauffe quand elle est face à son frère, même lorsqu'il se brise de le voir au plus bas, même lorsqu'il explose de ne pas pouvoir l'aider. "Bash ! tu ne me déranges jamais voyons." On pourrait croire au mensonge, mais c'est pourtant la seule vérité qu'elle connaisse, il ne la dérange jamais car dans sa tête il y a Bash, et presque tout le reste peut bien passer après. il n'y a rien de plus important que la famille surtout quand celle-ci compte des membres fantômes depuis trop longtemps. "Entre je t'en prie. Quel bon vent t'amène ?" Elle lui demande tout en se dirigeant vers le chaudron, c'est qu'il ne faudrait pas non plus oublier ce travail important que Susan lui a confié. Si c'était quelqu'un d'autre, Hannah aurait tenté de cacher ses expériences, mais son frère ne se doute de rien et est une des rares personnes en qui elle a suffisamment confiance pour être persuadée qu'il ne la trahirait jamais, tout en sachant qu'elle devra lui mentir si jamais il lui posait la moindre question sur son activité du moment...

Son visage se referme alors qu'Hannah se concentre sur sa tâche, la joie n'est qu'éphémère, un fragment d'avant qui surgit sous ses yeux par intermittence mais disparaît avant qu'elle n'ait pu s'en saisir avec avidité. Tout lui paraît terne et désolé dans le désert de ses émotions.

Bash est un tourbillon, il n'y a pas de meilleur mot décrire son frère, il ne reste pas en place - jamais - même lorsqu'il est au plus bas, Hannah doit se battre contre les mouvements intempestifs de son cadet ne serait-ce que pour lui faire boire une des potions contre les gueules de bois. C'est ce qu'elle aime chez lui, il brise le silence dans lequel elle se mure bien malgré elle. Il envoie valser la colère et la tension rien qu'en étant à ses côtés. D'autant plus quand il lui rend visite dans un état de conscience inaltérée avec pour seul but le plaisir de sa compagnie.

Hannah récupère la grande louche en bois et touille le breuvage qu'il trouve peu ragoutant. "Tant mieux, comme ça tu ne seras pas tenté d'y goûter." Elle lui répond avec un regard faussement sévère en prenant grand soin d'éviter sa première question, mieux vaut une omission qu'un mensonge n'est-ce pas. Elle ne peut jamais complètement lui en vouloir, même lorsque l'inquiétude la ronge et qu'il la rend chèvre avec ses arrivées nocturnes en bien piteux état, même lorsqu'elle se fait un sang d'encre pour lui et sa santé et son bonheur. D'une main, elle ajoute le dernier ingrédient nécessaire tandis qu'elle observe d'un oeil son frère farfouiller dans ses placards. Un délicat sourire s'installe inconsciemment sur ses lèvres, éclaire son visage trop pâle et certainement fatigué. Il a le secret de la plupart de ses sourires, juste par son existence Bash soulage le poids qui réside comme une chappe de plombs sur sa poitrine. tout autant qu'il est la cause de ses plus grands soucis. C'est une belle confusion en somme. Elle continue de mélanger la mixture, alors que son frère se hisse sur le plan de travail, de sa main libre elle déplace quelques ingrédients en vrac et des liquides dans leur fiole pour éviter qu'il ne les renverse et secoue doucement de la tête, le sourire toujours présent sur ses lippes.

Et puis, il lui demande des nouvelles et son coeur se serre et pendant un temps qu'elle sent trop long, Hannah est à court de mots. Des flash lui reviennent, le sort reçu en pleine poitrine, le visage de son bourreau, et la peur terrible de ne plus jamais réussir à ouvrir les yeux. Son regard se perd dans le vide et elle doit cligner des yeux rapidement et à plusieurs reprises pour s'en sortir. Son sourire a fané et ses épaules se sont abaissées. Hannah se détourne de son frère, fait mine d'inspecter la potion dont les bulles explosent lentement à la surface, avant de répondre doucement. "Pas grand chose.... C'est calme à l'hôpital. Et j'ai bientôt un dîner de prévu avec Zach.... Une fois qu'elle se sent un peu plus en contrôle elle redresse la tête et plonge son regard dans les iris de son frère  tu sais ta soeur vit une vie très peu palpitante." Son sourire est cette fois bien moins éclatant, comme s'il pouvait s'effriter au moindre coup de vent. "Comment ça va toi ? Tu as trouvé du travail ? tu manges comme il faut ? Et la colocation se passe bien ?" Les questions s'enchaînent sans lui laisser le temps de répondre, c'est qu'elle a besoin de s'occuper l'esprit, de penser à autre chose, de détourner la conversation vers des chemins qui ne la concernent pas. Hannah déteste mentir à son frère, et s'il lui posait la question frontalement sans doute ne pourrait-elle pas se résoudre à inventer un mensonge ; mais elle se refuse à le mettre en danger, à l'embarquer dans des soucis alors qu'il a déjà tant à géré. en l'absence de leurs parents c'est son rôle de s'assurer qu'il est en bonne santé et qu'il est protégé - autant que faire se peut - de la dureté de leur monde.

Elle a l'impression d'échouer dans tout ce qu'elle entreprend, mais quand elle voit son frère se détruire, Hannah se dit que là demeure peut-être son plus cuisant échec.

Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre aujourd'hui. Hannah a évité de répondre aux questions de son frère en choisissant un changement de conversation aussi subtilement que si elle avait affiché une pancarte je ne souhaite pas te répondre et son frère fait de même en répondant seulement à la dernière partie des questions intempestives de la blonde.  « C’est cool. Après avec Sky, c’était sûr que ca serait au top. » Elle n'est pas dupe, peut-être ne l'est-il pas non plus de son côté. Son frère a toujours été un peu tête-brûlée, mais depuis qu'il n'a plus son travail - pour une raison que la sorcière n'est pas certaine d'avoir correctement saisi - elle a l'impression que c'est de pire en pire. Et elle peut le comprendre bien sûr, à la place de Bash si l'on disait à Hannah qu'elle ne pouvait plus pratiquer la médicomagie, elle tomberait certainement dans une dépression dont il serait ardu de l'en tirer. Alors non, la sorcière ne juge pas son frère - même quand elle lui fait les gros yeux - elle ne lui en veut pas non plus - même quand il la réveille au cœur de la nuit sentant l'alcool. Hannah s'inquiète c'est tout. Toutes les heures de chaque jour qui passe sans un changement, sans une amélioration.

Pourtant, on lui a appris que l'on ne peut pas sauver ceux qui ne le souhaitent pas. Au fond, c'est cette possibilité qui l'angoisse le plus : que son frère ne désire pas être aidé, qu'il ne souhaite pas aller mieux. Et que bientôt, il soit trop tard pour faire quoi que ce soit.

La Hannah d'avant ne se serait jamais montrée aussi pessimiste. Maintenant, il lui faut toujours un temps un peu plus long pour retrouver ses espoirs et sa joie qui la caractérisaient avant.

« Hannah... » C'est rare que son frère n'utilise pas le surnom de son aînée, et cela suffit à lui faire relever la tête. A se sortir à nouveau de ce tourbillon qui n'arrête pas de l'attirer dans un mutisme contre lequel elle doit se débattre. « Tu sais que tu peux me parler si tu as besoin hein ? » Elle ne saurait dire pourquoi elle se sent autant touchée par les mots de son petit-frère. Pourquoi un léger sourire - sincère cette fois - transparaît sur ses traits. Pourquoi elle se sent plus légère, même si c'est rien qu'un peu. La situation est déstabilisante car leurs rôle se voient inversés l'espace d'un instant ; mais ce n'est pas pour lui déplaire. « Je sais que c’est pas souvent dans ce sens mais je suis là pour toi aussi. » Elle s'approche de son frère, sa main vient remettre en place quelques mèches folles qui n'en feront qu'à leur tête une fois qu'elle les aura laissées tranquilles (un peu comme Bash), avant de le serrer dans ses bras. Ou plutôt de se blottir contre lui. Ils font sept centimètre d'écart, lui avait-il dit un jour - tout fier d'avoir dépassé sa sœur sans doute. "Je sais". Son front se pose contre l'épaule de son frangin, Hannah ferme les yeux. Bash sent comme leur maison d'enfance et elle s'y perd un peu, même si ce n'est certainement qu'une illusion de son esprit qui recherche nostalgiquement un temps où tout était plus simple. Ce n'est pas grave. "Et si je le pouvais je te raconterais tout, chuchote-t-elle dans le vêtement de l'ancien joueur de quidditch. Le noir artificiel qu'elle a créé l'aidant à prononcer une semi-vérité. Mais il va falloir me faire confiance Bash. Je ne peux rien te dire d'autre. Et même si ça ne va pas très fort aujourd'hui, ça ira mieux demain. Ses mains serrent un peu trop fort la taille de Bash, mais il a dû connaître pire violence quand il était encore un sportif professionnel. Je serai toujours là pour toi." Cette promesse, Hannah n'est pas certaine de pouvoir la tenir. Après tout, elle a bien failli la rompre il y a même pas un mois. Et si elle s'en veut un peu d'agir ainsi alors qu'ils savent tous les deux pertinemment que la vie peut nous voler un être cher à tout moment ; elle a besoin d'y croire et de le lui asséner autant qu'il peut. Parce qu'ils n'ont plus de mère, que leur père n'est qu'à moitié là. Parce qu'en définitive, il n'y a plus qu'eux deux.