Vasily s'attendait à toutes sortes de choses de la part de Boris. Qu'il rit de lui. Qu'il le laisse là, à la merci de sa faiblesse et des autres vampires. Qu'il l'abandonne tout simplement, comme il avait été délaissé par d'autres autrefois, une fois qu'il avait cessé de leur être utile ou de les distraire. Mais qu'il le "soutienne", à la façon Boris Bagshot, ça, Vasily ne l'aurait pas parié...

Le regard du vampire alla de son collègue à la main qu'il avait posé sur son épaule pour le maintenir. Un regard empli d'émotions contradictoires, de sentiments mêlés et entremêlés... Soulagement devant ses mots, amusement face à son indignation, reconnaissance pour sa présence, tristesse d'être celui qui avait besoin d'être soutenu quand Boris était le plus jeune et moins expérimenté d'entre eux deux...

Boris avait raison. Vasily était bien des choses, mais il n'était pas une chiffe molle. Il s'était résigné depuis bien longtemps à occuper sa propre place parmi les siens et il ne pouvait pas laisser cela le miner après toutes ces années. Et puis, il n'était pas seul. Il y avait Boris, il y avait Neil, tous ces gens qui faisaient désormais partie de son existence, de son quotidien... Il n'était plus le petit garçon enfermé dans la cave ni le jeune vampire trompé encore et encore, aussi bien par ses pairs que par les humains.

Il était Vasily Orlov, membre zélé de la VB, vampire parmi les sorciers et il était fier du chemin qu'il avait parcouru et sur lequel il continuait à avancer. Qu'importe ce qu'ils pouvaient penser, qu'importe ce qu'ils pouvaient dire... Il ne les laisserait plus l'atteindre comme ils l'avaient fait aujourd'hui. Les dernières paroles de Boris et sa baguette pointée sur lui lui tirèrent un rire. Il prit une profonde inspiration, un sourire plus sincère que les précédents s'étirant sur ses lèvres :

"Plus d'excuses. Plus de pardon. Plus de désolé."

Les mots sortaient plus facilement, plus aisément, même s'il se sentait toujours considérablement affaibli. Peut-être était-ce l'assurance de savoir que Boris était là, à ses côtés, et qu'il ne l'abandonnerait pas de sitôt... Tant bien que mal, il parvint à se relever, avant de reprendre d'une voix maligne :

"Je... Je ne m'excuserai même pas pour ça !"

Il donna une petite pichenette sur le front de Boris, avant de rire à nouveau. Un rire qui mourut progressivement sur ses lèvres, laissant place à un doux sourire. Un sourire reconnaissant, sincèrement reconnaissant pour ce que Boris avait fait pour lui. Il n'était pas simplement venu à cette soirée avec lui. Lorsque Vasily avait été au plus bas, il était resté. Et il était toujours là, à cet instant précis.

"Merci."

Merci d'être lui-même. Merci de ne pas être parti. Merci de ne pas l'avoir fui. Merci de ne pas l'avoir rejeté. Merci d'être Boris Bagshot et d'accepter Vasily Orlov, dans toute sa faiblesse, dans toute sa complexité. C'était un simple mot qui exprimait tant de choses, tout ce que Vasily aurait aimé la force et l'éloquence de dire, mais ne pouvait que condenser en un seul et même mot. Merci.

Vasily s'étira, faisant craquer bruyamment ses os malmenés. Il chancelait légèrement, maintenant tant bien que mal son équilibre. Après un clin d'oeil en direction de son cadet, il souffla :

"Je t'aurais bien invité pour une soirée pyjama, mais..."

Un bâillement lui échappa :

"... je crois que je risque de m'endormir sur toi avant qu'on ait le temps de lancer les hostilités et la bataille de polochons. Ce serait d... dommage."

Un autre bâillement. Vasily se frotta les yeux. Sa main se porta à sa nuque, dont la blessure s'était peu à peu refermée grâce à ses capacités régénératrices. La plaie n'était plus là. Mais il pouvait encore sentir ses dents se refermer sur lui. L'affaiblir. L'humilier. Le manipuler. Son regard s'égarant dans le lointain, il secoua la tête pour chasser ses mauvaises pensées, perdant l'équilibre, se retrouvant à nouveau sur le banc, assis peu gracieusement.

Un rire gêné lui échappa. Plus d'excuses. Il avait retenu la leçon :

"Je compte sur toi pour rentrer. Tu seras mon... mon capitaine de soirée !"

Même si la soirée était catastrophique, Vasily ne la regrettait pas. Boris l'avait accompagné et, surtout, il était resté quand bien d'autres seraient partis. Ca valait toutes les humiliations, toutes les blessures, toutes les épreuves du monde...

C’est fou à quel point tes petits discours pouvaient produire de l’effet auprès des âmes esseulées. Il ne fallait pas se faire d’illusion, au départ, tout ce que tu disais là, c’était pour toi. C’était pour te persuader que tu avais raison, que tu étais dans ton bon droit de faire partie des exilés. Tu étais prêt à te montrer magnanime et solidaire -deux comportements qui ne te ressemblaient pas-, simplement pour prouver aux autres qu’ils avaient tort. Mais tout ça, c’était pour toi. A croire que tu passais tellement avant les autres que, de temps à autre, t’en embarquais un par mégarde, dans la véhémence de ton entreprise.

Mais bon, peut-être aussi que, de temps en temps, t’avais moins l’air d’un salaud que d’habitude. Si bien que Vasily pouvait y trouver son compte s’il le voulait, s’il arrivait à dénicher un peu de pardon dans tes yeux givrés. C’est qu’à force de te voir avec les lèvres pincés et le sourcil réprobateur, on finissait par s’y habituer, et se dire, qui sait, que c’était de naissance. Que tout ça, c’était une carapace, car depuis le début, t’es mis sur la touche, et aujourd’hui plus que jamais. T’avais joui d’un petit succès éphémère, rentrant enfin dans le moule du sorcier exemplaire sous ce nouveau régime, avant qu’on ne t’en arrache pour te balancer dans la cuvette à vampires. Alors soit. Si tu ne pouvais plus faire la une des journaux en tant qu’employé du mois, tu la ferais pour le scandale. Après tout, comme en témoigne votre petite expérience sociale de ce soir, tu étais doué pour ça.

Vasily parvient à se lever à son tour ; tu le regardes faire, soucieux. Tu claques la langue lorsqu’il te fiche une pichenette sur le front, sidéré qu’il use de ses dernières forces pour s’adonner à pareilles sottises. C’est ce genre de légèreté d’esprit chez lui qui te rendait fou ; il était aussi optimiste que tu broyais du noir.
« Ouais bon, abuse pas de ma patience ; je te filerai pas ma gourde tous les jours… » que tu grommelles en l’attrapant sous le bras pour le maintenir debout.

L’adrénaline retombe. Tu ressens le froid, la fatigue, et aussi la peur qui t’avait saisi quelques instants plus tôt engourdir tes membres. La blessure à la gorge de Vasily s’était quasiment refermée mais sa nuque et le col de son costume étaient encore maculés de rouge. Tu ne sais pas si c’est l’humidité des bosquets biens taillés ou le souvenir encore chaud comme une plaie palpitante de cet incident qui t’arrache un frisson. Toujours est-il que ton collègue te transmettrait presque ses incessants bâillements si tu n’étais pas trop poli et effarouché pour ouvrir la gueule comme ça en public. Et pourtant, Merlin seul sait que tu avais présentement envie de rentrer chez toi et de faire le tour du pendule au plumard.
« Oui c’est ça, on fera soirée pyjama une autre fois » que tu répètes, les yeux au ciel, ayant presque l’impression de t’adresser à un type bourré qu’il fallait raccompagner chez lui, tant il était fébrile. « Allez viens, j’ai emprunté le portoloin de ma mère, tu seras dans ton lit en moins de temps qu’il t’en faut pour me décoiffer ! »

Et, duo gothique brinquebalant, vous disparaissez dans les sous-bois.