Vasily se demandait sincèrement pourquoi il se sentait responsable de Boris. Il n'avait pas fait de lui un vampire, certainement pas. S'il l'avait mordu en tant qu'humain, Vasily l'aurait exécuté sans hésiter un seul instant. Pas de progéniture, pas de rôle de Sire à endosser. Il n'aurait jamais à s'occuper d'autrui ou à faire subir à qui que ce soit l'abandon qu'il avait lui-même dû endurer.

Toujours était-il qu'il y avait littéralement un bébé vampire au sein de la brigade et que Vasily n'avait pas le coeur à le laisser évoluer seul dans ce monde, aussi peu accompagné qu'il l'avait lui-même été dans sa jeunesse. Il devait le faire parce que... parce que... parce qu'il devait le faire, voilà tout ! Pourquoi se poser la question davantage ? Vasily savait bien qu'il ne trouverait pas la réponse, de toute manière...

Cette nuit était une nuit un peu particulière. Ils n'étaient pas en mission pour la VB, non. Mais Vasily n'était pas là pour s'amuser. Il avait été informé d'une soirée organisée par ses pairs vampires, dans un manoir loin de la civilisation sorcière. Une petite fête organisée PAR des vampires POUR des vampires. Le genre d'endroit où on ne voulait vraiment pas être humain ou d'une autre espèce que vampirique...

Vasily ajusta son costume noir d'encre, jaugeant la tenue et l'allure de son "protégé", passant une main dans ses cheveux pour le recoiffer. Il prit une profonde inspiration, peu enthousiaste à l'idée de cette soirée. Ils n'étaient pas là pour lui, de toute façon. Boris devait apprendre à jeter ses préjugés au placard, accepter sa nature et se mêler aux siens. Quoi de mieux que ce genre d'événements pour cela ?

"Prêt ?"

Sans attendre sa réponse, Vasily toqua à la porte, attendant qu'on lui ouvre. Il étira un grand sourire sur ses lèvres lorsqu'ils furent invités à entrer et lança un "Bonsoir !" enthousiaste qui ne trouva qu'une mince réponse. D'accord... Visiblement, il n'était pas spécialement la bienvenue en ces lieux.

Et les voilà arrivés. Les invités qui avaient déjà pris place avaient déjà formés de petites bandes, des cercles fermés où il était bien difficile d'entrer sans y être convié. Vasily observa les lieux, les autres vampires, un peu confus.

Il avait passé la majorité de sa vie dans la solitude et l'isolement, qu'il s'agisse de sa vie de prisonnier au sein de son manoir ou des années passées à survivre en Europe, entre rencontres infortunées avec des sorciers profitant de sa naïveté et autres expériences peu reluisantes. Il n'était pas vraiment la meilleure personne pour apprendre à Boris à s'intégrer...

Vasily se gratta le sommet du crâne, perplexe. Il n'avait jamais pris part à ce genre d'événements, pour tout dire. Pas même en tant que Sang-Pur. Enfant, il était trop fragile, et après avoir été transformé en vampire, ses parents n'auraient jamais envisagé de l'exposer à autrui de la sorte...

Comment était-on censé s'introduire à autrui ? Se glisser dans une conversation ? Il hésita, avant de pointer du doigt une vampire apparemment jeune, qui se servait un verre d'hémoglobine dans le récipient qui leur servait de punch, soufflant à Boris :

"Peut-être qu'elle accepterait de te parler. Elle a l'air... gentille. J'imagine."

Vasily haussa les épaules :

"Ou peut-être pas. Je n'en ai pas la moindre idée. Elle ne va pas te manger, en tout cas. On ne se mange pas entre nous. La plupart du temps."

Un vampire passa à proximité. Vasily tenta d'attirer son attention par un signe de la main et un petit "Hey !" enthousiaste, mais fut rencontré par le plus grand dédain. Il ne se départit pas pour autant de son sourire, posant une main sur l'épaule de Boris :

"Tu es à ta place ici. Parmi les tiens. Essaie de ne pas les regarder comme nous regardent les sorciers. Ils n'apprécieraient pas. Nous sommes tous pareils. A boire du sang. A fuir le soleil. A rendre ses lettres de noblesse à l'esthétique gothique. Tu n'es pas différent d'eux. Tu n'es pas différent de moi."

Vasily tapota son épaule, avant de pointer le saladier de "punch" :

"Tu veux essayer ? Le sang doit être de top qualité ! Je parie sur de l'hémoglobine de vélane, ça doit être fantastique !"

Vasily se lécha ouvertement les lèvres, sans aucune honte. L'élégance glacé du vampire ? Très peu pour lui. Sauf quand il était en mission et qu'il avait une image à préserver...

« Boris Héliogabale Bagshot, » tu ne te rappelles pas avoir jamais porté ce nom « je te prie de bien vouloir sortir de cette chambre, immédiatement ! » Enroulé dans ta robe de chambre, une serviette de bain montée sur ta tignasse trempée, tu vas pour refuser encore une fois qu’un alohomora sifflé déverrouille ta porte. Sur le pas, ta mère, impérieuse, attend les bras croisés que tu te bouges. « Tu vas me faire le plaisir d’accepter l’invitation de ton pair et de montrer tes petites fesses à cette soirée ! » ordonne-t-elle en débarquant dans ta piaule, la main tendue menaçante vers la serviette de toilette gardant tes cheveux au sec. Dans un mouvement ample de robe de chambre qui tournoie, tu esquives, vociférant avec le même sens de la mise en scène qu’elle. « Il faudra me passer sur le corps ! »

« Prêt ? »
Beaucoup trop bien fringué pour une soirée à laquelle tu ne voulais initialement pas venir, tu retiens de pousser un cri de consternation lorsque Orlov te passe une main dans les cheveux. Opération risquée quand on savait la tonne de produits que tu mettais dedans pour les faire tenir de la sorte. « Plus maintenant, vu comment tu m’as décoiffé… » gémis-tu tandis qu’on vous fait rentrer.
Tu retiens ta respiration au ralenti, alors que vous progressez dans le salon, devenant, comme tout nouvel arrivant, la cible des regards des autres convives, le temps qu’on remette un nom et une date de morsure sur vos deux mines.
Et, si Orlov passait peut-être pour le weirdo slave de la bande, il avait au moins le mérite, en plus d’être impressionnant, d’avoir également de la bouteille. Parce qu’avec tes trois semaines d’ancienneté, tu faisais presque peine à voir, malgré ta tenue hors de prix.

Ceci dit, tu avais eu la riche idée de te jeter sous l’aile du vampire le plus solitaire du royaume sorcier. Si bien que tu observes non sans consternation ton aîné essayer de t’intégrer à tes petits camarades, comme une mère victime des on-dits de son voisinage, essayant de refiler son marmot à la crèche du quartier. Et en plus de ça, tu ne fais aucun effort pour paraître aimable, tes gros yeux ronds dévisageant les somptueuses tenues et les faces de craie des autres convives. Tu détailles la jeune femme -ou Merlin seul sait quel âge elle avait véritablement- et ignores complètement la remarque de Orlov d’aller la rejoindre. Très peu pour toi.

« Je ne sais pas comment les autres sorciers vous regardent ; mais moi, personnellement, je regarde tout le monde comme ça… » rétorques-tu, le nez haut, ne t’incluant visiblement pas dans le tas. « Ils pourront bien dire ce qu’ils veulent, les deux camps ont l’air de verser dans le même genre de soirée mondaine… à ceci près qu’ici, les cocktails ont tous la même couleur. » Tu zyeutes nonchalamment le fond d’une coupe pleine. Bah, quitte à passer la soirée ici, autant en profiter pour faire le plein. « Honnêtement, vous faites vraiment la distinction entre les différentes… origines de ce que vous buvez ?? » Tu éviteras d’évoquer les pauvres elfes de maison qui t’avaient servi de premiers repas malgré eux. Tu n’aimes pas encore le sang. Tu sais que tu en as besoin, tu t’en sers une rasade régulièrement grâce à la petite flasque glissée dans la poche de ta poitrine -ce qui te donne alors des airs d’alcoolique. Cependant, c’est toujours avec la même aigreur, car il n’y a pas de signes plus brutaux pour te renvoyer à cette sorte de sauvagerie ancestrale, à laquelle on t’assimilait désormais…

Ils formaient un étrange duo. Lui, le vampire qui avait passé la majorité de sa vie les dents longues, à l'allure excentrique, dansant sur une ligne tremblante entre fantaisie et ténèbres. Et Boris, le petit jeune, qui s'accrochait à son humanité avec un désespoir qui se dissimulait derrière de l'arrogance. Qui se disait encore et encore qu'il n'était pas comme eux.

Aux yeux du reste du monde, Vasily s'assumait beaucoup trop. Et pour lui, Boris ne s'acceptait pas assez. Un déni compréhensible, après si peu de temps à évoluer sous cette nouvelle forme qui était la sienne, mais qu'il était nécessaire de dépasser, dont le petit devait s'affranchir s'il voulait pouvoir avancer, progresser, vivre.

Et c'était devenu son rôle à lui, Vasily Orlov, sans qu'il ne le souhaite particulièrement. Sire sans être vraiment sire. Guide égaré dans une société qui le rejetait dans tous les sens, qu'il s'agisse des vampires ou des sorciers. Un pilier fragile, menaçant de s'écrouler à tout instant...

Mais Boris n'avait personne d'autre que lui dans ce monde qui était le leur. Et, Vasily devait se l'avouer, être un repère pour le gamin, même s'il ne le reconnaissait pas, avait quelque chose de... réconfortant. Doux. Il lui adressa un sourire compatissant, devant ses remarques pleines d'ignorance, face à cette tendance à s'exclure de ceux qui étaient pourtant les siens, avant de déclarer d'une voix pensive :

"Ils te regardent également de cette façon, j'espère que tu en es conscient. Et tu peux observer le monde ainsi autant que tu le souhaites, sorciers, hybrides, moldus, mais à la fin, celui qui se retrouvera seul, c'est toi. J'ai été seul pendant plus de 60 longues années et ce n'est pas quelque chose que tu veux vivre."

Oh, il y avait eu ses parents, mais leur présence n'avait fait que renforcer ce sentiment de profonde solitude. Ils n'étaient pas là pour l'aimer. Ils étaient ses gêoliers, la seule chose qui le séparait de la liberté.

A leur mort, il avait échangé un profond sentiment d'isolation contre la personnification même de la solitude. Personne pour le nourrir. Personne pour le protéger. Personne pour l'aimer, même d'une façon tordue, même d'une manière affreuse. Personne.

Le regard de Vasily s'était égaré dans des souvenirs qu'il n'aimait guère remuer. Il se ressaisit, retrouva son habituelle expression légère et s'empressa de se servir un verre, tout en tendant un à son jeune ami. Ses dernières remarques lui tirèrent un rire :

"Il y a une différence près entre leurs soirées mondaines et celle-ci : dans cette soirée, je suis un invité et non pas un agent de sécurité ou que sais-je encore. Je peux boire autant que je veux et, crois-moi, je ne vais pas m'en priver. Je peux m'amuser et je n'ai pas à surjouer le côté Dracula pour épater la galerie."

Vasily observa les différents invités avec une expression songeuse. Il goûta le contenu de son verre, se lécha les lèvres avant d'ajouter :

"Cela dit, j'ai la sensation que tout le monde en rajoute un peu côté "Ouuuh, je suis un sombre vampire aux noirs desseins, tremblez !". Il ne manque plus qu'un cercueil en guise de lit pour compléter le tableau."

Prenant une autre gorgée, Vasily renchérit d'un ton enthousiaste, souriant à pleines dents :

"Oh, oh, j'ai déjà essayé de dormir dans un cercueil, par ailleurs, voilà une petite cinquantaine d'années. Terriblement inconfortable, je ne te recommande pas la chose. J'ai eu mal au dos pendant une semaine après les faits. Et personne n'a assisté à mon réveil, ce qui gâche un peu l'effet effrayant de la chose..."

Vasily rit à nouveau, de ce rire peu discret, de ce son qui détonnait dans cette réception où chacun jouait un rôle, désireux de se faire bien voir. Vasily avait renoncé à cette idée il y avait bien longtemps, à s'enfermer dans une nouvelle prison aux barreaux invisibles, à porter un masque dont il ne saurait se défaire.

Et il en avait accepté les conséquences. Mais il n'allait pas obliger Boris à en faire de même :

"En vérité, tu te débrouillerais probablement mieux que moi pour te mêler à eux. Tu es un bébé à leurs yeux, mais si tu atténues un peu le côté "Je vaux mieux que vous, bande de ploucs", je suis sûr que certains te trouveraient mignon à croquer. Ou mignon tout court, si tu préfères."

Une autre vampire passa. Vasily la connaissait. Il l'avait croisée voilà des années, alors qu'il séjournait en France. Il lui avait offert le festin qu'il prévoyait de prendre, parce qu'elle était jeune, parce qu'elle était assoiffée et parce qu'il ne se sentait pas le coeur de le lui refuser.

Il effleura l'épaule de la vampire du bout des doigts, soufflant un "Bonsoir, Evely..." qui s'interrompit lorsqu'elle se dégagea brusquement de son contact physique.

Leur regard se croisa et Vasily put y lire tout le dédain que la vampire éprouvait pour lui, celui qui avait contribué au déclin de son propre clan, celui qui se vendait aux humains sans la moindre once de dignité... Celui qui lui avait probablement sauvé la vie, mais à qui elle ne témoignerait jamais la moindre once de gratitude parce qu'il n'était pas vraiment des leurs.

"Ne me touche pas."

D'une voix sifflante, froide, elle lui avait ainsi craché cet ordre à la figure, avant de s'emparer du verre de Vasily et de lui en jeter le contenu à la figure. Le russe réagit à peine, immobile, ses yeux noirs suivant Evelyne du regard alors qu'elle rejoignait les siens. Il pouvait entendre leurs murmures, leurs moqueries, sentir leur mépris, leur dégoût...

Vasily essuya son visage du bout des doigts, avant de lécher ces derniers, se tournant vers Boris avec un grand sourire :

"J'avais raison ! Du sang de vélane ! Tu ne fais peut-être pas la différence tout de suite, mais crois-moi, cela va vite venir ! Tout comme les vins rouges n'ont pas tous la même saveur, chaque sang a sa particularité, en fonction de ses origines. Un jour, tu pourras peut-être même différencier deux sorciers grâce au goût et au parfum de leur sang, comme moi !"

Il rit à nouveau, un rire qui se mua progressivement en un profond silence, alors que son regard s'attardait, s'égarait sur cette main qu'Evelyne avait repoussée. Chassée. Comme un vil insecte. Quelque chose d'écoeurant. Profondément répugnant.

"... comme moi."

Boris ne devait pas devenir comme lui. Mais il ne pouvait pas demeurer comme il l'était actuellement. Incapable de s'accepter. Incapable de se considérer comme un des leurs. A mi-chemin entre deux mondes, à cet endroit exact où aucun des camps existants ne peut l'accueillir, le soutenir, le préserver. Perdu entre deux univers.

« Bah, c’est pas faute d’avoir essayé ; quand j’essaye d’être seul, il se trouve toujours quelqu’un pour traîner dans mes pattes et veiller au grain… » que tu réponds, avec un faux air de dédain. Il était facile de deviner qu’en vérité, tu ne voulais jamais être tout seul, et que c’était pour cette raison que tu étais si dramatique et donc si remarquable. Avec un style pareil et un caractère aussi mauvais, à faire scandale pour un rien, il était difficile pour toi de passer inaperçu, et donc d’avoir la paix. Tu aimais être sous la lumière des projecteurs, à défaut du soleil, à présent.

Ceci dit, tu constates que ta remarque ne fait pas vraiment mouche. A vrai dire, c’est presque comme si Orlov ne l’avait pas écouté. Tu ne jettes que trop tard un regard sur lui, n’agrippant ainsi qu’une infime impression d’égarement et de regret.
Le voile passe, et il te tend un verre que tu soulèves du bout des doigts.
Ton aîné repart dans ses rocambolesques histoires de cercueil et de Dracula. Il n’y a pas à dire, il savait amuser la galerie, quand bien même la galerie n’eût compté qu’un seul invité. C’est qu’il ne faisait pas vraiment rire, d’apparence. Et, s’il y en avait bien un dans la pièce qui faisait honneur à Nosferatu, c’était bien Vasily.
Intimement, tu espères très fort que tous les vampires ne perdent pas leurs cheveux. Comme un réflexe, tu recoiffes pensivement les tiens, resplendissants, roulant les yeux au ciel tandis que ton interlocuteur dénigre l’usage d’un cercueil comme matelas.

Tout en sirotant ton sang d’on ne sait quoi, tu cases ici et là des « Nan mais… », « Tu m’étonnes… », commentant d’une voix traînante qui donnerait presque l’impression que tu n’écoutes que d’une oreille, zyeutant le reste de la salle. En vérité, tu avais rarement rencontré quelqu’un avec un tel penchant pour faire la conversation. Orlov avait le don de se mettre au centre de l’attention, mais plus souvent à ses dépens qu’à son avantage, comme s’il ne se souciait guère de ce que tu allais pouvoir penser de lui. D’un autre côté, tu avais été clair dès le début, à le jauger de haut en bas, retroussant la lèvre devant le dépouillement de son visage.

Tu avais passé le stade où son rire un peu trop sonore t’embarrassait. Tu te rappelles la première fois que tu l’avais entendu s’esclaffer, dans la salle de pause des Hounds, et tu avais bien cru devoir te cacher dans un casier pour le restant de la journée. Ceci dit, la gêne avait davantage trouvé son origine dans le couinement suraigu de surprise qui s’en était suivi, plutôt que du rire en question.
C’est que tu oscillais constamment entre une ostentation de ta présence et une nécessité de contrôler le jugement qu’on pouvait te porter. Et, à rester dans les pattes d’Orlov, tu allais avoir de quoi faire.

« Oh, tu sais, je n’ai a-bso-lu-ment rien à leur prouver. Jusqu’à présent, on m’a toujours trouvé quelque chose à redire, alors je ne vois pas pourquoi ça changerait, maintenant que je suis parmi vous ; trop grand, trop bien fringué, trop hom- »
La donzelle à qui Orlov avait adressé la parole vient de lui flanquer son verre dans la figure. Tu la regardes passer son chemin sans demander davantage son reste, offusqué. « Non mais ça va pas ?? » que tu grinces, en sortant de ta poche-poitrine un mouchoir en soie que tu tends à ton comparse. « Et ça, c’était quoi ? Encore une coutume vampire ? » Tu finis ton verre cul-sec et t’en sers fébrilement un autre, fulminant. « Je sais pas, tu n’es pas censé être l’un des plus vieux, et par là même, l’un des plus respectés ?? Ne me dis pas que vous trempez dans le délire des Vingt-huit Sacrées à la sauce vampire, quand même ? Nan, parce que dans ce cas, j’ai déjà donné ! »

S'il y avait bien une chose à laquelle Vasily ne s'attendait pas, c'était la réaction aussi vive de son cadet devant ce qu'il venait de se passer. Encore moins à ce qu'il le soutienne plutôt qu'il ne rit de tout cela. Son sourire habituel aux lèvres, Vasily était pourtant déconcerté par l'éclat de Boris. Il le remercia et prit le mouchoir qu'il lui tendait, terminant d'essuyer ce qu'il n'avait pas déjà léché.

Vasily ne pouvait s'empêcher de trouver le jeune vampire... adorable. Adorable dans sa manière de s'offusquer pour lui, de s'énerver quand Vasily n'avait pas lui-même le coeur de le faire, de le considérer avec cette naïveté de nouveau-né, pas encore tout à fait du monde vampirique et de ses coutumes. Il le lui dirait volontiers, mais il sentait que Boris n'était pas vraiment d'humeur à se faire qualifier de la sorte.

"Je te rassure, ce n'est pas une coutume vampirique. Et si tout se passe bien, tu ne devrais pas avoir à t'inquiéter d'être trempé par le premier vampire venu. Non, c'est juste... moi, je suppose."

Il ne put s'empêcher de glousser alors qu'il ajoutait :

"A tes yeux, j'ai peut-être l'air d'être vieux, très vieux, mais je n'ai que 71 ans. 61 années passées en tant que vampire, c'est finalement bien peu sur une espérance de vie de 300 ans. Certains des invités ici ont bien 100 ou 200 ans, mais en vérité, ce n'est pas le plus important. Tu peux être un vampire assez jeune et avoir le respect de tes pairs. Ce qui n'est pas mon cas."

Vasily se servit un autre verre, en buvant quelques gorgées avant de reprendre d'une voix songeuse :

"Ce n'est pas non plus une histoire de familles sacrées, comme pour les sorciers, bien que certains clans soient plus révérés que d'autres. Non. Il s'avère simplement que j'ai causé la déchéance de mon propre clan, que je suis relativement plus faible que que la plupart des vampires de mon âge et que je "copine" un peu trop avec les humains. Certains me considèrent comme un léche-bottes et un vendu, ce qui n'est probablement pas tout à fait faux."

Un autre gloussement. Une autre gorgée. Nul doute qu'il allait descendre considérablement dans l'estime de Boris, lui qui n'était déjà probablement pas très haut... Tant qu'il était l'un des seuls vampires qu'il connaissait, Vasily paraissait certainement puissant, respectable, un être à craindre. Mais au milieu de leurs pairs... Vasily n'était plus aussi redoutable, ça, c'était certain.

"Ca me touche que tu penses que je suis l'un des vampires les plus respectés. Vraiment. Mais ce n'est pas le cas. J'ai été transformé en guise de monnaie d'échange et je n'ai même pas su remplir ce rôle. J'ai condamné mon clan vampirique et je suis pourtant allé chercher refuge auprès d'eux. Nos pairs me jugent pathétique, pour la plupart d'entre eux. Il est plutôt rare qu'ils m'invitent à quoi que ce soit, en vérité. Je crois qu'ils voulaient simplement me rappeler que je n'avais pas ma place ici."

Une dernière gorgée. Un haussement d'épaules. Un sourire. Vasily rendit le mouchoir taché à Boris, rajustant son costume :

"Comme si je n'étais pas au courant... Mais toi, tu peux encore trouver ta place parmi eux. Peut-être même pourras-tu fonder ton propre clan, un jour. Tu es en bonne santé, tu as de la prestance, du style... Si tu laisses tomber tes préjugés et que tu embrasses ton vampirisme, je suis sûr que tu te feras accepter et respecter en un rien de temps."

Vasily lui adressa un clin d'oeil. Il ignorait si Boris allait saisir cette opportunité qui lui était offerte, se rapprocher de ses semblables. Trouver sa place. Il n'était pas encore trop tard pour lui.

"Tu ne veux pas aller te mêler à une de leurs conversations ? Je serai à proximité, juste assez loin pour qu'ils n'aient pas à supporter ma présence pour pouvoir te parler. Et j'interviendrai si tu sembles en avoir le besoin, bien sûr. Même si je doute que je puisse faire plus que nous conduire vers la sortie. Ces vampires m'étriperaient sans hésiter et sans grande difficulté."

Aux yeux des autres, ceux qui étaient en-dehors de ce monde vampirique, Vasily était une créature à craindre. Et il l'était, pour les humains, pour les sorciers, pour ceux et celles qu'il prenait en chasse dans le cadre de son travail. Mais, comparé à ses semblables, Vasily n'était guère plus qu'une mauvaise blague. Une brindille qu'il serait si facile de briser...

Tu l’écoutes sagement, tandis qu’il t’explique que tout ce que tu avais pu penser sur lui n’était ni vrai, ni partagé par le reste de la communauté vampire. Généralement, tu n’étais pas le plus futé pour décrypter la nature de tes interlocuteurs, puisque, jusqu’à présent, tu allais parler avec ceux auprès de qui ta mère t’introduisait. Quant à Hogwarts, tu te contentais de tolérer et de jouir de la compagnie de celles et ceux qui avaient compris qu’à l’époque, plus encore qu’aujourd’hui, ta langue de vipère n’était que la coquille qui renfermait un pauvre môme rejeté par ses petits camarades de classe.

Ainsi, si tu avais cru bon de traîner dans les pattes de Vasily, sous prétexte qu’il avait l’air important, tu t’étais fourré le doigt dans l’oeil jusqu’au coude. D’un autre côté, cela portait à confusion. Au Ministère et en missions, auprès des sorciers, voire même de certains loups-garous, ton aîné semblait faire planer autour de lui une aura de crainte et de respect. Etait-ce dû à son allure singulière ou simplement à son travail zélé, tu ne savais plus trop… Ou bien même, il était possible que tu aies jeté ton dévolu sur lui, simplement parce qu’il était l’un des seuls vampires que tu avais croisé au travail, et qui avait eu l’air de s’enjailler à l’idée d’accueillir un nouveau spécimen dans son genre.

Effectivement, en tant qu’ancien Handler subitement passé de l’autre côté de l’autorité, ça avait fait quelques vagues. Tes anciens collègues sorciers ne s’étaient pas privés pour t’enfoncer dans le crâne et le gosier que tu étais désormais à leur merci ; tandis que les Hounds qui t’avaient connu moins vampire s’en étaient donnés à coeur joie pour te bizuter.

Tu l’écoutes, et tu sembles redescendre de ton précédent emportement. Tu cases, entre deux répliques, un badin : « Tu devrais t’estimer chanceux, Orlov ; généralement, quand je juge les gens, j’ai plutôt tendance à les estimer bien moins que ce qu’ils sont, au lieu de les imaginer à la tête de quelque culte vampire… » Loin de toi l’idée de t’excuser de t’être mépris sur son compte. Le jour où un Bagshot s’excusera, tous les elfes de maison seront libres et décemment habillés.

Tu avales juste de travers lorsqu’il commence à anticiper ton possible avenir au sein de la communauté de Dracula. « Moi ? A la tête d’un clan de vampires ? Très peu pour moi ! D’ici là à ce que je me fasse à l’idée que je puisse moi-même faire partie d’un clan déjà… Non, trop de responsabilités ; après tout, les chefs sont faits pour être renversés, alors non merci… » que tu minaudes.
Ceci dit, les prédictions de Vasily n’étaient définitivement pas tombées dans l’oreille d’un sourd. Bien que pour le moment, tu te voyais plus à la tête d’une bande de gros bras te vouant corps et âme… la perspective de devenir quelqu’un d’important chez les vampires, à défaut de le devenir chez les sorciers ne te semblerait pas, après coup, si révoltante…

Tu soupires. « Tu tiens vraiment à ce que je m’intègre, pas vrai ? » Tu le considères, avec l’exaspération d’un môme que sa mère veut conduire jusqu’au portail de l’école. « Nan parce que ma mère a voulu agir de la sorte, pour mes grands débuts, à Hogwarts… Autant te dire que la pauvre gamine avec qui elle m’a assis dans le compartiment n’a plus jamais tenté d’assortir sa jupe et ses chaussettes en ma présence… »

Et, fort de cette douteuse anecdote et d’un sourire mesquin, tu t’armes d’un verre plein avant de te glisser parmi un groupe de vampires, majoritairement au féminin, parce qu’il ne faut pas non plus exagérer. Entre temps, ton sourire est devenu charmant, tes yeux papillonnent et quand tu ris avec parcimonie, tu jettes ta main sur ta poitrine avec grâce…

« QUOI ? Des chaussettes dans les mocassins ? Mais vous vous payez de ma tête ?! » Quelques minutes ont passé, depuis que tu as pris congé de Vasily, et déjà tu pousses un cri d’horreur. « Nan parce que, que vous buviez du sang congelé, c’est tout à votre honneur, mais alors une faute de goût pareille ?? Même un lycan n’oserait jamais !... De toute façon, ils ne sont même pas assez futés pour porter des mocassins ! »
Bien entendu, les regards se sont tournés vers toi, un peu partout dans la salle ; et ça n’était plus qu’une question de secondes avant qu’on ne te chasse de là, si Vasily n’intervenait pas pour calmer ton alarme du fashion faux pas.

Vasily gloussa à l'idée de se retrouver à la tête d'un culte vampirique. Lui, gourou charismatique ? Le concept était tout simplement hilarant. Ce qu'il lui fit savoir, sans gêne ni hésitation aucune :

"Tu sais quoi ? Tu as peut-être raison. Je devrais fonder ma petite secte. Le rituel d'entrée sera une épilation intégrale et le monde craindra de prononcer notre nom..."

Vasily agita les mains avec exagération, comme s'il était en train de faire l'annonce la plus excitante de ce siècle :

"... Les Chauves-Souris ! Si tu veux en faire partie, il faudra renoncer à ta belle chevelure. Tu es prêt à ce terrible sacrifice ?"

Un sourire malicieux aux lèvres, il entreprit d'ébouriffer légèrement les cheveux de Boris, pouvant sentir les produits utilisés sous ses doigts pour que le coquet vampire fasse son effet.

Vraiment, s'il y avait bien une chose que Vasily ne regrettait pas, c'était de ne pas avoir passé des heures à prendre soin de ce qui se trouvait sur son crâne.

Oh, il devait parfois raser une ou deux touffes de cheveux qui poussaient aléatoirement, mais la quantité était mince et le phénomène était suffisamment rare pour ne pas représenter une éternelle corvée.

Quand Vasily avait parlé à Boris de la possibilité de fonder son propre clan vampirique, il avait été un peu surpris que le jeune homme ne soit pas excité par cette opportunité.

Mais, après tout, lui-même s'était refusé à transformer qui que ce soit et à devenir officiellement le Sire d'un autre vampire. C'était une responsabilité qu'il ne voulait pas assumer.

Et pourtant, le voilà dans cette soirée où il n'avait pas sa place, à tenter d'introduire Boris au monde des vampires et lui créer des relations. Pourquoi s'était-il imposé cela, déjà ?

Boris lui demanda s'il tenait vraiment à l'intégrer et Vasily hocha la tête, son sourire s'accentuant lorsque le vampire le compara à sa mère. Il était bien rare qu'on considère Vasily de la sorte et cela l'amusait grandement.

Maman Vasily Orlov et son petit bout de chou, Boris Bagshot. Bébé vampire évoluant dans la cour des grands, sans filet, sans son Sire pour le soutenir. Qu'à cela ne tienne, Maman Vasily était décidé à être là pour lui !

En le voyant prendre son courage à deux mains et se mêler à un groupe de vampires, Vasily ne put s'empêcher de se sentir profondément fier. Voilà, c'était un premier pas !

Peut-être pourrait-il se faire des amis... Des gens qui voudront l'intégrer. Des personnes plus puissantes que lui qui pourront le guider et l'aider à s'accepter. Des amis. Une petite famille.

Vasily eut tôt fait de déchanter lorsque le cri d'horreur de Boris lui parvint, suivi de son petit discours digne d'une pimbêche. Il perdit brièvement son sourire, posant son verre sur une table à proximité pour le rejoindre à toute vitesse.

A ce train-là, le buffet allait s'agrémenter d'un plat supplémentaire et ce serait du velouté de Boris en sauce... Avec tous ses produits pour les cheveux, ça risquait de coller sous le palais. Mais là n'était pas le moment de penser à ce genre de détails !

Vasily s'interposa, faisant rempart de son corps, retrouvant son grand sourire pour désarmer la situation et essayer de détendre l'atmosphère :

"Excusez-le ! C'est le sang de vélane, il n'a pas l'habitude, ça lui tourne la tête. Considérez qu'il n'a rien dit. Ou que je suis responsable de chacun de ses mots, comme vous préférez ! Ha Ha Ha..."

Le rire de Vasily, témoin de son malaise, se tut dans sa gorge lorsque le vampire dont Boris avait insulté le mauvais goût vestimentaire le fixa avec intensité. Le sang de Vélane n'était pas simplement délicieux, il conférait la capacité d'hypnotiser ses victimes, un pouvoir que les vampires n'utilisaient généralement contre leurs pairs. Mais ils ne considéraient pas Vasily comme leur pair et quelle meilleure leçon pour cela que de le lui prouver par une complète domination ?

Le vampire offensé était plus âgé que Vasily, plus expérimenté, et il avait bu plus que nécessaire ce soir-là. Il n'eut aucune difficulté à briser la volonté de la fragile créature de la nuit, qui succomba à son charme fascinant. Les bras de Vasily retombèrent le long de son corps, bouche bée, son regard perdu dans un horizon connu de lui seul, alors que le vampire refermait ses canines sur sa gorge et aspirait, aspirait, aspirait...

La créature n'avala pas le sang de son semblable. Elle le recracha dans un récipient avec un air dégoûté, alors que, les paupières battantes, Vasily s'extirpait de la transe dans laquelle il avait été plongé. Le teint plus pâle que pâle, le coeur battant si lentement qu'il semblait ne plus avoir de pouls, le vampire revint à la réalité, ses doigts allant effleurer la marque de dents qui s'étalait sur sa nuque. Il resta figé quelques instants, en état de choc, incapable de réagir aux ricanements de ses congénères ou au comportement de Boris, quel qu'il puisse être.

Ce ne fut que lorsqu'un vertige le prit et qu'il manqua de s'effondrer au sol que Vasily reprit complètement ses esprits et réalisa pleinement ce qui venait de se passer. Et devant qui cela venait d'arriver. Son regard se posa sur Boris et l'angoisse laissa place à une expression qui se voulait rassurante. Un sourire, son habituel sourire. Une armure devant l'humilation ultime.

Il s'appuya sur le jeune homme, peinant à tenir debout, lui marmonnant :

"Désolé... Je... J'ai un peu... soif."

Il ne pouvait pas sortir dans cet état. Vasily n'était pas certain qu'il parviendrait à se contrôler, s'ils avaient le malheur de croiser un sorcier en rentrant. Et il sentait qu'il suffirait d'un rien pour qu'il perde conscience et laisse Boris seul dans la fosse aux serpents. Vu sa performance précédente, ce n'était pas quelque chose que Vasily pouvait se permettre...

Sa main se plaqua sur sa plaie, comme si cela pouvait suffire à effacer ce qui venait d'arriver, alors qu'il continuait à marmonner, d'une voix qui laissait percevoir le début d'un léger délire :

"Les mocassins et chaussettes... C'était à... à la mode le siècle dernier. Il devait faire fureur il y a... il y a cent ans."

Vasily gloussa, un rire étranglé par la douleur qui pulsait sur sa nuque maltraitée. De sa main libre, il entreprit à nouveau d'ébouriffer les cheveux de Boris, mais sans grand succès, ses doigts ratant le crâne du jeune homme de plusieurs centimètres.

Tu n’aurais pas été prêt à en venir aux mains, quoique, on parlait de mode après tout, donc il aurait été possible que tu sortes les griffes. Mais Vasily s’interpose à temps, avant que tu ne craches à la figure de ton interlocuteur.
Il va pour leur servir son petit numéro de comique de service, quand soudain, il s’arrête, plus capable de quoi que ce soit. Il fixe dans le vide, si bien qu’on aurait dit toi, devant une place aux premières loges d’un vestiaire de Quidditch.

Tu ignores tout bonnement ce qui est en train de se passer et vas pour l’ouvrir de nouveau, en quête d’éclaircissement, infichu de te rendre compte de la gravité de la situation dans laquelle tu vous avais fourrés.
Tu en entrevois un morceau lorsque le vampire inconnu morde Vasily à la gorge.
Tu gardes les lèvres closes mais on entend dans le fond de ta bouche un cri suraigu, tandis que tes grands yeux bleus, exorbités, contemplent avec horreur le spectacle. C’est pas tant que tu avais des flashbacks de ce qui avait pu se produire entre toi et le jumeau Flint, quelques semaines auparavant, mais tu faisais plutôt la triste découverte qu’être un vampire ne vous empêchait pas de subir de nouveau cet acte humiliant et douloureux.
Parce que ça a beau être la première fois que tu assistes à ce genre de lynchage, tu ressens, au fond de toi, que c’est un sort avilissant. Un acte désintéressé, un acte vain -en effet, l’autre recrache le sang d’Orlov avec dégoût-, le symbole qu’on te maudit une nouvelle fois, et pour rien, en plus.

Tu as l’impression qu’il a aspiré aussi aspiré tout ton sang avec. Tu restes immobile, les jambes tremblantes, te retenant à la table de buffet derrière toi pour ne pas t’écrouler. Personne ne bouge autour de vous ; et tu vois même sur certains visages, que le dégoût est davantage dirigé vers l’agresseur que l’agressé paria.

Vasily tend la main vers toi, tu l’observes s’agiter dans le vide, avant de venir à sa rencontre. Plus tard, si on te reparlait de cette soirée, tu aurais nié toute participation. Tu aurais nié être venu en aide à ton aîné, le hissant avec difficulté sur ses jambes, un bras autour de sa taille, et le sang gargouillant dans sa nuque éclaboussant le col de ta robe.
« On… On ne va pas vous déranger plus longtemps, hein ? » que tu siffles, la voix tremblante.
Des sueurs encore plus froides coulent le long de ton dos déjà trop tiède pour n’être qu’humain. Tu traînes davantage Vasily vers la sortie que tu ne l’y conduis.
Juste avant de sortir, sur le pas de la porte, tu te retournes vers eux, d’un mouvement exagéré, ta mèche impeccable faisant une vague, animé par une vague d’impudence.
« Croyez-moi, les médias vont en entendre parler… Vous deviendrez la risée du monde sorcier, avec une faute de goût pareil ! »

Si le mensonge avait été fomenté sur le coup, alors que tu cherchais juste un punch line pour quitter les lieux en beauté, c’est à partir de ce moment que tu t’étais mis en tête de te rapprocher au plus près des médias. Parce que les sorciers ne rataient pas une occasion de lire un fait divers sur les vampires et autres hybrides. Et tu te ferais une joie de devenir le porte-parole, ou davantage le détracteur, de ta propre espèce, si ça pouvait faire parler de toi. Parce qu’un bad buzz reste un buzz avant tout. Tu avais côtoyé ce milieu à plusieurs reprises par le passé ; et, quand on maniait aussi bien que toi les deux armes principales de la communication, à savoir, le look et les faux-semblants, ça aurait été un gâchis de ne pas en profiter.

Vous sortez du manoir et vous enfoncez un peu plus loin dans les jardins. Tu ne comptes pas faire transplaner Orlov tout de suite, au vu de son état. Vous vous asseyez sur un banc de pierre. Il fait frais et on est au beau milieu de la nuit ; l’avantage, c’est qu’ici, Orlov ne risque pas de croiser des sorciers sur qui se faire les crocs.
Tu sors la flasque dont tu ne te séparais jamais et la tends à ton coéquipier. « Tiens, finis-la ; il faut au moins que ça te tienne pour le voyage de retour »
Tu restes silencieux un moment, resserrant autour de tes minces épaules ton épaisse cape noire de soirée. Tout un tas de questions de panique se pressent derrière tes lèvres. Au vu de son état, Orlov aurait peut-être préféré que tu te la boucles ; ceci dit, il n’était pas du genre à laisser s’installer un silence. Si bien que tu finis par le prendre entre quatre yeux, enfiévré. « Je peux savoir ce qui s’est passé, là-bas ? C’est courant comme tradition ?? Je pensais que boire le sang d’un autre vampire… n’était pas recommandé ? Enfin, c’est censé faire quoi ? On devient deux fois plus maudit ?? »

Vasily n'était pas tout à fait là. Choqué par l'événement, endolori, épuisé par la quantité de sang qui lui avait été retirée, il ne pouvait que compter sur son cadet pour le tirer de cette situation. Boris le soutint et Vasily ne put faire autre chose que de s'appuyer sur lui, ses jambes flageolantes sur le point de le lâcher. D'une main, il tenta une nouvelle fois de lui ébouriffer les cheveux, sans grand succès. Le regard fiévreux du vampire se perdit dans le vide, tandis que Boris l'escortait vers la sortie, traînant son poids à travers la salle.

La dernière remarque du jeune vampire tira un rire à Vasily, qui eut vite fait de s'étouffer devant la douleur pulsant sur sa nuque. Il cessa de vouloir ébouriffer les cheveux de Boris et traça un L de son pouce et de son index, marmonnant un "Loooosers..." à peine audible. Ses yeux se fermèrent quand ils se retrouvèrent enfin à l'extérieur et qu'un léger vent caressa son visage.

Lorsqu'il les rouvrit, Vasily était assis sur un banc de pierre, aux côtés de Boris. Ce dernier lui tendit sa flasque et Vasily s'en empara fiévreusement, manquant de la faire glisser de ses doigts maladroits. Il la but jusqu'à la dernière goutte, le regard possédé, tétant désespérément, fiévreusement. Quand il eut définitivement fini, ses doigts se relachèrent autour de la flasque, qui tomba à ses pieds. Quelques couleurs revinrent trouver leur place sur son épiderme exsangue.

La fraîcheur de la nuit l'aidait progressivement à retrouver ses esprits. Un fredonnement avait glissé sur ses lèvres rougies par l'hémoglobine, une berceuse que lui chantait sa mère quand il était petit dans leur langue natale. Peu à peu, toutefois, la sonorité rassurante se tut, alors que Vasily reprenait conscience de la situation et s'extirpait de son état fiévreux.

Le silence qui s'installait avait quelque chose de confortable, pour une fois. Vasily était plutôt du genre à parler pour ne pas laisser un blanc s'installer, mais il n'avait pas envie de dire le moindre mot à cet instant précis. Il aurait voulu être dans son lit, se rouler en boule et oublier ce qu'il venait d'arriver. Mais il n'était pas dans son appartement et il n'était pas seul dans ce qu'il s'était déroulé.

La voix de Boris parvint à ses oreilles, un peu trop forte à son goût, le jeune vampire ne le lâchant pas du regard. Alors qu'il finissait d'étaler ses inquiétudes, Vasily se retrouva incapable de supporter le poids de son propre crâne sur sa nuque et se retrouva tout contre Boris, sa tête reposant sur l'épaule de son collègue. Vasily prit une profonde inspiration, un sifflement douloureux s'échappant de sa gorge malmenée. A dire vrai, il se serait bien endormi, là... Mais Boris avait besoin d'être rassuré et il ne voulait pas le laisser seul avec son angoisse.

"Hmm... Non, ce n'est pas... courant. J'ai... J'ai vu ça une fois, il y a... il y a des années. Un vampire a tenté de... de renverser le Sire de son clan et il n'a pas apprécié. Il l'a humilié, par la f-force, sans même le charmer. Mais ce n'est pas p-plaisant ni pour la victime ni pour l'agresseur. N... Notre sang a un goût affreux."

Les mots se heurtaient, s'entrechoquaient, une parole difficile à prononcer pour le vampire qui ne rêvait que de se reposer et de laisser tout ça derrière lui. C'était la première fois qu'il vivait une chose pareille. Il avait déjà été rejeté par ses pairs, moqué, humilié, mais ça... C'était définitivement à un autre niveau.

"Il... Il avait beaucoup bu. Du sang de vélane. Et je suis f-faible. C'est pour ça qu'il a pu... qu'il m'a... brisé."

Ce mot-là était le plus compliqué à sortir. Brisé, oui. Il avait été brisé. Sa volonté réduite à néant. Une marionnette qu'il aurait pu manipuler sans le moindre souci. Si le vampire lui avait demandé de s'en prendre à Boris, Vasily n'aurait pas pu se rebeller. Il aurait obéi, pantin malléable à souhait. Cette pensée le répugnait au plus haut point. Il ne pouvait pas se permettre de se retrouver à nouveau dans une telle position. Surtout pas en présence de son cadet.

Ses paupières étaient lourdes, se fermant malgré lui. Il se força à rester éveillé, clignant furieusement des yeux. Ils étaient peut-être sortis du manoir, mais ils restaient en territoire "ennemi". Et dormir ici était définitivement une mauvaise idée.

"T... Tu n'es pas faible, alors ça... ça ne d-devrait pas t'affecter c-comme ça. Et... Et ils n-n'ont pas de r-raison de te m... de te mordre. Ils ne te v-voient pas comme inférieur. Jeune, o-oui. Mais pas inférieur."

Contrairement à lui. Lui qui était trop fragile. Lui qui avait proclamé fièrement et publiquement son statut de Hound et enjoint les siens à rejoindre Voldemort. Lui qui avait causé la chute de son propre clan. Lui qui ne serait jamais complètement accepté où que ce soit, quoi qu'il puisse arriver.

"Ils... I-Ils ne sont pas mauvais. Si... Si tu g-gagnes leur estime, tu... tu pourras f-faire de grandes choses. Et... Et tu n'auras p-plus besoin de moi."

Avant cette soirée, Boris le voyait comme cette espèce d'ancien vampire respectable et puissant, quelqu'un vers qui se tourner, un semblable à suivre. Et maintenant ? Le jeune homme devait le trouver pitoyable. Pathétique. Il ne voulait probablement plus avoir quoi que ce soit à faire avec lui. Vasily ne pouvait même pas le lui reprocher...

"D-Désolé. Je vais b-bien. Pas de... de double malédiction ou quoi. Je suis... Je suis juste... fatigué..."

Le choc émotionnel avait été trop intense. Vasily ne savait plus quoi faire de ce qu'il ressentait, de ce qu'il pensait. Il n'avait même pas la force de pleurer ou de rire. Il restait étrangement impassible, ses yeux papillonant pour lutter contre l'épuisement. Vasily se mordit faiblement la lèvre. Il n'aurait pas dû emmener Boris à cette soirée. Il n'était pas prêt et lui non plus. Il avait été un mentor bien incompétent, incapable de préserver son cadet, devant se reposer entièrement sur lui pour échapper à cette situation. Pitoyable.

"D... Désolé. Tu mérites m-mieux que ça."

Mieux que le pathétique vampire qu'il avait été. Mieux que la farce à laquelle il avait assisté. Mieux que Vasily, qui ne savait pas ce qu'il faisait de sa vie et lui avait fait croire qu'il était expérimenté. Qu'il pouvait lui faire confiance. Qu'il pouvait le suivre. Mensonge. Mensonge. Mensonge.

Tu ramasses précipitamment la flasque de Vasily vient de faire tomber, ravalant une réprimande sur la valeur pécuniaire et sentimentale de l’accessoire, l’essuies contre le revers intérieur de ta cape avant de la ranger précieusement. Entre temps, ton aîné s’était mis à fredonner tu ne sais trop quoi, les yeux dans le vague. Il est difficile de distinguer les variations colorimétriques de l’habituel teint cireux des vampires, mais il avait tout de même l’air d’avoir repris quelques fades couleurs. Ceci dit, vous aviez intérêt à ne pas trop tarder ici, le ventre vide. Pour le moment, cependant, tu veux juste qu’il réponde à tes questions, une situation inouïe au vu de ton traditionnel désintérêt pour la question vampire.
Malgré ton petit soubresaut de rejet lorsqu’il laisse tomber sa tête sur ton épaule, tu ne bronches guère plus, espérant par là même qu’il finisse par te répondre.

Tu l’écoutes, bouche bée, les yeux si grand ouverts qu’ils pourraient rouler hors de leurs orbites. Tu avais plus ou moins connaissance du petit jeu de pouvoir animal qui était à l’oeuvre au sein d’une meute de loups-garous, mais tu n’aurais jamais pensé que les vampires puissent se réduire à de telles bassesses. Certes, tu ne les considérais pas encore à leur juste valeur, mais tu ne te serais pas tenté à les rabaisser aussi bas que les loups. Il y avait bien ce lien un peu étrange et mystique reliant un Sire à son mordu ; ceci dit, tu n’avais pas encore eu l’occasion de franchir ce pas là, n’ayant pas particulièrement recroisé le chemin de ton Sire -consciemment ou pas, cela restait à déterminer. Tu n’as jamais entretenu un lien très sain avec tes figures parentales, et ça n’était pas dans cette nouvelle existence que cela allait se produire.

Un frisson te parcourt l’échine, difficile à dissimuler au vu de la position de ton collègue avachi sur toi. Vasily avait beau te persuader qu’il n’y avait aucune raison que tu te fasses mordre, tu ne voyais désormais plus que cette perspective… A moins que tu ne mordes en premier. Le seul souci étant que, de tous les aspects vampires, ce dernier était de loin celui que tu répugnais le plus. Tu n’as toujours pas saisi pourquoi vous n’utilisiez pas simplement un Diffindo propre et net pour trancher la gorge de quelques adversaires. Pourquoi vous vous obstiniez à user de ces affreuses dents, certes conçues à cet effet, mais obligeant à une méthode on ne peut plus barbare et salissante.

Et, comme tout bon saligaud ayant, sans le savoir, besoin d’une thérapie, tu rejettes ce sentiment de peur au fond d’un paquet d’agacement.
« Hé oh, va falloir commencer à arrêter de s’excuser, hein ? Je sais pas ça fait combien de temps que les autres te voient comme ça, mais c’est pas une raison pour se laisser faire ! J’ai pas envie d’une chiffe molle comme collègue, alors on va se reprendre, compris ? » Tu te décales un peu sur le côté, le maintenant à peu près droit d’une main squelettique agrippée à son épaule. « Nan mais je rêve, on fait pas des trucs pareils en public ! Si tous les sorciers plus vieux que les autres pouvaient se permettre ce genre de trucs, ce serait le chaos ! Attends un peu qu’une sauvagerie pareille apparaisse dans les faits divers, ils feront moins les malins, tes p’tits copains ! Ils veulent la jouer sale, alors on va pas se gêner ! »

A quelques années près, on aurait pu te croire de nouveau à Poudlard, à l’époque où tu manigançais pour te venger de tous ceux qui médisaient sur toi ou les quelques reclus auprès de qui tu squattais de temps à autres. Comme quoi, on ne changeait pas une équipe qui triche. « Dans cette vie ou dans l’autre, j’me laisserai pas marcher sur les pieds, tout ça parce que tu fais pas partie de leur petite sauterie. Si ça les fait chier que je traîne dans tes pattes, alors crois-moi qu’ils n’ont pas fini de nous voir sévir ! »

Tu avais certes une manière très louche de remonter le moral de tes maigres troupes, mais tu faisais ça aussi pour toi-même. Tu n’avais pas arrêté de te débattre dans le dos de tes détracteurs, agissant dans l’ombre, feignant de l’extérieur d’être aussi calme et docile qu’un caniche.
Tu te relèves subitement, droit comme un piquet. « Pour commencer, on va te ramener chez toi ; on mitonnera notre vengeance, plus tard. » Tu dégaines ta baguette. « Et t’avises plus de t’excuser une seule fois. »